Contribution à la réflexion commune

RENCONTRE DE SUCY AU SUJET DES CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉDUCATION MARIANISTE

Introduction

J’ai sous les yeux, comme beaucoup ont pu au moins l’avoir entre les mains, un document de référence: Caractéristiques de l’Education Marianiste. Cinq caractéristiques de base qui bénéficient, disait le Chapitre Général de 1996, d’un consensus international dans la Société de Marie.

Ces cinq piliers, ces cinq fondamentaux sont les suivants :

  1. Education en vue de la formation dans la foi.
  2. Offrir une éducation intégrale de qualité.
  3. Eduquer à l’esprit de famille.
  4. Préparer à servir la cause de la justice et de la paix.
  5. Rendre capable de s’adapter aux changements.

Ces points étant posés et rappelés d’emblée, il ne me semble pas inutile d’ajouter quelques réflexions et considérations.

1- On perçoit, à la lecture, qu’il s’agit d’orientations fondamentales avec lesquelles on peut être d’accord mentalement, intellectuellement. Ainsi Eduquer en vue de la formation dans la foi ou dans une perspective de foi nous convie à la référence évangélique explicitement, éclaire singulièrement les perspectives pastorales de tout acte éducatif avec l’ambition de forger des hommes et des femmes de foi.

Je pense ainsi à l’ouvrage d’Isabelle PARMENTIER, publié par l’ISPEC : Référer les projets à l’Evangile dans un établissement catholique d’enseignement.

L’éducation intégrale de qualité rappelle que nous restons service public et que l’école catholique est d’abord une école, un lieu professionnel où doivent s’exercer des compétences, où doivent se véhiculer des savoirs, se transmettre des expériences, de révéler des savoir-être également. C’est ainsi que l’étude d’Isabelle Parmentier s’appelle, à ce titre, Etablissement catholique d’enseignement. Etablissement à caractère propre, catholique et marianiste.

Je pourrais continuer ainsi, avec les trois autres caractéristiques proposées. Il n’empêche que si nous sommes bien d’accord sur les généralités, sur les référents, tout se joue toutefois dans la mise en route, dans la pratique sur le terrain, dans l’actualisation selon un principe de réalité.

Mutatis mutandis, le document serait un peu comme le Catéchisme de l’Eglise Catholique. C’est une référence indispensable qui ne peut être sans une théologie pratique, une théologie pastorale de terrain et du vécu. Nous en resterions sinon à la théorie.

2 – Seconde réflexion. Si j’avais eu à vous présenter l’Eglise dans les années 50, à n’en point douter, c’est à un schéma pyramidal que je me serais référé :

  • Dieu
  • le Pape
  • les Evêques
  • les Prêtres
  • les fidèles.

Et si j’avais eu à vous la présenter cinquante ans après… c’est à un autre schéma prédominant que je me réfère. L’un relevait des conciles de Trente et de Vatican I, à la fin du XIXe s., l’autre tient de l’ouverture au monde de Vatican II.

Ce dernier schéma se voudrait plutôt horizontal. La notion de peuple de Dieu et d’Eglise communion, dans la diversité des ministères et des charismes, tient lieu de nouvelle figure, de nouvelle représentation. Un peuple de Dieu où l’on fera certes la distinction entre le sacerdoce commun des baptisés et le sacerdoce ministériel des clercs.

Ces deux schémas ne s’opposent pas, ne s’excluent pas l’un l’autre. Ils coexistent finalement, ils sont à la fois pertinents et complémentaires, mais ils sont aussi historiquement référencés.

Ce qui peut vous paraître un long excursus veut nous expliquer que nos schémas de pensée et de fonctionnement dans nos établissements relèvent aussi d’un cadre plus large où se situent l’école catholique, des religieux, des laïcs, avec des notions plus ou moins bien cernées et saisies : lettre de mission…, champ de responsabilité de la tutelle, responsabilité pastorale…, tutelle diocésaine, congréganiste… qui tiennent autant du vocabulaire canonique que de l’administratif.

Les temps ont changé

Dans ce cas, parler de Caractéristiques propres de l’éducation marianiste est également marqué par une époque, par une histoire. C’est également référencé à des époques, à des façons d’être, d’agir, d’exercer l’autorité, le management et le coaching des équipes, avec au sans communauté marianiste sur le terrain et en activité.

Et je crois, en la matière, que nous avons tous des schémas de pensée en nous, des archétypes ou des figures de l’éducation marianiste parce que nous avons en tête tel ou tel souvenirs personnels vécus. Seulement, le problème actuel est d’écrire une nouvelle page où les laïcs deviennent de plus en plus responsables et engagés, par nature, par vocation baptismale…

Trois références historiques, si vous le voulez bien :

  • 1983
  • 1993
  • 2003

En 1983, je dénombre 10 établissements avec de fortes communautés, actives, et 9 chefs d’établissements marianistes. Stabilité, uniformité du cadre, du paysage…

En 1993 je constate : 9 établissements, avec 1 seul directeur marianiste. En 10 ans, évidemment, la pyramide des âges est différente et il y a moins de Frères en activité.

En 2003 restent 7 établissements. Il n’y a plus de directeur marianiste, plus d’économe, peu ou pas de cadre éducatif, peu d’enseignants. Des aumôniers demeurent en chaque établissement, sauf le cas spécifique de Belfort et de Requista.

Cela pour dire que l’on ne peut parler de nos caractéristiques, de nos incontournables, sans cette contextualité. Des changements se sont opérés qui doivent absolument nous aider à mettre en oeuvre ou à accentuer encore un partenariat laïcs – religieux, laïcs – tutelle, efficace et fécond, et qui dit partenariat dit dialogue et collaboration. La tutelle est un service.

Jadis on s’appropriait le cadre marianiste par mimétisme, clonage… grâce à de nombreux témoins. Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui religieux et laïcs doivent s’interroger lorsque l’on parle de projet éducatif, de pastorale d’éducation marianiste. A de rares exceptions près, nous n’avons pas encore ensemble intégré la nouvelle donne et hérité de notre tradition. Ainsi à l’adresse de tous, pour la France… l’une des caractéristiques marquantes serait : apprendre à travailler ensemble en dialogue et responsabilité ! Nous y reviendrons.

Un seul exemple, à l’adresse des religieux : la Règle de vie de 1983 nous offrait un cadre. Certains éléments de 1983 sont à relire et réactualiser sans aucun doute en 2003.

5.10 : L’apostolat de l’éducation est pour la Société de Marie un moyen privilégié de remplir sa mission. Les Marianistes qui travaillent dans les écoles s’acquittent de cette mission non seulement par l’enseignement religieux et la formation à la vie chrétienne, mais aussi par la qualité de l’enseignement en général et par son caractère chrétien.

5.11. Lorsque la Société dirige une école, elle a l’intention d’en faire une réelle communauté éducative. Professeurs, parents et élèves sont appelés à travailler ensemble, à s’enrichir les uns les autres, à s’entraider et à grandir dans la foi. Offrir aux collaborateurs laïques la possibilité de s’initier et e se former à l’esprit marianiste est une des pièces maîtresses dans la construction de telles communautés éducatives.

Nous n’attendions pas de réponse et de débat ici mais tous les laïcs ici présents prennent la mesure du défi et des projets auxquels nous nous attelons ensemble dans le contexte de l’Eglise communion.

Pour aller plus loin de façon plus concrète, l’Education, la Pédagogie, la Spiritualité marianistes peuvent être récapitulées sous un seul paradigme, en ce sens où il s’agit d’une notion clef et d’une valeur : l’esprit de famille.

L’ESPRIT DE FAMILLE
Qu’entend-on par là ?

– Une donnée scripturaire, biblique : Dieu nous appelle à faire une famille humaine et sur le modèle de la Sainte Famille de Nazareth, de faire une famille de Dieu.

– Une donnée historique : le Père Chaminade a œuvré énormément en prenant conscience dans la France de la fin du XVIIIe et de début du XIXe s. de la place des baptisés. Il voit leur contribution spécifique à l’avènement du Royaume de Dieu, à l’époque, à la rechristianisation (nous parlons aujourd’hui de nouvelle évangélisation, de proposition de la foi), de la vie du monde, puisque les laïcs sont insérés dans la société. Le Père Chaminade accompagne donc, sollicite, encourage de nombreux fidèles avant d’en venir avec eux, par leur intuition, à fonder la Société de Marie.

Et comme il était lié spirituellement à la jeune Adèle de Trenquelléon, il est au carrefour de la vie baptismale et religieuse.

En 1817 nous voyons ainsi :

  • des laïcs engagés dans l’Eglise,
  • des religieuses fondées en 1816,
  • des religieux fondés en 1817.

Pour dire les choses autrement, nous nous trouvons avec une vision de l’Eglise particulière, où se trouvent tous les états de vie et d’engagements ayant pour dénominateur commun, ayant pour dynamisme commun : la mission – une école missionnaire…-, l’évangélisation au service de Marie, dont la présence est essentielle à la spiritualité chaminadienne et à la vie de l’Eglise elle-même.

On entend aussi une donnée ecclésiologique

Tout ce qui vient d’être, à grands traits, résumé et survolé nous fera parler de: Famille de Marie. Avec cette réalité, avec cette notion, nous sommes de plain pied dans la complémentarité des dons, dans une véritable collaboration et communion de grâce, d’intérêt et d’apostolat propres à la pensée de Vatican II : une Eglise peuple de Dieu.

Marie est au service du Seigneur. – « Voici la Servante du Seigneur ! »

Marie est prototype de toute l’humanité – la Femme de l’Apocalypse, la Nouvelle Eve.

Marie est Mère d’une famille, l’Eglise, et son modèle. – « Voici ta mère. »

Marie est aussi au cœur de notre mission – « Tout ce qu’Il vous dira, faites-le! »

Laïcs, frères, prêtres, sœurs, laïcs/laïques consacré(e)s doivent promouvoir ensemble ce modèle d’Eglise où chacun est responsable concrètement du climat de vie que ce modèle suscite, permet, crée et engendre.

Dans la tradition marianiste : l’accueil, l’humilité, la simplicité, la facilité d’abord, de relation, l’hospitalité, l’écoute … devraient,

  • parce qu’intrinsèquement vertus marianistes,
  • parce que vertus de la famille de Nazareth,
  • parce que style de vie d’Eglise pertinent,

revêtir, empreindre tout l’environnement d’une communauté éducative.

Il va sans dire que cela est vrai également verticalement et hiérarchiquement :

la proximité, l’information, la communication.. facilitent le dialogue, la responsabilisation, et évitent bien des impasses et des incompréhensions. Si les uns ont charge et responsabilité de promouvoir le projet éducatif, tous doivent y apporter initiatives, idées et contributions véritables.

Comment faire ? En a-t-on le désir, la volonté ?

Pour cela, il y a des moments et des lieux, pour que la communauté éducative sans distinction de personnes, de statuts peuvent se dire, célébrer, fêter, créer, se rencontrer…

Marie est mère, certes, mais aussi notre sœur dans la foi. Marie se mettant au service de tous comme laïque nous ouvre le chemin de cette collaboration.

Ce que nous cherchons à instaurer n’est pas un en soi, un vague horizon spirituel, mais un modèle de société humaine, un modèle d’Eglise et une vision de l’homme, de personne humaine, dans une façon appropriée et renouvelée de travailler ensemble et qui doit interpeller (prophétisme dans la société).

Là-dessus s’articulent alors de façon prophétique – c’est-à-dire de façon adaptée, ingénieuse, inventive,             – la promotion de la justice et de la paix,

  • la qualité de l’enseignement,
  • une pastorale de l’accueil, des étapes de la vie humaine et spirituelle,
  • un travail d’évangélisation qui est un vrai travail d’humanisation dans le contexte actuel.

Mais dans un établissement scolaire il est clair que la notion de famille s’étend aux jeunes aux-mêmes et aux parents, sans lesquels il ne peut y avoir de vision globale et de véritable collaboration.

Aussi on sent bien que la notion de pouvoir cède le pas à celui de service, que les relations doivent tendre à l’amitié (philia) c’est-à-dire à une profonde bienveillance, puisqu’il y a confiance, soutien mutuel, encouragement et non pas crainte et rivalité…

L’éducation est de fait orientée essentiellement vers les jeunes. Evidemment !

Il est clair que l’éducation marianiste s’adresse aussi à toute la communauté éducative… Comment cette communauté se conçoit, se vit, et comment intègre-t-elle les orientations ci-dessus exprimées ? Comment mesure-t-on cela ?

Je reprends encore quelques éléments du document pour les articuler sur notre propos.

– Promouvoir une éducation de toute la personne semble aussi impliquer une politique, selon l’Evangile, des ressources humaines. Comment impliquer chaque membre de la communauté éducative ? Comment faire que chacun soit à sa place (parabole des talents, des invités de la dernière heure au repas des noces, la tenue de service…) ? Comment vivre du Mystère de mort et de résurrection, le Mystère pascal, dans nos limites consenties, nos erreurs repérées, nos richesses, nos dons mis en valeur pour le bien commun? A l’horizon, une vue de foi, une vie de foi s’imposent.

Pour que tout cela soit possible, il faudrait que l’établissement puisse être humainement en bonne santé. Il n’y a pas de surnature sans nature ! Il faut chercher à la fois un vrai professionnalisme et une harmonie humaine et spirituelle.

– Promouvoir une éducation intégrale de qualité pourrait nous faire jouer sur les mots, d’école élitiste ou élitaire. C’est veiller à l’intégration de la dimension pastorale dans l’acte éducatif et la vie de l’établissement.

L’axe ou la binôme culture et foi, toujours utile, semble céder le pas à l’inculturation de la foi. Faire en sorte qu’il n’y ait pas une culture indépendante, autonome et une propositions de la foi annexée. La foi inspire dans un établissement des décisions concrètes : accueil, respect de la personne et des différences, inscription, sélection ou non, hétérogénéité…, accès à l’adulte, responsabilisation des jeunes…

– Dans ce contexte-là, la tutelle comme les Marianistes sur le terrain, ne peuvent se cantonner aux choses de la foi, à la piété et aux sacrements. Ces représentations dont nous avons parlé : Eglise – monde, seraient faussées.

– Dans ce contexte les laïcs/laïques ont une place de choix. Il faut parfois le leur révéler mais c’est ainsi peut-être que les notions d’éducateur et d’éducation ont toute leur importance.

Professeurs, surveillants, cadres, personnels divers, parents, voire les grands élèves découvrent une dimension d’éducateurs au cœur de dynamique de l’établissement.

(15)  » Chaminade voulait que les œuvres d’éducation qu’il avait fondées ne soient pas que des communautés fonctionnelles et temporaires mais des communautés de foi permanentes. Pour souder et renforcer ces communautés, Chaminade leur proposait comme idéal « l’esprit de famille » qui devait unir religieux et laïcs, éducateurs et jeunes. Grâce à cette collaboration, pouvaient naître des relations durables d’amitié et de confiance, propres à encourager le soutien mutuel et à développer les dons respectifs de chacun. Selon Chaminade, une école ne serait une communauté de foi que si ses animateurs, religieux et laïcs, voyaient dans leur travail plus qu’un gagne-pain, mais bien un apostolat d’amour et de service. »

L’esprit de famille, une donnée dynamique, un projet d’humanité

Tout cela n’est pas irréaliste ni utopique. A mon sens, seules des visées claires, seule l’ouverture de la communauté éducative sur plus grand qu’elle – la société, l’Eglise, le monde – permettent de poser les cadres et les bases des caractéristiques de l’éducation marianiste.

Il vous faut, à vous les responsables, cette volonté et cette ambition et nous sommes venus pour vous aider et vous encourager à faire vivre un modèle d’établissement scolaire spécifique, nourri essentiellement par l’esprit de famille et témoignant de celui-ci.

***

« A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35)

A ceci tous reconnaîtront que nous sommes école marianiste: si vous avez l’esprit de famille, qui est l’esprit de Marie entre nous.

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