Après le repas, une visite s’imposait à l’Ecole d’Agriculture et nous voila partis à travers les écuries, qui sont pour nous un nouveau sujet d’admiration.
Un bon moine nous pilote en réservant la porcherie pour le bouquet. C’est qu’en effet le palais des habillés de soie était un chef d’œuvre du genre. Les cochons y trouvaient un logement luxueux, bonne chère, salle de bains, bar automatique et cure d’air, en un mot tout le confort moderne. N’était le voisinage désagréable de l’abattoir et les cris des victimes, la villégiature dans ces lieux enchanteurs leur eût été bienfaisante et douce.
Mais les cochons durent y faire de bien tristes réflexions sur l’injustice des hommes et leur férocité, car c’était chaque jour la même promenade funèbre.
Le frère porcher passait dans les loges, désignait les victimes du doigt et sans se laisser émouvoir par les bruyantes protestations des condamnés, il arrachait les petits à leur mère, semait le deuil dans les familles et dissociait des ménages très unis. C’était pourtant un saint homme et qui adorait ses cochons.
La journée s’était écoulée trop vite. Vint l’heure des adieux. Elle n’eut rien de tragique, j’étais heureux. Mon frère avait le cœur gros et regardait l’omnibus avec des yeux humides. Un paquet de friandises glissé par ma grand-mère à la dernière minute, eut le don de calmer son chagrin. Enfin nos parents nous embrassent avec des airs graves en nous recommandant d’être bien sages. Ma mère essuie une larme furtive et la voiture s’éloigne au grand trot.
J’étais emboîté pour dix ans !
SOUVENIRS DE ST REMY HTE SAONE, (E.BERGERET) n°10, 1908, p. 14, 25/09/14