Aussi loin que remontent mes souvenirs, la photographie a eu ses fervents à St Remy. J’y ai connu des inventeurs de génie, dont la vie a brisé les ailes et qui n’ont pas tenu les promesses de leurs fleurs. C’est au père Surmély que l’art photographique doit son entrée officielle à St Remy. L’appareil du Fr. Surmély (inconnu ?) avait une forme antique et solennelle.
Sur un trépied impressionnant de robustesse se dressait une caisse d’au moins cinquante kilogrammes avec un objectif qui ressemblait à la gueule d’un canon.
Véritable pièce de siège, l’appareil Surmély ne se déplaçait sur roulettes qu’à de courtes distances.
On n’en approchait qu’avec crainte et respect et quand l’opérateur drapé de noir et silencieux braquait cette chose mystérieuse sur ceux qu’il voulait honorer, les jeunes éprouvaient toujours un malaise et l’épreuve (photo) trahissait souvent l’inquiétude de leur âme.
Allez donc faire des choses mignonnes avec un pareil monstre !
Ajoutez à cela l’inexpérience fondamentale de l’opérateur, la qualité défectueuse des produits ; tout s’en mêlait pour contrecarrer la bonne volonté de ce lointain précurseur.
Au père Surmély succéda le père Mistler : (Fr. Jean Mistler, 1862-1928, décédé à Fribourg le 6 avril 1928 à 67 ans). Un jour, par hasard, celui-ci fit la connaissance d’un photographe de profession M. Kastener de Plombières, je crois.
La curiosité toujours en éveil du père Mistler s’excita bien vite au contact de l’homme de l’art. Il voulut connaître ses secrets – il voulut voir, toucher, faire par lui-même. Bref, après avoir conquis l’amitié de Kastener le père Mistler réussit à se faire prêter un appareil complet avec tous les ingrédients nécessaires pour faire du bon travail.
Fr. jean Mistler ne fait rien à demi. Il se donna tout entier à sa nouvelle passion, en dépit des difficultés, des jalousies et des ennuis formidables qu’elle devait lui occasionner. Nous trouvons la trace de ces ennuis jusque dans les bureaux de Duez, l’ex liquidateur de St Remy et de son alter ego Martin Gauthier qui lui apprirent non sans l’étonner, lui qui ne s’étonnait de rien, qu’il faisait des photographies de dames à St Remy… !
L’appareil Kastener donnait des résultats merveilleux. On se passait les épreuves et chacun commentait le talent de l’opérateur et rêvait de l’utiliser un jour. Avoir sa photographie ! Pouvoir contempler, ailleurs que dans les miroirs faussés de la boutique, la splendeur d’une moustache naissante, en offrir la primeur à des parents attendris, quelle joie et quel orgueil ! Les convoitises s’allumaient. Le père Mistler eut sa petite cour, ses adulateurs, ses jaloux et dans l’ombre autour de lui mille petites intrigues se nouaient. Tout cela n’était pas pour lui déplaire car il n’a jamais aimé la grand-route droite et sans obstacles ; il lui préférait les sentiers difficiles où le chemin se cache dans les ronces et les herbes folles.
On ne refait pas son tempérament : celui du père Mistler était volcanique, il se devait à lui-même de créer l’obstacle pour le mieux vaincre et de savourer le péril pour jouir du triomphe avec plus de volupté. Tandis que le père Gognat alimentait son petit budget particulier en plaçant chez ses gosses les mille petites créations de son industrie et pouvait satisfaire ainsi son amour immodéré du fromage fort, le père Mistler demanda à la photographie des recettes dont l’emploi échappait à l’autorité.
Il eut ses courtiers, rémunérés surtout en promesses, au château et à la ferme. Parmi ces derniers le plus ardent fut Léon Mallet que bien des affinités rapprochaient du père Mistler et qui sut du moins, toujours exiger et obtenir, une rémunération adéquate à ses services.
Ces commis se chargeaient de placer les photos du père Mistler à des taux rémunérateurs. C’étaient généralement des vues de l’établissement, des scènes familières de note vie d’écolier « des poses » comme on disait, car les instantanés du père Mistler appartenaient à l’Ecole du « flouisme » qui n’était pas goûtée du commun. M. Kastener ne voulut rien accepter pour le prêt de l’appareil. C’était un commerçant avisé ! Il avait ses vues, et puisqu’il y trouvait son compte le père Mistler lui en facilita tout doucement la réalisation.
Il s’agissait d’entrer dans la place, de devenir le photographe officiel de la maison. Le père Mistler s’employa de toute son éloquence auprès du père Hoog et du père Walter et finir par les convaincre.
Kastener obtint ses petites et grandes entrées à St Remy et fut chargé notamment de préparer les clichés destinés à l’exposition de 1900. Les deux directeurs en furent enchantés. Bientôt il tirait de ses clichés 5000 albums qu’il cédait à deux francs à l’économe, lequel les revendait deux francs cinquante. Celui-ci gagnait cinquante centimes par album et Kastener un franc. Et Jean Mistler, me direz-vous ? Jean Mistler n’était pas un homme à se laisser oublier_
Un kodak, un petit bijou de kodak fut sa récompense !
(D’après un livret de Emile BERGERET, père du Père BERGERET, SM)