Un autre jeudi d’été, Blaesy avait terminé sa toilette avant de partir en promenade. Le professeur avait frappé dans ses mains pour donner le signal du départ à la chapelle. Tous les élèves s’écoulaient rapidement vers la porte. En arrivant devant le lit de Briffaud, dit le canard, Blaesy aperçut un flacon d’eau de Cologne  sur la table de nuit.

Non loin de là, le tube du père Buhr attendait sur une chaise, l’honneur de parer le chef de son maître. En un clin d’œil, Blaesy prend la fiole, la verse dans le gibus et disparaît dans la foule anonyme.

Deux minutes après, le père Buhr, avec sa solennité coutumière, arborait son majestueux double décalitre ! Il recevait en même temps une douche froide et embaumée sur le crâne. La cascade odorante lui tombait dans le cou et dans les yeux, l’empêchant de distinguer les rieurs qui se pâmaient au bout du dortoir.

cologneIl faut pour apprécier toute la saveur de cette mauvaise farce, se rappeler que le père Buhr, comme le père Wertz, avait une sainte horreur de ce qu’on est convenu d’appeler « les bonnes odeurs » de toilette.

Revenu de sa première surprise, il dut se faire un vigoureux shampoing pour extirper l’odeur tenace.  Mais il eut beau frotter, rien n’y fit. Et quand il apparut, au Sub tuum, à la chapelle, ce fut un étonnement général parmi ses frères. Il laissait un sillage embaumé, qui dominait le parfum de l’encens. Tout le monde le regardait avec curiosité ; les narines se fronçaient d’allégresse, chacun reniflait deux fois pour bien s’assurer qu’il n’y avait pas erreur.

Et le père Buhr furieux d’être l’objet de ces muettes interrogations et d’être respiré comme une fleur, se plongeait la tête dans ses mains pour ne rien voir et dans une méditation crispée, il devait, j’imagine, vouer au diable l’auteur de son embaumement prématuré.

Ce fut pis au sortir de la chapelle. Chacun l’assaillait de questions, d’autres lui faisaient d’ironiques compliments et les lazzis pleuvaient si fort, que malgré son esprit il ne pouvait parer tous les coups. Le père Wertz s’attira un regard foudroyant en lui disant « qu’il sentait la belle demoiselle ».

L’enquête, il va sans dire, pour découvrir le coupable, ne donna aucun résultat. Et si je livre son nom aujourd’hui, je sais d’avance, cher Monsieur Buhr, que vous ne lui en tiendrez pas rancune. Les polissons que nous étions alors, ont trop souvent bénéficié de votre indulgence, pour douter de votre cœur.

Que de fois pourtant n’avons-nous pas récompensé votre bonté et vote dévouement par de mauvaises plaisanteries qui frisaient presque la méchanceté !

Aussi, vous souvenant que ce pauvre Blaesy, dort actuellement son dernier sommeil en terre d’Alsace, vous lui accorderez un souvenir tout particulier dans vos prières ; c’est la seule vengeance digne de vous.

 SOUVENIR DE ST REMY HAUTE SAONE  (E. BERGERET) 1909, 15, p 5-6, 29/10/13

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