Les nouveaux étaient l’objet de notre curiosité en éveil, on les questionnait :
« Tes noms, prénoms, ton âge. D’où viens-tu ? » Ceux-ci, intimidés, répondaient à nos multiples interrogations. Ceux qui avaient déjà fréquenté d’autres collèges étaient plus à leur aise. On s’en apercevait tout de suite.
Et puis ils débarquaient souvent avec leur ancien uniforme.
Vanche, par exemple, et Bahiana avec la petite veste étriquée, bleu outremer, des pères Jésuites ; Normand, Berton, Cayrol avec le beau képi du bahutien et la longue tunique à liséré rouge ; d’autres avec le costume d’officier de marine d’opérette des pères Eudistes, etc…
Une entrée sensationnelle
Drouhin dit le Gascon, fit une entrée sensationnelle avec une petite queue de pie préhistorique, cueillie au vestiaire d’un de ses ancêtres. Durraffour, qui nous venait de la montagne, portait à son arrivée une blouse avec un ceinturon et un feutre grand comme un parasol. Mais dédaigneux bientôt de ce costume il se fit confectionner en cachette un uniforme de son invention, doré sur tranche, qui lui valut, je crois l’avoir déjà raconté, un succès de fou rire, sans précédent dans les annales de l’Établissement. Michelet nous apparut sous la forme d’un cow-boy, il ne lui manquait que les guêtres à franges et le lasso. Decreuse se révéla comme un gringalet. Ses mollets nus firent scandale et devinrent la cible des pelotes et des flèches en papier garnie d’une plume en guise de dard.
Il dut renoncer à l’exhibition de son anatomie inférieure avant 8 jours.
Une miniature de paysan du Danube
Avec le poil en moins, Brouhot était une réduction, je devrais dire une miniature de paysan du Danube. Les extrémités, chez lui, étaient remarquables. Sa petite tête disparaissait sous un dôme de feutre mou qui avait dû servir d’accordéon sous l’empire, ses maigres tibias s’emboitaient dans de formidables souliers ferrés et les moufles qui gonflaient démesurément ses mains lui donnaient l’aspect d’un boxeur étique.
« Ses asperges en bottes »
Rouvière, fut avec Genthihomme dit Roupioupiou, l’importateur des guêtres lacées, qui devaient jouir plus tard d’une si grande vogue. Rouvière se rendait d’ailleurs compte du prestige que lui valaient ses guêtres et pour ne pas rater son effet, il ne s’en séparait jamais. Il fallut une décision de l’autorité pour l’obliger à ne plus mettre à jet continu « ses asperges en bottes »
Pour rompre la monotonie de la soirée, chez les Grands, le père Surmély faisait des tours de cartes. Les amphibies circulaient de groupes en groupes, toujours sales et couverts de craie.
Ce qu’ils cherchaient c’étaient bien moins des nouvelles fraiches que le droit de goûter les bonnes vieilles eaux-de-vie introduites clandestinement.
Vers 7 heures, un grand remue-ménage annonçait l’arrivée de la dernière équipe. C’étaient les Alsaciens et tous ceux qui, venus de trop loin, n’étaient pas accompagnés de leurs parents. Pour noyer leur chagrin, ils ne s’étaient pas fait faute de boire un peu plus que de raison tout le long de la route et on les ramenait un peu gris et saturés de tabac.
Enfin, à 7 h ½, dans sa cage de fer, la cloche lançait son appel familier et tout le monde se rendait au réfectoire. Le menu de la rentrée était invariablement le même : potage gras, côtelettes, pommes de terre et salade. Le diner manquait d’entrain.
A la fin du repas avait lieu l’appel. Tous ceux qui répondaient « présent » avaient droit aux « 600 points de rentrée ». La prière clôturait la soirée. Du réfectoire on nous conduisait en file indienne au dortoir : la petite prière, après le coucher, résonnait comme un de profundis et plus d’un, malgré lui, laissait couler sur l’oreiller une grosse larme, car il est bien permis de pleurer les beaux jours disparus et de porter le deuil de la sainte liberté.
SOUVENIRS DE ST REMY HTE SAONE, (E.BERGERET) n°10, 1908, pp 21-23, 27/03/15