Tant que les parents étaient là, tout allait pour le mieux, on échappait à toute surveillance. Et on en profitait pour griller sous l’œil indulgent de la maman une dernière cigarette.
Après la visite obligatoire au Directeur, on passait chez l’économe, le père Schenbecker. Pour ce jour-là, le père Schenbecker faisait prévision de patience et de sourires. Son front s’illuminait quant on lui alignait les petits bleus en paiement du 1er trimestre.
Il donnait toujours le tarif des extras : chocolat, café, bifteack, etc. A chacun il trouvait une bonne mine, mais un peu de pâleur et une prédisposition à l’anémie. Aussi recommandait-il la suralimentation préventive.
« Qu’en penses-tu, mon ami ? » disait la maman, à demi convaincue. Le papa se faisait un peu tirer l’oreille, mais le rejeton prenait des airs penchés, la maman implorait du regard et on extorquait le consentement paternel. Le sourire du père Schenbecker rendait la pilule moins amère.
De ci, delà, dans les couloirs ou dans les cours, on rencontrait de vieilles connaissances, des professeurs qui venaient à vous la main tendue, le sourire bienveillant. C’était pour nous un vrai plaisir, car nos professeurs étaient avant tout nos amis. Ils ne savaient souvent par quels procédés délicats témoigner de leur joie réciproque.
Les uns s’empressaient autour des parents, heureux de les accompagner dans leurs pérégrinations à travers l’Etablissement, de leur offrir des fleurs, des boutures ou des semences, de leur fournir des renseignements utiles sur tout ce qu’ils admiraient en cours de route.
De plus loin qu’on les voyait, on interwievait « les vieux piliers » de la maison, le père Guinemand, le père Wertz, le père Hergott, le père Gallois, le père Buhr, etc, etc. Chacun répondait suivant son tempérament : le père Guinemand avec majesté, le père Wertz avec exubérance, le père Hergott avec une maternelle tendresse, le père Gallois avec mystère et calembours et le père Buhr avec des airs de demi-dieu goguenard, échappé des frises du Parthénon.
Quand on avait déballé ses malles, installé son lit et son pupitre, porté à la salle de musique le traditionnel crin-crin ou la boîte à piston, on allait se promener à travers les écuries de l’Ecole d’agriculture. C’était la visite obligatoire pour les parents qui s’intéressaient aux choses de la campagne.
Les malins allaient discrètement serrer la main au père Joseph et se concilier ses bonnes grâces. Ils en étaient toujours récompensés. La salle de dessin recevait, comme il convient de nombreux visiteurs, ainsi que la chapelle et les musées.
SOUVENIRS DE ST REMY HTE SAONE, (E.BERGERET) n°10, 1908, pp19-21