Aux sources de la spiritualité missionnaire marianiste

Mon projet est d’expliciter les racines historiques de notre spiritualité missionnaire à la suite du P. Chaminade, Missionnaire apostolique et d’Adèle de Trenquelléon.

Joseph Chaminade, missionnaire apostolique

Le titre et la charge de Missionnaire apostolique furent conférés au P. Chaminade en mars 1801. Ce moment important et significatif de sa vie était précédé de toute une pré­paration providentielle en deux grandes étapes : l’une en France et l’autre en Espagne.

Une préparation providentielle

Guillaume Chaminade vécut seulement onze ans en son milieu familial, à Périgueux. Sa mère surtout prit soin de la première éducation de son dernier. Elle l’ouvrit à une vie chré­tienne qui allait se dé­ployer à Mussidan.

A Mussidan

La formation chrétienne que Guillaume Chaminade reçut au collège-séminaire de Mus­sidan le préparait à un avenir au service de l’Eglise. Initié à l’oraison par son frère, il s’engage par des vœux privés dès l’âge de 14 ans.

Son projet, comme adolescent, était de faire partie de la Congrégation des prêtres de Saint Charles qui dirigeaient cette maison d’éducation.

Dans ce milieu, loin du gallicanisme, mais très sensible aux ré­formes proposées par le concile de Trente, son insertion ecclésiale est déjà perçue comme une mission, hors de tout cadre paroissial. La règle des prêtres de Saint Charles était d’inspiration Jésuite.

La Vierge Marie avait sa place dans ce milieu privilégié. On y faisait le vœu de défendre l’Immaculée conception de Marie, vé­rité non encore reconnue officiellement comme dogme de foi par l’Eglise.

Son appartenance à une Congrégation de prêtres lui fit postuler le sacerdoce, mais au fond de son cœur il portait aussi une orientation vers la vie monastique, une vie monastique de type apostolique, car il y avait tant à faire en cette France d’avant la Révolution.

Les écrits d’un élève puis professeur de Mussidan, Bernard Daries, nous permettent aujourd’hui de mieux sai­sir ce bouillonnement spirituel, marial, mission­naire dont étaient animés les prêtres du collège de Mussidan. Ce Bernard Daries ne voulait-il pas fonder, au début de la Révolution, puis du­rant son exil espagnol, une «Société de Marie» ?

A Bordeaux

A la fin de l’année 1791, après la suppression du collège de Mussidan, G.-Joseph Chami­nade vint s’établir à Bordeaux et se mit au service du diocèse, non pas dans un cadre paroissial, mais comme «missionnaire», en ouvrant un oratoire dans son domaine de Saint-Laurent.

Il y fit ses premières ren­contres avec un certain nombre de jeunes gens et jeunes filles que l’on va retrouver, après son retour d’exil, autour de lui comme premiers membres de ses fondations (Cf. Si. p. 81-92).

Au milieu de la persécution, avec les prêtres présents dans la clandestinité et avec des fi­dèles résolus, s’organisa l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement, jour et nuit, au péril de la vie des participants. Pour tenir dans ce dangereux dévouement, il fallait aussi prendre les moyens spirituels exceptionnels.

A ce prêtre périgourdin qui manifestait une forte personnalité, l’abbé Joseph Boyer, rem­plaçant de l’Archevêque de Bordeaux, confia, en 1795 le ministère de la réconciliation des prêtres ju­reurs avec l’Eglise. L’ordre de partir en exil le surprit en pleine activité, en automne 1797. Il partit donc vers l’Espagne où son frère Louis l’avait précédé.

Exil à Saragosse (1797-1800)

Lorsqu’il prit le chemin de l’exil, le prêtre Chaminade, à 36 ans, avait déjà un passé de formation et de vie pastorales derrière lui. A Saragosse où il arrive le 11 octobre, il trouve une terre d’accueil. Il se joint aux autres prêtres français, ses compagnons d’exil, et fait partie de leur communauté de prière et de ren­contres régulières. Son séjour à Saragosse lui apportera de nouvelles grâces qu’il mettra en œuvre dès son retour à Bordeaux, en novembre 1800.

Des grâces missionnaires

Dans ce milieu, centré par la force des choses sur lui-même mais aussi ouvert à un avenir bien incer­tain, s’était développée une réflexion intense. Une question les hantait : que sera, lors de leur éventuel retour dans leur patrie, leur situation sacerdotale ?

Se voyant exclus de tous les postes ecclésiastiques, ils se considéraient comme des missionnaires. Une doctrine s’élaborait dans tous les cercles de prêtres exilés, en Espagne comme dans d’autres pays. Un prêtre du dio­cèse de Tulle, M. Coste, présenta cette réflexion en l’enrichissant de ses propres connaissances.

Elle fut publiée après sa mort par un ami sous le titre significatif de Manuel du Missionnaire, en 1800. Ce fut le livre de référence pastorale à l’usage des prêtres exilés, lorsqu’ils revinrent en France.

L’abbé Chaminade adopta ces doctrines. Elles renforcèrent en son cœur ce que l’Esprit Saint y avait déjà déposé antérieurement, à Mussidan et à Bordeaux. Non seulement il se considérait comme un missionnaire, mais il voulut en avoir la confirmation ec­clésiale.

Il de­manda donc, en 1800, à Rome, le titre et la charge de Missionnaire apostolique que lui conféra un décret de mars 1801. Fort de cette reconnaissance et de cet envoi émanant du Saint-Siège lui-même, il envisageait son retour à Bordeaux comme un apostolat mission­naire, c’est-à-dire essentiellement supra paroissial, au service de la foi dans la France dévastée spirituelle­ment.

Des grâces mariales

Durant son exil, l’abbé Chaminade eut une autre grâce, complémentaire de celle de mis­sionnaire. Les prêtres français n’avaient pas le droit d’exercer un quelconque ministère en terre d’Espagne. Pour eux qui avaient été fort actifs, ce fut une épreuve, un désert.

Les voici donc qui s’ouvrent à la prière et à une vie intérieure approfondie. A Saragosse, le centre spiri­tuel était, et est encore, la Basilique de Notre Dame del Pilar. Chaminade y fit de longues sta­tions priantes.

Sa dévotion envers Marie s’y développait. Marie l’orientait vers une vision d’avenir qui ne serait pas seulement missionnaire mais aussi mariale. Cette interprétation spirituelle fut pour le futur fondateur des Marianistes une grâce charismatique.

Il dé­couvrait plus profondé­ment la mission de Marie dans l’Eglise. Cette grâce personnelle donnait son cachet propre à la perspective mis­sionnaire générale qu’il partageait avec tous ses confrères exilés. Il se souvenait de ses contacts fructueux, avant la Révolution, avec la Congrégation mariale pour laïques, fon­dée au 16° siècle par les Jésuites pour les élèves de leurs collèges.

Au 18° siècle, elle couvrait l’Europe et était devenue une force et une organisation catholiques de première importance et ouverte aux chrétiens de tous âges.

Des grâces de fondateur

Quasi toutes les institutions ecclésiales avaient disparu en France, balayées par la Révolu­tion. Il fal­lait son­ger à reconstruire. Marie fit voir à son serviteur un autre aspect de sa vocation future : il serait fondateur, car il faut redonner vie à ce qui était apparemment mort. Après le trop long hiver de la Révolution, il y aurait un nouveau printemps.

Cependant les temps ont changé. Les fondations futures de Chaminade ne seront pas de simples résurrection d’un passé révolu. A temps nouveaux, méthodes nouvelles. Nova bella ele­git Dominus, Dieu a choisi de nouvelles manières de lutter contre le mal, se disait cet homme de Dieu, en se répétant ce verset du livre des Juges (5, 8).

Ce texte deviendra une option fondamen­tale du futur Missionnaire : s’adapter aux temps nouveaux en s’appuyant sur les vé­rités et l’expérience ecclésiale de toujours.

Dans la tête et dans le cœur de l’abbé Chaminade, au moment de son retour en France, en novembre 1800, un grand projet avait mûri. Ce titre et cette charge de Missionnaire aposto­lique qu’il obtint du Saint-Siège en mars 1801, lui donnait les possibilités de s’engager dans une mission ecclésiale universelle.

Cette même perspective «catholique», il l’avait apprise aussi en contem­plant la mission de Marie, Mère de tous les hommes depuis que Jésus en croix l’avait révélée comme mère du disciple, comme Mère de l’Eglise.

Le voici donc, avant d’en formuler la doctrine, Mission­naire de Marie, impatient de mettre en œuvre, avec ceux qu’il va retrouver à Bor­deaux, les projets nouveaux mûris dans les longues contemplations devant Notre Dame del Pilar.

Ses options personnelles

La majorité des Missionnaires apostoliques nommés par Rome exerçaient leur mission par la prédication, soit en pays de mission, soit dans les régions chrétiennes.

La mission au service de la foi

Le P. Chaminade, imprégné par toutes ses expériences et grâces antérieurs, choisit une manière très originale et bien à lui de vivre, au service de l’Eglise, sa charge de Missionnaire apostolique. Il n’a pas reçu ce titre comme une sorte de distinction ecclésiastique à la fin de sa vie, mais comme le point de départ d’un engagement ecclésial universel.

Il se sait ainsi chargé d’étendre et d’approfondir la foi chrétienne en France d’abord, mais aussi dans le monde entier. Pour accomplir pareille tâche, il ne sera pas seul. Toutes ses expé­riences pastorales passées, il les a vécues avec d’autres prêtres, d’autres chrétiens. Il se voit ser­viteur d’une Eglise à reconstruire comme un peuple de Dieu, un peuple de saints. L’Eglise sera toujours son unique modèle en toutes ses entreprises.

Aussi va-t-il réaliser concrètement sa mission en des fondations dont il avait vu et la né­cessité et d’une certaine façon même la forme. Mes enfants, je vous ai vus tels que vous êtes ici, et cela s’est fait dans un clin d’œil, il y a longtemps, affirmait-il aux premiers novices de la Société (Témoignage de Charles Rothéa, EF. I. 4, p. 6).

Le P. Chaminade commence par refonder la Congrégation mariale des laïques. Progressivement d’autres fon­dations surgiront. Finalement c’est à tous les niveaux de l’Eglise qu’il travaillera. N’a-t-il pas en­trevu qu’au nom même de Ma­rie, Mère de tous les hommes, sa mission se doit d’être aussi univer­selle que l’Eglise ?

La mission en alliance avec Marie

De son expérience à Mussidan puis à Bordeaux et de son séjour de grâce à Saragosse, le P. Chaminade rapporte une conviction : Marie est la Mère de Jésus, lui qui est Tête de l’Eglise. Marie est donc aussi la Mère de tout le Corps ecclésial. Elle a, envers toute l’Eglise, une mis­sion. Depuis qu’elle a été associée à tous les mystères du Sauveur, sa mission maternelle est de participer à la naissance de l’Eglise, partout où l’Esprit Saint la suscite.

Associée également, dans le temps de l’Eglise, à l’Esprit de la Pentecôte, Marie, la première Croyante, intervient dans le développement historique de l’Eglise. Toutes les hérésies ont incliné le front devant la très Sainte Vierge et cela depuis que le Seigneur a soufflé l’inimitié entre elle et le serpent.

La voilà donc engagée au service de la foi en Jésus Christ. Cette mission de la Vierge Marie est une des convictions de base de toutes les fondations marianiste (ERM. p. 116-122 ; Document 16, p. 391 et Document 17, p. 368).

Comme le montre cette rapide analyse, les options missionnaires fondamentales du P. Chaminade ne sont qu’une sorte de trans­position de la mission même de Marie.

Notre fonda­teur en effet a saisi avec une pénétration exceptionnelle que la Vierge Mère, pour son action virginale et maternelle dans l’Eglise, a confié à chacune de nous un mandat pour travailler au salut de nos frères dans le monde. (Cf. ERM. p. 278-281 ; corriger p. 278 la référence à Ecclésias­tique de 17, 14 en 17, 12).

Adèle de Trenquelléon, une missionnaire

Religieux marianistes, nous avons trop tendance à n’attribuer les fondations et notre cha­risme qu’au seul P. Chaminade. Depuis la publication des Lettres de Adèle de Batz de Trenquel­léon, nous connaissons mieux la Fondatrice des Soeurs marianistes.

Nous constatons que sa grâce charismatique personnelle est une des composantes de celle de toute la Famille ma­rianiste.

La fondation de la « Petite Société »

Dès son enfance Adèle fut attirée par la vocation carmélitaine. Elle s’y préparait avec ferveur, faisant effort pour se corriger de ses défauts. Le sacrement de la confirmation, reçu le jour de la Pentecôte 1803, la rendit plus sensible aux besoins des autres.

Avec sa maman, elle commence à visiter pauvres et malades de la campagne environnante. En 1804, avec des concours divers, elle fonda une association de vie chrétienne.

Les membres étaient invités à vivre l’amour de Dieu, une vie chrétienne appro­fondie grâce à des réunions régulières ou à des rendez-vous spirituels. En vivant sain­tement, en véné­rant Jésus en croix, on s’y préparait à une sainte mort, couronne­ment d’une vie sainte.

L’œuvre prit de l’extension. Ses membres étaient liés par une profonde amitié chré­tienne. Leur dispersion obligeait Adèle à écrire de nombreuses lettres, ce qui nous valut une correspondance fort vivante. Il s’établit une sainte émulation entre ces jeunes personnes et l’on se lançait de saints défis. (Voir les mots et expressions en italique dans l’Index des lettres de Adèle de Trenquelléon, édition FMI, Sucy en Brie, 1987).

Premiers chemins de la mission

La grâce de la confirmation avait marqué profondément Adèle et ses amies, les Diché. Ensemble, elles en célébraient l’anniversaire (LT. I, n° 1.3). Face aux profonds ravages de la Ré­volution française, Adèle se sentait appelée à s’engager au service des autres.

La misère était grande dans la compagne, autour du château de Trenquelléon. Elle tenait à servir ceux qui ve­naient demander l’aumône. Très vite aussi elle constatait que le manque de formation hu­maine et chrétienne engendrait la misère morale. Elle était décidée à y porter remède.

La voici donc devenue catéchiste et institutrice à la fois. Elle donnait des leçons de lec­ture, d’écriture et de calcul aux enfants du voisinage qui aimaient retrouver leur jeune et ai­mable maîtresse. Le dimanche après-midi, il suffisait que sa soeur et ses cousines lui proposent d’aller missionner, comme elles disaient entre elles, pour qu’Adèle réponde immédiatement présent.

De plus en plus, par sa cor­respondance, elle stimule les associées et les invite à prendre toutes sortes d’initiatives aposto­liques. La petite Société s’ouvre au service des autres. Progressi­vement la vocation carmélitaine d’Adèle s’est muée en vocation missionnaire.

La place grandissante de Marie

Adèle et ses amies vivaient envers Marie, la Mère de Dieu, une dévotion qui était celle des bonnes chrétiennes du XIX° siècle. Sur ce plan aussi, la vie interne de la petite société, les relations épistolaires, les lectures et la célébration des fêtes mariales firent progresser leur amour pour la Mère de Dieu, leur protectrice et celle de leur so­ciété.

On peut lire dans sa lettre du 23 juillet 1807 : Ayons souvent recours à la protec­trice de la Société : la très Sainte Vierge. Oh ! qu’Elle est puissante auprès de son Fils ! Mettons-nous bien sous sa sauvegarde. Nous sommes ses enfants particulières, soit par notre Société, soit par l’habit du Scapulaire dont nous avons le bon­heur d’être revêtues. (LT. I, 88, p. 146).

Avec admiration l’on constate que l’Esprit Saint a fait faire à tout le groupe, entre 1804 et 1808, un cheminement providentiel. L’option apostolique s’est développée au sein de ce grou­pement destiné primitivement à préparer ses membres à une bonne mort. Marie a pris une place plus grande, plus active dans le coeur des membres de la petite Société. Adèle leur fait mieux saisir qu’elles appartiennent à Marie par le fait même de leur adhésion à la Société.

Ces découvertes et d’autres encore préparaient la jeune Adèle, âgée de dix-neuf ans, à rencontrer le prêtre de sa vie, de vingt-huit ans son aîné.

La coopération avec le P. Chaminade

L’histoire en est connue. La mise en contact s’est faite par des intermédiaires qui, très vite laissent la place à une relation épistolaire très suivie entre le P. Chaminade et Adèle (Cf. LC. p. 84 et suivantes).

Il faut savoir que jusqu’après la fonda­tion des Filles de Marie, en 1816, les deux co-fondateurs ne se sont jamais rencontrés. Tout s’est traité par correspondance. Le Manuel du serviteur de Ma­rie, livre de prière de la congréga­tion de Bordeaux, eut aussi une grande influence sur Adèle et ses amies.

Mieux connaître la mission de Marie

Au contact du P. Chaminade et de la Congrégation, Adèle apprit à mieux connaître Ma­rie. Elle découvrit la doctrine sur la maternité spirituelle et l’importance de la consécration à Marie telle qu’elle se vivait dans la Congrégation. Le zèle se fit plus ardent, comme en témoi­gnent les lettres.

Il fallait plusieurs années pour harmoniser les deux fondations. Les temps n’étaient pas favorables pour cela, car à la fin de l’année 1809, la Congrégation fut supprimée à Bor­deaux par ordre de Na­poléon I.

Chaminade dut se faire discret, au point que nous n’avons aucune lettre de lui durant toute l’année 1813. Cependant les deux oeuvres se rapprochèrent. Dans le courant de l’année 1813, le P. Chaminade crut le moment venu de faire procéder à l’admission dans la Congréga­tion de la petite Société d’Adèle et de ses amies.

Cette décision nous valut, le 25 juillet 1813, une Lettre circulaire (peut-être la seule ?) de la main d’Adèle. Elle annonce que c’est l’abbé Pierre Laumont qui est chargé de recevoir les di­vers groupes.

Il se rend avec votre digne Officière, cette semaine, à Agen, et il vous y conférera le sa­cré, le doux, l’aimable nom d’Enfant de Marie. Vous allez vous enrôler d’une manière plus particulière sous les étendards de notre auguste Mère. Préparez-vous avec toute l’ardeur possible, à cette glo­rieuse alliance que vous allez contracter avec Elle ! (. . .)

Oh ! quelles qualités doivent distinguer les enfants de Marie ! Etre sous la protection de la plus sainte des vierges, c’est faire profession de combattre tous les vices : plus de monde pour nous, plus d’attraits pour ses vains plaisirs. Que la vie humble, retirée et fer­vente fasse toutes nos re­cherches.

Attendons-nous aussi à des croix ; notre digne Mère nous enfanta au pied de celle de son Fils. Les filles, de Marie transpercée d’un glaive de douleur, doivent s’attendre à souf­frir ; mais c’est ainsi que nous parviendrons à cette gloire immortelle où nous aspirons. (LT. n° 192).

Cette lettre témoigne du chemin parcouru. Les leçons ont porté leurs fruits. Le vocabu­laire du P. Chaminade est très présent, bien assimilé et intégré dans celui d’Adèle : s’enrôler sous l’étendard de Marie, préparer l’alliance à contracter avec Elle, vivre les vertus de Marie et combattre tous les vices, savoir que la croix est le chemin du salut et de la gloire pour soi et pour les autres.

Adopter les projets du Missionnaire apostolique

En même temps qu’Adèle découvre le rôle de Marie, elle accueille avec émerveillement les confidences du Missionnaire apostolique. Dès que des projets de vie religieuse se profilent à l’horizon, le P. Chaminade confie à Adèle. Je vais vous dire mon secret tout entier. Un père pourrait-il user encore de retenue envers une de ses filles qui s’abandonne sans réserve à sa conduite ? Je rentrais en France, il y a quatorze ans, avec la qualité de Missionnaire apostolique dans toute notre malheureuse patrie, sous l’autorisation néanmoins des Ordinaires des lieux. Je ne crus pas pouvoir mieux en exercer les fonctions que par l’établissement d’une Congrégation telle que celle qui existe. Chaque congréganiste, de quelque sexe, de quelque âge, de quelque état qu’il soit, doit devenir membre actif de la mission (LC. I. 52, p. 87-88, du 8.10.1814).

Un an plus tard, les projets sont plus précis. On prépare la fondation de la première communauté. Le P. Chaminade précise les devoirs généraux de ces nouvelles religieuses, puis il ajoute : Quant à ce qui doit vous distinguer des autres Ordres, c’est le zèle pour le salut des âmes : il faut faire connaître les principes de la religion et de la vertu, il faut multiplier les chrétiennes. (. . .) Votre Communauté sera toute composée de religieuses missionnaires. C’est d’après ces vues que nous devons distinguer les sujets qui sont propres à cet état (LC. I. 57, p. 98, du 3.10.1815).

Le 25 mai 1816, l’Institut des Filles de Marie naît à Agen. En 1817, la Société de Marie est fon­dée à Bordeaux.

Désormais la mission qui jusqu’à présent ne s’adressait qu’aux laïques, va pouvoir prendre des formes plus typiques dans la vie religieuse marianiste.

La mission vécue en église

Entrons dans le concret de l’histoire, celle de nos fondateurs et la nôtre. Leur manière d’incarner c es convictions et ces grâces doit inspirer aussi notre engagement missionnaire au­jourd’hui (ERM. p. 139-148).

Au service de la foi de l’église

Dès son retour à Bordeaux, en novembre 1800, et malgré sa charge d’Administrateur du diocèse de Bazas, l’abbé Chaminade loue un oratoire et com­mence, comme missionnaire, à y célébrer la sainte Messe et à prendre contact avec des fidèles.

Tout de suite il pense à ras­sembler ces chrétiens dispersés, à les mettre en relation les uns avec les autres. Il le réalise en s’inspirant des anciennes Congrégations mariales auxquelles il donne un dynamisme marial et une forme renouvelée. Dans l’esprit du P. Chaminade toutes ses fondations sont des missions stables et permanentes, comme il aimait à dire.

« Multiplier les chrétiens »

Tel est le mot d’ordre que Chaminade, Missionnaire apostolique, répétera tout au long de sa vie et qui exprime le mieux son projet, c’est-à-dire sa volonté de redonner aux chrétiens isolés et peureux, suite à la Révolution, le sens de leur foi et le che­min de l’Eglise.

But de toutes les fondations

Pour le Fondateur, l’Eglise n’était pas seulement l’édifice en pierres, ce qui avait toute sa valeur, mais bien plus encore, l’assemblée vivante des croyants qui sont unis par la charité et qui rayonnent leur foi. Le but apostolique unique de toute sa vie et de celle de tous les siens sera toujours de multiplier les chrétiens pour faire advenir ainsi l’Eglise de Jésus Christ.

Si cette expression est constante dans les écrits concernant la vie religieuse dans le monde et, à plus forte raison, en ceux qui s’adressent à l’état religieux proprement dit, la visée n’est nullement absente de la Congrégation pour les laïques. (Voir ERM. p. 289-290 et Document n° 28, p. 407 à 409).

Dans un document polémique le P. Chaminade justifie sa Congrégation face aux objec­tions faites par les curés de paroisse. Un curé prêchera ou fera prêcher, mais qui vient écou­ter le sermon ? (. . .) Parmi les hommes qui se disent encore chrétiens, combien y en a-t-il qui en­tendent encore la messe tous les dimanches ? (. . .) Combien les curés devraient donc soupirer après les moyens qui peuvent susciter l’esprit de foi et rétablir les moeurs et la religion ! Dieu dans sa grande miséricorde les a inspirés, ces moyens ; un des principaux est l’établissement des congréga­tions ; avec quelle joie MM. les curés devraient les accueillir ! (Texte cité par Pierrel, Sur les che­mins de la mis­sion, G.-Joseph Chaminade, p. 162).

Ces Congrégations, que font-elles de spécial ? Le P. Chaminade les voit, en 1824, comme la première étape d’un retour à l’Eglise pour bien des baptisés. Loin d’être réservée à une élite chrétienne, la congrégation de Bordeaux se veut résolument missionnaire, située entre l’in­croyance et la paroisse.

Des missions visibles et permanentes

Pour attirer d’autres personnes, la Congrégation, outre son rayonnement spirituel, devait aussi être aisément repérable, en même temps qu’elle devait rester discrète et accueillante. Il fallait à une telle Association une église de pierre qui eût, elle aussi, un ca­ractère universel, c’est-à-dire qui ne fût point une église paroissiale mais un « sanctuaire ». (Cf. le livret du tricen­tenaire, La Chapelle de la Madeleine, un Sanctuaire à Bordeaux, 1688-1988, Communauté Ma­rianiste, 7 rue Canihac, Bordeaux, 1988).

Chaminade et les siens, forts de leur esprit, voulaient donc un lieu missionnaire où pouvaient se réunir ceux qui se sentaient encore loin de l’Eglise et gênés de se rendre dans leur paroisse. Le P. Chaminade croit à l’opportunité sinon à la né­cessité d’une sorte de propédeutique de la foi, d’une introduction progressive dans la vie de l’Eglise en sa plénitude pa­roissiale. Il disait aux curés des paroisses : je fais des chrétiens pour que vous ayez des paroissiens. (Pierrel, ibidem. p. 163).

L’expérience montre que pareil projet exige d’être soutenue et relancé en permanence. Il fallait assurer une présence quasi continuelle, les portes et le coeur ou­verts. Grâce aux plus en­gagés de ses Congréganistes, jeunes gens et jeunes filles, hommes et femmes, le P. Chami­nade avait un noyau de chrétiens sur lesquels il pouvait compter.

L’église de la Madeleine, an­cienne église du couvent des Soeurs Madelonnettes, convenait parfaitement à la réalisation de ce pro­jet. Quelques pièces autour de l’église accueillaient les diverses réunions. Cet ensemble, le Fon­dateur l’appelait une mission stable et permanente.

Cette option pastorale était une des nouveautés de la Congrégation de Bordeaux. Dans les anciennes Congrégations, on n’avait guère en vue que de soutenir dans les bonnes voies, par une édification mutuelle, des chrétiens pieux. Mais dans notre siècle, à l’époque de renouvellement où nous sommes, la religion demande autre chose de ses Enfants.

Elle veut que tous, de concert, se­condent le zèle de ses Ministres, et, dirigés par leur prudence, travaillent à la relever. C’est cet esprit qu’on inspire dans les nouvelles Congrégations. Chaque Directeur est un missionnaire permanent, chaque Congrégation une mission perpétuelle. (Réponse aux difficultés qu’on fait d’ordinaire contre les Congrégation établies sur la plan de celles de Bordeaux, etc. Texte cité dans EF. III, p. 237).

Eduquer les croyants

Une autre application de l’esprit missionnaire au service de la foi chrétienne c’est l’éducation de la foi des chrétiens.

L’option scolaire

Dès après sa formation, à Mussidan, le jeune G.-Joseph Chaminade, avec ses frères Jean-Baptiste et Louis, opta pour l’éducation de la foi en milieu scolaire. Plusieurs fois, dans sa cor­respondance, il se réfère à ce choix premier pour en souligner l’importance.

Il écrit, par exemple, au P. Che­vaux et à la communauté de Saint-Remy : A proportion que vous aurez des élèves qui se tourne­ront sérieusement vers Dieu, vous en trouverez quelques-uns qui auront du zèle et dont vous pourrez vous servir à l’égard des autres, comme de petits missionnaires : j’ai vu, autrefois, qu’on obtenait ainsi de grands succès (LC. III. 725, p. 380, du 7 février 1834).

Le 2 janvier 1802, deux Congréganistes, Lafargue et Darbignac, ouvrirent à Bordeaux une école quasi-gratuite. Quelques années plus tard, le P. Chaminade met son domaine de Saint-Laurent à la disposition des premiers novices des Frères des Ecoles Chrétiennes.

De cette ex­périence de maître des novices des Frères, le Fondateur a tiré bien des réflexions pour ses fon­dations fu­tures. Rien d’étonnant donc que plus tard, à ses religieux et religieuses, il pro­pose l’apostolat scolaire comme une mission. (ERM. p. 290-293). Et cela avec une double op­tion prioritaire : l’école chrétienne en faveur des jeunes et des pauvres ; les premiers parce qu’ils sont l’avenir et les seconds parce qu’ils sont les plus démunis. (ERM. p. 266-270 ; Docu­ment 25, p. 391 et Do­cument 26, p. 398).

Le vœu d’enseignement

Cette démarche missionnaire, le Fondateur a voulu la concrétiser dans le voeu d’enseignement de la foi et des mœurs chrétiennes. (ERM. p. 252-263 ; p. 274). Ce vœu est un héritage des Frères des Ecoles Chrétiennes. Comme tout ce qu’il empruntait, le P. Chaminade l’a adapté à ses propres religieux et religieuses. Il l’a transformé pour lui faire mieux exprimer son propre charisme mis­sionnaire. Tous, par exemple, pouvaient émettre et vivre ce vœu, même ceux et celles qui n’étaient pas adonnés à l’enseignement ni en contact direct avec les élèves, car tous sont missionnaires. (ERM. p. 296-299 ; Document n° 23, p. 386).

« Vous êtes tous missionnaires ! »

En répétant cette formule chère à notre Fondateur, avons-nous saisi toute sa significa­tion, la force du mot tous ?

Tous participent à la même mission

Sa qualité de Missionnaire apostolique, le Fondateur ne l’a jamais considérée comme une grâce strictement personnelle. Son comportement, dès 1800, fait comprendre sans équivoque qu’il veut partager sa mission avec tous ceux qui lui font confiance et qui se proposent de tra­vailler avec lui. Sa nomination romaine, en son libellé, était assortie de droits et de devoirs dont nous n’avons plus le document.

Mais selon l’esprit, il la voyait comme une grâce charismatique destinée à l’édification de l’Eglise universelle. De par l’autorité du Saint-Siège, le P. Chaminade se sait placé providentiellement à la tête d’un mouvement missionnaire destiné à irriguer l’Eglise universelle de son dynamisme apostolique.

L’Eglise qu’il faut refaire après les dévastations révolution­naires, le P. Chaminade la voit de fait comme une Eglise missionnaire en tous ses membres. D’où la nécessité que tous soient animés de ce même esprit pour se mettre, chacun à sa place, comme membre actif de l’Eglise, au service de la foi chrétienne.

Aux laïques, aux prêtres, aux religieuses ou aux religieux il répé­tait la même consigne : Tous, avec moi, vous êtes missionnaires. Pour que naisse et grandisse cette Eglise entièrement missionnaire, le Fondateur invitait tous les siens à partager sa propre mission. (ERM. p. 216-218 ; LT. I. 250, p. 337d).

Des fondations pour tous

Cette participation à la mission se vivait, pour le P. Chaminade, à travers des institutions ecclésiales. C’est en­semble que ces missionnaires devaient vivre et agir.

Aussi voulait-il que toutes ses fondations soient des communautés, des missions stables et permanentes qui tien­nent dans le temps, animées toutes du même esprit. Car l’éducation de la foi en une ville ou en une ré­gion données exige la durée et la persévérance.

Aussi toute la vie du Missionnaire aposto­lique est-elle jalonnée de fondations qui, toutes et chacune, ont leur finalité missionnaire. En voici une simple énumération :

  • 1800 : La Congrégation mariale pour laïques.
  • 1801 : Avec Mlle de Lamourous il fonde la Miséricorde de Bordeaux.
  • 1810-1815 : Divers essais dont l’Etat religieux dans le monde.
  • 1816 : Les Filles de Marie et leur Tiers-Ordre séculier.
  • 1817 : La Société de Marie.
  • 1825-1830 : Les Ecoles Normales pour former des Instituteurs laïcs.
  • 1836 : Le Tiers-Ordre régulier des Filles de Marie à Auch pour multiplier, selon un désir de Mère Adèle, les petites communautés missionnaires dans les campagnes.

A l’image de l’Eglise

En toutes ses fondations, le P. Chaminade cherchait à imiter l’Eglise, et dans sa ferveur, et dans ses structures, car son ecclésiologie a toujours uni la lettre et l’esprit. (ERM. p. 51-52).

Selon l’esprit, toutes les fondations devaient s’inspirer de la ferveur de l’Eglise primi­tive telle que saint Luc la présente dans les Actes des Apôtres. (ERM. p. 270-274). Cette ferveur devait devenir, dans l’esprit du Fondateur, l’état normal de l’Eglise si elle voulait garder et dévelop­per son esprit missionnaire.

Dans ses considérations sur la Congrégation, en 1824, il ose affirmer : Si les paroisses étaient aujourd’hui ce qu’elles étaient dans l’Eglise primitive, les Congré­gations se­raient absolument inutiles, elles seraient même embarrassantes. (Pierrel, ibidem. p. 162). Une telle af­firmation signifie que le P. Chaminade voulait que ses « œuvres » soient comme des germes d’un constant renouvellement de l’Eglise.

La Congrégation pour les laïques sera donc la réunion de divers états de vie, d’où il résulte, dans les villes, un corps de société complet, éclairé sur la religion, la pratiquant publiquement, de bonne foi, et dans toute sa pureté : ce qui nous représente assez bien, dans ce siècle de libertinage et d’impiété, la société des premiers chrétiens. (Texte cité dans EF. III. p. 237, 1°, Réponse aux diffi­cultés, etc.).

La Congrégation de Bordeaux exprimait ainsi un essai de restauration de l’Eglise dans une saine coopération des laïques avec les prêtres. Par là s’exprimait son sens mission­naire car chaque directeur (de la congrégation) est un missionnaire permanent et chaque Congré­gation une mission perpétuelle (EF. III, p. 237, 3°, Réponse aux difficultés, etc.).

Bien plus tard, en 1869, le Cardinal Donnet, Archevêque de Bordeaux, reconnut à notre Fondateur ce rôle de reconstructeur interne de l’Eglise. Lors d’une visite à la Madeleine, il fit aux religieux cette confidence : C’était un homme éminent que le res­pectable P. Chaminade ; nous ne le connaissions pas, nous ne l’appréciions pas, nous ne savions plus ce que nous lui devons. Et cependant, qu’on remonte à toutes nos œuvres bordelaises, le nom de M. Chaminade est inscrit en tête de chacune d’elles. (Cité dans La Chapelle de la Madeleine, un Sanctuaire à Bordeaux, 1688-1988, Bordeaux 1988, p. 32).

La stabilité des fondations

Le P. Chaminade voulait des fondations qui durent toujours à l’image de l’Eglise à qui la pérennité était promise. Ces missions stables et permanentes représentaient pour lui l’Eglise en état de mission. Il insistait autant sur la stabilité de l’œuvre que sur la stabilité des membres dans l’œuvre. Construire une œuvre et y maintenir ses membres était une seule et même préoccupa­tion du Fondateur, un service stable et permanent de l’Eglise elle-même. (ERM. p. 155-160 ; p. 207-211).

La stabilité avait une motivation mariale très spécifique. Car le P. Chaminade voulait que toutes ses fondations appartiennent explicitement à Marie. Elles formaient, toutes ensemble, la Fa­mille de Marie (ERM. p. 299-302).

Aussi, maintenir une œuvre ou y persévérer, signifiait res­ter stable au service de Marie, participer, grâce à l’œuvre, à la mission même de Marie. Cha­cun membre était sûr d’agir ainsi au nom de Marie (EF. III, p. 238, 5°) et toute sa vie était une vie toute vouée à Marie. Nous sommes ici à la racine de ce que le voeu de stabilité exprime dans la vie religieuse marianiste.

Une mission universelle

L’universalité est une autre caractéristique des fondations missionnaires du P. Chami­nade. On peut grouper les Fondateurs en deux catégories : ceux qui fondent en partant de be­soins réels, soin des malades, nécessité de tenir des écoles, faire la catéchèse et bien d’autres appels ; par ailleurs il y a ceux qui s’inspirent d’une spiritualité, d’une grâce charismatique par­tagée avec des disciples. Le P. Chaminade se situe dans cette seconde catégorie. Il est un spiri­tuel, un mission­naire marial, envoyé par le Saint-Siège, au service de la foi dans l’Eglise univer­selle. Son premier but de Fondateur consiste à faire vivre et partager une doctrine mission­naire, fruit d’une grâce charismatique reconnue par l’Eglise. Quant aux œuvres à réaliser, on verra bien, on sera attentif aux indications de la Providence, selon le conseil de Marie : Faites ce qu’il vous dira (Jn 2, 5).

Une mission qui se veut ecclésiale est en soi universelle. Son but : atteindre tous les hommes. Ses moyens : se servir de tout ce qui peut faire naître et grandir la foi afin de multi­plier les chrétiens en tous les lieux ; triple universalité, celle du but, celle des moyens, celle de l’extension géographique.

Atteindre tous les hommes

La mission veut atteindre tous les hommes (ERM. p. 263-267), car le Christ les a tous sauvés. L’apostolat, qui est la mise en œuvre de la mission, est précisément pour le P. Chami­nade la participation au mystère rédempteur du Christ.

Cette vue théologale de l’apostolat vient au P. Chaminade de sa contempla­tion de Marie associée au mystère de la Rédemption. Il en conclut : de là les missionnaires (EM. II. 341). La mission exprime donc à la fois l’enracinement divin par la foi dans le mys­tère du salut et sa réalisation humaine par la charité. (ERM. p. 291-293).

Atteindre tous les hommes signifie aussi les rejoindre là où ils vivent : sur la terre entière et dans toutes les conditions sociales. L’universalité géographique recouvre ce double terrain.

Si le P. Chaminade a commencé humblement à Bordeaux sa mission, jamais il n’a voulu la cir­conscrire à cette seul ville. Dès que le Providence lui fait signe, il est prêt à étendre son souci missionnaire à d’autres régions afin de répondre à l’ordre de Jésus : Allez, portez l’Evangile à toutes les nations (Mt 28, 19).

Par tous les moyens au service de la foi

Telle est une autre expres­sion de l’universalité de la mission selon le P. Chaminade (ERM. p. 242-251). Il a écrit dans les Constitutions de la S.M. de 1839, art. 6 : La Société de Ma­rie n’exclut aucun genre d’œuvres.

Celles de nos Sœurs affirment la même vérité de façon plus subjective : Le cœur d’une Fille de Marie doit (. . .) être celui d’une mère, un cœur plein de solli­citude et de compassion pour toutes les misères de l’humanité, et parti­culièrement pour celles qui compromettent le salut des âmes, savoir l’ignorance et le péché (art. 8).

Remarquons les deux couples, celui des dispositions à vivre : sollicitude et compassion, et celui des engagements : lutter contre l’ignorance et le péché. Les deux dispositions qui doivent animer tout missionnaire, sont précisément celles que le P. Chaminade relève très souvent dans le cœur de Marie elle-même.

Quant aux objectifs, ils sont présentés selon une tournure habi­tuelle à la pensée du Fondateur : la lutte contre le mal, le péché, afin de rétablir le bien (ERM. p. 150-152). En positif cela se traduit par l’utilisation de toute la variété des œuvres de zèle et de miséricorde (ERM. p. 243-246).

« Faites tout ce qu’il vous dira » (Jean 2, 5)

La dernière parole de Marie dans l’Ecriture, le Fondateur ne l’utilise pour signifier l’universalité de la mission qu’à partir des Constitutions de la SM de 1829, ar­ticle 6. Cette utilisa­tion est donc relativement tardive. Mais une fois ce sens admis, cette parole devient rapidement la devise de la Société de Marie. (ERM. p. 235-241).

D’où nous vient-elle ? Du P. de Clorivière, semble-t-il, qui l’utilise en ce sens dans ses écrits concernant les fondations religieuses qu’il fit durant la Révolution même. (ERM. Docu­ment n° 22, p. 383). Le P. Chaminade accueille d’abord la formule avec un sens spirituel, soit pour nous inviter à la vie intérieure, soit pour nous encourager dans la foi.

Dans tous les cas la parole de Marie aux servants de Cana exprime pour nous le souci qu’a Marie de nous orienter sans se lasser sur Jésus, dans une démarche de foi. Tel fut sa propre attitude de Femme de l’Alliance : faire ce que Dieu dit.

De cette façon Marie nous fait entrer dans le Cœur de Jésus-Sauveur de tous les hommes : Marie et nous avec elle, associés au mystère de la Rédemption pour lui en faire porter tous ses fruits aujourd’hui. Nous sommes toujours renvoyés aux mêmes vérités de base.

« Missionnaires de Marie »

Le texte de la lettre aux prédicateurs des retraites, du 24 août 1839, est connu : Notre œuvre est grande, elle est magnifique. Si elle est universelle, c’est que nous sommes les Mission­naires de Marie qui nous a dit : ‘Faites tout ce qu’il vous dira’ ! Oui, nous sommes tous mission­naires ! Ce texte en sa brièveté est un bon résumé de l’enseignement missionnaire de notre Fondateur.

Tous un même esprit missionnaire

Si les tâches apostoliques sont diversifiées, les engagements variés, l’esprit qui les inspire doit être le même. Il exprime l’unité de l’inspiration à laquelle le Fondateur tenait beaucoup. (ERM. p. 276-278). Le meilleur développement de cet esprit se lit dans la lettre au P. Chevaux, du 7 février 1834 (LC. III. 725, p. 377-380).

Nous sommes invités, comme les apôtres, à compter sur la grâce de la mission. Nous sommes envoyés par le Seigneur, associés à son mystère rédempteur qui doit porter ses fruits aujourd’hui. Cette grâce est à vivre en union avec Marie, travaillant à cette œuvre pour laquelle elle a été élevée à la Maternité divine.

Cette grâce est mise en œuvre soit par la prière médiatrice, soit par l’activité concertée, patiente et amicale. Le principe du « tous missionnaires » doit être appliqué à tous les niveaux : que vos élèves deviennent de petits missionnaires : j’ai vu, autrefois, qu’on obtenait ainsi de grands succès. Toujours agir ensemble et se dévouer à la même mission, celle même de Marie.

Tous « missionnaires de Marie »

Marie désire que ceux qui ont fait alliance avec elle, soient tous ses missionnaires. Avec eux elle partage sa propre mission virginale et maternelle. Elle le fait avec l’Eglise toute entière ou plutôt l’Eglise apprend de Marie à devenir elle aussi vierge et mère (Lumen Gentium, n° 63).

Telle est, de manière plus particulière, notre propre vocation qui participe à la vocation mariale de l’Eglise toute entière. Car, explique le P. Chaminade, à chacun de nous, la très Sainte Vierge a confié un mandat pour travailler au salut de nos frères dans le monde. (ERM. p. 279-280).

On peut s’étonner que la formule, missionnaires de Marie, qui exprime si bien la synthèse de notre mission ma­riale soit apparue seulement dans la lettre aux prédicateurs de retraites du 24 août 1839. Elle semble avoir été inventée par celui qui a rédigé cette lettre, l’abbé Narcisse Roussel. Mais la réalité qu’elle exprime a été vécue et enseignée par le Fondateur dès ses pre­mières fondations. (ERM. p. 281-283).

La formation des missionnaires

Il ne suffit pas d’appeler de nombreuses personnes à partager la mission, il faut encore qu’elles soient capables de vivre pareille vocation. Aussi nos Fondateurs accordaient-ils une grande importance à la formation des missionnaires, qu’ils soient laïques ou religieux.

Leur in­sistance sur la formation est considérable et peut même nous paraître aujourd’hui voiler le dy­namisme missionnaire. D’où la question souvent posée entre nous : sainteté d’abord ou mis­sion d’abord ? Disons : quelle sainteté pour notre mission marianiste ?

Il est normal que pour cette recherche sur la formation, nous puisions largement et dans les Constitutions de 1839 et dans les Ecrits de direction.

Des personnes libres par la vérité

Dès l’origine des Filles de Marie, nos Fondateurs ont mis au point et systématiquement appliqué une méthode psycho-religieuse dont le but principal était de former des personnes structurées et suffisamment uni­fiées pour se livrer, comme religieuses et religieux, à l’apostolat missionnaire original qui leur était proposé. Ils appelaient ce programme de formation la direc­tion.

Plus récemment on lui a donné le nom de système ou méthode des vertus. Cette direction a toujours été, pour nous Ma­rianistes, une démarche originale d’initiation à la vie religieuse. Té­moin les très nombreux écrits qui la présentent au XIX° siècle et qui sont rassemblés dans les tomes I et III des Ecrits de direction. L’analyse rapide qui suit s’inspire de la Direction de la So­ciété de Marie, le meilleur texte-résumé sur notre sujet (D. I. 1230-1238).

Créer des espaces de liberté

Les vertus de préparation se présentent comme une initiation progressive qui a pour but de découvrir et d’agrandir en soi, sous l’action de l’Esprit Saint, des espaces de liberté toujours plus im­portants.

Il est indispensable pour tout homme de se sentir libre et responsable, et cela jusqu’au cœur même de ce qui peut paraître une contrainte.

Car plus on est libre, plus on peut aimer en vérité et assumer la vie à laquelle Dieu appelle.

Il faut tout d’abord passer du cri contraignant de l’enfant, mais aussi de l’adulte, à la pa­role humaine. Tel est le rôle des silences extérieurs de la parole et des signes.

Grâce aux silences intérieurs de l’esprit, de l’imagination et des passions, il est possible de mettre au service de la vie vécue dans le présent, l’ensemble des facultés intérieures.

Les cinq silences doivent donc permettre de vivre le moment présent avec une plénitude toujours plus grande. Alors, dans l’aujourd’hui biblique, l’homme croyant peut rencontrer et aimer son Dieu.

Le recueillement commence à ouvrir, dans le cœur humain, ce sanctuaire intérieur, lieu de prière et d’attention à la Trinité sainte qui habite tout chrétien.

L’obéissance permet au débutant dans la vie religieuse de reconnaître et de donner leur place aux autres et à Dieu, dans les réalisations concrètes de sa vie. De là naît la possibilité d’une franche coopération avec les autres et d’une ouverture à Dieu dans la conduite de sa propre vie.

Le support des mortifications préserve tous ces espaces de liberté contre l’agression parfois intempestive des peines, des épreuves, des reproches, des incompréhensions. Il s’agit d’acquérir une sorte de blindage spirituel qui rend capable d’affronter les difficultés inhérentes à la vie.

Par la pratique de ces vertus on se dispose à entrer dans la voie de la perfection (D. I. 1234). Ainsi se mettent en place les premières dispositions indispensable : la connaissance et la maî­trise de soi, toutes deux nécessaires pour grandir en sainteté et pour accomplir sa mission aposto­lique (Règle de la S. M., art. 4.17, a.).

Un travail en profondeur

Les vertus d’épuration s’apparentent à un travail en profondeur qui assure des racines solides aux vertus de préparation. La connaissance de soi et celle de Dieu, grâce aux espaces in­térieurs de liberté qui se sont créés, font voir plus clairement nos complicités avec le mal et le mauvais.

Des obstacles intérieurs sont perçus avec une acuité nouvelle. En premier, la faiblesse ap­paraît comme congénitale et donc insurmontable. Cela est vrai. Au lieu de se décourager, il faut s’ouvrir à la foi. Alors un nouveau chemin se découvre : plus je suis faible, plus il apparaît que c’est l’Esprit Saint qui agit en moi et non pas moi. Telle est la grande découverte de saint Paul : Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les angoisses pour le Christ ! Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12, 10).

Bien d’autres mauvais penchants ont en nous des racines. Patiemment il faut s’attacher à développer les vertus opposées. Dans cette conduite, grâce à l’ouverture d’âme et à la docilité, les deux dé­marches extrêmes peuvent être évitées : le scrupule qui est une maladie et l’illusion qui est un manque de réalisme.

Des obstacles extérieurs peuvent aussi nous agresser. Des contrariétés diverses font croître la patience, la prudence, la sagesse, la confiance en Dieu. Les suggestions venant du monde obli­gent à approfondir la vérité, par l’oraison faite à la lumière de la foi, selon la méthode. Les tenta­tions du démon exigent vigilance et combat spirituel.

Le travail de l’épuration permet donc d’atteindre jusqu’aux racines de nos fautes et nous pré­pare à correspondre plus entièrement à la grâce de Dieu (Règle de la S.M., art. 4.17, b).

Accéder à la vérité

Les vertus de consommation libèrent de l’égoïsme de manière que notre vie soit toute centrée sur le Seigneur (Règle de la S.M., art. 4.17, c). Tel est le rôle de l’humilité et de la modes­tie inté­rieure, deux attitudes fondamentales pour toute vie selon l’Esprit. Elles ne peuvent exister que dans la lumière de la vérité, celle sur Dieu et celle sur nous-mêmes.

Quant à l’abnégation de soi-même, elle porte à rechercher dans la conduite de la vie ce qui est selon Dieu et sa grâce. Ainsi prend forme la démarche première qui est demandée à tout dis­ciple du Christ. En s’attachant à suivre son Seigneur, il sera prêt au renoncement aux créatures et au monde.

L’ensemble de ces démarches et de ces vertus veut être une initiation à la vie spirituelle des missionnaires marianistes. Elle veut implanter en tout candidat une vie morale sur laquelle pourront s’appuyer à la fois les engagements religieux et la vie théologale de conformité à Jésus Christ.

« Des hommes de foi » : le CREDO

Le souci constant du P. Chaminade de former des hommes de foi nous est connu. Mais quelle foi nous est proposée ? Celle que l’Eglise depuis l’origine transmet à toutes les généra­tions par le Credo, le « Symbole des Apôtres ».

Mon étude sur Le Credo chez le P. Chaminade (Revue Marianiste In­ternationale, n° 9, avril 1988, p. 6-17) montre clairement que le P. Chami­nade, fidèle en cela au catéchisme du concile de Trente, a utilisé le Credo durant toute sa vie. Mais selon les époques, l’utilisation du Symbole des apôtres fut dif­férente. D’abord objet de prédication surtout pour les fidèles et les Congréganistes, le Credo devient ensuite la base sur laquelle il construit la vie de foi et de conformité au Christ ; enfin, il l’uti­lise systématiquement, soit pour initier les débu­tants à la méditation, soit pour servir de sujet à l’oraison de foi.

« Je crois en Dieu »

Lorsque le Fondateur commente ce premier article du Credo, il y joint très fréquemment le dernier article : Je crois en la vie éternelle.

Cette remarque mérite attention, car elle souligne la structure cyclique du Credo qui part du Dieu créateur et aboutit pour tous les croyants, ras­semblés dans l’Eglise universelle (LG. n° 2), à la vie éternelle qui est la vie même de Dieu. Ainsi vu, le Credo contient la globalité de la foi chré­tienne, ce que Vatican II, en Lumen Gentium, chapitre 1° surtout n°2, appelle le mystère de l’Eglise : de Dieu créateur par le Dieu Sauveur et l’Esprit Sanctificateur, grâce à l’Eglise, jusqu’à la vie définitive en Dieu, partage de celle même du Dieu éternel. Cet enseignement sur le mystère de l’Eglise semble de première importance pour nos temps d’après Concile.

Les commentaires du Fondateur sur le premier article du Credo se développent habi­tuellement sur deux lignes complémentaires : un premier enseignement objectif sur Dieu et un second sur l’importance de la foi du coeur, adhésion globale du croyant à la Révélation. Les deux sont présentés de façon pratique, comme source de convictions et de foi vécue.

Une foi objective en Dieu

Dieu est l’objet premier de notre foi. Il est présenté et médité comme créateur, conserva­teur et fin dernière de l’homme et de l’humanité. Percevoir Dieu comme « origine » et non point comme simple « cause » de sa création, est fondamental pour le croyant.

L’acte créateur est une acte originel, un acte d’amour qui jaillit du cœur de Dieu. Et parce qu’il aime tout ce qu’il crée, Dieu maintient tout dans l’être et il en est la fin ultime.

Dans la lumière de cette relation d’amour au Dieu créateur et Père, l’homme, créature de Dieu, trouve sa propre dignité. Il peut jouer son rôle de « cause », car il est lui-même un être libre, créé à l’image et ressemblance de Dieu et capable d’aimer. Aujourd’hui surtout il est im­portant d’avoir un enseignement clair sur les relations réciproques entre Dieu et l’humanité, à l’intérieur de la création.

Dans une autre série de textes, le P. Chaminade contemple et présente Dieu qui est pour nous l’Etre souverain, la Vérité souveraine, la Bonté souveraine, bref Dieu au-dessus de nous et à qui nous appartenons dans une relation d’adoration et d’amour.

A un monde fermé sur lui-même, cette situation primordiale de Dieu peut apparaître comme une aliénation, une sorte d’écrasement de l’homme. Cela est vrai si Dieu n’est plus perçu comme étant l’Amour en per­sonne, le Père qui suscite, dans le cœur de tout homme, l’amour en réponse au sien.

Croire en Dieu, au Dieu de Jésus Christ, donne à l’homme d’aujourd’hui sa vraie sta­ture et sa plus grande liberté. Mais les chrétiens témoignent-ils de pareille vérité ? La cherchent-ils dans la foi ou dans ses succédanés ?

La « foi du cœur »

L’expression je crois en Dieu a inspiré au P. Chaminade ce qu’il appelle lui-même la foi du cœur. Croire en Dieu c’est affirmer non seulement qu’on croit qu’il y a un Dieu, mais en­core qu’on l’aime et qu’on espère en lui (D. II. n° 4), c’est croire avec la plénitude de son être, particu­lièrement avec son affectivité, son cœur. C’est de cette foi qui sort du cœur en même temps que de l’esprit que le saint Concile de Trente a dit qu’elle était ‘la racine de toute notre justifi­cation’, et saint Paul, l’aliment de la vie du juste car ‘le juste vit de la foi’ (Rm 1, 17 ; D. II. n° 8).

La foi du cœur est une conséquence de l’objectivité de notre foi. Croire en Dieu et l’aimer, n’est-ce pas aimer ce que Dieu nous dit, nous révèle, partage avec nous ? Seul celui qui aime Dieu comme un Père peut vivre de la foi du cœur.

Elle est comme l’aboutissement de la qualité de disciple du Christ et fait communier à l’amour même de Jésus envers son Père. Je ne vous appelle plus serviteurs. . ., je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître (Jn 15, 15).

Déjà il nous est possible d’entrevoir l’importance de l’oraison durant laquelle peut naître et se développer cette foi qui jaillit du cœur de l’homme vers celui de Dieu.

La foi, structure du missionnaire

La foi doit structurer l’être intérieur du missionnaire. Elle n’est pas simple connaissance in­tellectuelle. Le témoignage de l’Esprit Saint la transforme en conviction et lui donne toute sa fermeté.

Cette foi pratique tend à relier ensemble, dans le coeur du croyant, la foi objective aux vérités révélées et la foi subjective riche des dispositions intérieures de la charité. Me voici ser­vante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole, peut dire Marie à l’ange.

La foi struc­ture donc l’être humain du croyant : l’esprit par la connaissance du vrai Dieu, le cœur par l’amour en réponse aux avances du Dieu-Amour, la vie par un service affectif et ef­fectif du Dieu vivant. Connaître, aimer, servir, une triple démarche familière à notre Fonda­teur et à ses disciples.

« Je crois en Jésus Christ »

La foi en Jésus Christ est ce que l’on peut appeler une foi historique. Nous croyons en Jésus qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, a souffert, est mort, est ressuscité, est monté au ciel. . . Elle concerne donc toute l’humanité dans sa propre histoire qui est nais­sance, vie, mort et résurrection.

Vivre une « histoire sainte »

Croire en Jésus Christ est la démarche centrale de tout chrétien, comme elle fut, par ex­cellence, celle de Marie, la Mère de Jésus, nommée explicitement dans le Credo.

Cette adhésion exprime la qualité de dis­ciple de Jésus, l’attitude fondamentale de celui qui croit en son Maître, qui le suit sur ses chemins et va jusqu’à partager sa destinée terrestre et donc aussi sa vie cé­leste.

Rien de plus normal donc que la foi en Jésus Christ tende à s’incarner dans la vie de tout croyant pour faire de son existence concrète une « histoire sainte ».

Ce fut le cas de Marie qui gardait dans son cœur paroles et événement et les confrontait (Lc 2, 19), en vue d’éclairer sa propre conduite et de l’ajuster sans cesse à toute nouvelle révélation reçue sur l’Enfant.

L’oraison de foi que le Fondateur propose à ses missionnaires, n’a pas d’autre but que celle même de Marie : incarner en une seule et même histoire la vie humaine et la révélation divine, à l’exemple même de Jésus, Dieu fait homme pour sauver les hommes. Ce qui laisse entrevoir que toute vie vraiment chrétienne a, de soi, une orientation missionnaire.

Témoigner de l’Evangile aujourd’hui

La foi en Jésus Sauveur, vécue dans l’Eglise, se nourrit de l’Evangile. Par une longue Tra­dition, l’Eglise d’aujourd’hui a reçu la bonne Nouvelle pour la transmettre à toute la création. Pour ce faire, le P. Chaminade formait les siens pour qu’ils soient capables d’instruire les autres des vérités de la foi.

En étudiant de près ses nombreuses Notes d’Instructions, on est étonné de l’utilisation massive qu’il fait des textes évangéliques et de ceux qui lui viennent de la Tradi­tion, tout au long des siècles chrétiens.

Au-delà d’une formation théologique et biblique, les religieux et les religieuses, constitués en communautés, avaient comme mission de prouver au monde, par le fait de leurs bons exemples, que le christianisme n’est pas une institution vieillie, et que l’Evangile est encore praticable au­jourd’hui comme il y a 1.800 ans (LC. IV. 1076, p. 374-375, du 16 septembre 1838 au Pape Gré­goire XVI ; texte cité dans notre Règle de vie, p. 121).

Ce témoignage évangélique devait donner un singulier crédit à leur enseignement de la foi. Paroles et actes, selon la structure mis­sionnaire marianiste, doivent, comme en Marie, tendre à devenir inséparables.

Une solide doctrine christologique

La vie évangélique s’appuie sur une connaissance du Christ par la foi. Connaître Dieu et son Fils Jésus Christ est la vie éternelle ; c’est-à-dire avoir la connaissance que nous donne notre foi en Dieu et en son Fils Jésus Christ, c’est être dans la voie de la vie éternelle.

Notre foi en Jésus Christ consiste à croire véritablement de cœur qu’il est le Fils de Dieu. Aimons à répéter sans cesse cette parole de vie éternelle que prononça saint Pierre : ‘Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant.’ (D. I, n° 1262, Direction sur la S.M. dans les voies du salut, 1828).

Ce même Manuel de direction indique ainsi l’enseignement qui était à donner : La foi doit nous faire considérer Jésus Christ en lui-même, ce qu’il est par rapport à son Père et ce qu’il est par rapport à nous, (Ibidem. n° 1264 ; développement de ce résumé dans les n° 1265 à 1290).

Tout part de la foi à structurer et à vivre. Après avoir considéré les perfections divines puis les per­fections humaines du Christ, nous sommes invités à admirer, dans l’oraison surtout, que tout est merveille en Jésus Christ : sa conception, sa naissance, sa vie, ses vertus, ses qualités, ses actions, (n° 1278).

Et si Jésus Christ est par rapport à son Père la gloire, la richesse et les délices (n° 1279), par rapport à nous il est en même temps notre principe, notre fin et notre moyen (n° 1282). Suivent en­fin des conséquences à tirer de tout ce qui a été dit (n° 1286 à 1290).

Tel est un schéma de christologie qui devait être enseigné aux candidats à la vie religieuse à partir de 1828, année précisément où le Fondateur commence à insister sur la vie théologale et la conformité à Jésus Christ.

La sainteté comme conformité à Jésus Christ

Déjà les plus anciennes notes autographes du P. Chaminade, celles qui datent de Mussi­dan, présentent Jésus Christ, modèle d’humilité et invitent à l’Imitation de Jésus Christ. (Voir ces textes dans : J.-C. Délas, Histoire des Constitutions de la Société de Marie, 1964, p. 28-33).

La doctrine que le Fondateur va développer à partir de 1828, est déjà en germe dans ces textes an­ciens transcrits en partie du livre de Pierre Caussel, De la connaissance de Jésus Christ (Cf. D. II, 2° édition, Note bibliographique, p. 242-243).

Jésus Christ est le modèle des saints. Sa vie est le miroir de tout ce qui doit arriver à l’Eglise en général et à chaque fidèle en particulier jusqu’à la fin des siècles. [. . .]

L’obligation d’imiter Jésus Christ est fondée : 1. sur le dessein que Dieu a eu en nous donnant son Fils ; 2. sur l’autorité de l’Evangile et des Apôtres ; 3. sur la qualité de chrétien que nous por­tons. [. . .]

Il y a quatre choses à considérer dans la vie de Jésus Christ : 1. ses mystères que nous devons retracer en nous, comme l’explique saint Paul ; 2. ses miracles et ses actions qui tiennent plus de Dieu que de l’homme ; 3. la vie intérieure de Jésus Christ ; 4. sa vie extérieure.

Ces quelques citations, comparées aux notes autographes du cahier D (D. II, n° 302-483), montrent la continuité de la pensée du Fondateur sur ce sujet important de la vie spirituelle. La conformité à Jésus Christ est une des constantes de son charisme, un héritage qu’il a accueilli de l’Ecole fran­çaise de spiritualité.

Cette doctrine de l’imitation de Jésus Christ est présentée clairement et avec insistance aux religieux de la S. M. comme objet unique de l’Institut, à partir des Constitutions de 1829. Celles de 1839 reprennent et développent encore cet enseignement. La même formation devait être donnée aux Filles de Marie, mais seulement selon leur Constitutions de 1839. A noter que pour les Sœurs la conformité à Jésus Christ se fera par l’imitation de Marie.

Jésus, Fils de Marie

Sur cette doctrine générale de la conformité à Jésus Christ, vient se greffer progressive­ment un choix charismatique propre au P. Chaminade : imiter Jésus, oui, mais comme Fils de Marie. Dans ce cas, l’Incarnation va prendre une place importante dans notre spiritualité. Dans ce mystère nous sommes invités à contempler de préférence le Fils de Marie.

Le Fondateur a tiré une importante conséquence de ce mystère qui révèle la filiation humaine du Christ. Conscient de l’importance de la conformité à Jésus, le Fondateur va privilégier la relation fi­liale-maternelle entre les chrétiens et Marie comme elle existe entre Jésus et sa Mère.

Ce choix charismatique est né du Credo où il est dit du Christ, qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie.

Ce texte, souvent cité ou rappelé par le Fondateur, permet de vérifier, une fois de plus, combien il tenait à ancrer ses affirmations spirituelles au roc solide de la foi apostolique.

Jésus est devenu Fils de Marie pour être Sauveur des hommes : pour nous et pour notre salut, il est descendu du ciel. Ce même choix charisma­tique du Fondateur concerne donc aussi le mystère de la Rédemption. D’où l’importance que, toute sa vie durant, le P. Chaminade a ac­cordée à la méditation du Calvaire où s’accomplit le mystère du salut du monde.

C’est là qu’il a de mieux en mieux saisi la profondeur de l’union maternelle de Marie à son Fils, combien elle est associée à ce mystère de la naissance de l’Eglise, sacrement du salut et de l’unité des hommes. De plus, les ultimes paroles de Jésus ont révélé au P. Chaminade la profondeur et la richesse de l’Alliance que le Sauveur explicite entre sa Mère et son disciple.

Là prend naissance cette Al­liance ecclésiale que le Fondateur nous propose de faire avec Marie et de renouveler dans la Prière de trois heures.

La dualité : Marie consacrée à Jésus

Entre ces deux mystères extrêmes, l’Incarnation et le mystère pascal, se déroule la vie du Sauveur, elle aussi objet de notre foi en Jésus. Bien sûr, il n’y est pas toujours question de Ma­rie ; mais plus il avance en âge et en grâce, plus le Fondateur contemple, dans tous les mystères du Christ, la part de sa Mère. L’Esprit Saint lui a fait voir l’importance de la dualité dans le salut opéré par le Christ.

Entre le Jésus, unique Sauveur, unique Médiateur, et l’Eglise consti­tuée par la multitude des hommes devenus croyants, il y a une place propre à la Mère de Jésus, à la Femme par excel­lence, l’Eve nouvelle.

Marie, associée à Jésus, vit, dans les mystères du salut, la dualité voulue par Dieu dans la création : homme et femme il les fit (Gn 1, 27).

L’importance donnée par le Fondateur à la dualité justifie, du moins en partie, la place qu’il accordait à l’Alliance, lien d’amour entre deux partenaires. Faut-il rappeler l’importance que le concile Vatican II a donnée à cette union de la Mère et du Fils dans l’œuvre de la Rédemp­tion ? (LG. n° 57 ; Cf. n° 56-59. 61). Mais ce lien très étroit qui unit Marie à Jésus date du mo­ment même de l’Incarnation du Fils de Dieu.

Alors, affirme le concile, Marie, fille d’Adam, ac­quiesçant au verbe de Dieu, est devenue Mère de Jésus et embrassant de plein cœur, sans être entra­vée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s’est consacrée totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l’œuvre de son Fils, toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son Fils et en union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant (LG. n° 56).

Il est réconfortant pour nous, Marianistes, de constater que notre charisme marial plonge ses racines dans la Bible, dans le Credo et dans la Tradition, réactualisée par Vatican II.

« Je crois en l’Esprit Saint »

La formation des missionnaires, dans la tradition marianiste, requiert une forte vie spiri­tuelle. Celle-ci est l’œuvre conjointe de l’Esprit divin et de notre coopération humaine qu’oriente et que stimule la présence active de Marie.

L’action sacramentelle de l’Esprit

Il est indispensable d’exercer les candidats sur la foi au huitième article du Symbole, je crois au Saint Esprit : credo in Spiritum Sanctum. Ainsi commence tout un enseignement du Fonda­teur sur la troisième Personne de la sainte Trinité, dans le Manuel de direction à la vie et aux vertus religieuses dans la Société de Marie, de 1829 (D. II, n° 19-36).

Après des rappels dogma­tiques sur l’Esprit dans la Trinité, le P. Chaminade décrit longuement son action spirituelle à travers les sacrements du baptême et de la confirmation.

Avec la grâce du baptême, nous recevons le Saint Esprit [. . .] pour nous conformer spirituel­lement à l’état de la divine enfance de Jésus Christ. Cette grâce du baptême n’est que comme un lait divin dont le Saint Esprit nous nourrit spirituellement, (n° 26).

Nous avons reçu l’esprit des enfants de Dieu, nous devons vivre selon Dieu et de la vie même de Dieu (n° 34). Dès notre baptême, l’Esprit Saint nous éclaire, nous anime et répand sur nous ses sept dons (n° 21-22).

Ce Manuel de direction de 1829 est aussi l’écrit où le Fondateur présente le sacrement de la confirmation avec ses incidences sur la vie spirituelle.

La grâce de la confirmation est comme une nourriture solide qui, par l’opération proportionnée du Saint Esprit, nous fait croître spirituelle­ment en Jésus Christ jusqu’à l’âge de maturité ; c’est pour cela qu’on dit que la confirmation nous rend parfaits chrétiens (n° 26).

Au sujet de la confirmation, le P. Chaminade envisage un état spirituel qui doit beaucoup intéresser les missionnaires d’aujourd’hui. Il évoque la mauvaise réception de ce sacrement qui ne peut, de ce fait, produire tous ses fruits.

Ce n’est pas tout de faire pénitence de ce péché, comme des autres de la vie passée ; mais, pour ainsi dire, d’en susciter la grâce. Et il signale un en­semble de démarches qui rappellent singulièrement ce que dans les groupes charismatiques d’aujourd’hui l’on appelle le baptême dans l’Esprit. Il s’agit de la doctrine sur la reviviscence de ce sacrement que l’on ne peut recevoir qu’une seule fois (n° 25).

L’Esprit Saint est ainsi donné à tous les chrétiens pour en faire des témoins du Christ en les menant à la sainteté qui est confor­mité à Jésus Christ (n° 29-36).

Une vie selon l’Esprit

Dans un autre écrit (D. II, n° 417 à 474), le Fondateur développe plusieurs principes selon lesquels doit se développer dans tout candidat à la Société, la vie spirituelle fruit des sacre­ments du baptême et de la confirmation. En voici l’essentiel.

Premier principe : Chaque chrétien reçoit à son baptême l’Esprit de Jésus Christ, il est conçu pour ainsi dire par l’Esprit de Jésus Christ. C’est ce divin Esprit qui le fera croître jusqu’à l’âge de l’homme parfait, jusqu’à l’entière conformité avec Jésus Christ.

Le directeur n’aura qu’à ré­gler la coopération de son élève à cette opération continuelle de l’Esprit de Jésus Christ (D. II, 418).

Deuxième principe : Nous avons été tous conçus en Marie, nous devons naître de Marie et être formés par Marie à la ressemblance de Jésus Christ afin que nous ne vivions que de la vie de Jé­sus Christ, que nous soyons comme avec Jésus Christ d’autres Jésus, fils de Marie. D’où une grande dévotion à Marie afin d’obtenir d’elle de plus en plus les traits de conformité avec Jésus Christ qu’opérera l’Esprit de Jésus Christ (D. II, 420).

Troisième principe : L’Esprit de Jésus Christ n’opère en nous notre conformité à ce divin Modèle, qu’à proportion que nous avons plus de foi. En conséquence, ce principe donne aux di­recteurs trois objets de sollicitude par rapport à la foi, épurer la foi, faire croître dans la foi, faire agir par la foi (D. II, 422-423).

Quatrième principe : Le directeur observera souvent les progrès des opérations de l’Esprit de Jésus Christ dans ses élèves depuis le commencement de leur éducation religieuse, pour y faire coopérer, pour animer et encourager (D. II, 427-428).

Cinquième principe : Dieu nous a prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils (Rm 8, 29). Or cette conformité consiste à lui ressembler en l’extérieur et en l’intérieur de ses mystères. D’où patience dans le directeur pour attendre la consommation de l’ouvrage, courage dans l’élève pour la mortification de sa nature que lui inspirera l’Esprit de Jésus Christ opérant en lui (D. II, 429. 436).

L’Esprit et Marie

Tels sont les principes primordiaux selon lesquels l’Esprit prépare les missionnaires, dis­ciples du P. Chaminade. Celui-ci souligne dans les principes suivants l’importance de l’humilité (6° principe), de la mortification en la vertu du Saint Esprit (7° principe), de la vertu de pénitence (8° principe) et de la chasteté qui donne les mêmes inclinations et sentiments, dont le Fils de Dieu est rempli dans l’état de sa résurrection (9° principe) (D. II, 437-465).

La vie selon l’Esprit forme donc dans le missionnaire marianiste l’homme théologal, le religieux conforme à Jésus mort et ressuscité ; celui qui ne vit plus que de la foi, de la charité et de l’espérance ; celui dont toute la vie est inspirée par l’amour de Dieu et du prochain ; celui dont toute la vie est orientée vers la vie éternelle, participation à la vie de Jésus Christ en la très Sainte Trinité.

Les neuf principes rappelés ci-dessus ont tous la même structure : ils précisent ce que fait l’Esprit Saint et ce qui revient au Directeur qui accompagne le candidat. C’est l’application du principe plus général, souvent rappelé, que la vie spirituelle, tout comme l’oraison, est à la fois l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme. Dieu agit par l’Esprit Saint et tout ce qui est divin vient de Lui.

Mais tout ce qui est humain relève de nous. Dans ce « nous » sont rassemblés et le candidat en lien avec son Directeur, mais aussi Marie qui, dans l’invisible, dispose et le candidat et le Directeur à rester très ouverts à l’action multiforme de l’Esprit de Jésus Christ. A chacun son rôle ! Le P. Chaminade est très sensible à la bonne répartition même du travail spirituel, entre l’Esprit et l’Eglise dont Marie est membre.

« Je crois à la sainte Eglise catholique »

Après la foi en la sainte Trinité, il faut être formé à la foi que nous avons à porter à l’Eglise. L’étude des écrits du Fondateur sur l’Eglise, oblige à faire, d’emblée, une remarque importante. Prêtre fidèle aux enseignements du concile de Trente, le P. Chaminade en a re­tenu, non l’aspect d’opposition au Protestantisme avec ses anathèmes, mais les éléments positifs sur lesquels il construit un enseignement fort moderne. De ce fait, l’ecclésiologie de notre Fonda­teur, qui a été peu étudiée, est très proche de celle de Lumen Gentium.

L’Eglise de Jésus Christ avec Marie

On sait que l’ecclésiologie de Vatican II n’a pu prendre toute son ampleur après le vote qui fit en­trer le texte sur Marie dans celui sur l’Eglise. Vote douloureux, acquis à 40 voix de majorité seule­ment sur près de 3.000 votants. Cette division du Concile s’explique par les di­verses ecclésiologies et mariologies dont étaient tributaires les Pères du Concile.

Je suis de plus en plus convaincu que, comme pour Vatican II, c’est Marie située au cœur de l’Eglise qui a également permis au P. Chaminade ses vues ecclésiologiques modernes. Ja­mais en effet il ne considère Marie seule, uniquement pour elle-même.

Toujours elle est contemplée et présentée comme relative, ou aux trois Personnes divines, ou à l’Eglise et à ses membres. Très normalement le Fondateur situe Marie soit dans les mystères du Christ soit dans celui de l’Eglise, ce que veut faire aussi, selon le libellé de son titre, le très beau chapitre 8 de Lumen Gentium.

Notre Fondateur nous invite donc, comme missionnaires de Marie, à être très ouverts à une ecclésiologie mariale bien plus qu’à une marialogie ecclésiale. Cette option met en évi­dence une correspon­dance réelle entre les affirmations du Credo et la structure du texte central de Vatican II, Lu­men Gentium.

En disant : je crois à l’Eglise, nous sommes renvoyés à l’Eglise en sa totalité et sur­tout à son mystère (L.G. chap. 1). Evoquer l’Eglise catholique ou universelle, n’est-ce pas être orienté vers l’Eglise comme Peuple de Dieu répandu sur toute la terre et animé de l’esprit mis­sionnaire (L.G. chap. 2) ? En proclamant l’Eglise sainte, nous croyons en sa voca­tion univer­selle, la sainteté (L.G. chap. 5).

Toute l’ecclésiologie de Vatican II repose sur ces trois chapitres privilégiés de Lumen Gentium comme sur trois piles de fondation : l’Eglise dans la pensée éternelle de Dieu, l’Eglise dans l’histoire comme Peuple de Dieu, l’Eglise en son accomplissement comme Peuple saint, communion des saints pour la vie éternelle.

Marie dans l’Eglise comme mystère

L’Eglise est première dans la pensée créatrice de Dieu en même temps qu’elle est l’ultime accomplissement de toute la création. Elle a son origine et sa plénitude en Dieu. En elle se réalise le dessein d’amour infini sur toutes les créatures (L.G. n° 2). Le Pape Jean-Paul II l’a bien mis en relief dans son encyclique Redemptoris Mater, n° 7, en s’appuyant sur Ephé­siens 1, 3-14.

Marie, comme créature et comme croyante, ne peut être que membre de l’Eglise du Christ. Membre éminent, le plus saint, mais membre à part entière. Mère de l’Eglise, comme toute mère, elle fait partie de la famille et y tient sa place.

Sa vocation unique de Mère de Dieu, sa sainteté immaculée la prédestinent dans l’Eglise à une fonction qui lui est propre, celle de vivre une relation de dualité avec son Fils Jésus et par là avec les autres Personnes divines. Aussi est-elle la fille préférée du Père et le temple de l’Esprit Saint.

Par le don de cette grâce suprême, elle dépasse de loin toutes les autres créatures célestes et terrestres. Cependant, elle est en même temps, de par sa descendance d’Adam, unie à tous les hommes qui ont besoin du salut (L.G. n° 53).

Notre foi en l’Eglise se doit d’accueillir Marie, de lui donner la place qui lui revient. Elle fait partie de la foi des disciples du Christ depuis que sur la croix, Jésus l’a déclarée Mère du disciple bien-aimé et que celui-ci l’a accueillie.

L’Eglise est catholique

Vatican II, par le chapitre 2 de Lumen Gentium, a défini l’Eglise comme le peuple de Dieu. Le concile souligne que l’Eglise se reconnaît comme le peuple des baptisés. Ce peuple messia­nique a pour chef le Christ de qui l’Eglise est devenue le Corps qui lui sert d’instrument pour la ré­demption de tous (n° 9).

La communauté ecclésiale en son entier est sacrement du salut pour tous les hommes, c’est-à-dire lieu et moyen de leur conversion et de leur union à Dieu. Cette même Eglise, Corps du Christ, est aussi sacrement de l’unité pour tous les hommes, lieu et moyen de leur unité, sur la terre et dans le ciel.

Comme communauté des croyants, l’Eglise, depuis le Cénacle, se reconnaît en Marie (Ac 1, 14). Mère de Jésus, elle a été associée à son Fils et Sauveur pour faire naître au Cal­vaire le Corps ecclésial du Christ.

Son rôle maternel, munus maternum (L.G. n° 60), est au­jourd’hui encore, sous l’action de l’Esprit, de rassembler ce Peuple de Dieu en une Communauté frater­nelle dont elle est la Mère et le Modèle de sainteté. En cela, elle actualise les prophéties sur la nouvelle Jérusalem. Marie se situe donc au cœur de l’Eglise missionnaire animée par l’Esprit Saint (L.G. n° 13-17).

L’Eglise est sainte

Non seulement l’Eglise est Peuple de Dieu, mais Peuple du Dieu saint. Le chapitre 5 de Lumen Gentium sur l’appel universel à la sainteté correspond au chapitre 2 et le complète en pré­cisant la qualité essentielle de l’Eglise : l’Eglise du Christ est sainte. Le Christ en effet, a aimé l’Eglise comme son Epouse et s’est donné pour elle afin de la sanctifier (Cf. Ep 5, 25-26) (LG. n° 39). Le concile, en ce chapitre 5, identifie sainteté et charité.

De cette Eglise sainte, Marie est l’Archétype. Avant que l’Eglise ne soit née au Calvaire, la future Mère du Christ fut conçue sainte et sans péché, comme doit devenir l’Eglise (Ep 1, 4). Avant l’Eglise, Marie est, en âme et en corps, dans la gloire éternelle.

Avant que l’Eglise ne réalise, en sa multitude, sa totale sainteté et sa présence dans la gloire de son Seigneur, Marie, par la grâce de Dieu, en sa seule personne, vit cette plénitude. L’Eglise met donc Marie devant ses yeux, la contemple, pour de­venir comme elle, sainte, conforme à Jésus Christ jusque dans la gloire de la vie éternelle (L.G. n° 59).

Marie n’est pas seulement modèle de l’Eglise. Elle a mission, comme Vierge Sainte, de coopérer avec l’Esprit Saint pour faire de l’humanité entière, devenue Eglise, l’Epouse de l’Agneau qui s’est faite belle (Ap 19, 7-8). Car la destinée de Marie, au cœur de l’Eglise, c’est que toute l’humanité devienne cette cité sainte, Jérusalem nouvelle (Ap 21, 2), la Communion des Saints, un Peuple de saints, comme l’écrivit un jour le P. Chaminade à son ami, le P. Noailles (LC. II. 388, p. 175, du 15.02.1826).

« Je crois à la vie éternelle »

La destinée ultime de l’Eglise, déjà réalisée en Marie, c’est d’être rassemblée dans la pléni­tude de Dieu et de vivre de sa vie, éternellement.

La vie éternelle

La visée eschatologique est, elle aussi, essen­tielle à l’Eglise et à chaque croyant. Au temps du P. Chaminade, l’on prêchait souvent les fins dernières et le discours s’adressait surtout aux individus, particulièrement aux pécheurs afin qu’ils se convertissent.

Le texte de la fin du Credo est plus riche et plus ecclésial. Je crois à la Communion des Saints, qui est l’Eglise en son achè­vement (LG. chap. 7). Pour y arriver, je crois à la rémission des péchés, car ils sont le seul obs­tacle à cette vie plénière qui s’épanouit dans la vie éternelle.

Ainsi le Credo achève sa boucle. Il a pris naissance en Dieu Créateur et il s’achève, à travers l’histoire humaine du Sauveur et celle de l’Eglise, dans la vie même du Dieu Trinité.

En 1835, le Fondateur en était arrivé à proposer, comme premiers exercices du noviciat, la méditation de la fin du Credo. Credo vitam aeternam. La joie de la vie éternelle doit se graver profondément dans tous ceux qui entrent dans cette sainte milice. Que de combats ils auront à sou­tenir ! Mais ceux qui combattront bien, comme athlètes de Jésus Christ leur divin Chef, seront assu­rés de cette couronne de gloire qui ne se flétrira jamais (2 Tm 2, 5) (D. II, n° 82).

« En tout, regarde le but »

Ce proverbe, in omnibus respice finem, revient plusieurs fois sous la plume du Fondateur, surtout en ses années de maturité. Toute sa vie il a médité les fins dernières, pour lui et pour les autres. Pour vivre dans le temps et bien y accomplir sa tâche, il lui fallait regarder au-delà du temps. Ce qu’il écrit dans la même Lettre à un Maître des novices peut convenir à tous.

Quelle lâcheté n’aperçoit-on pas dans les noviciats si, au commencement du noviciat, la vue du Ciel et le désir de posséder Dieu, qui est lui-même la vie et le bonheur éternels, ne sont pas imprimés forte­ment par les vives lumières de la foi dans l’âme de chaque novice ! [. . .]

Vous reconnaîtrez que vos élèves font des progrès dans la foi de ce 12° article du Symbole, s’ils en écoutent parler avec plaisir, s’ils prennent du courage et s’ils ne redoutent pas les lois de Jésus Christ sur le combat spirituel (D. II, n° 84-85).

Ainsi le désir de posséder Dieu relance chaque jour le courage de progresser vers lui sur les routes du Christ et de son Evangile.

Vivre la présence de Dieu

De façon plus universelle, la foi en la vie éternelle nous fait dépasser le monde des causa­lités pour saisir, au-delà et en dedans, le Dieu Amour comme origine de toute vie, comme celui qui la maintient et celui qui attire tout être créé vers Lui, en sa vie éternelle.

L’habitude de la présence de Dieu trouve ici toute sa justification. Toujours au même Maître des novices, le Fondateur écrit : Vous désirez que je vous dise mon sentiment sur la première pratique que vous avez à introduire dans le noviciat. J’y ai réfléchi souvent. Mes réflexions m’ont toujours ramené à la foi en la sainte présence de Dieu partout.

De la sainte crainte de Dieu, vient l’amour parfait auquel le religieux doit toujours tendre. ‘Marchez en ma présence, dit Dieu à Abraham, et vous serez par­faits (Gn 17, 1) (D. II, n° 117). Dieu nous fait voir notre mystère personnel en celui de l’Eglise.

Un tel regard est capable d’orienter notre histoire et de nous faire vivre dans le sens même de Jésus Christ, contemplant sans cesse son Père des cieux.

Progresser vers la plénitude : Direction et Oraison

Montrer le but à atteindre est une chose, en donner les moyens en est une autre. Le P. Chaminade s’est soucié autant de l’un que de l’autre.

La « direction » marianiste

Peut-être même était-il plus sensible à fournir les moyens et à les utiliser systématique­ment qu’à rappeler les finalités. Il savait que l’Esprit avait la plus grande part dans l’approfondissement de l’espérance eschatologique, dont Marie est le signe certain (LG. n° 68).

Quant aux moyens à mettre en œuvre, cela relève pour beaucoup de l’ouvrage de l’homme, comme il aimait à dire. En ceci, comme en bien d’autres comportements, le Fondateur s’inspirait de l’esprit de la Règle de Saint Benoît.

L’ensemble des moyens de progression spiri­tuelle portait le nom de Direction, mot qui revient très souvent chez le P. Chaminade. Par ce terme il entendait l’éducation du religieux, c’est-à-dire le soin que la Société prend de ceux qui s’offrent à elle, pour les conduire depuis le premier pas jusqu’au dernier terme de la perfection à la­quelle ils tendent (Constitutions de la SM., 1839, art. 97).

Parallèlement aux Règles et Constitutions, le Fondateur a cherché, toute sa vie, à écrire pour les siens un Manuel de direction qui devait détailler les démarches essentielles et assurer l’initiation et la progression dans la vie selon l’Esprit Saint.

Sur ce point aussi, nous n’avons en­core pas suffisamment élargi nos horizons. Même notre Règle de vie reste enfermée, au sujet de la direction, dans ce qu’on est convenu d’appeler la méthode des vertus. Pour assurer le progrès dans la vie spirituelle, il est bon de donner une importance particulière à l’enseignement du Fonda­teur sur les vertus de préparation, d’épuration et de consommation, est-il écrit au début de l’article 4.17.

Ensuite ces trois vertus sont dé­taillées. Le texte s’achève sur cette simple phrase qui in­dique une suite possible, mais sans l’intégrer dans la direction : Ces vertus nous préparent à revê­tir l’homme nouveau dans une vie en­tièrement dirigée par la foi, l’espérance et la charité.

Assurer une « Direction » complète

La vie théologale au cœur de laquelle Jésus tient une place centrale, fait, pour notre Fondateur, partie inté­grante de la Direction qu’il a voulu donner à ses deux Instituts religieux.

La vie théologale de foi, de charité et d’espérance

Dans ce domaine, l’année 1828 fut pour lui un vrai tournant. Tout en se mettant, avec le P. Jean Lalanne, à écrire les premières Constitutions de la S. M., il préparait, à Bordeaux, avec M. David Monier, son se­crétaire, un Manuel de direction qui est resté inachevé.

A lire le texte dont nous disposons (D. I. n° 1244-1290), on saisit le changement intervenu par rapport à la « méthode des vertus ». En 1829, le P. Chaminade lui-même commence à écrire un second essai de Manuel de direction qui, malheureusement, restera lui aussi incomplet (D. II. n° 1-36).

L’usage que j’en ai fait ci-dessus pour montrer la formation par le Credo, manifeste ses ri­chesses et son originalité.

Ces deux textes, celui de 1828 et celui de 1829, inauguraient donc une Direction centrée sur la vie théologale qui devait porter vers Dieu, en Jésus Christ, par l’Esprit Saint, les religieux et les religieuses Marianistes. Mais ceux-ci continuaient toujours à être ini­tiés à la vie religieuse par les vertus de préparation, d’épuration et de consommation.

La direc­tion qui devait former des « personnes libres et vraies », se trouve, à partir de 1828, complétée par une orientation approfondie vers la vie de foi, de charité et d’espérance.

La conformité à Jésus Christ, Fils de Marie

En 1829, le P. Lalanne avait achevé la première rédaction des Constitutions de la S.M. tant attendues. Là, nouvelle découverte. Il y était beaucoup question de la conformité au Christ au point que cette attitude fut présentée d’emblée comme résumant la double finalité de la So­ciété : La Société n’a essentiellement qu’un seul but, qu’un objet, qu’une seule vue et dernière fin, l’imitation la plus fidèle de Jésus Christ (art. 4).

C’est seulement en 1834 que le P. Chaminade se décide à publier le premier livre de ces Constitutions. Celles de 1839, et de la Société et des Filles de Marie, vont approfondir et développer encore cette présentation de la conformité à Jésus.

Parallèlement aux Constitutions de 1834, le Fondateur se préoccupe de rédiger, selon son habitude, un nouveau Manuel de direction. Il s’y prend à plusieurs reprises, fait divers essais, dé­veloppe tels aspects de la conformité.

Nous avons la chance de posséder ce cahier autographe du Fondateur, publié intégralement dans les Ecrits de direction, II, n° 302 à 483. C’est là qu’il nous faut chercher la meilleure expression de la pensée du P. Chaminade sur la direction qu’il veut donner à ses Instituts religieux à partir de 1835.

Après avoir recommencé jusqu’à sept fois, il termine son cahier par ce significatif Résumé des principes de direction : Jésus est vraiment le fils de Marie : ex qua natus est Jesus (Mt 1, 16). Personne ne sera sauvé, qu’autant qu’il aura une grande conformité avec Jésus Christ ; Dieu ne pré­destine personne que pour être conforme à Jésus Christ (D. II, n° 483).

Ajoutons que cette même année 1835, le Fondateur écrit ses dix Lettres à un maître des novices où se lit la même doctrine.

Cette simple évocation d’une direction qui inclut une longue initiation et une profonde vie théologale, montre donc que l’article 4.17 de notre Règle de vie mériterait une sé­rieuse ex­tension.

Pour avoir une vue d’ensemble de notre Direction telle que le Fondateur la voulait, il faut lire le schéma suggestif intitulé : Direction de la Société de Marie. Ce texte qui est de la même époque que le cahier autographe analysé ci-dessus, est publié dans les Ecrits de di­rection, I, n° 1230-1243.

Travailler « à devenir saint »

La formule, qui est de l’article 5 des Constitutions des Filles de Marie de 1839, est très ca­ractéristique du P. Chaminade. Elle vient de la Règle de Saint Benoît où le monastère est ap­pelé école du service du Seigneur (Prologue, 45). On y enseigne la route que nous devons suivre pour aller à Dieu et nous unir à lui (Chaminade, Lettres, I. 142, p. 249).

Dans cette même lettre, le Fonda­teur fait une longue comparaison entre la méthode carmélitaine et la méthode maria­niste. Leur but est le même, mais les chemins d’accès diffèrent (ERM, p. 73-76).

Pour nous, à la suite du P. Chaminade, nous faisons ce qui est en notre pouvoir pour pro­gresser dans la vertu et la sainteté. Nous savons que l’Esprit Saint répond à cette fidélité et fait en nous son œuvre divine.

Un tel choix peut avoir été suggéré au P. Chaminade ou du moins renforcé en lui par la contemplation du mystère même de l’Incarnation. Marie apporte à l’Esprit son humble personne, sa foi et sa fidélité.

Elle veut aussi comprendre, à l’intérieur de sa foi, comment va se dérouler cette initiative extraordinaire pour laquelle Dieu demande sa co­opération intelligente et libre.

Se tenir auprès de Marie et vivre comme elle, est une constante invitation à utiliser les moyens humains dans la lumière de la grâce divine. Mère du Verbe Incarné, elle favorise toutes les incarnations du Dieu saint en notre monde, désormais sauvé par Jésus.

Un moyen privilégié : l’oraison

Outre tous les moyens proposés pour la formation spirituelle et aposto­lique, l’oraison semble être le moyen privilégié sur lequel le Fondateur a insisté le plus.

Structurer tout l’être

On rencontre aujourd’hui tant de chrétiens qui veulent, avec beaucoup de bonne volonté, vivre une vie chrétienne mais qui ne disposent pas suffisamment des structures psycho-reli­gieuses de base. Leur unité intérieure reste encore trop défectueuse.

Or une telle unité est in­dispensable. Tous les moyens d’une bonne formation doivent tendre à unifier l’être du baptisé afin qu’il puisse faire offrande de soi-même au Christ en s’engageant de façon permanente à le suivre.

Cette unité si précieuse prend forme dans la mesure où les principales composantes de l’être sont liées intimement dans la charité. Pour le P. Chaminade, une démarche de base consiste à harmoniser l’intelligence, le cœur et la volonté. Cela signifie qu’il faut connaître la vé­rité par la foi, l’aimer de tout cœur et, par la force de l’espérance, l’exprimer en actes. Les moyens concrets d’une telle formation seront pour l’essentiel : instruire, méditer, agir.

Le jeune Jean Lalanne, premier chef de zèle de la première communauté de la Société, a systématiquement utilisé cette méthode dans ses Exercices spirituels. Il s’en explique clairement. Le Christ, notre Sauveur, nous a donné tous les moyens pour nous réformer.

La foi, en effet, éclaire l’esprit et dissipe ses ténèbres. La charité redresse les dérèglements du cœur et le porte vers le seul objet à qui soit dû son amour. L’espérance fortifie la volonté par la confiance en Dieu, soutient nos forces, et nous en donne par la prière, excite notre courage en nous montrant la couronne (D. I. 655).

L’unité foncière du chrétien se fait par l’action de l’Esprit de Jésus Christ et le dévelop­pement des vertus théologales. En nous orientant sur Dieu en toute notre vie, celles-ci assurent à tout chrétien une unité intérieure qui permet l’épanouissement de la vie spirituelle.

L’oraison au cœur de la vie missionnaire

Toute sa vie durant, le P. Chaminade fut un homme d’oraison. Le P. Raymond Halter sm, dans son introduction aux Ecrits d’oraison (p. 9-26), a étudié finement l’évolution historique du Fondateur, comme maître d’oraison.

Ce qui nous intéresse ici c’est le rôle que devait jouer l’oraison dans la vie des missionnaires qu’il avait fondés.

L’oraison, évangélisation de la personne

L’oraison est le temps donné à Dieu, le temps de la rencontre avec lui afin qu’il nous transforme. Cette transformation est à la fois l’ouvrage de Dieu et l’ouvrage de l’homme, comme le Fondateur le répète dans ses écrits.

L’oraison est donc une activité intérieure, priante. L’Esprit de Jésus Christ veut, durant ce temps régulier et privilégié, que l’image et la ressemblance de Dieu prennent un relief plus accentué, que l’image du Christ et sa manière de vivre deviennent de plus en plus les nôtres.

De Dieu nous recevons la grâce, sous de multiples formes, lumière, force, attirance, dé­sir ; à nous d’apporter la volonté de bien faire oraison, la disponibilité, une foi vivante qui dé­sire s’exprimer en des actes. Tel est le milieu évangélisateur pour chacun des mis­sionnaires.

Alors seulement il devient témoin vivant de l’Evangile. Nous avons à témoigner par toute notre vie que l’Evangile est encore praticable aujourd’hui et donc pratiqué effectivement par des per­sonnes et des communautés ferventes.

Sans l’oraison le travail missionnaire ne peut avoir toute sa vérité profonde. Parler du Seigneur n’est pas suffisant. Que lui s’exprime à travers nous, parce que nous lui sommes unis par une authentique vie intérieure, fruit du silence et de la prière, de l’oraison quotidienne.

Pour certains religieux actifs, cette exigence semble implanter dans leur vie une sorte de dicho­tomie : ou bien nous sommes des religieux actifs, ou bien des contemplatifs. Pour notre Fonda­teur, nous sommes les deux.

Il l’avait clairement noté dès l’article 2 des Constitutions de la So­ciété de Marie, de 1839 : La So­ciété veut autant que Dieu l’aidera, joindre le zèle à l’abnégation, le travail à la prière, et, en réunis­sant les avantages de la vie active à ceux de la vie contemplative, at­teindre les fins de l’une et de l’autre. La mission exige donc de chacun une double progression : dans la vie apostolique et dans l’oraison.

Progresser dans l’oraison

Les Ecrits sur l’oraison manifestent le souci constant du P. Chaminade de faire progresser les siens dans l’oraison.

Les plus anciens textes donnent des méthodes de méditation. Pour commencer, il s’agit de suivre normalement une méthode qui fait appel à l’esprit par des considérations, au cœur par des affections et des prières, à la volonté par des décisions simples et précises à vivre dans la journée.

Cette méthode s’apparente à celle utilisée pour les vertus à pratiquer : instruire, médi­ter, agir.

Puis apparaît une plus grande insistance sur la méditation du Christ en ses mystères. L’Evangile prend une place plus importante. Le but de l’oraison est une plus profonde confor­mité à Jésus Christ. L’union à Marie s’impose davantage dans ce genre d’oraison, car qui veut contempler le Fils a avantage à s’unir à Celle qui a médité en son cœur les paroles et les évé­nement du Sauveur.

Jusqu’ici l’oraison se développe selon un schéma ordinaire. Cependant, dès l’ouverture du noviciat de Saint-Laurent, en 1821, le Fondateur donne un Précis de l’oraison où la foi tient une grande importance : La foi est l’aile de l’oraison sans laquelle l’âme ne pourrait s’élever de la terre, ni monter au Ciel, si elle en était privée. (. . .)

Les vérités de la foi ont toutes pour objet de nous communiquer quatre connaissances : celle de Dieu, celle de Jésus Christ, celle de soi-même, celle des autres créatures (E.O. n° 354).

Comment faire oraison en s’appuyant uniquement sur la foi ? Un ensemble de douze Notas données par le P. Chaminade en 1829 environ, répondent à cette question. C’est le temps où le Fondateur oriente aussi la vie spirituelle des siens sur la foi à vivre. Dans ce texte intitulé : Oraison de foi et de présence de Dieu, toutes les explications insistent sur le rôle primordial de la foi dans l’oraison (E.O., n° 373-399).

Enfin, autour de 1841, le Fondateur donne la Méthode d’oraison sur le symbole (E.O. n° 511-584). Avec ce texte, le P. Chaminade exprime un autre sommet, celui d’unir, pour les siens, le Symbole de la foi et l’oraison.

Le Credo n’est plus une simple prière qui nous fait adhérer à la globalité de notre foi, il est le texte-source de notre oraison quotidienne. For­més selon le Credo, les missionnaires marianistes, doivent aussi puiser en ce même texte de base leur prière quoti­dienne.

Le Symbole des apôtres, si cher à notre Fondateur, lui permet, à la fin de sa vie, d’unifier la vie missionnaire. D’une source unique il fait jaillir tout le dyna­misme missionnaire des siens. Cette source est le texte le plus ancien qui, à travers les siècles, apporte à tous les baptisés la foi des Apôtres, celle de Marie, celle de l’Eglise universelle.

Le missionnaire marianiste

La direction et l’oraison, comme moyens privilégiés, n’ont qu’un seul but, former le visage du missionnaire marianiste tel que les Constitutions le décrivent. En résumé, on peut le présen­ter ainsi.

Avec Marie, Vierge Immaculée, il est au service de la Foi en Dieu, en Jésus Christ, en l’Esprit Saint, dans l’Eglise. Grâce à sa vie de foi et d’oraison, il devient de plus en plus conforme à son Maître et Ami, Jésus. Aussi peut-il être son témoin.

Avec Marie, Mère de Dieu et des hommes, il est au service de la Charité, dans l’Eglise de la charité, communauté de vie et de témoignage. A travers sa vie communautaire et person­nelle, il est appelé à manifester au monde l’Evangile du Christ Sauveur.

Au nom de Marie, coopératrice de l’Esprit Saint, il est actif au service de l’Espérance chrétienne dans l’Eglise en route vers sa plénitude. Son dévouement dans des missions stables et permanentes, lui permet d’être au service de l’Esprit de la Pentecôte qui renouvellera la face de la terre.

« Un homme qui ne meurt pas »

Le Fondateur voulait que tous soient, avec lui, missionnaires. De même il voulait que les méthodes qui ont fait leurs preuves, soient transmises de génération en génération.

L’expérience nous a fait comprendre à cet égard, que, pour un Directeur de Congrégation, il faut un homme qui ne meure point, c’est-à-dire une société d’hommes qui se seraient donnés à Dieu pour cette œuvre, qui la rempliraient dans la maturité de leur âge, après s’y être formés sous la sainte obéissance, et qui se transmettraient les uns aux autres le même esprit et les mêmes moyens (E.F. III, p. 242, Ré­ponse aux difficultés, etc., 1824).

Une fois encore la grâce missionnaire du P. Chaminade se ré­vèle à nous comme une grâce charismatique, une grâce destinée à toute l’Eglise : il voulait ses missionnaires pour toujours au service de l’Eglise.

La supplique de 1838

A la fin de sa vie, le Fondateur exprime clairement sa volonté de voir la mission, telle qu’il l’avait initiée en 1800, continuer après lui. Avec son profond sens de l’Eglise qui l’a envoyé comme Missionnaire apostolique en 1801, il va, une seconde fois, se tourner vers Rome.

Contenu de la supplique

Le 16 septembre 1839 sont rédigées les diverses suppliques au Pape Grégoire XVI en vue d’une éventuelle approbation des Constitutions des deux Instituts religieux. L’une de ces sup­pliques demande plusieurs faveurs au Saint-Père.

La première est libellée comme suit : Le Fondateur et Supérieur général de la Société de Marie, Missionnaire apostolique, (. . .) a l’honneur de La supplier (. . .) de lui accorder les faveurs suivantes : 1. Pour ses successeurs, le titre et la qua­lité de Missionnaire apostolique, dont il a le bonheur d’être lui-même (. . .) (LC. IV. 1075, p. 372).

Le texte est sans équivoque. Le P. Chaminade dit clairement, à deux reprises, qu’il est lui-même Missionnaire apostolique. Il ne demande donc rien pour lui mais, comme il le souligne lui-même, pour ses successeurs il demande le titre et la qualité de Missionnaire apostolique.

Sens de la supplique

Visiblement le P. Chaminade veut obtenir que tous ses successeurs soient revêtus du même titre et de la même qualité que lui, qu’ils soient, durant leur généralat, comme lui, Mis­sionnaires apostoliques.

Le fait de faire cette demande précise montre combien le Fondateur tenait lui-même à cette qualité de Missionnaire apostolique. Toute cette étude a permis de sai­sir tout le sens qu’il y attachait et tout le dynamisme qu’il en retirait pour l’accomplissement de sa mission.

Ce qui fut donc à l’origine de sa propre mission, depuis son retour de Saragosse, doit continuer après lui. Que chaque Supérieur général soit, comme lui, ce que lui-même a été.

On sent que ce n’est nullement un titre honorifique qui est demandé ici, mais la continuation d’une mission commencée il y a trente-huit ans, fondée actuellement sur des bases solides, incarnée par des hommes et de femmes formés à cette tâche et consacrés à Dieu en vue de l’accomplir.

Le Fondateur veut donner à sa grâce charismatique de Missionnaire une assise ecclésiale, comme ce fut le cas pour lui-même.

La réponse de Rome

La réponse arriva le 3 décembre 1839. Elle ne correspondait pas totalement à ce que le P. Chaminade avait demandé dans sa supplique.

Contenu de la réponse

En voici le texte : Par la teneur de ces lettres, en vertu de Notre autorité apostolique, nous décorons et revêtons à perpétuité du titre de Missionnaire apostolique, avec jouissance de tous les privilèges attachés à cette qualité, notre cher Fils Chaminade, prêtre de Bordeaux, Supérieur Général de la Société de Marie et tous ceux qui lui succéderont dans cette charge.

Deux remarques sont à faire sur ce texte. Tout d’abord, le P. Chaminade est lui-même nommé Missionnaire apostolique, alors qu’il l’est depuis le début du siècle. Il avait signalé ce fait dans la supplique. Y a-t-il eu mauvaise compréhension de celle-ci ?

La réponse aurait-elle été rédigée sans que le rédacteur ait eu sous les yeux la supplique ? En tous cas, nous sommes devant une incompréhension.

Autre remarque sur le vocabulaire utilisé. Le titre, sans qualité, semble ici honorifique, de l’ordre d’une décoration. Nous décorons, dit le texte. Entre 1800 et 1839, Rome ne considère plus les Missionnaires apostoliques de la même manière.

De toute façon, la nomination du P. Chaminade, au début du siècle, était liée, du moins en partie, à sa charge d’Administrateur du diocèse de Bazas. Elle avait cependant une extension universelle, ce que n’a pas la nomination de 1839.

Interprétation donnée par le Fondateur

Nous avons essayé ci-dessus de saisir le sens de la supplique adressée à Rome. Tout nor­malement le P. Chaminade donne à la réponse du Saint-Siège l’interprétation missionnaire qui a inspiré toute sa vie de Fondateur.

Dans une circulaire aux prêtres de la Société de Marie, il ré­sume cet enseignement. Ce texte important peut servir aussi de conclusion à cette étude.

Vous admirerez surtout l’insigne privilège accordé à tous les Supérieurs généraux mes succes­seurs. Le titre et la qualité de Missionnaire apostolique, dont j’ai l’honneur d’être revêtu moi-même, leur rappellera à jamais, ainsi qu’à vous, que notre œuvre est une mission, un écoulement et une participation de l’apostolat de Jésus Christ.

Nous sommes tous missionnaires ; les simples Frères laïques et les religieuses Filles de Marie sont aussi missionnaires : tous missionnaires catholiques, avoués du Saint-Siège.

Notre mission est donc participation de l’apostolat de Jésus Christ et en même temps nous sommes tous missionnaires catholiques, avoués du Saint-Siège.

Le Fondateur n’a jamais séparé l’esprit de la lettre, l’origine spirituelle de l’insertion ecclésiale. Notre mission prend racine dans celle du Christ, envoyé par le Père (Jn 20, 21) et elle nous est transmise et authentifiée par l’Eglise.

La transmission ecclésiale passe par le Supérieur général. Il fallait donc que le premier Su­périeur, dont les prêtres et les laïques, soit de la Société, soit de l’Institut, ne sont sous ce point de vue que les vicaires ou les délégués, fût plus spécialement avoué du Souverain Pontife, et reçût de lui le caractère sacré de la mission qu’il exerce de sa part, par lui-même et par les siens, dans l’Eglise de Dieu.

Voilà pourquoi j’ai demandé cette faveur, et voilà ce qu’elle signifie dans la pensée du Bref pontifical.

Comme l’Eglise est missionnaire de par sa dépendance de Jésus Christ, ainsi la Famille de Marie est toute entière missionnaire à l’intérieur de l’Eglise et à son exemple.

Les fonda­tions du P. Chaminade, en se groupant autour de Marie et en faisant alliance avec elle, sont à l’image de l’Eglise qui est à la fois mariale et missionnaire, comme le rappelle fortement Vati­can II dans Lumen Gentium.

Le Missionnaire apostolique, G.-Joseph Chaminade pouvait mourir. Il a tout fait pour qu’il ait toujours un successeur qui soit Missionnaire apostolique.

Ainsi pouvait continuer, dans les deux Instituts religieux et par eux dans le laïcat, le caractère sacré de la mission, une sorte de confirmation ecclésiale que nous sommes tous missionnaires et Missionnaires de Marie, à la suite du P. Chaminade et en fidélité avec lui.

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