Avant de procéder à notre installation mon père crut devoir nous présenter au Directeur
En traversant le grand couloir au bout duquel se trouvait la chambre de ce dernier, nous ne pouvions nous défendre d’une vague appréhension. N’était-ce pas la première main-mise de l’autorité sur nous !
Nous dûmes stationner quelques minutes dans l’antichambre avant d’être introduits. On y voyait une immense nature morte représentant des fruits, qui faisait vis-à-vis au « tableau d’honneur ». Comme ameublement, trois ou quatre chaises de fer peintes en faux bois et un fauteuil de jardin du même style.
Mon père nous prodiguait les recommandations que lui suggérait la vue du « tableau d’honneur » quand la porte du Directeur s’ouvrit.
Son sourire accueillant et ses façons aimables eurent bientôt raison de notre timidité première.
Le père Cordier, dans cet entretien, se révéla tel que je l’ai toujours connu : doux, paternel, distingué, plein de tact et de savoir vivre, mais un peu solennel et pontife.
En sortant de son cabinet, nous rencontrons un vieux frère à lunettes, maniéré et bavard
Il nous avait flairés, je crois, car il vint droit à nous s’offrir pour nous faire les honneurs de l’Etablissement. J’ai vu dans la suite qu’il était spécialiste dans ce genre de sport. Il avait monopoliser le droit de présenter Saint-Rémy aux visiteurs : c’était le chef du protocole, l’introducteur des ambassadeurs… et des personnages de moindre importance.
Cette innocente manie avait valu au père Schenbecker le sobriquet de « Monsieur-Madame »
C’était un excellent homme, beau parleur et très empressé auprès des dames. On appréciait ses mille et une prévenances, ses petites manières élégantes à demi, son langage fleuri et par dessus tout, l’intarissable abondance de ses discours et de ses compliments.
Il cherchait à plaire et surtout à faire aimer son cher Établissement et je dois avouer qu’il réussissait à souhait dans cette double tâche.
SOUVENIRS DE STE REMY HTE SAONE, (E. BERGERET) n°10, 1908 pp 6-7, 19/06/14