Le Père Chaminade n’a pas écrit de traité théorique sur le chrétien, que nous désignons aujourd’hui sous le terme de « laïc ». Il n’a pas davantage fait le « portrait » idéal du disciple qu’il souhaitait..
Son charisme a été d’être un homme d’action et de mobiliser au service de l’Eglise une multitude de chrétiens, particulièrement des jeunes.
En étudiant sa manière de faire, on peut esquisser les traits du chrétien qu’il souhaitait voir naître.
D’ou vient le laïc selon le cœur du P. Chaminade ?
Il vient de partout, nul n’étant a priori prédestiné ou exclu
Tout chrétien est appelé…
Le Père Chaminade a le souci d’atteindre le grand nombre. Nul besoin d’être « parfait » ni « saint accompli » pour répondre à son ordre de mobilisation; encore moins d’être un mystique ou un intellectuel.
Il n’existe pas une « société d’élites » où il faudrait puiser. Toute la masse est appelée non seulement à embrasser la foi, mais à la répandre; même ceux qui se sentent un peu boiteux dans la profession de leur foi. Pour le Père Chaminade, le congréganiste était à découvrir dans la foule des gens déchristianisés, ou mal christianisés, d’après la Révolution française.
S’il est vrai que chacun entre plus spontanément en lien avec un « semblable » dans lequel il devine des affinités géographiques, sociales, ou de génération, c’est bien dans le chrétien tout-venant qu’il faut chercher celui qui donnera la foi aux autres.
Tout baptisé, quelle que soit son origine, doit donc pouvoir être appelé à évangéliser ses semblables.
A priori, personne ne doit être disqualifié pour propager la foi, à cause de son état personnel ou de son histoire propre. « Que d’individus qu’on ne rencontrerait pas dans l’association si elle était une sélection d’âmes apostoliques! Les uns s’en seraient tenus éloignés; on aurait écarté les autres. Il ne serait resté que le petit nombre. Monsieur Chaminade veut des masses » (Joseph Verrier).
À la condition d’être de son temps…
Il doit être un homme neuf qui n’est pas lié par des préjugés du passé, ni par des schémas de pensées qui lui masquent la réalité présente. Le Père Chaminade a senti d’emblée qu’il aurait du mal à trouver des disciples audacieux parmi la génération d’avant la Révolution, modelée par les Voltaire, Rousseau, Diderot, d’Alambert..
Il a donc choisi parmi la jeunesse. » Elle infuserait dans le corps vieilli de la société d’alors un sang nouveau et généreux » Puisque la Bonne Nouvelle est précisément toujours « nouvelle », jeune, il lui faut des hérauts sans aucun préjugé aristocratique ou plébéien, sans
engagement idéologique avec le passé, qui ne soient pas entichés de coutumes anciennes et accessoires.
Car prêcher l’Evangile, ce n’est pas rêver de restauration d’ordres politiques et sociaux périmés, encore moins gémir sur le passé idéalisé et révolu. Le porteur de la Bonne Nouvelle doit reconnaître les valeurs du temps présent, reconnaître ce temps comme un « temps de salut », un « temps favorable » (2 Co.6,12).
Le Père Chaminade se mettait à l’écoute de la « Providence »; Vatican II nous invite à scruter les « signes des temps ». C’est la même idée : l’action de Dieu est en germination dans notre monde d’aujourd’hui.
La société a changé de bases… Il est inutile et vain de se crisper sur des modèles peut-être excellents mais qui n’ont plus de réalité. Puisque c’est à une « nouvelle société » qu’elle adresse son message, l’Eglise devra réviser sa manière de le transmettre. Nova bella elegit Dominus…
En gardant les images guerrières, traduisons : « L’ennemi a changé de tactique… Changeons donc d’armement », ce qui entraînera des remises en question dans le langage, les méthodes, les structures, aussi bien dans ma tête que dans l’Eglise parfois (par ex. rôle des « paroisses » au temps du P. Chaminade).
L’évangélisateur devra se faire comprendre de ses interlocuteurs. Il devra aussi s’en rendre crédible. « Cela aussi fait partie de ‘l’obligation d’être des saints » (R. Bichelberger).
Accepter de sortir de sa tribu….
A la suite de Saint Paul, le Père Chaminade savait que dans le peuple chrétien, l’étiquette de « juif », « grec », « homme », « femme » est secondaire. Le principe d' »égalité » de la Révolution française y faisait écho sans le savoir.
Le chrétien qui répond à l’appel apostolique ne reste donc pas enfermé dans sa caste d’origine. Le Père Chaminade a voulu positivement le mélange de toutes les classes sociales et de tous les états de vie. Ce n’était pas pour lui une concession à l’esprit du temps, mais une caractéristique essentielle de la nouvelle société construite sur l’Evangile.
Cependant, il a réalisé ce mélange avec réalisme et pédagogie. On ne gomme pas 20 ans d’éducation, de traditions, de différences, par un décret arbitraire. La visée du but n’interdit pas la prudence de la marche.I1 a su instaurer une pédagogie d’accueil, de formation, d’intégration.
Il a ménagé à chacun des temps où tout le monde est mêlé, le commis avec son chef d’entreprise, le coiffeur avec son client fortuné; et d’autres temps, où chacun se retrouve avec ses semblables, partageant la même sensibilité née des mêmes expériences et conditions de vie concrète.
Le laïc ne va pas raboter toutes ses caractéristiques, perdre son identité, et en fin de compte ses richesses propres. L’union « fusionnelle » qui écarte et ignore les différences est pauvreté.
Le Père Chaminade a prôné une « union sans confusion », où chacun met au service de l’autre ses talents spécifiques. La communauté du P. Chaminade ne sera pas un « communisme égalitaire », ni la répétition mécanique du même dessin sur la tapisserie du mur, ni le « clonage » du même spécimen, fût-il génétiquement parfait.
Ne serait-ce qu’à petits pas… et à son propre rythme
Puisque son disciple est « n’importe qui », puisqu’il vient de « n’importe où », le Père Chaminade va le prendre « comme il est ».
L’appelé a montré qu’il est disponible. C’est l’essentiel. Il ne vient pas nécessairement pour être « chef »… En lui confiant des responsabilités petit à petit, à commencer par des responsabilité pratiques, matérielles, le P. Chaminade va lui apprendre à s’engager, à se « compromettre », à découvrir ses possibilités, et mûrir pour d’autres responsabilités qu’au départ il n’avait pas soupçonnées.
En acceptant la sincérité, le petit pas, le P. Chaminade peut « multiplier le chrétien de fait et enlever au faible l’excuse d’un idéal au-dessus de ses forces ». (Joseph Verrier). Le chrétien y apprend, pour sa vie propre et celle des bénéficiaires de son action, la patience de Dieu qui connaît le temps des maturations cachées.
Le Père Chaminade forme ainsi le chrétien à l’audace apostolique, dans la docilité totale à l’Esprit Saint. En dépit de sa nature, de son imagination, de son esprit propre, le chrétien est conduit à abandonner avec confiance toute son action entre les mains de Dieu.
Chaminade respecte le cheminement, les lenteurs, les reprises, et les originalités individuelles. C’est Dieu qui confie à chacun sa vocation propre, et Chaminade montre la plus grande prudence et le plus grand respect devant la grâce de chacun.
Il saura généreusement accepter l’orientation de disciples, parmi les plus chers, vers des champs apostoliques totalement différents de ceux pour lesquels il les avait longuement et amoureusement préparés.
Que va-t’on demander au chrétien ?
« Ce qui doit vous distinguer c’est le zèle missionnaire »…
Une fois saisi par le Christ, le disciple du P. Chaminade ne sera jamais plus en repos. Le voilà devenu « missionnaire », brûlé de zèle pour la conquête. Les temps sont là, il faut « multiplier les chrétiens », et le disciple ne doit pas se croiser les bras.
Pas question de rester à discuter oisivement sur la place publique. Puisque les hommes d’aujourd’hui n’ont même pas l’idée d’entrer dans l’église pour y trouver la foi, que l’Eglise, c’est à dire chacun de ses membres, aille la porter dans le grand champ des hommes.
Le disciple du P. Chaminade est brûlé de charité pour son frère. Il se met en route pour lui apporter les biens qu’il désire.
Parmi tous les biens, le plus grand est la foi
Le prochain a besoin d’autres choses, certes, et le disciple du P. Chaminade ne s’évade pas du champ social comme nous le verrons plus loin…
Mais si vous avez tout donné à l’autre, à l’exception de la foi, vous n’avez pas fait votre devoir de chrétien; vous êtes passé à côté de son besoin le plus fondamental, même s’il est souvent inconscient et inavoué.
Enraciné dans le baptême, fondé sur la foi…
D’où puise-t-il cette exigence apostolique, le disciple du Père Chaminade ? De son baptême.
Puisque je suis baptisé, je suis « appelé » et « envoyé ».
Baptisé, je suis appelé à la sainteté la plus haute. La sainteté n’est pas l’apanage réservé aux « curés » ou aux « bonnes sœurs ». Elle est une exigence de mon baptême. Le « simple » baptisé, qui n’est ni clerc ni consacré, n’occupe pas un second rang dans la hiérarchie de la sainteté. Vivez comme il convient « à des saints, irréprochables dans l’amour », écrivait Paul aux chrétiens « ordinaires » d’Ephèse.(Eph.1,4)
Mais baptisé, je ‘suis aussi « envoyé ». Pas plus que la sainteté, l’esprit missionnaire n’est réservé au prêtre ou au consacré.
Le zèle apostolique est un devoir pour tout chrétien.
C’est le suprême devoir de la charité. Je suis « envoyé », donc porte-parole d’un Autre. L’envoyé ne transmet pas sa parole à lui, il n’est pas le militant d’une idéologie. Il est le messager de la foi confiée par Jésus-Christ à l’Eglise.
Pour le Père Chaminade, la foi du chrétien n’est solide que si elle s’affirme, devient militante. Son « juste », comme celui de Saint Paul, « vit de la foi », « la foi du cœur », celle qui goûte la vérité et la traduit en acte. La foi est, dans le même temps, adhésion à une vérité et traduction en signes pour le prochain.
Cette « foi du coeur » transforme le regard jeté sur le monde; elle en fait un regard amoureux, et avec l’aide de la grâce, y fait repérer l’humble action de Dieu à l’oeuvre parmi les hommes.
Le chrétien en tire toutes les audaces, car il ne part pas « nu » au combat, revêtu qu’il est « des armes de la foi » et animé de la force tranquille de l’Esprit.
Le Baptême, la foi : voilà les piliers sur lesquels Chaminade appuie son action. Quand un chrétien se confie à sa direction, Chaminade l’engage, sans hésitation à vivre en plus parfaite fidélité à son baptême. Il sait qu’alors, ce chrétien se mettra à l’œuvre, comme l’échanson de Cana : » Tout ce qu’Il vous dira, faites-le ».
Au nom et sous la bannière de…
Au cœur de la foi, se situe le combat de la grâce contre le péché. Le P. Chaminade repère dans la Révélation les étapes essentielles du combat, à commencer par la Promesse donnée à la Genèse : « Je mettrai une inimitié entre toi et la Femme, entre sa race et la tienne.
Tu chercheras à la mordre au talon et elle t’écrasera la tête ». La « race de la Femme », c’est Jésus-Christ, vainqueur au Calvaire et à Pâques.
Mais Dieu a choisi une femme, Marie, pour donner Jésus-Christ au monde. Et Jésus n’a pas voulu réaliser son œuvre sans nous: à tous ses mystères, il a associé sa Mère, et au Calvaire, il nous l’a laissée pour être notre propre mère, et nous sommes devenus ses enfants, les « frères de son Fils premier-né ».
« Les dons de Dieu sont sans repentance »… Marie a reçu pour toujours la grâce de faire naître Jésus au monde, de l’accompagner dans sa vie et de l’assister au combat, jusqu’à la Croix. Mère de Jésus, Marie est la mère du Christ total, et son associée dans la lutte qu’il mène contre le mal et le péché.
Choisie de toute éternité, préparée par la grâce insigne de l’Immaculée Conception qui la soustrait dès l’origine à toute emprise du mal, elle est confirmée et proclamée dans sa vocation au Calvaire. Quand Dieu fait alliance avec l’humanité, c’est à travers cette femme qu’il signe le pacte.
Le chrétien selon le Père Chaminade trouve dans cette vérité de foi la lumière et la force de sa vie. Pour entrer dans l’alliance que Dieu a scellée avec l’homme en la personne de Marie, il fait alliance à son tour avec Marie, la Mère de Jésus, devenue sa propre mère.
Il se confie à Elle pour y être formée « dans le sein de sa tendresse maternelle à la ressemblance de son Fils Jésus, comme cet admirable Fils y a été formé lui-même à la nôtre ».
Il se consacre à son service pour mener à ses côtés le combat contre le péché et le mal, pour donner Jésus au monde, à la génération d’aujourd’hui. Pour lui, l’apostolat n’est que le prolongement de la « charité maternelle de Marie »..
Cela lui donne toutes les audaces. Ce n’est pas son combat à lui, mais celui de Dieu mené par Marie, à laquelle Dieu a fait, dès l’origine, promesse de victoire. Vatican II nous montre en Marie le « signe assuré de victoire » et Paul VI, y fait écho en la désignant comme « étoile de l’Evangélisation ».
Le chrétien se donne tout entier à Marie ; Marie en retour se donne tout entière à lui, elle met ses forces, sa grâce, sa vocation à l’unisson des forces, de la grâce, de la vocation particulière du disciple. « Elle est aujourd’hui comme autrefois la femme promise pour écraser la tête du serpent », et nous nous mettons à son service, comme « le talon de la femme ».
Animé de cet esprit, le disciple ne peut pervertir l’action apostolique pour la réduire à une action de conquête, une emprise personnelle sur autrui.
Au service de Marie, il se fait serviteur de la Vie. Les méthodes, le style apostolique seront caractérisés par les vertus
maternelles de Marie: délicatesse, attention, respect profond de la liberté, foi en la possibilité du bien semé en chacun; en un mot « l’esprit de famille », selon l’expression favorite du Père Chaminade.
En Marie, le chrétien trouve sa raison d’être apostolique, son modèle, sa patronne. On peut dire que les deux traits majeurs qui font reconnaître le laïc selon le Père Chaminade sont le zèle apostolique et le dévouement total à Marie.
En réalité, ces deux traits n’en font qu’un et le zèle du disciple découle nécessairement de la foi en la vocation de Marie, choisie de toute éternité par Dieu pour réaliser son dessein de salut des hommes.
Là et avec qui vous vivez
C’est Marie qui va ouvrir au disciple le champ apostolique en lui redisant à l’oreille ce qu’elle dit à Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira ».
Le laïc a des « liens » avec son monde environnant par sa famille, sa profession, son histoire. C’est là son champ apostolique. C’est d’ailleurs lui seul, ou à peu près, qui peut être la voix de la Bonne nouvelle pour son environnement. Son monde concret est son champ de « mission ».
Il est, à ce poste qu’il ne doit pas déserter, le « fer de lance » de l’Evangélisation. S’il l’occupe bien, l’Evangile pourra « atteindre toutes les familles, les chaumières, l’atelier, la maison d’affaires, le centre industriel, le château, le presbytère, le palais épiscopal lui-même », comme le soulignait le Cardinal Lecot.
Le moyen à mettre en œuvre : une communauté
Entrer dans une communauté…
Dans un environnement hostile ou indifférent, la foi court de grands risques, et les quelques étincelles, si elles se dispersent, s’éteindront. Il faut donc les rassembler pour que le feu continue à brûler et que la chaleur soit telle qu’il puisse prendre. L’isolement est une faute pour le chrétien, et un chrétien isolé est un chrétien en risque de perdition.
Pour Chaminade, la méthode d’apostolat efficace consiste à regrouper les chrétiens en associations vivantes et dynamiques.
C’est d’ailleurs ainsi qu’a commencé la grande épopée de l’Evangélisation : par la communauté de Jérusalem unie dans la foi et le témoignage au Christ rédempteur.
C’est un corps, non un individu qui est signe. L’Eglise d’aujourd’hui va vivre et se maintenir conquérante, à travers une multitude de petites communautés qui donneront le témoignage de leur participation à la célébration festive liturgique, et à la « confession » publique de la foi.
En offrant le spectacle d’une masse chrétienne de fait, elle imposera le Christianisme à l’attention et prouvera qu’il est praticable aujourd’hui comme au début de l’Eglise.
Des chrétiens qui, ensemble, sans respect humain, donnent le spectacle d’un foi vivante et active, vont gagner des disciples comme naturellement, sans souci de capter ou d’imposer, par la « simple contagion de l’exemple ».
C’est en vivant publiquement la joie de la foi que les disciples du P. Chaminade donnent vie à l’Eglise, contribuent à son rayonnement et lui gagnent de nouveaux disciples.
Le disciple n’est donc pas un « franc-tireur », encore moins un sacrifié qu’on affecterait à des missions imprudentes ou impossibles où il risquerait de se perdre.
Avec ses frères, il proclame sa foi ouvertement, même là où elle est persécutée ou ridiculisée; il se montre vertueux là et en un temps « où le vice seul pouvait se montrer avec honneur », et il fait confiance à la grâce qui chemine dans le coeur de chacun.
Par une démarche explicite…
Après un prélude variable de contact et d’apprivoisement, le disciple est invité à faire une démarche formelle et explicite. C’est le temps de l’engagement.
Sachant que la décision libère en donnant force et persévérance, Chaminade introduisait quatre devoirs dans cet engagement:
- « professer franchement et ouvertement le Christianisme », accepter d’affronter la dérision, le respect humain, de vivre parfois à contre-courant de la masse.
- « travailler à avoir sur la religion une instruction proportionnée à son état et à ses talents » pour éviter d’avoir une grosse tête dans les domaines intellectuel, économique ou profane, et une tête d’épingle pour ce qui est de la religion.
- « être zélé pour le soutien et la propagation de la religion », faire preuve d’un esprit apostolique décidé et actif
- « entretenir une vraie dévotion envers la Très Sainte Vierge Marie ».
Pour y assumer des responsabilités…
Les communautés fondées par le P. Chaminade n’étaient pas des groupes informels mais des petites sociétés fortement structurées.
Toute une gamme de responsabilités mobilisait les adhérents qui devaient assumer les rôles de préfet, secrétaire, conseiller, trésorier, receveur des cotisations, contrôleur des présences, lecteurs, magasinier des dons apportés pour les pauvres, sacristain, ordonnateur de la musique, du « plain-chant », etc…
C’est la congrégation qui s’auto-gouverne, même si le « Directeur », le P. Chaminade y joue un rôle important. Dans la congrégation de Bordeaux, il y eut jusqu’à vingt-huit postes à pourvoir.
Pour éviter que ces responsabilités ne se figent sur un petit nombre, la durée des mandats est limitée et les responsabilités « tournent » entre les divers membres.
Par ailleurs, ceux qui ont tenu la responsabilité suprême, les « préfets », sont reconnus comme y ayant acquis une expérience précieuse : ils constituent un corps de « conseillers » du Père Chaminade.
Dans un processus de formation et de progrès…
La communauté doit être une matrice de formation. La générosité de la démarche d’entrée implique le désir de progresser.
Car le Père Chaminade ne veut pas de « chrétiens au rabais ». Il met au contraire la barre très haut pour ses disciples et s’ingénie à leur donner un solide tonus. L’Evangile doit être proposé et vécu « dans toute la rigueur de l’esprit et de la lettre ».
Le disciple entre donc dans un processus de formation solide, sur les plans de la doctrine, de l’apostolat, de la prière.
Cette formation prend une forme collective, à travers les réunions, les offices, les conférences, les retraites; et une forme personnelle sous la conduite de « l’introducteur », une sorte de parrain qui accompagne les premiers pas du nouveau membre, et d’un « directeur », ou accompagnateur spirituel, qui aide à discerner et vérifier sa conduite chrétienne personnelle et apostolique.
Un programme exigeant de formation doctrinale et de vie spirituelle est proposé à chacun, qui ménage des étapes d’engagements.
Chaminade veut des militants audacieux, qui puissent répondre à tous les appels de la Providence. Loin de les lâcher démunis dans la nature, il leur assure un fort soutien spirituel, avec des exigences, qui ne sont jamais de petites exigences.
Soutenue par une vie fraternelle et festive
Où vont-ils puiser la force de s’astreindre à cette formation, la disponibilité sans limite à l’évangélisation ? Dans le groupe lui-même où ils découvrent un fort sentiment d’appartenance avec le souci de se soutenir, et d’agir ensemble, dans une émulation audacieuse.
La « congrégation » n’est pas une « serre chaude » où l’on se protège des intempéries extérieures. Elle n’est pas une réunion d’ « anciens combattants » qui se grisent de leurs souvenirs héroïques… Elle est une milice de combattants tout court.
Mille initiatives donneront aux membres un fort sentiment d’identité. Dès 1801, un manuel est à leur disposition, qui ne cessera d’être remanié et mis au point, avec des pratiques communes, un office propre pour les garçons, un autre pour les filles.
Avec un grand sens de l’humain et de l’adaptation: on cultive le décorum, le cérémonial, le chant. Un « hymne » est composé pour chaque groupe, généralement sur une musique de l’époque.
C’est ainsi que les garçons ont annexé le « Chant du départ », tandis que les filles vont mettre leurs paroles de convictions sur la musique de la « célèbre chanson des Marseillais ». Ajoutons les discours, les concours de poésie, l’émulation généralisée.
Si l’un des membres est malade et absent, on va le visiter, lui rendre compte de la réunion, le réconforter et l’aider.
Chacun reçoit à son engagement, un diplôme d’affiliation et à Trois Heures, tous les membres se retrouvent au Rendez-vous spirituel du pied de la Croix, avec la prière qui est le sceau de toutes les fondations du P. Chaminade.
Structure forte et souple à la fois, la congrégation s’appuie sur une connaissance avisée de l’humain pour faire naître aux responsabilités.
Elle peut être pour chacun le lieu de l’interpellation, de la prière, du pardon, de l’engagement. C’est la pépinière d’où sortent les chrétiens zélés nécessaires à l’Eglise.
Ne pas rester au cénacle… Sortir sur la place publique
Parce qu’elle a un cœur, la foi du chrétien a des mains et des jambes…
Parce que le disciple du Père Chaminade a le coeur rempli d’une charité intrépide, il est animé d’un zèle brûlant pour répandre la foi.
Mais à l’image du Christ, avec la Bonne nouvelle, il sème sur son chemin les œuvres de miséricorde et d’entraide.
L’éventail en est aussi riche que varié : aide aux pauvres, encadrement et formation des jeunes, soutien des sans travail, des malades, conseils gratuits d’avocats, mise à disposition de médecins, visite de prisons, organisation contre la pénurie de blé, regroupement des enfants de la rue, œuvre des bons livres, formation d’artisans, d’employés de commerce, œuvre des « petits auvergnats » qui étaient les immigrés d’alors, organisation des loisirs, ouverture d’une bibliothèque, cours de commerce, de comptabilité, de lecture, de théâtre…
La réalité temporelle existe… Avec sa couleur politique, ses contraintes économiques. Le chrétien la prend comme elle est, sans rêver d’un temps passé idéal… Chaminade a foi dans la vie, dans les réalités temporelles.
Et la politique ?
Bien évidemment, l’action « politique » entre dans le champ de l’agir du chrétien selon le cœur du P. Chaminade. En prenant des responsabilités dans la construction de la société des hommes et le gouvernement de la cité, le chrétien peut donner une extension considérable à l’action individuelle.
Contribuer à établir un monde juste et fraternel fait partie intégrante de la tâche évangélique.
Cependant, le P. Chaminade a vécu un temps où le pouvoir a été souvent persécuteur de la foi; et quand il ne l’a pas été, il en a encadré l’expression d’une manière rigide et soupçonneuse. L’imprudence politique et les choix contestables d’un ou deux disciples ont failli compromettre toute l’oeuvre du P.Chaminade.
Pour lui, pour son disciple, la sagesse vis à vis des pouvoir publiques peut se résumer de la façon suivante :
- Ce n’est pas parce qu’un homme est déçu d’un pouvoir politique auquel il a cru, que ses fondements chrétiens sont automatiquement reconstitués. Les temps actuels nous en administrent une preuve cuisante.
- Le chrétien respecte les autorités légitimement constituées et ceux qui les incarnent. Le chrétien du P. Chaminade n’est pas un fomentateur de révolution. Chaminade était payé pour savoir que les bonnes intentions, lorsqu’elles s’appuient sur un processus violent, provoquent finalement des effets pervers
- le chrétien participe à la vie civique, il se tient au courant de la vie civique et politique, participe aux élections, accepte des responsabilités.
- Il est des domaines où l’état se réserve un droit de regard, quand ce n’est pas un monopole jalousement gardé, par exemple l’école. Le disciple du P. Chaminade apporte sa collaboration sincère, au grand jour, quand elle est possible, et demande alors à être traité en partenaire responsable.
- Mais en aucun cas, il ne se laisse « lier », pas même par des bienfaits. L’indépendance vis à vis des pouvoirs publics, pour que ne soit pervertie ni la visée d’une œuvre ni son zèle apostolique, est un bien à conserver jalousement.
En résumé, le pouvoir politique est nécessaire… Il n’est pas le plus important. Il faut savoir l’utiliser, l’aider à jouer son rôle, mais ne pas tout en attendre… Encore moins attendre qu’il fasse tout pour se mettre soi-même au travail.
CONCLUSION : ne jamais oublier le but…
Le but de toute l’action, et de toute la vie du disciple du P.Chaminade est la construction du Royaume de Dieu dans la cité des hommes.
Il ne doit jamais perdre cet objectif de vue dans le cours de son action. Sinon, il risque, par exemple s’il est professeur, de se réduire à n’être plus qu’un simple « professionnel de l’enseignement ».
C’est pourquoi le chrétien suit dans son action « la méthode » qui a été élaborée et sans cesse améliorée par le groupe auquel il appartient.
C’est pourquoi il fait dans sa vie une part importante à la prière, et à l' »examen » quotidien.
C’est pourquoi il se défie de ses lumières propres, et les enrichit et les confronte avec les lumières des autres: celles de ses frères dans la fraternité, celle de son directeur ou accompagnateur spirituel avec lequel il établit un règlement de vie personnel sur lequel il est interrogé régulièrement.
C’est pourquoi il écoute avec grand respect et reconnaissance les directives données par les Pasteurs de l’Eglise, le Pape, son Evêque, et même le Curé de sa Paroisse, sans hésiter quand c’est nécessaire à discuter avec lui pour essayer de le convaincre de la justesse de ses vues et de sa méthode… Et quitte parfois à changer de champ apostolique quand il y a réellement incompatibilité sur un point essentiel.
En somme, le laïc du P. Chaminade est un modeste et un pragmatique, mais avec une foi indéfectible et en la Bonne Nouvelle et en l’homme, avec une mentalité de vainqueur, un espérance sans état d’âme, qui garde les yeux fixés sur ce qu’il fait sans se laisser paralyser par tout ce qui reste à faire.
En même temps, son combat est tout de délicatesse, de respect d’autrui, car s’il est soldat, il est soldat de la Vierge Marie et c’est son combat qu’il mène. Sa joie, son enthousiasme sont contagieux, et il reste paisible, sûr que la grâce de Dieu fera le reste.
Si l’on veut définir la congrégation du Père Chaminade, on dira que c’est une « association de chrétiens qui s’unissent et « socient » (latin sociare) afin d’être assez forts pour vivre intégralement le christianisme et en révéler aux autres la valeur. » (Joseph Verrier)