Où M. Mistler fit preuve d’un flair de commissaire et où le père Wertz se crut un instant général.
Les élèves rentrèrent fort tard, littéralement éreintés. Le père Wertz se frottait les mains à la douce pensée de roupiller enfin une bonne nuit.
En arrivant au dortoir, quelques uns des chahuteurs présumés se firent de significatives œillades. Ils avaient trouvé sous l’oreiller des cailloux !! Bonne affaire… On allait se venger de l’éreintement que les profs venaient de leur faire subir.
L’ami, Louvot, qui mieux que personne connaissait son La Fontaine pour l’avoir étudié aux arrêts, flaira le piège comme la souris de son auteur favori. Crânement et pieusement il apporta ses cailloux au père Mistler, qui, enchanté de sa candeur, lui remit ses punitions de toute une semaine. Son voisin, Madiot, qui avait vu le coup, le traita de « bougre d’imbécile ». Louvot en eut un remord de conscience, mais, décemment, il ne put redemander ses cailloux.
On se couche. La fatigue a bientôt fait de clore toutes les paupières. C’est un silence de tombe à peine troublé par les ronflements prolongés du père Wertz qui laissait ainsi deviner l’intensité de son bonheur dans les bras de Morphée.
M. Spitz, toujours soupçonneux, avait laissé allumer sa petite veilleuse. Sur les rideaux blancs de son lit s’agitaient des ombres chinoises ; on devinait qu’il était encore fiévreux et qu’il n’était rassuré qu’à demi.
M. Mistler, ce soir-là, n’avait eu le moindre sourire pour personne. Il avait fait semblant de se coucher rapidement. Mais les heures lui paraissaient bien longues, onze heures, minuit, toujours rien.
Cela devenait énervant ; il allait manquer son effet ! Alors impatienté, il saisit une poignée de cailloux de sa réserve et la lança vers le lit de M. Wertz, puis une autre vers celui de M. Spitz.
Un sursaut se produisit dans tout le dortoir, suivi de divers cris d’animaux et d’une hilarité générale… En même temps dominant le vacarme, retentit une de ces terribles catilinaires du père Wertz que nous redoutions comme le tonnerre.
M. Mistler, d’un air plutôt rassuré et satisfait, alla éteindre les veilleuses et d’un ton quelque peu narquois : « Continuez les petits amis, à demain le règlement de compte ».
Il n’eut pas le temps d’en dire plus long, les cailloux se mirent à pleuvoir dans sa direction et il dut regagner son lit en toute hâte.
Dans tout le dortoir c’était une folle gaîté ; seul le père Wertz lançait des imprécations furibondes depuis son lit, prudemment pour ne pas s’exposer à la mitraille et le père Spitz, non moins guerrier, poussait des glapissements de fureur et s’agitait comme la Sybille de Cumes sur son trépied sacré.
Enfin le calme se rétablit, faute de munitions.
Au réveil, le père Wertz fit la grève pour de bon : il ne bougea pas de son lit.
M. Mistler alla le trouver après le départ des élèves : « Levez-vous, lui dit-il, je connais tous les coupables ».
A ce moment le père Wertz rêvait sûrement à la bataille de Waterloo. Il commandait le bataillon sacré et les projectiles pleuvaient autour de lui. A la sommation du père Mistler il répondit par les immortelles paroles du général Cambronne.
La foudre tombant sur sa tête n’aurait pas plus surpris ce pauvre père Mistler, qui jugea prudent de battre en retraite illico.
S’adressant alors à M. Spitz : « Fermez la porte à clef, lui dit-il, prenez une bougie, un carnet et un crayon et inscrivez le nom que vous verrez sur chaque cailloux, ainsi que l’endroit précis où vous l’aurez trouvé ».
MM. Spitz et Wertz se regardèrent ébahis. Mais il fallut se rendre à l’évidence : chaque cailloux portait le nom de celui qui l’avait lancé. Sur huit suspects qu’on avait gratifié de cailloux, l’un avait rapporté les siens, deux les avaient laissés dans leur lit, les cinq autres s’étaient laissés prendre au piège.