Adèle de Batz de Trenquelléon missionnaire

Vous connaissez sans doute cette prière d’Adèle, dans une lettre adressée à son amie Mélanie Figarol le 4 mai 1818. Mélanie est alors à Tarbes où elle implante la petite Société :

“ Oh mon Dieu, mon cœur est trop petit pour vous aimer, mais il vous fera aimer de tant de cœurs que l’amour de tous ces cœurs suppléera à la faiblesse du mien. ”

Je vous propose aujourd’hui de partir à la découverte d’un aspect particulier de la personnalité d’Adèle : son dynamisme missionnaire et sa créativité. Elle se disait prête à aller au bout du monde pour une seule âme…Aujourd’hui ses filles sont présentes dans 14 pays et des espoirs de vocation naissent en Haïti.

Je m’appuierai sur l’ouvrage de Sr M Joëlle “ Chemins de prière avec Adèle ” et du chapitre intitulé : “ Nous devons être de petits apôtres ”. Si nous savons dépasser le vocabulaire qui date forcément, nous découvrirons en elle quelqu’un qui parle à notre temps et dont nous pouvons nous inspirer dans notre manière de vivre notre foi et de témoigner du Christ.

Mais prenons d’abord le temps d’un petit retour sur la biographie d’Adèle

10 juin 1789 : naissance à Feugarolles en Lot et Garonne. Le père d’Adèle est capitaine aux gardes françaises à Versailles. Assez vite il est contraint à l’exil.

27 septembre 1797 : Mme de Trenquelléon découvre que son nom est sur une liste de proscrits, elle est forcée de se mettre à l’abri de la tourmente révolutionnaire et quitte précipitamment la France pour l’Espagne avec ses deux enfants : Adèle, 8 ans, et Charles, 5 ans.. Adèle est assez grande pour être consciente de ce qui se passe et pour en souffrir. En 1798, il faut partir plus loin, jusqu’au Portugal où le père les rejoindra et où naîtra Désirée, en 1799.

8 septembre 1800 : la famille se rapproche de la France et s’installe à St Sébastien où elle reste jusqu’en novembre 1801. Adèle fait sa première communion le 6 janvier 1801. Elle a 11 ans et demie. (Le Père Chaminade rentre à Bordeaux en 1800 ). Adèle attirée par le Carmel, voudrait rester à St Sébastien mais elle est trop jeune, sa mère lui promet qu’elle pourra le faire à sa majorité.

14 novembre 1801 : retour à Trenquelléon, après 4 années d’exil. Adèle découvre l’état d’abandon des campagnes, la population délaissée, les églises qui ont servi de grenier à fourrage…

1802 : M Ducourneau, le précepteur de Charles donne à Adèle âgée de 13 ans un règlement de vie.

6 février 1803 : Adèle, reçoit le sacrement de confirmation des mains de Mgr Jacoupy. Elle s’y est préparée par un séjour de plusieurs semaines auprès des carmélites d’Agen qui vivent dans une maison en ville. Elle rencontre Agathe et Jeanne Diché qui deviendra son amie.

Adèle fera mémoire de son baptême et de sa confirmation à maintes reprises. Par ailleurs, la rencontre de Jeanne et d’Agathe sera le point de départ d’une amitié féconde.

Extrait de la première lettre d’Adèle à Agathe. : ”Quand on s’aime en Dieu, pour Dieu et en vue de Dieu, on est sûr de s’aimer toujours ; au lieu qu’une amitié qui n’a pas pour fondement cette base ne peut subsister longtemps, au moins pour l’ordinaire… Ainsi mademoiselle, j’ai la confiance que Dieu bénira notre union et me procurera l’avantage de profiter de vos exemples et de vos conseils. Et afin que cette union soit plus intime, je vous prie de prendre et de me permettre de prendre dorénavant dans nos lettres le titre d’amie. Tâchons de nous écrire et de nous aimer que pour Dieu et sans mélange d’intérêt propre et d’une amitié purement humaine. ” 2 Février 1805

5 août 1804 : Jeanne et Adèle (15 ans) fondent la ‘petite société’.
Association de prière pour se préparer à une bonne mort.
Aide mutuelle par la prière et l’émulation pour l’exercice des vertus chrétiennes.

13 avril 1805 : Jeanne épouse le Dr Belloc.

En 1805, Adèle âgée de 16 ans commence un apostolat par correspondance. Chaque semaine une lettre part pour Agathe Diché qui est chargée de la diffuser aux autres membres de la petite société ; plus de 300 lettres nous sont parvenues, toutes écrites entre 1805 et 1816. Après la fondation des Filles de Marie, Adèle continuera à écrire : plus de 400 lettres forment le deuxième volume de sa correspondance.

En 1808, la ‘petite société’ compte 60 jeunes filles et plusieurs prêtres. Elle s’étend sur plusieurs départements : Landes, Dordogne, Lot, Gers, Lot et Garonne, puis dans les Pyrénées. Pendant l’été Mme de Trenquelléon en vacances à Figeac rencontre M Lafon, membre de la congrégation mariale de Père Chaminade. Elle parle de ce que fait sa fille. A l’automne, une correspondance s’établit entre Adèle et le Père Chaminade. Peu à peu la petite société se structure à l’image de celle de Bordeaux et s’imprègne de l’esprit marial.

Voici ce qu’écrit Adèle en janvier 1809. Le Père Chaminade lui a envoyé le Manuel du serviteur de Marie : “ Que j’aime ces petits livres, toutes ces belles prières, ces belles instructions, ces beaux cantiques en l’honneur de Marie ! Nous avons donc le bonheur d’être ses enfants, membres de sa famille privilégiée. ”

1813 : Adèle et ses amies sont affiliées à la Congrégation des jeunes filles de Bordeaux.

Adèle porte en elle le désir de consacrer à Dieu à plein temps. Elle aspire à une vie religieuse en communauté alors que le Père Chaminade porte plutôt le projet d’une vie consacrée en plein monde.Mais il réfléchit et finalement adopte le point de vue d’Adèle : l’important pour lui c’est que ces religieuses soient vraiment missionnaires et puissent continuer à accompagner les congrégations.

Par ailleurs, le père d’Adèle est malade et elle doit l’entourer de ses soins. Les congrégations religieuses ne sont pas encore autorisées. Des Constitutions sont rédigées et soumises au Père Chaminade qui y travaille .

1816 : le 25 mai, fondation des Filles de Marie
1820 : fondation de Tonneins
1824 : fondation à Condom . Le noviciat est transféré à Bordeaux
1826 : fondation à Arbois.

10 janvier 1828 : retour à Dieu de la fondatrice. Elle n’a pas encore 39 ans. La congrégation compte cinq communautés et cinquante sœurs.

Un moyen d’apostolat inventé par Adèle : la ‘petite société’

Dans la première lettre à Agathe Diché, Adèle précise d’emblée le but poursuivi :

“ Montrons chère amie par notre conduite que le Dieu que nous servons mérite d’être servi ; montrons la piété sous des dehors aimables afin de la faire aimer ; tâchons de gagner des âmes à Jésus Christ. C’est un des emplois de la société. ”

En 1813, même invitation : “ Ranimons de plus en plus notre zèle puisque nous devons être de petits apôtres, mais commençons par nous surtout : l’exemple est le meilleur prédicateur. ”

“ Ce qu’il ne faut cesser de nous inculquer, c’est l’amour de Dieu. Le jour où vous recevrez cette lettre est le jour où cet amour du Père et du Fils qui est l’Esprit est descendu sur nous. Conservons la mémoire d’un jour si heureux pour nous. Tâchons de ranimer si nous avons eu le malheur de l’éteindre le flambeau de l’amour divin que le Saint Esprit vint en ce jour allumer dans nos cœurs… ”

La petite société a donc deux buts distincts quoique profondément unis : Servir Dieu et gagner des âmes à Jésus Christ.

Des années plus tard, alors que les Filles de Marie sont fondées, Adèle entre en relation avec Emilie de Rodat, la fondatrice des sœurs de la Ste Famille de Villefranche. Elle l’engage vivement à implanter la Congrégation dans sa ville : “ Le véritable secret de la congrégation est de former des âmes remplies du zèle du salut du prochain et de la gloire de Dieu qui, chacune, dans son état, soient de petites missionnaires parmi leur famille, leurs amis, leurs voisines. ”

Essayons de traduire en langage contemporain : “ Le véritable secret des fraternités ou CLM est de former des laïcs remplis d’esprit missionnaire ; désireux d’annoncer l’Evangile chacun selon sa vocation , témoins dans leur famille, parmi leurs amis et leurs voisins. ”

Nous pouvons nous interroger : de quelle manière est entretenu le dynamisme missionnaire dans nos fraternités, nos communautés ?

Quelles sont les nouvelles façons de dire l’Evangile à nos contemporains ?

Sommes-nous inventifs comme elle ?

Aujourd’hui comme au temps d’Adèle, la mission n’est pas notre œuvre mais celle de Dieu

“ N’ayons que le dessein de mieux servir le Seigneur, de nous dévouer à son service, d’avancer son œuvre. ” écrit-elle en 1821.

Mais Adèle est réaliste : “ Attendez-vous à éprouver bien des contradictions : c’est même là une preuve et une marque des œuvres de Dieu. ”

Et encore : “ Faisons ce que nous pouvons et le Bon Dieu fera le reste. Prions surtout car, comme le succès dépend de Dieu, l’humble et persévérante prière peut tout obtenir. ”

D’abord, se laisser convertir par la Parole

Coopérer à l’œuvre de Dieu, c’est commencer par se laisser transformer par la Parole, les sacrements reçus. « Demandez au Bon Dieu qu’il vous instruise lui-même afin que vous puissiez instruire les autres pour sa plus grande gloire et il vous mettra lui-même les paroles dans la bouche. «  (6 novembre 1820)

Adèle sait tout ce que le Seigneur lui a fait comprendre à travers l’oraison et c’est cet amour qu’elle veut partager autour d’elle.

Ensuite, se faire tout à tous

A Agathe Diché , le 21 janvier 1813 , elle écrit en s’inspirant de St Paul: “  Soyons toutes douces et charitables pour notre prochain ; faisons-nous toutes à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ ”

Se faire toute à tous c’est très concrètement tenir compte des besoins spécifiques de chacun : Le 14 juillet 1817 Adèle écrit à Amélie de Rissan , une de ses premières associées : “ La même nourriture ne peut convenir à tous les estomacs : l’un a besoin de viande solide et l’autre ne peut être nourri que de lait. ”. Il s’agit ici de la manière dont Amélie accompagne spirituellement les membres de la petite société.

Devenue supérieure, elle écrit à Mère Emilie de Rodat, fondatrice des Sœurs de la sainte Famille de Villefranche : “  Que nos filles trouvent toujours notre cœur ouvert à tous leurs besoins, prêts à supporter leurs faiblesses, nous faisant toute à toutes pour que toutes soient Jésus-Christ. ”

Une conviction profonde : Dieu fait son œuvre à travers notre faiblesse

Etre faible, Adèle sait d’expérience ce que cela signifie. Toute jeune, elle a été très malade, sa vie a été en danger. Devenue religieuse elle est de nouveau confrontée à cette réalité et cette expérience la conduit à découvrir qu’elle peut être missionnaire même sur un lit de malade.

“ Il faut vouloir servir Dieu comme il veut et non comme nous voulons. Il ne faut pas vouloir aller à la conquête des âmes quand il nous veut sur un lit de douleur. ” écrit-elle à Lolotte de La chapelle le 18 mai 1816.

Six mois avant sa mort, elle écrit à la même personne : “ Tenons-nous en paix et toujours prêtes à faire les sacrifices que le Seigneur exigera de ses servantes. Aimons à répéter cette parole de Marie : je suis la servante du Seigneur. ”

Elle sait ce qu’elle dit lorsqu’elle écrit  à Lolotte de Lachapelle devenue Mère de l’Incarnation et supérieure de la maison de Condom. : “ Votre impuissance sera le Siège de la toute puissance du Seigneur. Il regardera votre bassesse et fera son œuvre en vous et par vous ”.

Prier le Maître de la moisson

Mère Adèle , face à l’ampleur de la mission fait sien l’ordre de Jésus : “ Priez donc le maître de la moisson. ” et elle le répercute non seulement auprès de ses sœurs mais aussi auprès des laïcs. Lorsqu’elle prépare la fondation de Tonneins, elle reçoit l’aide de M Lacaussade, directeur de la manufacture des tabacs qui va négocier l’achat de ma maison.

Voici ce qu’elle lui écrit le 10 juillet 1820 , après avoir réglé les questions matérielles : “ Il nous faut maintenant prier afin que le Seigneur envoie des ouvrières pour la moisson qui est grande. ” C’est le post -scriptum de sa lettre.

Au terme de ce petit parcours, j’espère vous avoir donné envie d’aller plus loin dans la découverte d’Adèle. Demandons par elle la grâce d’être inventives au service de la mission, là où nous sommes.

Article Attachments

Est-ce que cet article vous a aidé ?

Articles similaires