Monsieur Stoffel était professeur de troisième latine et s’acquittait de sa tâche à la satisfaction générale. C’était un érudit ayant des connaissances aussi solides que variées, et ce qui vaut mieux, un maître comme le père Wertz, dans l’art d’en faire profiter ceux qui avaient le bonheur d’être de ses élèves.

Au physique, il était grand, maigre et chauve. Les quelques cheveux qui lui restaient, paraissaient plutôt châtins et ses yeux vifs et bleus se dissimulaient derrière d’énormes lunettes, car il était un peu myope et avait cette gaucherie des myopes qui ne va pas sans grâce, lorsqu’il avait oublié ses yeux supplémentaires. C’est lui, je cite ce détail entre mille, qui mettait ses lunettes « pour mieux entendre la fanfare ».

Il parlait beaucoup et très vite, en un langage toujours correct et sans le moindre accent alsacien. Il s’efforçait d’employer le mot propre, l’expression juste, mais la langue lui fourchait quelquefois et il trouvait de délicieuses excuses pour expliquer ses bévues.

C’était un homme précis, un vrai chronomètre fait homme : « Je me suis réveillé à minuit moins une minute, » ou bien, « C’était en 1875, le 5 janvier, à trois heures moins sept de l’après-midi. »

Il rappelait, dans la conversation, un de nos anciens professeurs et non des moins distingués, Monsieur Jean Mistler.

Comme lui, il causait avec volubilité en gesticulant beaucoup. Comme lui, il dissertait avec compétence, sur tout et à propos de rien. Ce n’était pas du pédantisme, mais un besoin naturel d’expansion.

Les évènements contemporains ne le laissaient pas indiffèrent, il faisait de la politique transcendante et professait à l’endroit de l’autorité, d’où qu’elle vienne, un esprit de soumission très mitigé.

Il n’était pas révolutionnaire, mais il avait le génie de la critique, par tempérament, par besoin, par nécessité. Sa Grandeur Monseigneur de Besançon ne trouvait même pas grâce à ses yeux. Certain jour qu’il  était venu en tournée de confirmation à Saint-Remy, M. Stoffel commenta longuement son discours et celui du vicaire général, sans âpreté d’ailleurs, disséquant leur prose comme il eut fait d’un morceau choisi de Fénelon ou de Bossuet.

Il débordait de vie et d’activité, s’agitait presqu’à l’égal du père Wertz, se mêlait aux jeux et adorait la pelotte et le ballon.

En récréation, il était toujours tête nue sous prétexte que c’était très bon pour les cheveux ! Et il le disait très sérieusement.

Il n’aimait pas d’ailleurs que l’on plaisantât sa calvitie  et quand il entendait prononcer autour de lui le mot : caillou, il dressait instinctivement la tête en pensant aux absents.

On aurait toujours cru qu’il était en ébullition ou qu’il contenait dans ses flancs quelques minuscules Mont Pelé. Il soufflait toujours, même à l’état de repos, comme une locomotive avant de se mettre en marche et il se passait volontiers la main en un geste énervé sur la surface de son occiput, lisse comme un miroir, comme pour s’assurer qu’il n’y avait pas de fissure ou de danger d’éclatement.

SOUVENIRS DE ST REMY HAUTE SAONE (E. BERGERET) n°05, 1906, pp 1-2, 21/11/013

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