Avec Guillaume-Joseph Chaminade et Adèle De Trenquelléon, missionnaires marianistes dans un monde nouveau
C’est bien-sûr intentionnellement que j’ai emprunté le titre de cet entretien au thème de l’année Chaminade. C’est dans ce contexte que nous parlons aujourd’hui et c’est en hommage à notre Fondateur que nous voulons mieux répondre à notre vocation dans l’Église aujourd’hui, en tant que Famille marianiste.
Ce qui s’est déjà passé tout au long de cette année est extrêmement encourageant : nous avons tous été témoins de l’enthousiasme qu’a éveillé dans les cœurs partout dans le monde cette célébration.
Aujourd’hui, notre Fondateur parle au cœur des hommes et des femmes de toutes les cultures et de tous les milieux, comme il l’avait fait à Bordeaux en son temps. Qu’il nous donne donc, à nous aussi, de lui répondre aujourd’hui avec le même enthousiasme qui a animé ses premiers disciples.
Ce moment que nous vivons aujourd’hui est le point de convergence de toute la préparation que nous avons vécue au cours des quinze derniers mois au sein des quatre branches marianistes de France, il veut nous aider à poursuivre avec plus de précision et de force sur notre chemin commun, au service de la population et de l’Église de France.
Ce que je vais dire maintenant est tout d’abord le fruit des réflexions que vous avez faites en réponse à l’enquête qui a été excellemment résumée par le Père Léo et nous pouvons l’en remercier car ce document pourra nous servir pour notre réflexion ces deux jours, mais aussi par la suite comme un état des lieux de la Famille marianiste de France : ses richesses, ses pauvretés et les appels qu’elle reçoit dans la situation actuelle de la société et de l’Église.
J’ai structuré tout cela aussi selon mes intuitions et ma propre réflexion ; j’espère que vous trouverez ici non seulement un écho de votre préparation, mais aussi quelques idées neuves qui pourront vous aider à poursuivre la réflexion. Volontairement, je fais peu de propositions concrètes car je pense que c’est à vous d’y réfléchir ; mon objectif est plutôt de vous donner quelques critères pour orienter votre propre recherche.
J’ai conscience d’accorder une place assez importante à l’évocation historique de l’époque du Père Chaminade et de Mère Adèle, j’espère que ce ne sera pas trop, mais les discussions qui suivront pourront sans doute aisément rétablir l’équilibre s’il en était besoin, d’autant plus que vous connaissez mieux le terrain social et religieux de la France où je ne vis plus depuis neuf ans maintenant.
Nous nous situons au cœur de l’année Chaminade, mais aussi dans la période de préparation immédiate du prochain Synode des évêques à Rome qui traitera de la nouvelle évangélisation et nous ne pouvons pas ne pas nous intéresser de très près à cet événement.
Nous sommes aussi dans la préparation des Chapitres généraux de nos deux congrégations qui auront lieu à Rome en juillet 2012. Que toutes ces perspectives nous accompagnent et nous orientent.
Je dois m’excuser dans cet exposé de peu citer Mère Adèle, d’abord parce que je la connais moins bien que le Père Chaminade, et je le regrette, mais aussi parce que je me suis laissé orienter par le jubilé que nous célébrons cette année. On peu certes distinguer assez clairement leur apports respectifs à la fondation de la Famille marianiste, mais il est aussi certain qu’il y a une convergence totale de ces deux sensibilités et intuitions au service d’un même projet tout à la foi unique et pluriel. Je pense donc que Mère Adèle ne sera pas trop perdue dans ce que je vous dirai !
Je commencerai dans une première partie par décrire quelques caractéristiques de notre temps qui me semblent influencer tout particulièrement notre vie de chrétiens, puis je tenterai de répondre à la question qui m’a été posée en voyant comment notre charisme nous permet de répondre à ces défis nouveaux de notre époque, puis notre discussion et notre travail élargiront tout cela, et sans doute le corrigeront, par toute la richesse de l’expérience de chacun d’entre vous.
Un monde nouveau
Comme le dit très bien Jean-Claude Guillebaud dans son article que vous avez probablement lu, l’homme a toujours eu l’impression de vivre en une époque nouvelle ; cette perception semble intrinsèque à notre rapport au temps et au changement.
Néanmoins, occupons-nous quelque peu de ce qu’il peut y avoir de nouveau à notre époque.
Un village recomposé
Les distances ont changé par l’effet des communications modernes
Je repense souvent à cette publicité d’une marque bien connue d’ordinateurs (IBM) qui avait fait choc en son temps : le monde-village. On peut se demander si cette publicité n’avait eu cet impact précisément parce qu’elle décrivait ce qui était en train de nous arriver.
Le monde a changé de taille ; mes « voisins » sont devenus de plus en plus nombreux, « lointains » géographiquement mais proches par les moyens de communication moderne.
Les distances matérielles sont devenues relatives. Il ne me faut pas tellement plus de temps pour aller de Paris à Lyon que de Pontoise à Melun. Les moyens de transport modernes ont changé les voies de communication privilégiées. Une vidéoconférence rassemble des personnes des cinq continents.
La sensation de proximité que nous avons les uns par rapport aux autres en est modifiée.
1.2. La perception du temps est elle aussi touchée : si je dois passer sept heures dans le train, je trouve le temps interminable ; quand nos confrères du Népal vont rejoindre leurs confrères du sud de l’Inde pour leur assemblée annuelle, ils passent eux quatre jours dans le train. Quand j’envoie un message, j’attends la réponse dans la journée, s’il est indiqué urgent, j’attends que mon correspondant, toutes activités cessantes réponde dans l’heure. Il arrive que quand vous envoyez un mail votre correspondant décroche son téléphone pour vous appeler dans les deux ou trois minutes qui suivent. Rien ne peut attendre et pourtant les arbres et les enfants ne poussent pas plus vite qu’avant.
1.3. Les brassages de population au niveau mondial se font sentir dans notre vie quotidienne. Dans l’immeuble où vit mon père les trois autres appartements de son palier sont occupés, les deux premiers par deux jeunes français mariés chacun à une chinoise et le troisième par une famille pakistanaise ; la communauté paroissiale la plus proche est tout à fait multiculturelle avec une progressive croissance de la proportion de chrétiens originaires d’Afrique ou des caraïbes. Nous faisons l’expérience nouvelle d’une société multiculturelle où les traditions sont multiples.
1.4. Ces nouvelles réalités offrent beaucoup de richesses mais aussi posent des questions nouvelles. Si les modes de communication se sont multipliés, les relations de proximité se sont plutôt affaiblies, sans doute en partie à cause de l’espace occupé par les nouveaux moyens de communication ; plusieurs d’entre vous l’ont fait observer dans vos réponses à l’enquête (cf. 2.1.). La solitude est une grande réalité aujourd’hui et sans doute l’une des pauvretés majeures de notre époque. La multiplication des communications ne comble pas le manque relationnel que beaucoup expérimentent.
1.5. La famille : forces et faiblesses.
Elément de base de la société, la famille est au cœur de toutes ces évolutions.
Elle souffre de ce qui la fragilise dans la société actuelle : les difficultés de communication, le primat de l’économique et du rendement, l’instabilité sociale à beaucoup de niveaux (travail, formation, économie, …).
Elle doit se réinventer au milieu des évolutions : image de l’homme, de la femme, répartition des rôles homme/femme, rythme de travail dans le couple, conception du corps et de la sexualité,
Contrairement à ce qu’auraient pu laisser prévoir les perspectives dessinées par l’évolution des quarante dernières années, elle est la valeur la plus fortement plébiscitée aujourd’hui, la plus aimée et désirée[1].
Parmi les pays d’Europe occidentale et du Nord, la famille française est aussi l’une de celles où il y a le plus d’enfants ; en 2002, le taux de fécondité en France était de 1,88, derrière l’Irlande (2,01), mais largement devant la Grèce et l’Espagne (1,25) et l’Italie (1,27).
Invité, en 2011, pour assurer une conférence de Carême du diocèse de Grenoble, Xavier Lacroix intitulait sa présentation : « Famille et mariage : des valeurs sûres » et la désignait comme « premier lieu de solidarité (…) elle est à la fois le lieu des plus grandes joies et des plus grandes souffrances. (…) Elle peut être aussi le lieu de l’égoïsme collectif, de l’esprit de clan, du culte de la richesse, du patrimoine, du nom… »[2]
Ses forces ne doivent donc pas cacher sa fragilité et sa vulnérabilité. Elle est touchée par toutes les difficultés et souffrances de notre société. Le taux de divorce qui est d’ « un mariage sur trois, voire un mariage sur deux dans les grandes villes » en est un signe éloquent[3].
Xavier Lacroix écrit aussi : « elle est le premier lieu des crimes de sang, d’abus sexuels, de mauvais traitements.
Au vu des chiffres, il m’arrive parfois de dire que la famille est l’endroit le plus dangereux du monde »[4]. Sa grande popularité ne doit pas cacher sa difficulté à résister aux pressions multiples qui sont exercées sur elle.
Elle nécessite une attention et un appui particulièrement important pour continuer à inspirer avec la même force les générations à venir et pour que les aspirations portées par le plus grand nombre ne soient pas être cruellement contredites par la réalité vécue.
En conclusion de ce premier chapitre, je voudrais poser quelques questions :
- La première est : « qui est mon prochain ? », vers qui dois-je prioritairement me tourner. Les communications modernes nous demandent certainement de repenser la hiérarchie qui s’est installée dans nos relations en partie sous leur influence.
- « quelles sont les vraies conditions d’une communication ? »
- Est-ce que j’accueille les possibilités nouvelles qui naissent de ce village nouveau, en particulier les nouveaux canaux de dialogue (cf. 2.2-3.), le multiculturalisme ?
- Quelle peut-être notre responsabilité particulière dans le soutien et l’accompagnement de la famille, en particulier de la famille chrétienne ?
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