La spiritualité marianiste et l’éducation

(Roger Bichelberger à l’équipe enseignante de Petit Val, Sucy en Brie, un jour de prérentrée)

Parler de spiritualité marianiste un jour de rentrée, alors que les esprits des professeurs sont tout entiers requis par des questions d’emploi de temps, de programmes, d’élèves nouveaux, n’est-ce pas une gageure ? Peut-être pas, quand on sait que l’établissement dans lequel on en parle est une école marianiste et que, peut-être, on n’y enseigne pas tout à fait de la même façon qu’ailleurs.

Moi-même, qui ai été professeur de première terminale dans un établissement public, sans doute n’ai-je jamais enseigné que pétri par cette spiritualité-là et peut-être mon enseignement en a-t-il été différent. Mes élèves en tout cas n’ont pas eu à s’en plaindre.

Vous avez, chers collègues, choisi d’enseigner dans un établissement marianiste. Certains d’entre vous le font de longue date (et je n’aurai pas grand chose à leur apprendre) ; d’autres sont nouveaux – et peut-être étonnés qu’on leur parle d’une manière d’enseigner différente.

Le pédagogue n’est-il pas le ‘porteur de lanterne’ qui accompagne et conduit (voir Montaigne) ? Si la lumière de la lanterne est sûre, le chemin n’en sera que plus sûr. C’est d’une telle lumière qu’aujourd’hui je voudrais vous parler, en osant parler de spiritualité marianiste.

J’évoquerai donc successivement :

  • Brièvement, les figures des fondateurs Chaminade et Adèle de Batz de Trenquelléon ;
  • les sources de leur spiritualité ;
  • le contenu de cette spiritualité (le ‘corpus’) ;
  • l’intérêt de cette spiritualité pour nous aujourd’hui, et en école aujourd’hui.

Les fondateurs de la spiritualité marianiste

Il s’agit, vous le savez, de Guillaume-Joseph Chaminade, béatifié l’année dernière, et d’Adèle de Batz de Trenquelléon. Tous deux ont vécu aux 18ème/ 19ème siècles, ont traversé la tourmente révolutionnaire, ont connu l’exil et sont rentrés en France avec la ferme volonté de rechristianiser le pays.

Leur intuition principale à tous deux a été l’alliance avec Marie au service de la mission et le primat du laïcat en vue de cette mission. Religieuses et religieux ne naîtront qu’ensuite, et pour l’animation des communautés de laïcs en premier lieu.

Brève notice sur les sources de la spiritualité chaminadienne

Le P. Chaminade, enfant du 18ème siècle, est encore tout imprégné de la richesse spirituelle du Grand Siècle (le 17ème) et des siècles précédents. Comme principales sources d’inspiration, on distingue chez lui :

  1. l’Ecriture ( la Parole de Dieu) La Tradition (Pères de l’Eglise)
  2. L’Ecole française de spiritualité Le Jansénisme
  3. Certains prédicateurs Les jésuites et autres courants
  4. La Liturgie

L’Ecriture

  • référence constante : il veut fonder la Foi sur la Parole de Dieu
  • il s’appuie notamment sur l’Ecriture pour parler de Marie (cf le « sola scriptura » des protestants) = influence de la pression de la Réforme sur les théologiens
  • la doctrine de saint Paul affleure dans tous ses écrits
  • il cite abondamment des Textes de la Première et de la Seconde Alliance (Ancien et Nouveau Testaments)

La Tradition : les Pères de l’Eglise

  • Chaminade les cite fréquemment (il puise souvent dans des ouvrages de citations)
  • Les Pères les plus cités : Ambroise, Augustin, Jean Chrysostome, Jérôme, Tertullien ; ensuite : Cyprien, Basile, Cassien, Clément d’Alexandrie, Origène…
  • Saint Augustin est un des maîtres spirituels incontestés de Chaminade (influence manifeste et positive dans ‘la conformité au Christ’)

L’Ecole française de spiritualité

Ses thèmes = esprit de religion théocentrique, christocentrisme mystique, exaltation de la vocation sacerdotale chez Bérulle (1572-1629) :

  • sens de l’absolu de Dieu
  • nécessaire disposition du chrétien à l’adoration
  • contemplation du Verbe incarné
  • adhésion totale aux attitudes intérieures de Jésus + totale abnégation du moi

Autres membres ‘influenceurs’ :

. Jean-Jacques OLIER (16087-1657) : Chaminade s’en inspire parfois

. Jean Eudes (1601-1680) : au centre de sa doctrine, l’ « oraison du cœur » en vue d’une plus grande conformité à Jésus Christ

Plusieurs membres de cette ‘Ecole Française’ ont contribué à restaurer « la dignité chrétienne de l’état laïque ». Chaminade s’en souviendra, de même qu’il se souviendra des ‘congrégations mariales’ qui connaissaient déjà un grand succès.

Le Jansénisme

On trouve dans certains écrits de Chaminade un relent de pessimisme provenant des excès de Port Royal et du Jansénisme. Saint Augustin y était à l’honneur et l’on considérait l’abbé de Saint-Cyran comme le ‘nouvel Augustin’. Mais de fausses interprétations de St Augustin y avaient cours, présentant un Dieu redoutable, qui sauve ou condamne selon son bon plaisir, sans aucune ‘contribution’ de l’homme.

Chaminade en a hérité un regard un peu pessimiste sur la nature humaine (qui est d’ailleurs aussi celui de M. Olier), et la conviction qu’il faut mourir à soi-même, s’anéantir, pour mener une vraie vie spirituelle. Mais il dira cependant un jour : « On ne meurt que pour vivre » (mort-résurrection du Christ).

Certains prédicateurs

Parmi les prédicateurs qui ont influencé Chaminade, on trouve : Bossuet, Bourdaloue, Massillon…

Il s’en inspire souvent en ce qui concerne la Vierge Marie.

Les Jésuites et autres courants

. dès son jeune âge, Chaminade a été formé par son frère Jean-Baptiste, ancien jésuite ; aussi l’influence ignatienne se fait-elle sentir dans les textes relatifs à la vie spirituelle ;

. autres courants : Saint-Sulpice, Le Carmel…

La liturgie

  • importance, pour lui, des sacrements d’initiation chrétienne : Baptême et Confirmation. Les vœux du baptême feront corps avec l’engagement de la consécration-alliance.
  • Il aimait les beaux offices favorisés par l’Ecole française.
  • Les temps liturgiques, en particulier le Carême, lui importaient.
  • La pénitence (résurrection) et l’Eucharistie étaient longuement expliquées…

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« Corpus » de la spiritualité marianiste (son contenu)

Une spiritualité commune à tous les disciples de Chaminade et d’Adèle

Guillaume-Joseph Chaminade, en effet, a laissé aux siens, à travers ses nombreux écrits adressés tantôt aux uns, tantôt aux autres, quelque chose comme une « méthode spirituelle » pour tous.

D’après le P. Jean-Baptiste Armbruster, sm, on peut distinguer trois étapes dans l’élaboration de cette « spiritualité ».

Durant une première période – 1815-1828 -, « avec un certain esprit de systématisation », Chaminade a proposé à ses disciples ce qu’ils ont appelé « la méthode des vertus » : un ‘système’, comme on a dit parfois, « destiné à rendre la personne plus libre, à l’ouvrir à une meilleure connaissance d’elle-même en vue de suivre le Christ dans sa vie d’amour de Dieu et du prochain durant sa vie terrestre. »

Il s’agit surtout de ‘vertus morales’ que le fondateur répartissait entre les vertus de préparation, les vertus d’épuration et les vertus dites de consommation. Un exemple seulement :

Dans les vertus de préparation, il place les cinq silences (parole, comportement, esprit, mémoire, passions) qui favorisent la maîtrise de soi, le recueillement et le support des mortifications, comme moyen « d’humanisation et de divinisation des difficultés inhérentes à la vie humaine ».

Les cinq silences, par exemple, ne vont pas sans implications pédagogiques. Pour ne prendre que l’exemple du silence de la parole.

Ces vertus, inspirées de la Règle de Saint Benoît et de l’Ecole française de spiritualité, ne sont évidemment qu’un point de départ, une mise en condition. Elles ne sont que la première étape. Il ne faut pas en faire le centre ou le ‘noyau dur’ de la spiritualité chaminadienne.

Au cours d’une seconde période – à partir de 1828-29 -, Chaminade entraîne son disciple sur un chemin autrement plus important. Il s’agit à présent du cœur même de la foi qu’il convient de découvrir, et ce grâce à la « foi du cœur ».

C’est ainsi qu’il souligne l’importance du Credo, source de toute vie de foi. Et il invite les siens à revenir sans cesse sur ce Credo, jusqu’à faire oraison avec lui.

Il les invite également à transformer leur foi en « foi du cœur », en « foi d’amour », comme il aimait à dire. « La foi du cœur fait aimer ce que l’on croit » et elle transforme en profondeur le regard du croyant et sur Dieu, et sur le monde, et sur lui-même. La foi ne peut donc aller sans l’amour (charité) et « l’espérance apporte à la foi du cœur une nouvelle dimension : la perspective eschatologique ». Elle est une véritable « relation d’amour » avec les personnes divines, Père, Fils et Esprit Saint.

Il s’agit donc d’une pressante invitation à approfondir sa foi (à travers l’approfondissement des vertus théologales) en vue d’une conformité plus grande au Christ ressuscité.

Une troisième période, moins facile à situer dans le temps parce qu’étroitement imbriquée à la seconde (elle prend forme cependant aux alentours de 1834), invite à aller encore plus loin. Chaminade veut désormais orienter « la vie spirituelle des siens vers la conformité la plus parfaite avec Jésus, fils de Marie ». Cette conformité apparaît comme le couronnement de toute la ‘méthode spirituelle’ du P. Chaminade.

Les racines de cette conformité, il les trouve dans les Ecritures elles-mêmes et il les développe longuement dans ses écrits.

Pour que cette conformité puisse croître en nous, le Fondateur nous propose tout d’abord «  d’entretenir dans notre cœur une relation privilégiée d’admiration et d’amour envers Jésus-Christ, Fils de Dieu devenu Fils de Marie pour sauver toute la création »; il nous propose ensuite d’ « aimer à nous tenir, avec la Mère de Jésus, son disciple bien aimé et toute la famille marianiste, près du Christ en croix », parce que le mystère pascal est le cœur de toute vie de conformité à Jésus ; il nous invite enfin à nous engager en Eglise, ensemble, à développer un monde plus fraternel.

Et c’est Marie, la Mère, qui va nous rendre de plus en plus conformes à son Fils, elle qui «y correspondait avec une entière et parfaite fidélité ». C’est avec Marie et en Marie que nous avons à travailler à cette conformité, puisque « c’est dans le sein de Marie que Jésus-Christ a bien voulu se former à notre ressemblance (et que) c’est là pareillement que nous devons nous former à la sienne » (ED II 338).

Chaminade nous engage sur la voie – non de la perfection – mais de la sainteté. N’est-elle pas le but ultime de toute vie chrétienne (voir de toute vie)? Et il nous engage à présenter au monde « le spectacle d’une peuple de saints » – car, dans ce monde, la Famille marianiste a une mission à remplir.

Une même mission pour tous

La Famille marianiste doit être, dans le monde, un vivant témoin de l’incomparable amour de Dieu pour les hommes, un témoin « contagieux », d’où l’importance précisément de présenter au monde le spectacle d’un peuple de saints. En effet, cet amour dont nous brûlons et qui nous brûle, n’est-il pas LA Bonne Nouvelle que Jésus le Christ est venu annoncer aux hommes de tous les temps ?

Cette famille a donc une vocation essentiellement missionnaire et Chaminade ne cessait de répéter : « Nous sommes tous missionnaires » et, dans sa lettre fameuse du 24 août 1839, il ajoutait que le témoignage de ses disciples doit atteindre « toutes les classes, tous les sexes et tous les âges, mais le jeune âge et les pauvres surtout » (30).

Il savait aussi que, cette mission – si grande, si magnifique fût-elle, comme il le dit lui-même -, nous n’aurions jamais la force de l’accomplir par nos seuls moyens. Aussi nous propose-t-il de faire alliance avec Marie, une alliance centrale dans sa spiritualité..

Il était convaincu que, devant « la grande hérésie régnante qu’est l’indifférence religieuse, qui va engourdissant les âmes dans la torpeur de l’égoïsme et le marasme des passions » (11), « la puissance de Marie n’est pas diminuée… », qu’ « elle est, aujourd’hui comme autrefois, la Femme par excellence, cette Femme promise pour écraser la tête du serpent », et qu’ « à elle est réservée de nos jours une grande victoire », qu’à « elle appartient la gloire de sauver la foi du naufrage dont elle est menacée parmi nous » (12).

Il nous faut donc « offrir à Marie nos faibles services, travailler à ses ordres et combattre à ses côtés ». Chaminade demande à sa famille d’être prête « à voler partout où elle nous appellera… pour étendre le royaume de Dieu »(14).

Voilà la raison pour laquelle il nous propose de contracter alliance – ce sont des termes qu’il emploie -, avec elle. « Ce contrat est sacré, s’écrie-t-il, il est fécond en bienfaits pour nous ». Voilà la raison pour laquelle il a donné comme devise à ses disciples le mot de Marie aux servants à Cana : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ! ».

Les propositions de Chaminade sont d’une étonnante nouveauté et d’une valeur qui n’a pas cessé d’être actuelle.

L’originalité et la valeur de la pensée et de l’action du Bienheureux Chaminade, un homme pour notre temps.

Jean Paul II, lors de la béatification, a proposé Chaminade comme modèle aux fidèles laïcs, les invitant à inventer, comme lui, de nouvelles manières d’annoncer la Bonne Nouvelle aux hommes d’aujourd’hui, et surtout à ceux qui sont loin de l’Eglise. En quoi nous autres, membres de la communauté éducative de Petit Val, sommes-nous concernés ?

Parmi les propositions de Chaminade, j’en retiendrai sept, que je qualifierai de Sept Appels de Chaminade. Des appels lancés avec une grande audace. Chaminade, aujourd’hui comme hier, ose l’à-venir.

Le premier appel nous invite à entrer résolument dans le monde de notre temps, comme il le fit, lui, pour le sien

Lui qui écrivait, dans une lettre de 1830, qu’il faut « faire attention au monde où nous sommes », il a su utiliser jusqu’aux apports de la Révolution française – et jusqu’à sa devise : liberté, égalité, fraternité – , en fondant la Congrégation ou ses Ordres religieux (union de tous – sans confusion -, égalité de tous [dans la Société de Marie par exemple], fraternité). Selon le P. Ottano, il y voyait « un vent de régénération en accord avec l’Evangile », sachant bien par ailleurs que « l’Evangile est encore praticable aujourd’hui comme il y a 1800 ans ».

Tout cela, il l’a fait dans la logique qui était la sienne, à savoir une logique de l’Incarnation. Selon le P. Roten, tout marianiste devient à son image un « obsédé de l’incarnation », plongé au cœur de la réalité de son temps.

Pour mieux faire pénétrer l’Evangile dans le monde qui était le sien, il a su avoir recours, selon le P. Benlloch, à une ‘technique apostolique de choc’, imaginant une structure nouvelle et souple (la congrégation), imaginant (comme le fera l’Action Catholique plus tard) une évangélisation du milieu par le milieu et mettant au service de cette évangélisation des idées neuves : selon le P. Benlloch, il s’agit d’une « révolution à l’intérieur de l’Eglise, d’une révolution au divin… », grâce à « une stratégie d’expansion sans peur ni réserve », une stratégie qui a recours, selon Benlloch toujours, à « la contagion du bien à travers des ondes expansives », … à une méthode « d’irradiation, de captation, d’intégration ».

Pour nous, éducateurs, quelles implications ?

  • accepter notre monde lucidement, tout faire pour le bien connaître, voire l’aimer ;
  • l’épouser en quelque sorte, pour mieux le changer de l’intérieur ;
  • accepter les jeunes qui nous sont confiés, tels qu’ils sont : prendre en compte leur modernité, leurs aspirations, leur ‘conditionnement’ ;
  • nous accepter les uns les autres avec nos différences, nos richesses, nos faiblesses ;
  • pas de vaine nostalgie de l’école d’autrefois (Ah, quand il y avait les sœurs…)
  • employer les nouvelles méthodes (vieilles outres et vin nouveau, titrer du neuf de l’ancien…), les technologies nouvelles …

Le second appel nous invite à prendre appui, aujourd’hui comme hier, sur les laïcs

Selon le P. David Fleming, Chaminade eut en effet une intuition géniale. « Il a commencé avec un groupe de laïcs et, (avec eux), il a persévéré pendant de longues années, en s’adonnant entièrement à leur mouvement », malgré les critiques qui ne lui ont pas manqué : il perdait son temps, il risquait de diviser…, ne valait-il pas mieux investir toutes les énergies dans de vieilles méthodes qui avaient fait leur preuve ?

A ces critiques, Chaminade répondit, en 1824 (après un quart de siècle donc d’action avec le laïcat), qu’il était convaincu que « les leviers qui remuent le monde ont, en quelque manière, besoin d’autres points d’appui », et, ces points d’appui, il les trouvait, lui, dans le dynamisme des laïcs. De ce fait, Chaminade peut apparaître aujourd’hui comme « l’un des grands patrons du rôle des laïcs dans l’Eglise ».

Ces laïcs, à qui il a appris à s’organiser en petites communautés vivantes de foi et d’action (à l’image des communautés de la primitive Eglise), il leur a laissé quelques consignes fortes et un esprit, l’ « esprit de famille », un esprit fait de respect, d’accueil, d’écoute, de connaissance de l’autre, dans l’amour et la liberté. Parmi ses consignes (qui concernent aussi bien ses disciples religieux), en voici deux : « L’isolement est une faute pour un chrétien » ; « que la foi soit votre force ».

Quels retentissements pour nous, aujourd’hui ?

  • Les laïcs ont pris la relève ; les acceptons-nous ?
  • Croyons-nous suffisamment qu’ils ont, que nous avons, dans l’école, un grand rôle à jouer, y compris dans l’éducation de la foi ?
  • Avons-nous à cœur de cultiver cet esprit de famille, caractéristique des marianistes : esprit fait de respect de l’autre, d’accueil, de disponibilité pour l’autre (jeune ou adulte), d’écoute, de connaissance réciproque…
  • Savons-nous nous rassembler entre laïcs pour constituer, par exemple, comme c’est le cas à Agen, des Fraternités marianistes, des CLM ? (précisions sur demande)

Le troisième appel est un appel à rester debout grâce à la colonne vertébrale de la foi

J’y insisterai moins, ayant déjà parlé de l’importance de la foi dans la spiritualité de Chaminade.

Rappelons simplement que la foi a toujours été au centre de son enseignement, non pas seulement une foi intellectuelle, mais cette ‘foi du cœur’ déjà évoquée, cette « foi d’amour », comme Chaminade l’appelle, et qui change toute la vie du croyant.

La foi sur laquelle il invite ses disciples à s’appuyer est une foi profondément trinitaire : le temps de Chaminade n’était pas si loin du nôtre, en ce qu’il était marqué par le philosophisme et le vague déisme qui en avait résulté pour beaucoup, alors que notre temps souffre d’une religiosité vague à la divinité indéterminée. Pour Chaminade, « la Trinité est le plus auguste de nos mystère », comme l’a rappelé également Jean Paul II à travers la préparation et la célébration de l’année jubilaire.

Que peut signifier cela, pour nous, enseignants d’aujourd’hui ?

  • avons-nous le souci de l’éducation de la foi, la nôtre et celle des jeunes qui viennent à nous ?
  • Sommes-nous respectueux des différences entre nous, les uns croyant au ciel, les autres – peut-être – n’y croyant pas ? (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne vivent pas des valeurs aussi importantes que les nôtres) ;
  • Mutatis mutandis, croyons-nous en ce que nous faisons ?
  • Croyons-nous dans les jeunes qui nous sont confiés ?
  • Croyons-nous dans les valeurs (peut-être différentes des nôtres) du monde de ce temps – cf le ‘regard positif’) ?

Le quatrième appel de Chaminade est un appel à faire alliance avec Marie, avec la Femme qui est aussi la Mère de Dieu

Selon le P. Fleming, Chaminade voyait en Marie « beaucoup plus qu’un objet de piété conventionnelle » ; il savait qu’ « elle est le chemin qui nous conduit vers son Fils, … la source d’un dynamisme qui nous fait participer pleinement, en alliance avec elle,… à sa mission ».

Pour lui, Marie « nous inspire le dévouement et l’engagement auprès de nos frères et de nos sœurs contemporains ». Malgré le merveilleux chapitre VIII de Lumen gentium (Vatican II), nos contemporains sont loin d’avoir découvert pleinement le rôle de Marie, il est assez de comportements ou de manifestations pour en témoigner.

Nous avons déjà parlé de l’alliance que le disciple de Chaminade est appelé, aujourd’hui comme hier, à contracter avec Marie. Une alliance au caractère baptismal nettement marqué ; une alliance ecclésiale et, enfin, une alliance apostolique, c’est-à-dire qui ne va pas sans le témoignage. Une alliance dynamique donc qui, tout en contribuant à notre ‘conformité avec le Christ’, reste ouverte sur autrui et sur le monde.

Le fait que nous soyons dans une école marianiste, change-t-il quelque chose pour nous ?

– notre enseignement est-il marqué par le caractère marial de Petit Val : attention à l’autre, écoute, accueil, patience (impatiente patience parfois), fidélité dans les petites choses de la vie de chaque jour, esprit de famille ?   (sur lequel je ne reviens pas).

Le cinquième appel de Chaminade est l’appel à être témoins, missionnaires, auprès de ceux qui sont les plus éloignés (pour reprendre les mots de Jean Paul II)

Chaminade disait : « vous êtes tous missionnaires, chaque congrégation est une mission permanente » et, aux curés de paroisses : « je forme des chrétiens pour que vous ayez des paroissiens ». Car l’action de Chaminade n’a jamais visé autre chose qu’à engager le nouveau chrétien dans le champ de célébration et d’action apostolique de sa communauté.

La mission était au cœur de ses fondations. « Multiplier les chrétiennes » était le but qu’il fixait à ses disciples femmes, les sœurs de Mère Adèle par exemple. Multiplier les chrétiens reste notre ambition aujourd’hui. Mais saurons-nous le faire, oserons-nous le faire avec l’audace qui fut la sienne ?

A Petit Val, pensons-nous que nous avons aussi une mission de ‘proposition de la foi’, et que cette proposition n’appartient pas uniquement à ceux qui en sont spécialement chargés ?

  • sommes-nous convaincus que notre enseignement, quelle que soit la matière, peut être ‘hanté’ par la foi qui nous habite (sans qu’il soit pour autant question de prosélytisme ni de mépris vis-à-vis de la laïcité de la matière) ;
  • avons-nous pensé, par exemple, à organiser avec les jeunes des équipes, des clubs, … qui inviteraient régulièrement des témoins de la foi (ex : club litt. : Decoin, Bourbon Busset et l’amour fou durable, Jean Popot …) ? Cela n’est nullement incompatible avec la littérature par exemple …

Le sixième appel est un appel à se mettre au service des jeunes et des pauvres.

Nous avons vu comment Chaminade, en fidélité à l’Evangile, a engagé les siens au service des jeunes et des pauvres de son temps. Les jeunes sont aujourd’hui plus déboussolés que jamais et les pauvres surabondent.

Saurons-nous les rejoindre là où ils vivent, sans les juger, faire un bout de route avec eux comme fit le Christ avec les disciples d’Emmaüs, être jeunes avec les jeunes et pauvres avec les pauvres ? Aurons-nous l’audace d’inventer de nouveaux chemins (Chaminade > caminare, cheminer) pour aller vers eux et rendre le Christ présent au milieu d’eux ?

  • Petit Val est-elle une école qui sait accueillir les pauvres ?
  • Petit Val est-elle une école qui sait accueillir ceux qui sont éloignés de la foi ?
  • Petit Val sait-elle organiser le soutien pour les jeunes issus de milieux défavorisés ?
  • Avons-nous le souci d’inventer, d’être créatif, en communauté éducative, pour mieux servir les jeunes et les pauvres ?

Son septième appel en effet – appel éminemment moderne – est un appel à être des femmes et des hommes de prière, des « femmes et des hommes-prière »

Chaminade savait que, sans la prière, nous sommes perdus. Aussi nous invite-t-il, grâce à elle, à entrer dans le cœur même de la Trinité, en passant par Marie qui nous montre le Christ.

Il nous invite à nous immerger littéralement dans la présence de Dieu, à prier comme nous respirons, avec le Christ, sous le souffle de l’Esprit, d’une prière qui nous fait entrer dans cette « flamme d’amour » trinitaire dont il se plaisait à parler. Il nous invite à prier avec Marie, modèle de notre prière, et à prier Marie, Celle avec qui nous faisons alliance. Il nous invite à prier en Eglise… (Et la communauté éducative est aussi une petite Eglise).

Que notre prière soit celle d’un témoin « contagieux », au service des humbles et des petits (semblable à celle de la femme du magnificat), afin que « l’Amour soit aimé », ici, à Petit Val et ailleurs, comme le souhaitait déjà un François d’Assise.

Si nous envisageons de tenter de répondre aux sept Appels de Chaminade et de mère Adèle – des appels qui prouvent, si besoin est, la solidité et la valeur actuelle de leur inspiration – , alors nous serons , notre école sera, aujourd’hui, l’un des indispensables témoins dont le monde a besoin (Paul VI, Evangelii nuntiandi), un monde miné par l’indifférence (un peu comme au temps de Chaminade), un monde en quête (sauvage) de sens, un monde qui a froid – et ce jusque dans nos Eglises parfois frileuses à cause du péché de leurs enfants, comme les courageuses démarches de repentance du pape Jean Paul II nous l’ont montré.

Si nous avons l’audace d’oser l’audace, à l’image des Fondateurs (dont la vertu de prudence était grande), si Petit Val sait oser l’Amour, alors, pour beaucoup de jeunes et leurs familles, demain, l’Espérance sera possible.

Et si nous savons « inventer, comme nous l’a demandé le pape le 3 septembre 2001, de nouvelles manières d’être témoin, surtout pour ceux qui sont loin », alors, oui, l’Amour sera davantage aimé.

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