Pendant les récréations, lorsqu’il ne jouait pas, il se baladait, les mains saintement jointes, à la façon d’une sœur converse en oraison.
Il surveillait, sans en l’avoir l’air, les élèves au piquet et parcourait les groupes, car il avait l’ouïe très fine, pour surprendre les conversations illicites, les vilains mots et les complots.
Il se croyait très habile dans ce genre de surveillance, mais que de fois sa perspicacité fut mise en défaut. Il était d’ailleurs très mal secondé par sa myopie qui ne lui permettait pas de saisir les jeux de physionomie et les signes d’intelligence que se faisaient les élèves. On s’amusait donc à le faire marcher et il s’y prêtait sans difficultés.

Les billets enflammés pleuvaient sur ses pas ; il en trouvait un peu partout : au réfectoire, au dortoir et jusque dans la fente de certain gros tilleul de la cour des Grands. Il confisquait le tout, précieusement, se glissait aux rendez-vous promis, toujours confiant, toujours déçu et se livrait à de savantes expertises en écritures, avec le plus parfait insuccès. La plupart des billets se terminaient par ses mots crispants : « Et surtout, attention au père Stoffel, c’est un malin ! » Ce lui fut une révélation. Il comprit qu’on s’amusait à ses dépens, car s’était un philosophe et qui raisonnait toutes ces sensations. De ce jour, sa surveillance se relâcha et les billets ironiques disparurent comme par enchantement.

Vous ai-je dit que cet homme, extraordinairement primesautier, tout d’un jet, était en réalité très maître de ses nerfs ? Le premier geste, je devrais dire le premier réflexe, était pour la violence, le second était toujours pour le raisonnement et la douceur.
Quand on avait poussé sa patience à bout, il semblait tout à coup se détendre comme un ressort et les arrêts tombaient en avalanche, puis aussitôt : « Il serait nécessaire que je vous donne deux heures d’arrêts ; mais, il me semble que trois quarts d’heure seront suffisants. » Et il se reprenait presque toujours, dosant longuement les arrêts, suivant sa méthode de tout raisonner. « Attendez, attendez, je n’ai pas encore lâché, vous me ferez seulement une demi-heure ».

Comme on le voit, il n’était pas méchant pour un sou et ses algarades se terminaient toujours par des excuses. Ceci me rappelle le père Buhr qui nous menaçait couramment de nous jeter par la fenêtre, ou de nous faire passer par ce qu’il appelait « le trou du charpentier » et qui se contentait d’un petit quart d’heure d’arrêts, qu’il n’exigeait jamais.

SOUVENIRS DE ST REMY HTE SAONE (E. BERGERET) n°5, 1906, pp. 2-4.

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