Notre Don de Dieu (vœu de stabilité)

Quand le vénérable Guillaume Joseph Chaminade, notre Fondateur, eut à fixer la formule des vœux par lesquels les premiers disciples s’engageraient dans la voie des conseils évangéliques, les lois de l’Eglise sur ce point exigeaient, peut-on dire, qu »aux vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, il ajoutât le vœu de stabilité dans l’institut, ou une promesse équivalente, s’il voulait assurer à sa fondation une base juridique de société stable.

Cette remarque est essentielle. En a-t-on suffisamment tenu compte jusqu’ici ? Il ne semble pas. Autrement, aurions-nous au sujet de notre vœu de stabilité tant d’incertitudes diverses, qui déroutent ou égarent et risquent malheureusement de dérouter ou d’égarer encore à l’avenir, étant regardées et classées comme documents de famille ?

Rien pourtant n’est plus simple. Il suffit de s’en rapporter à l’histoire de l’état religieux dans l’Eglise.

Il fut inauguré, nous le savons tous, par les Apôtres, qui, à l’appel du Christ, abandonnèrent tout et le suivirent dans sa vie d’obéissance à son Père, de chasteté virginale et de pauvreté.

Après la Résurrection et durant les premiers siècles du christianisme, il fut embrassé spontanément et vécu par les Pères du désert, qui, fuyant les mondanités du siècle, cherchèrent dans la solitude une facilité plus grande pour vivre l’Evangile aussi complètement que possible, après s’être liés à Dieu et fixés dans ce nouvel état de vie par des engagements adaptés à leur situation.

Des groupes occasionnels se formèrent çà et là, due à la rencontre de ces athlètes en ascétisme ou en sainteté, mais dépourvus de toute structure, de toute organisation et, par le fait même, de toute stabilité. Des novices anachorètes, des ascètes en crise ou en quête de conseils et d’encouragements venaient s’établir temporairement à proximité de celui qu’ils considéraient comme un maître, allaient le visiter ; s’édifiaient à la voir vivre, se mortifier et prier, s’ouvraient à lui, recevaient ses avis, et reprenaient le chemin de leur solitude quand ils le jugeait à propos, ou s’en allaient à l’école d’autres ermites, à moins qu’ils n’aient préféré vivre de mendicité.

« Avant saint Benoît, écrit Don Calmet, les religieux n’étaient pas fixés à un monastère, ni même à un Ordre, ni à une forme de vie particulière ; ils faisaient simplement profession de la vie monastique et avaient la liberté de la pratiquer où ils jugeaient plus à propos ; d’où vient qu’on voyait souvent des religieux étrangers aller par les provinces de monastère en monastère, et que saint Benoît dit dans sa règle que s’ils voulaient se fixer dans les siens, il ne faut pas les empêcher, parce que partout on sert le même Dieu et qu’on combat les enseignes du même roi. »

« Un religieux ; dit encore le même auteur, ne pouvait sans sacrilège quitter sa profession, mais rien ne l’obligeait de vivre dans un monastère plutôt qu’un autre. La distinction des Ordres monastiques n’était pas encore introduite. »

On comprend sans peine que, dans ces conditions, à côté d’éminentes personnalités, qui s’élevèrent à la plus haute contemplation et à la plus authentique sainteté ait connu aussi les moines gyrovagues et leur conduite trop peu dignes parfois d’un homme consacré à Dieu.

Ce fut le mérite de saint Benoît de Nurcie, au VI ème siècle, d’obvier aux inconvénients et aux abus de ce que l’on pourrait appeler le vagabondage monastique, en imposant à ses disciples l’obligation vouée de persévérer jusqu’à la mort dans le monastère de leur profession. « Celui qu’on devra recevoir, lit-on dans la règle, promettra publiquement, dans l’oratoire, sa stabilité dans le monastère, la conversion de ses mœurs et une entière obéissance devant Dieu et ses saints, afin qu’il sache que s’il viole jamais sa promesse, il sera condamné de Dieu dont il se moque. »

Par là, ce que les avertissements d’un saint Antoine et d’autres Pères du désert, les Maximes qui forment la règle dite de Sérapion, Macaire et autres, les conciles d’Agde, de Chalcédoine n’avaient pas obtenu par leurs mises en garde, leurs blâmes, leurs règlementations, l’initiative de benoît l’obtint, les moines gyrovagues disparurent devant ceux que leur vœu de stabilité rendaient stables en leur communauté de profession

Le cénobitisme était né. L’Eglise constata, approuva, ratifia. L’exemple bénédictin s’imposant de proche en proche, un temps vint où toute profession monastique de n’importe quel ordre contint un vœu explicite de stabilité soit dans l’ordre, soit dans un monastère déterminé, ou bien censé en contenir un implicitement, comme l’acceptation et la réception du sous-diaconat contenait un vœu implicite et tacite de célibat ecclésiastique. « Ce vœu se fait dans tous les ordres, écrit Don Mège, en 1687, quoiqu’on ne l’exprime que dans l’Ordre de saint Benoît. » Et une cinquantaine d’années plus tard, en 1734, Don Calmet lui fait écho en déclarant : « Aujourd’hui, tout religieux profès est censé avoir fait son vœu de stabilité. »

Comment fallait-il interpréter ce vœu ? Devait-on l’entendre comme un vœu de clôture plus ou moins stricte, ou comme un vœu de simple persévérance dans sa vocation monastique propre, telle qu’elle était définie par les Constitutions ?

Il y eut des tenants de l’une et l’autre thèse.

« Il est évident, écrit l’auteur des Devoirs de la vie monastique, en 1689, que l’intention de saint Benoît a été qu’un religieux gardât une résidence exacte et qu’il demeurât enfermé dans son monastère comme dans un lieu auquel sa sanctification était attachée. C’est pour cela qu’il ordonne que toutes les choses nécessaires pour l’usage de la communauté se rencontrent dans l’enceinte du monastère, afin que les frères n’aient ni prétexte, ni occasion légitime d’en sortir. Les moines donc, dans l’esprit de cette règle, doivent se regarder dans leur monastère comme dans leur tombeau ; ils s’y enterrent tout vivants avec leurs passions et leurs cupidités ou plutôt ils y meurent et s’y ensevelissent avec elles pour y mener une vie toute nouvelle et toute sainte, en attendant que Jésus-Christ les appelle et les réveille de leur sommeil. »

Selon Turrecremata, « le solitaire s’oblige à ne pas abandonner jamais l’institut monastique et à ne pas sortir de son monastère sans nécessité et sans la permission de son supérieur. » Saint Bernard est du même avis.

Don Mège, tout en reconnaissant que le vœu de stabilité n’est pas un vœu de clôture perpétuelle, soutient qu’on le blesse et le viole quand on sort du monastère « 1° sans permission ; 2° quand c’est pour retourner au monde ; 3° quand, même avec permission, c’est par une pure curiosité et sans et sans une nécessité bien juste ; 4° enfin, lorsque c’est par inconstance et par légèreté. » Il admet d’autre part, que si plusieurs monastères forment un seul Ordre, le moine peut passer d’une maison à une autre avec l’autorisation des supérieurs légitimes.

Don Calmet veut que le terme stabilité « renferme aussi la stabilité du cœur et de l’esprit, dans une ferme résolution de ne se départir jamais de l’état qu’on a embrassé, ni de la profession qu’on a vouée. » « Cependant, conclut-il, le sens le plus simple et le plus littéral est celui qui l’entend d’une stabilité de lieu : les anciens l’ont entendue et pratiquée ainsi. »

En 1773, envisageant successivement l’aspect canonique et l’aspect ascétique de notre problème dans une conférence ses confrères, Don Vincent, de la congrégation de saint Maur, leur dit : « En promettant la stabilité, nous nous sommes engagés à être stables dans l’état que nous avons embrassé ; et voilà pour le corps, et à l’être dans nos devoirs et de nos règles : voilà pour l’esprit. »

 

Plus près de nous, en 1922, – ce sera la dernière de ses citations, – l’auteur anonyme de La Vie Cistercienne, avec imprimatur : die Novembris II, nous fait lire : «  Le vœu de stabilité nous oblige à vivre et à mourir non seulement dans la vie religieuse et l’ordre, mais dans la maison pour laquelle nous l’avons émis. La stabilité nous fixe dans le chantier spirituel, pour que le travail ne soit jamais interrompu. »

On le voit, suivant les familles religieuses, la stabilité fut comprise, ici, comme incluant la clôture, là, comme ne l’incluant pas. Les Constitutions propres fixèrent.

Pour éviter toute contestation, surtout dans les monastères de religieuses, on adopta généralement pour la profession une formule très explicite, « Encore que, selon l’opinion de plusieurs, lit-on dans le livre des Règles de Font-Evrault promettre stabilité en ce lieu soit estimé être le même que promettre la clôture, toutefois, parce que quelques-unes ont pensé garder stabilité encore qu’elles sortissent de leurs monastères, tandis qu’elles conservaient l’intention d’y retourner et ainsi entendaient largement ces termes, ne craignant pas même converser parmi les hommes en leur église, cloître ou monastère, pour ces causes, suivant ce qui a été ordonné par le droit aux religieuses, nous avons ajouté ce mot sous clôture en leur vœu, afin qu’elles craignent davantage d’enfreindre ce qu’elles ont voulu de leur propre franchise expressément vouer. »

De fait, la professions des moniales de Fontevrault, au XVIIème siècle, se faisait en ces termes : « Je, N…. promets stabilité sous clôture, conversion de ses mœurs, chasteté, pauvreté et obéissance, selon les statuts de la réformation de Font Evrauld ordonnés en ce lieu par le décret du Pape Sixte quatrième, suivant la règle de saint Benoît en l’honneur du Sauveur, de sa mère et de saint Jean l’Evangéliste, en votre présence, Mère prieure du monastère.

Dans le même lieu, – on sait qu’à Fontevrault, il y avait un couvent de religieux et un couvent de religieuses, – les religieux du même ordre ne vouaient que la stabilité, sans ajouter les deux mots : sous clôture.

Chez les chartreux, les Pères, tenus à une stricte clôture, émettaient leurs vœux en disant : « Moi, N…promets stabilité, obéissance et conversion de mes mœurs », tandis que les convers, appelés à sortir pour le service du monastère, disaient : « Moi, Frère N…, pour l’amour et la crainte de Notre seigneur Jésus-Christ et le salut de mon âme, je promets obéissance, conversion de mes mœurs et persévérance en cet ermitage tous les jours de ma vie, devant Dieu et ses saints et le reliques de cette maison qui est bâtie en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste, et en présence de Don N…, prieur. Que si j’étais assez hardi de m’en aller et de m’enfuir de ce lieu, les serviteurs de Dieu qui s’y trouveront pourront de leur plein droit et autorité me rechercher et me contraindre par force et par violence de retourner à leur service. »

Les religieuses de Port Royal ne vouaient que la stabilité, mais dans ses Pensées sur la Profession, un commentateur ou une commentatrice de la Règle comprend manifestement la clôture dans la stabilité : « Le vœu de stabilité, écrit l’auteur, est une promesse que l’on fait à Dieu de demeurer jusqu’à la mort dans le monastère ou l’on a fait ses vœux, le regardant comme un tombeau qui est la maison éternelle d’un mort, comme l’appelle l’Ecriture, et c’est en cela que les religieuses doivent voir la vérité de cette parole du sage, que « l’amour est aussi puissant que la mort, » en demeurant aussi immobiles et inébranlables dans leur lieu de profession où l’amour de leur époux les a renfermées que les morts dans leur sépulcre. »

Autant de textes et d’usages qui montrent à l’évidence les rapports de droits du vœu de stabilité et du vœu de clôture. Dans la formule de profession, on en viendra facilement à remplacer l’expression stabilité sous clôture par le seul mot clôture. Qui voue le plus, voue le moins. La stabilité locale, qui est un des éléments du vœu de clôture, comporte nécessairement la stabilité, la persévérance dans la famille religieuse qui reçoit le vœu et s’en porte garant. Pour connaître les obligations spécifiques de l’état de vie auquel le vœu de stabilité ou de clôture soumet pendant un temps déterminé ou jusqu’à la mort, il faut se reporter aux Constitutions propres à chaque Ordre ou à chaque monastère, en remarquant bien que ces obligations ne sont pas vouées et restent des devoirs d’état.

Ainsi, faut-il dire, que soit sous la forme de vœu de stabilité dans un Ordre ou dans un monastère, soit sous la forme du vœu de clôture, le vœu dont la paternité remonte à saint Benoît a puissamment contribué de siècle en siècle et d’année en année, à fixer et à renforcer l’individualisation et l’identité des diverses familles religieuses. De leur côté, elles sont devenues des entités juridiques à pleins droits. De son côté le vœu a pris un caractère, nouveau et acquis un surcroît de force, notamment dans les instituts à vie active ou à vie mixte.

Ce dernier fait est à prendre sérieusement en considération. Dans une profession religieuse, le vœu de stabilité dans le monastère ou dans l’Ordre n’est pas un vœu comme les autres. L’ignorer ou le méconnaître, s’est s’interdire de comprendre exactement les liens qui unissent un profès à ses supérieurs et le rendent membre : d’un corps constitué.

A l’époque de Chaminade, les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, aux yeux de l’Eglise, même s’ils étaient déclarés solennels, n’étaient pas considérés comme constituant un engagement vis-à-vis d’un Ordre, d’un monastère ou d’un supérieur quelconque, s’ils n’étaient pas accompagnés d’un vœu explicite ou implicite de stabilité dans l’Ordre ou dans le monastère. En soi, pensait-on, ils n’engageaient qu’envers Dieu. Le vœu de stabilité émis publiquement liait aussi envers Dieu comme tout vœu, mais en outre il liait envers le monastère ou l’Ordre ou l’entité juridique au profit de qui il était prononcé. A la différence des autres vœux de la profession, il était un vœu en faveur d’un tiers, pour employer le langage des moralistes et des canonistes.

Dans les Constitutions de 1839 pour la Société de Marie, Chaminade soulignait expressément cette portée du vœu de stabilité dans l’art. 20 : « On prononce aussi le vœu de stabilité dans les vues de ne jamais priver la Société de Marie de son concours à l’œuvre entreprise. La dispense de ce vœu peut donner lieu à de graves injustices envers la Société. Les lettres apostoliques demandent que ceux qui sont intéressés dans un vœu, interviennent pour la dispense ». Mais qui a compris ce texte ? Certainement ceux qui ont établi les deux traductions anglaises que je connais.

Le vœu au profit d’un tiers est une double promesse, l’une faite à Dieu, l’autre faite à une tierce personne. Dans le vœu au profit d’un tiers,la promesse faite à Dieu manifeste et garantit la promesse faite au tiers. Tout vœu implique un engagement à l’égard de Dieu ; s’il est fait au profit d’un tiers, il crée en outre un engagement et une obligation à l’égard du tiers. L’exécution de n’importe quel vœu se rattache à la vertu de religion et son inexécution comporte un manque de respect envers Dieu. Dans le cas d’un vœu au profit d’un tiers, son exécution et son inexécution relèvent aussi de la vertu de justice. Sous certaines conditions, tous les vœux peuvent être l’objet d’une commutation ou d’une dispense ; mais s’il s’agit d’un vœu au profit d’un tiers, la commutation ou la dispense ne peuvent être accordées que si le tiers donne préalablement son agrément ou n’en sera pas lésé.

Dans un tel contexte juridique et moral, le vœu de stabilité dans un monastère déterminé ou dans un Ordre étant supposé ou inclus dans toute profession solennelle, on devine facilement l’importance que ce vœu put avoir et eut de fait dans l’histoire de l’état religieux. Il fut, on peut le dire sans exagération, le fondement et la garantie des caractères spécifiques de chaque famille religieuse approuvée par l’Eglise3 Si, aujourd’hui, à côté des Bénédictins, il y a des Dominicains, des Franciscains, des Capucins, des Camaldules, des Cisterciens, des Basiliens, des Carmes, des Servites, des minimes et autres Ordres tant de religieux que de religieuses à spiritualité et organisation propres, n’est-ce pas au vœu bénédictin de stabilité que nous le devons, pour une grande part du moins ?

Continuons à interroger l’histoire et à écouter ce qu’elle nous apprend. Longtemps, jusqu’au milieu du XIXème siècle, – la question ne fut même tranchée définitivement qu’avec la Constitution apostolique Conditae a Christo du 8 décembre 1900 – qui ne le sait ou ne devrait le savoir ? – la discipline de l’Eglise ne reconnut comme religieux et religieuses que les seuls membres des familles religieuses auxquelles elle permettait des vœux dits solennels. Là où on ne prononçait que des vœux dits simples, elle ne voyait que des congrégations séculières, où sans le vœu de stabilité explicitement et publiquement émis, rien ne liait les membres à tel ou tel institut déterminé.

L’auteur d’Histoire et pratique de la clôture des Religieuses, en 16744, nous le dit en toutes lettres :

« Depuis un siècle, on a établi beaucoup de communauté de Filles qui, par leur institut, sont chargées de l’instruction des personnes de leur sexe (…), d’autres sont occupées au soulagement des pauvres malades dans les hôpitaux et chez les bourgeois. Mais il faut observer que ces filles n’ont fait au plus que des vœux simples, quoique publics et non les vœux solennels de religion ; qu’ainsi elles ne sont pas religieuses, que leur état n’est point fixe et qu’elles peuvent, avec l’agrément des prieures majeures, le quitter, même pour rentrer dans le monde et y vivre comme les séculiers… »

En disant : « avec l’agrément des supérieures majeures », l’auteur nous apprend indirectement que les communautés dont il parle ont néanmoins trouvé un moyen de contracter une obligation à l’égard de leurs supérieures. Lequel, précisément celui auquel saint Benoît avait eu recours au VI ème siècle pour rendre sédentaires les moines nomades : le vœu de stabilité, qui essentiellement un vœu de persévérance.

« En ce qui concerne les instituts à vœux simples, explique saint Alphonse de Liguori, la stabilité qui ne procure pas le droit canon est remplacée parfois, comme dans la Congrégation du très Saint Rédempteur par le vœu et le serment de persévérance. Ce vœu et ce serment établissent un contrat mutuel particulier en vertu duquel le religieux s’engage à demeurer dans la congrégation jusqu’à la mort, tandis qu’en retour la Congrégation s’engage à ne renvoyer le religieux que s’il survient une raison très sérieuse. »

De fait, les Constitutions ligoriennes stipulent qu’après le noviciat, les sujets admis à la profession font « les vœux simples de chasteté, de pauvreté et d’obéissance avec le vœu et le serment de persévérance en faveur de la Congrégation qui les accepte. » Un autre article précise ainsi la portée de l’engagement : « par ce vœu, les sujets s’obligeront à vivre jusqu’à la mort dans la communauté et à ne demander la dispense de leurs vœux qu’au Souverain Pontife ou au Recteur majeur. Cependant le Recteur majeur conservera toujours la liberté de renvoyer les sujets qui ne seront pas «édifiants ; toutefois, il devra en peser sérieusement les raisons devant Dieu ; et spécialement en ceci, il procédera avec la plus grande droiture et sans aucune passion. »

Simplifiant un peu le droit canonique, Anne de Xainctonge, fondatrice des Ursulines de Dole avait raisonné, au siècle précédent, comme saint Alphonse de Liguori, quand elle avait écrit : » Les Religieuses cloîtrées, par leurs vœux solennels, s’ôtent la possibilité de revenir en arrière. Nous y renonçons librement par notre vœu de stabilité. Voilà toute la différence. »

Que les Passionnistes aient cherché le même effet dans leur vœu de stabilité c’est ce que l’on peut inférer des lignes que leur consacre Migne dans son Dictionnaire des Ordres religieux » ; « il est bon d’observer, pouvons-nous lire, que, quoique les religieux de la très Sainte Croix et Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ ne soient pas liés par les vœux solennels, ils ne sont pas pour cela libres ; car, le jour même de leur profession, ils font vœu de persévérance dans la Congrégation. Par conséquent, à moins d’un motif réel et grave, approuvé par le Supérieur général, les passionnistes ne peuvent quitter la congrégation, ni la Congrégation ne peut les exclure de son sein. »

La pratique de la Curie romaine concordait avec ces vues. Une famille religieuse à vœux simples devenait-elle un ordre à vœux solennels ? Ces membres cessaient d’émettre le vœu de stabilité, qui devenait implicite.

Le contraire advenait-il ? Un ordre devenait-il une congrégation séculière ? Les membres

Prononçaient des vœux simples et, parmi ces vœux, celui de stabilité ou de persévérance. De pieuses personnes voulaient-elles se former en communauté sans clôture ? Elles vouaient la stabilité et des vœux simples. Voulaient-elles vivre sous clôture ? Elles vouaient la clôture avec des voeux solennels. Il n’y a pas d’exemple où la clôture et la stabilité aient été vouées ensemble. C’était l’une ou l’autre. Tout au plus trouve-t-on quelquefois l’expression « stabilité sans clôture » pour dire simplement clôture.

Quelques exemples

Les Clercs des Ecoles Pies, dit Migne, avaient été mis au nombre des Ordres religieux par le Pape Grégoire XV, l’an 1621, et celui-ci leur avait permis de faire des vœux solennels. Mais Alexandre VII, l’an 1656, les remit dans leur premier état séculier, voulant qu’à l’avenir, ils ne fissent plus que des vœux simples avec un serment de persévérer dans la Congrégation, ce qui ne dura que jusqu’en l’an 1669. Le pape Clément XI les rétablit alors dans leur état régulier.

De 1608 à 1618, les Ursulines de Bordeaux entrent en communauté par « les vœux simples de perpétuelle chasteté, obéissance, pauvreté et stabilité en la même compagnie. » En 1618, elles demandent l’érection de leur maison » en monastère de religieuses de l’ordre de saint Augustin. » Paul V accède à leur désir, et dès lors, elles ne vouent plus que « chasteté, obéissance, pauvreté perpétuelle en l’Ordre de saint Augustin, sous le nom et invocation de sainte ursule. »

En 1826, les sœurs du Sacré Cœur de Jésus fondées par sainte Sophie Barat demandèrent l’approbation de leurs Constitutions. Elles désiraient des vœux solennels. Rome les leur refusa, parce qu’elles ne voulaient pas la clôture papale. En compensation, elles se virent gratifiées du vœu de stabilité réservé au Souverain Pontife

Inversement, le 13mai 1888, examinant les Constitutions des oblates du Sacré Cœur de moulins et y trouvant mentionné le vœu de stabilité, la Curie romaine en demanda la suppression en disant : « Le vœu de stabilité est renfermé dans la profession perpétuelle. »

Vers le même temps, le P. Simler va recevoir la même réponse à propos des constitutions de la Société de Marie.

De toute évidence, de 1826 à 1888, une évolution s’est produite en cour de Rome au sujet de la valeur des vœux simples et de la profession religieuse. La Constitution Conditea a Christo du 8 décembre 1900 est en gestation. Les faits l’annoncent.

Nous pourrions passer dès maintenant au cas du P. Chaminade. Une dernière remarque auparavant. Dans certaines congrégations, comme chez les Ursulines de Dole, on ne recourait qu’au vœu perpétuel de stabilité, dans d’autres, le vœu de stabilité était temporaire ou perpétuel comme les autres vœux

Ce vœu temporaire de stabilité répugne à certains esprits. Un état limité dans le temps est-il encore un état ? Pourquoi pas. La notion d’état ne comporte pas nécessairement une durée illimitée. Le vœu perpétuel lui-même s’énonce au moyen d’expressions qui ont un caractère temporaire : « Jusqu’à la fin de ma vie, jusqu’à ma mort, jusqu’à la fin de ses jours. » Pour qu’il y ait état, il suffit que les termes à quo et ad quem ne soient pas laissés au hasard, qu’une durée constante dans une manière d’être soit assurée, d’une manière ou d’une autre, peu importe la longueur de cette durée. Il y a des états de longue durée et des états de courte durée. Le jeune homme qui souscrit un engagement dans l’armée pour 5 ans entre dans l’état militaire comme celui qui s’engage pour 15 ans ou pour la durée d’une guerre. Si l’on peut s’engager par vœu à vivre selon les exigences de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance pendant un, deux, cinq ou dix ans, pourquoi ne pourrait-on pas s’engager aussi par vœu à demeurer entre de tel ou tel institut pendant le même temps ?

Ainsi, d’après leur Règle, au temps de Chaminade, les Frères des Ecoles chrétiennes, au sortir du noviciat faisaient pour 4 ans, vœu « de pauvreté, chasteté, et obéissance et stabilité dans ladite société et d’enseigner gratuitement conformément à la Bulle d’approbation de l’institut accordée par Benoît XIII. » C’était seulement après cette période de 3 ans qu’ils prononçaient les mêmes vœux « pour la durée de leur vie. » De leur côté, leurs Constitutions expliquaient ainsi l’engagement de stabilité : « par le vœu de stabilité, on s’engage à demeurer stable dans ladite société pendant tout le temps pour lequel on aura fait des vœux, et on ne peut pendant ledit temps ni sortir, ni vouloir absolument sortir de soi-même, ni vouloir obliger à être renvoyé sous quelque prétexte que ce soit, sans violer son vœu. »

Nous avons là le type du vœu temporaire de stabilité dans l’institut, tel que nous le trouvons du XVIIème au XIXème siècle dans un grand nombre de congrégations. Bien rares sont celles où cet engagement ne se rencontre pas

Il existe même parfois sans les vœux ordinaires, tant il est per se le constitutif des sociétés religieuses

Avant la Bulle de Benoît XIII, les Frères des Ecoles chrétiennes ne vouaient que l’obéissance et la stabilité.

Les Prêtres missionnaires du Saint-Sacrement, fondés,au XVIIème siècle, prononçaient, à la fin de leur noviciat la formule suivante « En présence de la Très Sainte Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit Dieu vivant et véritable et de Notre Seigneur jésus-Christ, qui est ici présent : dans le très aimable sacrement de l’Eucharistie que je prends pour témoin de l’action que je vais faire et que j’attends comme celui qui me doit juger, je promets et je jure par son amour stabilité dans cette congrégation du Saint-Sacrement jusqu’au dernier jour de ma vie. Dieu me soit en aide et ses saints Evangiles ! »

Les Filles de l’Enfance de jésus, au XVII siècle encore, s’expriment en ces termes : « Je promets sincèrement et librement, et je voue à l’honneur de la sainte et sacrée enfance de Notre Seigneur J ésus-Christ, stabilité perpétuelle dans la congrégation des Filles de l’Enfance, pour y vivre le reste de nos jours, conformément à ses statuts, règlements, sans clôture et sans aucune liaison de vœux solennels et sans affectation d’habit singulier. Dieu me fasse la grâce d’y être fidèle. »

Les Filles de l’Enfant Jésus, au ferme propos de pratiquer la pauvreté, la charité et l’obéissance, ajoutent le vœu « de persévérer jusqu’à la mort dans la Congrégation. »

Les Lazaristes émettent les 4 vœux simples de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et de stabilité, mais les trois premiers n’ont que la portée de vœux privés non émis, par le fait en faveur de personne. Les Fils de Saint Vincent de Paul forment donc une congrégation séculière et leur seul vœu de stabilité les lie devant Dieu et en justice à la Petite Compagnie.

Tel quel, temporaire ou perpétuel, ce vœu est toujours un vœu au profit d’un tiers, au profit ici d’une entité juridique, une congrégation, qui reçoit l’engagement à titre onéreux. Il crée, pour celui qui l’émet, une obligation de religion à l’égard de Dieu et en même temps une obligation de justice à l’égard de la congrégation aux yeux de laquelle il vaut comme un quasi-contrat et qui, en contrepartie prend en charge le sujet. Dès lors, il ne peut être commué sans le consentement du tiers auquel la consultation porterait préjudice. « En soi, dit à ce propos saint Alphonse de Liguori, le Souverain pontife lui-même ne peut en dispenser d’une manière absolue ; car, il n’a pas le pouvoir de léser autrui. Parfois pourtant, en vertu de sa juridiction suprême, il peut dispenser du droit conféré. Il en est aussi, par exemple, dans le cas du droit acquis par un institut ecclésiastique ou par une congrégation religieuse sur chacun de ses membres par le vœu ou le serment de persévérance ; quand il y a lieu, le Souverain Pontife peut alors accorder une dispense totale. Mais aux autres personnes qui ont reçu le pouvoir de dispenser des vœux, il est absolument interdit de donner dispense des vœux dont nous parlons, sauf du consentement des parties intéressées, si le Souverain Pontife ne s’est pas spécialement réservé cette catégorie d’engagements.

G.-J. Chaminade et le vœu de stabilité.

G.-J. Chaminade a vécu de 1761 à 1850. Son activité de fondateur couvre les quarante premières années du XIXème siècle. Elle ne peut être jugée dans le contexte canonique d’aujourd’hui ni d’un autre temps que le sien.Il connaît le droit ecclésiastique en vigueur à son époque et l’incertitude qui plane encore sur la valeur et les effets contractuels des vœux simples.

Il agit et réagit en conséquence comme ses contemporains. En fondant, il désire des vœux solennels pour ses religieux et pour ses religieuses, et il n’ignore pas qu’en ce cas il ne serait pas nécessaire de leur faire prononcer un vœu explicite de stabilité pour leur faire contracter une obligation de persévérance dans l’état particulier que définiront leurs constitutions ; mais il n’ignore pas non plus que l’explicitation de cette obligation assumée ipso facto dans une profession solennelle reste toutefois autorisée, tandis qu’aussi longtemps que les vœux resteront simples, cette obligation n’existera sûrement que si elle est l’objet d’un vœu explicite. C’est donc pour stabiliser ses œuvres dès le premier jour de leur existence qu’il recourt à ce vœu comme l’ont fait tant de fondateurs avant lui.

Il n’innove pas ; il imite. Il utilise les propriétés du vœu telles qu’elles sont, sans y rien ajouter. Il sait de l’Evangile qu’il ne faut pas mettre du vin nouveau dans de vieilles outres, ni coudre un morceau d’étoffe neuve sur un vieux vêtement. Tel qu’il le fait prononcer, soit sous la forme d’un vœu de clôture, soit sous la forme d’un vœu de stabilité sans clôture, le vœu a toujours pour effet immédiat et direct de garantir la persévérance de la volonté au moyen d’une promesse faite à Dieu et d’un contrat qui créée une obligation de justice à l’égard d’un corps religieux.

Une première preuve que c’est bien la pensée de G.-J. Chaminade, c’est qu’il a toujours pris soin de préciser de quelle stabilité il entendait parler. Il ne s’agit ni d’une stabilité mystérieuse et indéterminée, ni d’une stabilité purement spirituelle, ni d’une stabilité dans l’enceinte d’un monastère, ce qui est vouée sur les Saints Evangiles et entre les mains d’un représentant de l’Eglise, c’est « La stabilité dans l’institut, qui n’est autre que la persévérance au sein de la Société de Marie ou de l’Institut des Filles de Marie est bien probable qu’on parlait couramment du vœu de stabilité, sans autre précision, mais quand le complément « dans l’institut » manquait dans une pièce importante, comme dans une formule de vœux ou dans une copie des Constitutions, le fondateur l’ajoutait de sa propre main N’est-ce pas significatif ?

Si nous consultons les notes autographes qui nous le montrent cherchant une définition de vœu de stabilité, nous arrivons à la même conclusion. C’est un vœu qui a pour fin et effet directs ou immédiats de rendre irrévocables, pendant un temps déterminé ou à jamais, l’acte par lequel la volonté a embrassé l’état de vie marianiste.

C’est un vœu qui est inhérent à toute profession solennelle, mais qui peut n’y être qu’implicite et tacite. Explicite dans la Société de Marie où les vœux ne sont que simples, il le restera, en l’honneur de Marie, si les vœux deviennent solennels. Il oblige à la persévérance dans l’institut au nom de la vertu de religion, comme n’importe quel vœu, mais aussi au nom de la vertu de justice, parce qu’à la différence des autres vœux, il est un vœu au profit d’un tiers. « Il se réalise par le fait », quel fait ? celui de persévérer dans sa vocation au sein de l’Institut. « Il ne demande que l’attachement constant de la volonté à cette promesse » de stabilité, « et du, reste aucune habitude spéciale qui entre dans la manière de vivre »

Parce qu’il lie à la Société de Marie, par une obligation de justice, nul, la Pape excepté ne peut en accorder la dispense ou la commutation sans l’accord du représentant qualifié de cette société, car nul ne peut léser qui que ce soit, et si le Pape peut commuer ou dispenser ici, ce n’est qu’en qualité de chef suprême de toutes les sociétés religieuses.

Si telle est la pensée du Vén. G.-J. Chaminade, ne semble-t-il pas commenter les obligations du vœu de stabilité que l’on trouve chez les frères des Ecoles chrétiennes, chez les Passionnistes et tant d’autres congrégations ? N’est-ce pas la preuve que, dans la Société de Marie, le vœu de stabilité est, en soi, comme ailleurs, un vœu de persévérance dans l’institut qui reçoit le vœu ?

Veut-on une autre preuve ? Nous l’avons dans la manière dont ce vœu a été compris par les disciples immédiats du fondateur. Tous ceux dont nos archives révèlent le jugement ont cru et voulu vouer la persévérance temporaire ou perpétuelle dans la Société de Marie, comme le faisaient à la même époque, les Frères des Ecoles chrétiennes, les Ursulines de Dole, de Parme, de Plaisance etc. dans leur propre institut

Rome, enfin, nous fournit un texte qui, à lui seul, devrait suffire pour diriger tout débat à ce sujet : c’est le décret même d’approbation de la Société de Marie qui parlant des membres de celle-ci dit : « Ils émettent les 3 vœux simples ordinaires de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, y ajoutant aussi un quatrième vœu par lequel ils s’obligent à persévérer à dans le pieux institut et à demeurer soumis à la direction du Supérieur général. » Quand il s’agit d’un vœu public, comme c’est ici le cas, n’est-ce pas à l’Eglise d’en fixer souverainement le sens et les obligations ? Où ce décret n’est-il pas un texte officiel ? Il était pourtant imprimé dans les Constitutions qu’on nous a distribuées au sortir du noviciat. Ou bien les Supérieurs de la Société ont-ils protesté contre ce décret ? Un autre décret est-il intervenu ? Connaissaient-ils ce décret, les religieux marianistes qui dans un chapitre général pas très ancien ont demandé que les membres qui obtiendraient la dispense de leurs vœux puissent garder celui de stabilité ? Qu’ont-ils donc promis à Dieu au jour de leur profession ?

Dans la Société de Marie, le Petit catéchisme de l’état religieux, publié par le P. Simsler, en 1866, enseignait expressément :

La profession religieuse renferme toujours implicitement le vœu de stabilité, quelquefois même ce vœu est émis d’une façon explicite.

Qu’est-ce que le vœu de stabilité ?

Le vœu de stabilité est une promesse que l’on fait à Dieu de persévérer dans l’Ordre dans lequel on fait profession.

N’est-il pas possible de faire profession religieuse sans émettre le vœu de stabilité ?

Non. Le vœu de stabilité est inséparable de la profession religieuse, qu’il soit exprimé ou non dans la formule de profession.

Quel est l’effet de vœu de stabilité ?

Le vœu de stabilité attache le religieux à l’Ordre dans lequel il entre pour tout le temps de la durée de ses vœux. Par suite de ce vœu, le religieux doit à son Ordre l’estime, l’amour, le dévouement et le fruit de ses travaux.

Pourquoi prononce-t-on d’une manière explicite le vœu de stabilité dans la Société de Marie ?

Pour rappeler solennellement à tous les religieux les graves obligations et les précieux privilèges qui sont attachés à ce vœu.

Quelles sont les principales obligations attachées au vœu de stabilité dans la Société de Marie ?

Ce vœu produit d’abord les effets qu’il a dans tous les Ordres religieux : ainsi il attache le religieux à la Société pour tout le temps de la durée de ses vœux ; il lui fait un devoir de concourir dans la mesure de ses forces à l’œuvre entreprise etc. par conséquent, d’aimer, d’estimer et de servir la Société comme une mère qui l’a adopté pour son enfant.

Quelles sont les obligations du vœu de stabilités particulières à la Société de Marie ?

Premièrement, par le vœu de stabilité le religieux se constitue d’une manière permanente dans l’état de serviteur de Marie ; il engage sa vie au service de la très sainte Vierge dans le pieux dessein de propager sa connaissance, de perpétuer son amour et son culte, autant que possible, par lui-même et par les autres ; en second lieu, le religieux est si étroitement lié à la Société qu’il ne peut plus la quitter, pas même pour passer dans un Ordre ou un institut plus sévère, sans le consentement du Supérieur général et sans une dispense que le Souverain Pontife peut seul donner.

Evidemment dans la Société de Marie et chez les Filles de Marie, ce vœu a un aspect marial qu’il n’a pas ailleurs. Mais cet aspect marial, il ne le tient pas de sa nature ou de sa portée naturelle, sans quoi il aurait aussi cet aspect dans toutes les familles religieuses où il est émis

Il ne le tient pas non plus d’une modification de sens que Chaminade lui aurait fait subir en avertissant ses religieux avant la profession, car, en ce cas, Chaminade n’aurait pas pu dire, comme il l’a dit que ce vœu est dans toute la profession, puisque manifestement il ne se produit pas partout cet aspect marial.

Une seule explication reste possible : il le tient, cet aspect marial, de l’état marianiste par rapport auquel il exerce ses effets propres comme partout ailleurs, et il ne le tient que de là.

Ce qu’il a en propre, c’est, pour le redire, de fixer une volonté à un état religieux préexistant. Là où cet état religieux préexistant est marial, il a un aspect marial et produit des effets marials. Là où cet état religieux préexistant n’est pas marial, il n’a aucun aspect marial et ne produit aucun effet marial. Rien de plus naturel.

Le mariage n’a en propre que le pouvoir d’unir un homme et une femme d’une manière permanente, mais quand l’homme qu’il unit est un roi, il fait une reine, quand l’homme est un prince, il fait une princesse, quand l’homme est un duc, il fait une duchesse, quand l’homme est un comte, il fait une comtesse ; quand l’homme n’est qu’un marquis, il ne fait qu’une marquise, et ainsi de suite. Dans tous les mariages, il produit l’état de mariage, mais chaque état de mariage à ses caractères propres et spécifiques, dont il faut chercher la source hors du mariage proprement dit.

Ainsi en va-t-il du vœu de stabilité. Dans toutes les professions religieuses, il consolide et stabilise l’insertion dans un état religieux préexistant. Il garantit, consolide et stabilise la participation au caractère marial de cet état, si ce caractère existe et dans la mesure où il existe.

Il garantit, consolide et stabilise une consécration mariale, si l’état religieux préexistant auquel il fait appartenir d’une manière permanente et continue la procure à ses membres ; il ne la crée pas. Il n’en est pas la source. Il ne peut pas l’être. L’ancre qui immobilise un bateau et le maintient fixe en un point de la mer n’est pas le bateau lui-même et ne peut l’être.

Le vœu de stabilité stabilise le choix d’un état de vie, quel qu’il soit. Mais cet état de vie ne lui doit ni son existence, et aucun de ses caractères, ni aucun de ses devoirs d’état proprement dits.

Or, précisément l’état de vie du religieux et de la religieuse marianiste est radicalement, foncièrement, fondamentalement marial. D’où lui vient ce caractère ?

Il faut le chercher dans son fondateur, dans son origine, dans ses Constitutions, dans l’approbation de l’Eglise. Son fondateur, le Vén. G.-J. Chaminade, à qui le ciel l’inspire, fut, nul ne peut en douter, un grand serviteur de la Vierge Marie. « Par la grande miséricorde de Dieu sur moi et sur les autres, écrivait-il le 5 décembre 1825, depuis longtemps je ne vis et ne respire que pour propager le culte de cette auguste Vierge » il venait de dire dans la même lettre : « Ma plus douce consolation sera d’avoir engendré à Jésus-Christ des enfants qui seront aussi des enfants de Marie. »

Formé de bonne heure à l’oraison par son frère Jean Baptiste, il s’est fait l »apôtre d’une spiritualité qui pivote sur l’indissociabilité de jésus et de Marie.

Le oui de l’Annonciation a été à ses yeux un oui sponsal en même temps qu’un oui maternel. Accepta,t d’être la mère virginale du Fils de dieu, qui voulait s’incarner pour devenir le Père d’une humanité nouvelle, elle devenait volontairement son associée dans le plan divin de la Rédemption, la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam, la mère de tous ceux que le Sauveur venait appeler à former son peuple de sauvés.

Associée à l’instant à toutes pensées à tous les sentiments du Verbe divin, pénétrée de ce zèle pour le salut des hommes qui déterminait l’incarnation, elle se sentit épouse du nouvel Adam et se prêta docilement à son action transformante pour devenir aussi semblable à lui que possible

« Outre un nombre incalculable de qualités et prérogatives selon lesquelles Notre Seigneur habite en sa très sainte mère, écrit M. Olier, il est en elle source de vie pour l’Eglise. Et comme ayant donné à son Fils, en récompense de ce qu’il était mort pour les hommes, la qualité de père du siècle futur et l’ayant mis à sa place pour être plus naturellement et plus sortable ment à notre état le Père des vivants. Dieu lui a donné la plénitude de vie qui doit nourrir les hommes, de même vivant en sa Mère, jésus la met en communion de sa vie pour l’Eglise. »

« C’est ne pas connaître le mystère de Jésus Christ que de ne pas voir la très pure marie dans toute l’économie de la religion. »

« Jésus christ y a tout disposé de manière qu’elle a participé et coopéré à tout. »

« Nous sommes nés d’elle spirituellement, par suite de son ineffable union avec Jésus Christ, Père de nos Âmes. »

« Certes, Jésus Christ fut à coup sûr, à l’égard de Marie, le fils le plus tendre, le plus aimant, le plus respectueux. Si cependant, il ne lui donna jamais que le nom de Femme, même au moment le plus sublime de sa vie, sur l’autel de la croix, il faut bien qu’il n’en trouvât pas de plus approprié à la position de Marie envers les hommes et envers lui-même. Sans prétendre à justifier de rudesse sur e point les procédés du Fils de Dieu, ne peut-on pas dire que la grande raison qui a porté le Sauveur à n’appeler sa Mère que du nom de Femme, ç’à a été de nous faire comprendre qu’elle était la nouvelle Eve ou la Femme promise en même temps que le Rédempteur. »

« Dans le ciel, elle continue de coopérer à la grande œuvre de la régénération. Tout se fait par elle, et c’est par elle que tout nous vient. »

« Tous les jours elle verse en nos âmes la grâce qui doit les nourrir, les fortifier et les faire parvenir jusqu’à la plénitude de l’âge parfait. »

Jésus Christ, il est vrai, de qui vient toute notre suffisance a pu seul mériter ces grâces par sa mort ; il a, comme père, abondamment pourvu à tout ce qui est nécessaire à la vie de nos âmes, à l’accroissement des forces, à la guérison des maladies, au développement de la foi et de toutes les vertus. Mais, comme il n’entend pas exercer les droits qui dérivent de la maternité, il a remis les trésors des bénédictions acquises par son sang entre les mains de Marie, qui, comme mère de la grande famille, distribue toutes choses selon les besoins, selon les circonstances et la fidélité. »

« Elle ne se borne pas à conserver et à entretenir en nous la vie de la grâce que, par elle, nous avons reçue de Jésus Christ. Elle travaille en même temps à nous faire devenir conforme au divin modèle. Avec un amour inconcevable, elle nous porte toujours, comme des petits enfants, dans ses chastes entrailles. Jusqu’à ce qu’ayant formé en nous les premiers traits de son Fils, elle nous enfante comme lui, elle ne cesse de nous répéter ces belles paroles de saint Paul : Filioli, quos parturio, donec formetur Christus in vobis. »

Fort de ces idées fondamentales, Chaminade avait conclut :

«  Si la Mère est partout où est le Fils, comment seraient-je assez aveugle pour ne pas la voir ? Comment surtout serais-je assez insensé, assez téméraire, pour vouloir séparer du Fils une Mère qui n’en a jamais été séparée ? »

Avant le P Faber, il avait compris que « Négliger Marie…, c’est blesser Jésus, parce qu’elle est sa mère, que la dévotion à Marie « n’est pas un simple ornement du système catholique, un enjolivement, un hors d’ œuvre, ni même ni même un secours parmi tant d’autres, dont nous puissions nous servir ou non à volonté, mais que c’est une partie intégrante du christianisme, et que, sans elle, à proprement parler, une religion n’est plus chrétiennes. »

Avant Mgr Gay, il s’était convaincu que « ceux qui ne font à Marie, dans le christianisme, que la place d’une dévotion, même d’une dévotion principale, n’entendent pas bien l’œuvre de Dieu et n’ont pas le sens du Christ. »

Avant le P. Sauvé, il avait vu nettement que Marie ne doit pas être « dans un coin de la vie, à un autel latéral de l’âme », mais bien « à l’autel principal, unie comme la mère à son divin Fils, dans les mystères de l’Incarnation et de Bethléem, comme la nouvelle Eve au nouvel Adam sur le Calvaire et, avec lui, rayonnant partout. »

Comprise ainsi la dévotion à Notre-Dame ne se juxtapose plus aux pratiques du christianisme. Elle fait corps avec lui. Elle informe toute la vie chrétienne, en devient un attrait et un des plus puissants ressorts psychologiques, sans altérer d’aucune façon le dogme et sans cesser jamais de s’appuyer sur lui comme sur la seule base solide : Ubique vitam christianam agimus, ubique vitam agimus Mariae filiorum.

A Mussidan, où se forme son âme sacerdotale et où s’exerça son zèle de jeune prêtre pendant cinq ans, Chaminade est inscrit dans la confrérie paroissiale du Rosaire, et au séminaire même où il est directeur, syndic, professeur de mathématiques et de philosophie, une congrégation mariale, type Jésuite, lui donne occasion de mûrir ses idées et de commencer à les communiquer. Bernard Daries en est une preuve.

La Révolution se fait spoliatrice de ce collège séminaire où il comptait passer sa vie avec ses deux frères. Il gagne Bordeaux et la première démarche qu’il fait pour continuer son ministère en usant du reste de liberté que les lois laissent pour le moment aux prêtres réfractaires, c’est d’acquérir les statues de la Vierge et de l’archange Gabriel, en vue d’orner l’oratoire qu’il se propose d’ouvrir.

La persécution, le règne de la Terreur succèdent à la spoliation…Il faut prendre la route de l’exil… Le proscrit dirige ses pas vers Saragosse, à défaut d’autres ressources, il aura celle de pouvoir s’agenouiller devant la statue vénérée de Notre Dame del. Pilar

Quand la mère patrie lui rouvre ses portes, trois fois il a vu avec quelle splendeur et quelle dévotion le peuple saragossain célébrait chaque année sa patronne ; trois ans durant, il a médité longuement sur la place qui revient à Marie dans la vie chrétienne. Sa résolution est prise : il se consacrera désormais à la faire connaître, aimer et servir, à faire vivre marialement le christianisme.

A peine de retour à Bordeaux, il ouvre un oratoire et y organise une congrégation mariale telle que la Compagnie de Jésus en dirigeant dans les villes, avant sa suppression. Il y appelle les jeunes gens, les jeunes filles les pères et les mères de famille groupés organiquement, « sans confusion », pour pratiquer aussi intégralement que possible, en se soutenant mutuellement, tous les devoirs du chrétien, en dignes enfants du nouvel Adam et de la nouvelle Eve.

Mgr d’Aviau approuve et encourage. Plusieurs paroisses veulent avoir leur congrégation et prennent modèle sur bordeaux. La congrégation de Bordeaux fait figure de congrégation mère. Elle a des filles du Mans à Nîmes, de Bayonne à Rennes. En 1803, le légat lui a transféré les indulgences dont jouissait avant la Révolution une congrégation bordelaise érigée dans l’enclos des Capucins. Elle est une entité juridique, un corps social dans l’Eglise, « Une sainte milice qui s’avance au nom de Marie et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la conduite même et par l’obéissance de celle qui doit écraser la tête du serpent. » Elle a son règlement et son organisation. Ceux qui s’agrègent à elle après un stage de formation et par une déclaration publique acquièrent par la même une sorte d’identité nouvelle au sein du christianisme. Ils sont chrétiens aux ordres immédiats de Maria, Maria duce.

Comment Chaminade ne se réjouirait-il pas ? Il rêve d’une France couverte de congrégations mariales semblables à celle de Bordeaux. Mais il n’est pas immortel. Il vieillit. Après lui, qui animera ces congrégations ? « Il faut un homme qui ne meure pas. » Dieu y pourvoira… Suivons Chaminade :

« Les congréganistes, de quelque âge et de quelque sexe qu’ils soient, peuvent y être conduits à la plus haute perfection par la pratique des conseils évangéliques. Il pourrait y avoir différents degrés, connus du seul directeur… »

« Plusieurs jeunes personnes vivent en religieuses, font des vœux, portent un habit religieux sous leurs vêtements ordinaires, et… »

« La plupart des chefs de la congrégation forment cette association religieuse ; les congréganistes en ignorent l’existence… »

« Plusieurs de ces religieux ont désiré de vivre ensemble : il n’y avait que de l’avantage pour le but… »

« Actuellement, plusieurs voudraient vivre en communauté régulière, abandonnant toute affaire temporelle. Il faut suivre cette inspiration, mais prendre garde qu’elle ne dénature pas l’œuvre de la congrégation et au contraire qu’elle lui serve… »

« Quoique jusqu’à présent, je me sois occupé habituellement de tous les corps de la congrégation, j’ai cependant donné plus de soin à celui des jeunes gens comme le plus difficile, et néanmoins celui qui pouvait le plus contribuer à la fin que je m’étais proposée la mission. » »Tous les points fondamentaux pour les jeunes personnes, pour les dames de la retraite sont assez fixés pour que nous puissions aller prochainement de l’avant. »

« Renouvelez toutes, tous les jours, l’acte de votre consécration à la sainte Vierge. Vous allez donc être les Filles de Marie et paraître telles publiquement. Il vous est permis de livrer votre cœur à la joie et de commencer à vous répandre en actions de grâces. »

« vous serez réellement religieuses, puisque vous ferez les vœux qu’on appelle de religion, et que vous aurez à pratiquer les vertus qui vous les auront inspirés et qui doivent en être les soutiens. Marie, l’auguste Mère de Jésus doit être votre modèle, comme elle doit être votre patronne. De là, les exercices ou pratiques les plus essentielles de la vie religieuse. Quant à ce qui vous doit distinguer des autres Ordres, c’est le zèle pour le salut des âmes : il faut faire connaître les principes de la religion et de la vertu : il faut multiplier les chrétiennes. »

Le 25 juillet 1817, après plus d’un an de noviciat et avec l’agrément de l’évêque d’Agen, 9 congréganistes fondaient l’Institut des Filles de Marie en émettant les vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, de clôture et d’enseignement de la foi et des sœurs chrétiennes.

Le 4 septembre 1818, après avoir déclaré que le nouvel Ordre qu’ils entendaient fonder, sous l’autorité de G.-J. Chaminade serait « sous la protection et comme la propriété de la sainte Vierge, 7 congréganistes jetaient les fondements officiels de la Société de Marie, en émettant avec l’autorisation de Mgr d’Aviau, les vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, de stabilité dans la Société de Marie et d’enseignement de la foi et des mœurs chrétiennes.

Ainsi à l’école de Chaminade, des jeunes gens et des jeunes filles ont compris que si marie était indissolublement unie à jésus dans le grand œuvre de la régénération du genre humain, elle avait besoin d’aides, d’auxiliaires, de missionnaires, et c’est afin d’être ces aides, ces auxiliaires, ces missionnaires qu’ils ont renoncé à un état de vie temporel pour se constituer en entités juridiques spécifiques qui ont été reconnues par l’Eglise comme congrégations religieuses et au sein desquelles ils se sont fixés, les uns à temps, les autres à vie, en émettant outre les vœux ordinaires de religion, le vœu de n’en pas sortir pendant la durée de leurs engagements.

Dans l’histoire de combien d’Ordres ou de congrégations religieuses, les choses se sont-elles passées ainsi ? Dans combien de cas est-ce la conscience de la mission de Marie dans l’Eglise qui a provoqué la naissance d’un Ordre ou d’une congrégation religieuse ?

Une telle congrégation religieuse, un tel Ordre, ne sont-ils pas spécifiquement qarials ? Les membres d’une telle congrégation ou d’un tel ordre ne sont-ils pas les religieux de Marie à un titre spécial du seul fait qu’ils appartiennent à cette congrégation et à cet Ordre ?

Dès le premier janvier 1819, 4 mois seulement après l’émission des premiers vœux prononcés par les fondateurs de la Société de Marie. Chaminade présentait à S.S. Pie VII les « deux réunions sorties du sein des congrégations mariales » de bordeaux et d’Agen, et il sollicitait pour elles les indulgences que le Saint Siège accorde habituellement aux congrégations religieuses naissantes.

Le 25 mai suivant, les faveurs désirées étaient accordées « aux enfants de la Bienheureuse Vierge Marie. »

Le 16 septembre 1838, en sollicitant l’approbation des Constitutions de ses deux familles religieuses, le Fondateur écrivait à Grégoire XVI : « Ces deux Ordres ont pris pour nom distinctif celui de l’Auguste Marie ; puissent-ils la faire connaître, louer et chérir par toute la terre ! Car, je suis intimement convaincu que Notre Seigneur a réservé à sa sainte Mère la gloire d’être particulièrement le soutien de l’Eglise dans ces derniers temps. » En réponse, le 12 avril 1839, Grégoire XVI signait le décret de louange en faveur des deux nouvelles congrégations et Chaminade lançait sa lettre du 24 août 1839 aux prédicateurs des retraites annuelles.

Le 11 août 1865, Pie IX approuvait « le pieux institut fondé au diocèse de Bordeaux et portant le nom de Société de la Bienheureuse Vierge Marie » comme congrégation à vœux simples. Par le même décret, il précisait que le vœu de stabilité était un vœu de persévérance dans l’état religieux marianiste.

Le 10 juillet 1891 enfin, un décret du Pape Léon XIII approuvait définitivement les Constitutions de la Société de Marie, dans lesquelles le profès est appelé couramment « l’enfant de Marie », où l’art. 378 se lit : « Etabli pour gouverner la famille de marie, le Supérieur général se considère comme le ministre de l’Auguste Vierge, » où l’art. 55 indiquait en ces termes l’effet marial que la nature essentiellement mariale de la Société conférait au vœu de stabilité ou de persévérance approuvé par Pie IX le 11 août 1865.

Si tels sont bien l’origine, l’histoire et le caractère marial des deux instituts religieux fondés par le Vén. G.-J. Joseph Chaminade, celui-ci exagérait-il quand, dans les premières constitutions de la Société de Marie, il écrivait : « Qu’est-ce que la Société de Marie dans l’ordre de la religion ? C’est une réunion des enfants de Marie les plus prononcés, qui, sans aucun respect humain, s’associent pour soutenir les intérêts de leur Auguste Mère, d’abord en eux-mêmes, puis dans tout ceux avec qui ils ont des rapports. »

Exagérait-il quand, sous une forme plus oratoire, il s’adressait à l’abbé Perrodin qui allait faire profession dans la Société de Marie, et lui disait : « Jésus-Christ vous donne à Marie comme son ministre fidèle et son valeureux soldat. Le roi du céleste empire vous enrôle à jamais dans la garde de la Reine. Désormais vous le servirez en servant celle qu’il a associée à sa couronne et à sa gloire, et vous serez plus spécialement le soldat de Marie et le missionnaire auprès des peuples de cette Vierge Immaculée. »

Exact, le langage que Chaminade tenait à l’abbé Perrodin est éclairant. Il permet de comprendre ce qu’est notre consécration à Marie et la portée du vœu de stabilité inclus dans la formule de notre profession religieuse.

Du moment que la Société de Marie est dans l’Eglise une entité juridique dédiée consacrée à Marie comme le sont certaines églises est enrôlée dans cette entité, dans ce corps, participe à cette consécration comme toute recrue d’un régiment participe à tous les caractères propres à ce régiment, dès son incorporation et aussi longtemps qu’il appartient ç ce régiment.

Comme chacun sait, aujourd’hui comme autrefois, dans les congrégations religieuses comme dans les Ordres, l’incorporation religieuse résulte de la profession publique reçue au nom de l’Eglise. Mais, comme nous l’avons vu, au temps du P. Chaminade, quand il s’agissait des vœux simples, la stabilité dans la congrégation qui les recevait devait être assurée par un engagement spécial, qui était généralement le vœu de stabilité dans ladite congrégation.

Tirons de là quelques conclusions obvies.

Le mot consécration désigne un acte et un état.

Comme état, la consécration des Marianistes résulte de leur incorporation, de leur appartenance à un corps religieux de nature mariale. Il consiste dans l’emprise dont la Vierge Marie jouit sur tout marianiste par l’entretien d’un institut qui soutient ses intérêts et dont les Supérieurs sont des représentants.

Comme acte, la consécration des Marianistes est l’acte même par lequel ils embrassent l’état de vie propre à la Société de Marie et se fixent dans cette Société par un vœu qui, au temps de leur Fondateur devait être explicite dans la profession temporaire comme dans la profession définitive et qui aujourd’hui n’est qu’implicite dans la profession temporaire

Cette consécration est donc indirecte, comme Chaminade le faisait remarquer à l’abbé Fontaine, en 1837 : « En faisant le vœu de stabilité, on ne fait pas directement le vœu de consécration à la très sainte Vierge ; mais il y est indirectement puisqu’on s’engage à demeurer perpétuellement, – (en cas de profession perpétuelle évidemment) – dans une société qui lui entièrement dévouée. »

Dans cette remarque, notre Fondateur distinguait clairement l’objet propre et direct du vœu : »demeurer perpétuellement » dans la Société de Marie et la conséquence nécessaire d’un tel vœu,, son effet indirect : la consécration à Marie en raison des liens qui unissent la Société à Marie. Le jeune prince qui s’unit en mariage à la fille d’un roi devient directement le mari de cette fille et indirectement le gendre du roi en raison du lien de parenté qui unit sa femme au roi.

A la différence des consécrations en forme directe, qui ne sont qu’une offrande, une résolution, un ferme propos, cette consécration est constitutive. Elle établit le profès dans un état de vie durable, dont les devoirs et les obligations sont fixés et précisés par la règle de cet état et les directives des responsables de cet état. Par le fait, cette consécration est plus concrète, plus réaliste, plus objective qu’une consécration directe, comme celle des congréganistes séculiers dont l’exécution est laissés à l’initiative et au jugement de chacun..

La lettre adressée par le Vén. G.-J. Chaminade, sous la date du 24 août 1839, aux prédicateurs de retraites a été appelée lettre sur le vœu de stabilité. Cet intitulé ne répond pas au contenu. Dans un style cicéronien, la lettre est une présentation apologétique de l’état religieux qui est propre aux Marianistes et qui, contrairement à ce que certains prétendaient alors, n’est inférieur, dit le Fondateur à aucun autre, puisqu’il comporte la pratique des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance aussi strictement que les autres, et puisque, de plus, ceux qui l’embrassent peuvent se dire, à un titre spécial, les religieux et les missionnaires de la Vierge Marie

C’est là jusqu’ici la seule présentation d’ensemble que nous ayons de l’état religieux marianiste. Une autre, en un style plus simple, plus dépouillé et en même temps plus technique ne serait pas de refus, de nos jours. Elle serait même utile et bienvenue.

Il est regrettable que la révision des Constitutions de la Société de Marie n’ait pas été l’occasion de revenir à l’explication du vœu de stabilité dans la profession temporaire comme dans la profession définitive, et de substituer au terme stabilité celui de persévérance, qui a exactement le même sens, mais qui est plus compréhensible de nos jours et prête moins aux interprétations subjectives.

L’appartenance à la Société de Marie et la consécration individuelle des membres de la Vierge elle-même sont inséparables. On ne peut appartenir à la Société de Marie sans être consacré à Marie. Mais cette consécration individuelle vient de l’appartenance à la Société, elle-même consacrée foncièrement à Marie et ne vient que de là. Supprimez l’appartenance, il n’y a plus de consécration. Le vœu de stabilité ne fait que rendre celle-là.

L’appartenance, et par suite celle-ci, la consécration, plus ferme, plus solide, plus stable.

Le vœu d’être stable dans la Société de Marie est à notre état religieux marianiste et donc à notre consécration à marie elle-même, ce qu’un contrefort est à une cathédrale. Même s’il contribue à la solidité de la cathédrale, un contrefort, si élégant, si artistique soit-il, ne vaut pas la cathédrale. Ce qui doit être regardé comme le don de Dieu à la Société de Marie est à l’Institut des Filles de Marie Immaculée, c’est non pas le vœu de stabilité ou de persévérance, mais la nature mariale de l’état religieux marianiste, puisque notre consécration mariale personnelle est fonction de notre appartenance à cet état spécifique, et n’est autre que la relation qui existe entre nous et la Vierge en vertu de notre appartenance à cet état

ANNEXES

REPONSE du P. Arc. Larraona, C.M.F., futur cardinal, à une consultation relative à notre vœu de stabilité.

Le 13 avril 1920, l’abbé Paul Marie Verrier supérieur du Séminaire marianiste de Fribourg (Suisse), avait consulté la revue Commentarium pro religiossis sur le sens et les obligations de notre vœu de stabilité. Dans sa demande, il n’avait pas caché que personnellement il considérait ce vœu comme un vœu qui consacrait directement à Marie et entraînait les obligations d’une consécration directe. A l’appui de son opinion, il avait envoyé la documentation sur laquelle il se fondait : nos constitutions, le ch. II de l’Esprit de notre Fondation, la lettre de Chaminade aux prédicateurs des retraites annuelles de 1839. En juin de la même année, il reçut du P. Arc Larraona la réponse ci-dessous, qui certainement aurait été plus facile et plus formelle si la documentation avait fourni :

1° le décret romain du 11 août 1965 ;

2° la citation complète du texte extrait d’une lettre du P. Chaminade à l’abbé Fontaine en 1837 : « En faisant le vœu de stabilité, on ne fait pas directement le vœu de consécration à la très sainte Vierge, mais il y est indirectement …. » ;

3° le texte extrait de la circulaire n° 81, du P. Caillet : « Les vœux obligent le religieux pour tout ce à qui il s’est engagé devant Dieu ; or, il a promis d’être chaste, d’obéir au Supérieur général et à ses délégués, d’être pauvre, d’être stable dans la Société de Marie : le Saint-Père a-t-il ajouté d’autres obligations ? « On peut même se demander si, connaissant ces textes, l’abbé P.-M. Verrier aurait eu recours au commentarium … «  quoiqu’il en soit, voici le texte du P. Arc Larraona :

Cum agatur de interpretatione voti publici ad sensum iuris quae ut vim obtimere posset demum S. Sedi subiicienda esset, iuvabit prae primis Curiae stylum hac de re deponere (I), postea allata documenta ad examen revocabimus (II), et inde quid practice propositis quaestionibus respondendus sit concludemus.

 

a)Stylus Curiae a dimidio fere elapsi saeculi votis quae tribus essentialibus in congregationibus frequenter adjiciebantur adversari coepit Decursus temporis usque adeo processit haec adversatio ut vota adjuncta, nisi per exceptionem, non admiterentur. « (2)

  1. b) Vota tamen sive iuramenta quae   in congrégationibus anterioris epocae ad huiusmodi styli formationem approbata iam eramt S. Sedes generatim   non abolevit, sed interpretatio ipsorum sive ad vota religiosa determinanda sive ad complenda aut confirmanda ordinentur, restricta facta fuit (3)
  2. c) Ut documentis S. Sedes illis praecipue adiunctis votis opponitur quae ad ea sese referunt : 1) quae contineri vidantur in ipsa natura professionis perpetuae ; 2) quae in ipao fine Religionis prout ipae in Constitutionibus abunde describitur inclusa iam apparent ; 3) quae nova, non omino determinate, quae latiorem ambitu habent, quorus material potius ascetica quam luridica videatur (4).
  3. d) Huic non admittuntur ex 1° votus perseverantiae stabilitatis, perfectionis, etc., quia status religionus totus est in speciali obligatione ad, perfectionem per tria consilia generalia voto firmata obtinendam et quia proffessio prout fit in Ecolesia importa traditionem et incorporationem Religioni et quedem perpetuam ac definitivam si de professione perpetua sermo sit (5) ; ex 2° : votum instructionis et similia (6) ; ex 3° : votum zeli, votum sese exercendi in animarum salute, votus curandi de proximis, etc. (7).
  4. e) Hae ipsae, regulas observantur in addendis votis pro Congregationibus quae iam habetant et interpretandis illa quae hucusque emittebantur in casibus dublis (8).

 

-II-

Documenta allegata probare certo saltem non videntur mentem fuisse Ven, Fundatoris hunc tribuere sensum voto stabilitatis quem benevolus orator propugnat. Sane loca citata in rextu et contextu considerata commode explicari possunt quin dicamus votus stabilitatis esse formaliter votum perpetuae consécrationis erga B. Virginem Mariam

a)Negative. Attente et diligenter perlegi semel atque iterum documenta, et textum clarum unde votum sensu dictu eruatur non inveni. Ipsum non probant, ut opinor, nn. 3,4, 6, 14, 55, 293, 294, 296 Const., quaeloca sunt clariora.

  1. b) positive. In allaris documentis loca inveniuntur quae excludere videntur votum sensu explicato.

Dicitur, e, gr, 1° in notis anno 1828 ad D Lalanne missis ; “Le voeu de stabilité est refermé dans l’émission des trios voeux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté faits et reçus dans la Société ; il n’est distinctement prononcé que par dévotion à la très sainte Vierge, et dans le pieux dessein de perpétuer autant que possible son entier dévouement à son service. »

2° In notis quae afferuntur anni 1832, auctor sensum quo votum stabilitatis accipiebatur explicans ait : «  L’émission des vœux de religion, dans quelque Ordre que ce soit, suppose toujours le vœu de stabilité, qu’il soit exprimé oui ou non, mais il engage bien plus expressément dans la Société de Marie, non pas simplement parce qu’on le fait explicitement comme dans l’ordre de saint Benoît : promitto stabilitatem ; ce vœu a de meilleurs avantages, il sert le frein à la légèreté et à l’inconstance naturelle de notre esprit…Il est une marque de notre dévouement entier à l’auguste Marie, puisqu’il se fait principalement en son honneur et pour sa gloire.

3° in litterie datis a V. D. Fontaine, Loquendo de voto stabilitatis dicitur : « Le vœu de consécration à la très sainte Vierge y est indirectement (hoc sensu scilicet), puisqu’on s’engage à demeurer perpétuellement dans une société qui lui est entièrement dévouée. »

4° Par le vœu de stabilité   (dicitur in Const. nn. 19-20) on entend (ad hoc votum ordinatur) se constituer d’une manière permanente et irrévocable dans l’état de serviteur de Marie. C’est proprement un dévouement à la sainte Vierge, avec le pieux dessein de propager sa connaissance et de perpétuer son amour et son culte, autant que possible, par soi et par les autres, en quelque circonstance de la vie que ce soit. »

In his locis, adhibita stricta interpretatione, nihil aliud sequitur nisi quod votum stabilitatis in Societate Mariae, etsi a votis religiosis non differat, fit tamen expresse devotionis ergo ad Virginem : 1° pignus est consecrationis erga sactissimam Virginem in culus honorem et gloriam praecipue pronuntiatur ; 2° quia finis Societatis totus est in honore et gloria B. Virginis, dum quis perpetuo promittit in hac societate perseverare indirecte et exercite sese devovet B. Virginis ; 3° immo hoc praecise intenditur dum votum immitutur et ad hoc expresse ipsum ordinatur ad irrévocabilem consecrationem B. Virginis in objectum ad quod Societate constitua fuit.

Non negamus in his aliisve locis, si interpretatio stricta non esset, inveniri posse sensum quem voto tribuit amabilis consulens, sed quia non neccessario optatus ille sensus ex testibus promanat adhibita stricta interpretatione ad quam certo ex stylo curiae cogimur, recipi non potest.

Votum igitur stabilitatis in Societate Mariae est votum quo professio religiosa et incorporatio Societati confirmatur. Quia talis est intentio voventium ab ecclesia admissa et religionis scopus ad quam professus incorporetur, votum specialiter attingit consecrationem ad B. Virginem

Des obligations directes et des obligations indirectes ou dérivées. Dans la lettre du 24 août 1839, il écarte même cette distinction comme une source de médiocrité ; de tiédeur et finalement d’apostasie pour le religieux et la religieuse. Il s’adresse au cœur tout autant et même plus qu’à la froide raison. Il n’est pas préoccupé de préciser des points de droit, mais il l’est de montrer, pour répondre à ceux et à celles qui doutent de pouvoir se sanctifier dans la Société ou dans l’Instituts, quels horizons magnifiques s’ouvrent aux religieux et aux religieuses de ces sociétés.

Dans le concret, toutefois, par exemple quand il s’agit d’un religieux qui demande a être relevé de ses vœux, il sait à quoi s’en tenir et fait les distinctions voulues. La preuve en est que ses disciples immédiats, comme le P. Caillet, ont su, eux aussi, à quoi s’en tenir. Les exagérations, les confusions ne sont apparues que chez les commentateurs de la fin du XIX ème siècle et les publications du XX ème.

Avec la thèse du P. Komescher, la seconde édition de Notre Don de dieu, par le p E. Neubert, la parution de La Vie spirituelle d’après les Ecrits du P. Chaminade, par la P. P.-J. HOFFER ? Sup2rieur général de la Société de marie, on pouvait croire qu’on était revenu sur la bonne piste. L’étude plus récente du P. L. Amigo, traduite en italien sous le titre La figura di Maria nella nostra regula di vita et en anglais sous un titre équivalent est là pour nous détromper. Ce travail nous ramène aux jours des affirmations les plus déroutantes et des confusions les plus regrettables. Pour en trouver de semblables, il faut remonter aux articles ou à la brochure du P. H. Lebon. Inutile d(insister. J’ai dit ailleurs ce que j’en pensais.

Pour comprendre ce qu’est exactement notre consécration à Marie telle que l’a conçue notre fondateur, il faut partir de la nature essentiellement, radicalement, fondamentalement mariale de la Société de Marie et de l’institut des Filles de Marie telles que les a voulues le Vén. G.-J. Chaminade. Scilicet quatenus consecratio ad Ipsam est causa motiva et finalis voventis ac voti ipsius, et cum Societas tota sit in honore et gloria B. Virginis, etiam consecratio et cultus B. Virginis est etiam aliquo modo causa materialis voti ; formaliter tamen votum stabilitatis remanet votum perseverentiae et finis its voti sub voto non cadit.

 

-III-

Hinc non concluderem respondendo propositis quaestionibus :

1° Adest arcta et intima relatio in Societate Mariae inter votum stabilisatis et consecrationem ad B. Virginem ; 2° Haec relatio finalis, materialis, motiva est ; tamen adhibita stricta interpretatione, profari certo non potest quod formalis sit ; 3° praxis praescriptae devotionis et apostolatus marialis non obligant directe ex voto stabilitatis, sunt materia voti obedientiae ; 4° potest quidem opi io contraria ut probabilis, et si libet, ut probabilior sustineri, tamen practise, ut credo, quia certa non est et stylus Curiae non favet his votis, difficulter admittetur.

 

Notulas

(I)Cfr. Bizzari ² , p. 782-784 (et 14 et 20) ; Battandier 5, n. 185 ; Vicente, C.M.F.. Recentia, nn. 145, 177, p. 63, 75 ; Bastien², n. 147 ; Bachofen, p. 370.   Citantur inter alia documenta : S.C. 6 et 9 iunil 1860, 16 sept. 1888 ; 13 Aug. 1887 ; 22 sept. 1892 ; Normae, art. 102.

(2) Cfr. Battandier 5, n. 188.

(3) Cfr. Battendier 5, n. 186 ; Const. Fr. Schol. Christ, p. 181 (Bulla) In Apostolicae dignitatis solio : nono) Redemptoristarum, p. 2, c. I,1°, Passionistarum, c. XI, Oblatorum M. I, nn. 258-260, MM. Fil. Imm. Cordis B.M.V. (Formula profess.) Rel. S. Petri ad Vincula, etc. etc.

(4) Cfr. Not. Seq.

(5) S.C. 13 mai 1888 ; ad 3. Cfr. Etiam Const. Oblatorum.

(6) S.C. 17 iun. 1865 ad 16 ; 1896 ad 1 ; 27 sept. 1861.

(7) S.C. 16 iun 1876 ad 6 ; 21 avril 1870, ad 5 ; 23 iul 1860 ad 3, 16 iun 1871 ad I.

(8) Cfr. In Battendier 5 n. 187, exemplum Uraulinarus.

II REPONSE du P. Vermeersch, S.J. à une consultation

Sur le même sujet

Le 26 avril 1920, le même abbé Paul-Marie verrier avait consulté aussi le P. Vermeersch au sujet de notre vœu de stabilité. Il reçut la réponse suivante, datée de Rome 16 juin 1920 :

Mon Révérend Père,

Je m’excuse d’abord d’avoir tant tardé à répondre à votre bonne lettre du 26 avril ; mais l’arrivée en coïncida avec un encombrement exceptionnel.

Voici, au sujet de la question que vous voulez bien me poser, mon humble sentiment.

Par le vœu de stabilité, les Pères, Frères et Sœurs de la Société de Marie s’interdisant de passer dans un autre institut, ce qui, avant le Code n’exigeait pas toujours l’intervention du Saint-Siège. A part cela, ce vœu n’a pas de m matière spéciale. Mais, comme le dit très bien votre art. 54, il exprime formellement ce qui est déjà contenu dans les trois vœux substantiels de la Société de Marie. Il ne porte pas sur une consécration directe et immédiate à Marie, mais il équivaut à une consécration personnelle de chacun, parce que la Société est elle-même une société qui se dévoue à la sainte Vierge (art. 55). Avant le code, il produisait un effet canonique spécial, signalé à l’art. 56.

Cette conception de vœu s’appuie ;

  • sur l’origine historique du vœu. Votre vénéré Fondateur s’est inspiré de saint Benoît, lequel par le vœu de stabilité, a voulu prévenir des changements jadis permis, de monastère.
  • Sur le mot lui-même Le terme serait très impropre s’il s’agissait d’une consécration immédiate à Marie. Et pourquoi la mention de cette consécration aurait-elle été omise ?
  • Sur les art. 54-56 des constitutions.
  • sur l’effet canonique indiqué à l’art. 56.

La lettre du Vénéré Fondateur confirme cette interprétation. Voyez comme il entend prévenir les défections de ceux qui, sous prétexte d’une plus haute perfection, songeraient à quitter l’Institut.

Reprenant maintenant vos questions, je crois devoir y répondre comme suit :

I.Ce vœu ne peut-il pas être considéré comme partie essentielle de la profession religieuse dans la Société de Marie,) – Aux yeux de votre vénéré Fondateur, la consécration à Marie manquerait d’un complément si le vœu de stabilité ne la rendait pas particulièrement irrévocable. En ce sens, on peut voir, dans ce vœu, une note caractéristique de votre profession religieuse, une note essentielle de cette profession.

  1. (Le service de marie auquel s’engage le Profès est-il suffisamment déterminé soit par les expressions de l’art. 56, soit par la formule même de la profession ? ou cette détermination reste-t-elle à faire d’après les règles générales en usage ?) – Le service de marie est déterminé par la profession des trois vœux au sein de la Société de marie et les constitutions de cette société.

III. (Premier cas : le vœu engage le profès au service de Marie en général, mais pas au service de Marie tel que l’entendent la S.M. et ses Constitutions. Dans ce cas, quel serait la matière de ce vœu ?) – j’estime qu’il faut écarter la première hypothèse ou le premier cas.

  1. (Deuxième cas : le vœu engage au service de Marie tel que l’entendent la S.M. et ses constitutions. Le profès est tenu à ce service en toute hypothèse , même sans le vœu de stabilité, par le fait de son incorporation et des constitutions. Y est-il tenu en plus, par son vœu de stabilité ?) – Le service de Marie est celui que déterminent les Constitutions et n’a pas indépendamment de celles-ci, de caractère obligatoire. Aucun acte particulier n’est directement prescrit ou promis en suite de ce vœu, sinon l’art. 54 serait erroné. P. ex. la récitation du Petit office oblige comme le veulent les constitutions et celui qui le néglige n’a pas à s’accuser d’avoir manqué à son vœu de stabilité. Celui-ci, je le répète, n’a pas de matière spéciale, sauf l’interdiction de passer dans un autre ordre ou Institut, du moins sans dispense du Saint-Siège, Voilà ce que je crois devoir vous répondre.

Il vous intéressera peut-être de savoir que, selon toute probabilité, je passerai un jour à Fribourg, vers le 20 juillet de cette année.

En vous remerciant de votre confiance, et me recommandant à vos bonnes prières à la sainte Vierge, je vous prie d’agréer….

L’abbé P.-M. Verrier ne fut pas convaincu. A la date du 23 juin, il envoya au P. Vermeersch la lettre suivante :

Mon Révérend Père,

Je m’empresse de vous remercier de votre bonne et aimable lettre du 16 juin dernier sur notre vœu de stabilité. Elle m’est parvenue au soir de la fête de saint Louis de Gonzague et j’ai vu dans cette coïncidence une attention de votre jeune saint auquel j’ai voué, depuis son passage à la Grégorienne, une dévotion spéciale.

Comme vous m’annoncez votre prochain passage à Fribourg, je serais heureux d’avoir avec vous, à ce moment-là, un entretien, quelque court qu’il soit, sur le vœu en question.

Je me permets de vous soumettre dès maintenant, un certain nombre de réflexions sur les conclusions auxquelles un premier examen vous a fait aboutir. Pour plus de clarté, je suivrai l’ordre même de votre lettre.

Pour vous le dire tout de suite, nous avons toujours enseigné, dans nos maisons de formation, que notre vœu de stabilité était bien un vœu de consécration à Marie, et que ce vœu avait un double objet : la pratique d’une piété filiale insigne envers la très sainte Vierge considérée comme Mère des âmes, et l’apostolat marial qui nous met au service de Marie comme ses missionnaires travaillant au salut des âmes par la diffusion de la connaissance, de l’amour et du service de marie. Nous sommes tenus à tout cela par le fait de notre incorporation à un Institut qui a été fondé à cette double fin ; mais par le vœu de stabilité, chacun de nous fait sienne cette double fin et s’engage à y tendre. Tel est l’enseignement commun chez nous.

Ce que nous voulions tirer au clair, ces derniers temps, c’étaient les limites précises au-dessous desquelles nous ne pouvions descendre sans violer notre vœu.

Notre vœu nous oblige à une piété filiale insigne envers Marie ; cela veut dire qu’il nous oblige,à tendre, à la perfection de cette vertu ; mais quels sont les actes qui constituent le minimum imposé dans le domaine de la vertu dont il s’agit ? Le vœu de pauvreté est un moyen de tendre à la perfection de la vertu de pauvreté, et il impose certains actes de pauvreté, qui sont un minimum et en même temps un moyen de tendre à une pauvreté plus haute. Le même ici. D’autre part l’objet de notre apostolat est de prêcher Marie, de la faire connaître, aimer et servir. Mais à quels actes sommes-nous tenus dans cet autre domaine de l’apostolat marial, par notre vœu ?

Des explications, mon Révérend Père, vous feront comprendre la position que j’avais prise en vous posant mes questions du 26 avril.

Votre réponse renverse de fond en comble cette position. Il peut se faire qu’elle soit réellement renversable. Pourtant, plus je relis vos arguments, plus je crois que l’on y peut répondre. Je vous serais donc très obligé de prêter un peu de votre attention aux réflexions et arguments que je me permets de vous soumettre. Cela vous fera mieux connaître notre esprit et me permettra à moi-même de vérifier ou la solidité ou la caducité de mes arguments.

Daigne la très sainte Vierge, sur laquelle vous avez si bien écrit, vous inspirer les solutions qui se rapprochent le plus de la vérité, que cette vérité soit dans la solution que vous venez de me donner ou qu’elle se trouve dans une solution nouvelle à découvrir.

En vous remerciant dès maintenant de vos bontés pour nous, je vous prie, mon Révérend Père, d’agréer…

L’entretien sollicité eut lieu à Fribourg, probablement le 26 juillet. Sous cette date et sous l’intitulé Entretien avec le P. Vermeersch, l’abbé P.-M. Verrier nous a laissé cette note :

Le Père s’en tient au seul texte des Constitutions. Il insiste sur le mot « implicitement » de l’art. 53, lequel devient « expressément » à l’art. 54. L’art. 55 n’ajoute rien qui puisse faire croire à une consécration « immédiate » du profès. Le mot n’y est pas : pourquoi avoir garde ce mot de stabilité qui n’a évidemment pas le sens d’une consécration ? La chose, non plus. Il y a bien l’équivalent dans les expressions « d’une manière permanente et irrévocable dans l’état de serviteur de Marie » ; mais cet équivalent n’existe que par le moyen de la Société à laquelle se lie le profès, puisque après les mots cités, il y a : « à qui la Société est spécialement consacrée. Il ne s’agit toujours pas d’une consécration immédiate, mais médiate.

Peu importe le sens nouveau, inédit, que le P. Chaminade a entendu donner au mot de stabilité. Ce qui fait foi, dans ces questions, c’est le seul texte des constitutions approuvées. Là, les mots sont pris dans leur sens obvie, et, dans le nouveau Codex, il y a un canon pour dire qu’il faut laisser aux mots leur sens ordinaire.

Le profès est donc tenu au service de Marie, tel qu’il est entendu dans la Société, suivant les Constitutions. Ce service peut être exigé au nom du vœu d’obéissance. Le refuser, dans le cas d’un ordre reçu serait manquer au vœu d’obéissance, et peut-être aussi, probablement, au vœu de stabilité. Rester habituellement indifférent à ce qui touche le service de marie serait vivre en état de péché véniel habituel.

L’argument tiré du maximum de consécration auquel le congréganiste séculier entendait aboutir par le vœu de stabilité, ne vaut pas en faveur d’une consécration immédiate. Car, lors même que cette consécration immédiate n’existerait pas, ce maximum est atteint. Le service de Marie dans un institut qui lui est voué, où tout est organisé en vue de ce service, avec tous les avantages de l’association (communion des mérites, convergences des efforts, entraînement mutuel) est plus parfait que celui que peut lui devoir un consacré isolé, livré à ses propres ressources. D’autre part, embrasser l’état religieux afin d’être plus totalement à Marie, c’est donner une preuve d’amour plus radical que si l’on restait dans la vie commune. Le service de Marie sera obtenu tel que les Constitutions le demandent par l’amour, la générosité qu’il s’agit d’exciter et d’entretenir.

Tout dans l’Institut contribuent à ce service, p ex, le frère cuisinier, en soutenant ceux qui travaillent plus directement à prêcher Marie. Toute la vie est informée par le vœu de stabilité et tous les actes en ont le mérite.

III Extrait d’une présentation de l’APOTRE DE MARIE

AU XIX SIECLE, par le P. Henri Rousseau, SM, assistant

Général, in L’Apôtre de Marie n° 4 Novembre Décembre 1904

Le premier devoir d’une âme apostolique, c’est de tout quitter pour la cause qu’elle entend servir. La parole évangélique ne laisse pas de place au moindre doute à cet égard. Ce que le divin maître avait déclaré nécessaire à tout homme épris du désir de le suivre, doit aussi bien s’entendre du service de la Reine du ciel. C’est pourquoi le P. Chaminade n’a jamais varié d’un iota sur la nécessité pour ses enfants de faire les trois vœux de religion, aussi étendus que la comporte la nouvelle législation de la société civile.

Restait à trouver un moyen d’imprimer à cette profession ce cachet spécial qu’avait indiqué Notre-Dame del pilar. Le Fondateur y réussit en imposant aux sociétaires un quatrième vœu qui est la déterminante des trois autres et en fonction duquel ils promettent pauvreté, chasteté et obéissance. Cet engagement sacré constitue celui qui l’émet dans l’état de serviteur de Marie d’une façon permanente et irrévocable. Il n’est pas une simple démarche de désir et d’affection, par laquelle d’esprit et d’intention le profès se détache de soi-même et de ses biens extérieurs ; c’est un acte de dépouillement, de désappropriation très effective, par lequel il livre à Marie son corps, son âme, ses biens et ses œuvres afin qu’elle s’en serve selon son bon plaisir et pour l’honneur de la très sainte trinité.

Ce vœu reconnut par l’Eglise avec cette signification bien explicite prit dès l’abord le nom de stabilité, par analogie avec d’autres sociétés qui ont admis un quatrième vœu ; mais cette identité de nom n’entraîna la ressemblance de fond. Toutes les déclarations du fondateur sont expresses sur ce point : son dessein, au contraire, fut de placer à cet endroit précis la ligne de démarcation qui sépare son institut de tous les autres. (L’Apôtre de Marie, n° 4, Novembre Décembre 1904, p. 114-115)

IV Extrait de E. NEUBERT, Notre Don de Dieu, Tours, 1954,

  1. 58-62.

Dans la Société de Marie, le vœu de stabilité se trouve joint aux trois vœux de religion. Avec eux il constitue une congrégation à Marie la plus parfaite qu’on puisse concevoir.

CE Q’IL APPORTE A LA PROFESSION RELIGIEUSE.

Quelle place occupe-t-il dans cette consécration à Marie ? La pauvreté consacre à Marie nos biens temporels ; la chasteté, notre corps et notre cœur ; l’obéissance, toute notre volonté et toute notre activité, pratiquement tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons. Et le vœu de stabilité.

Il s’apporte aucune offrande nouvelle à l’holocauste constitué par les trois autres vœux, mais il résume en lui-même cet holocauste et apporte : Au point de vue canonique, une nouvelle obligation, une plus grande sainteté, un caractère marial plus manifeste. Par le fait que les trois autres vœux ont chacun un objet précis : les biens extérieurs, le corps, la volonté, ils attirent directement l’attention sur cet objet. Par contre, la persévérance ou stabilité n’a aucun objet spécial ; elle peut s’appliquer à tout ce qui est et à tout ce qui se fait. En l’appliquant au service de Marie, elle attire naturellement l’attention toute entière sur le service marial.

Au point de vue spirituel, ce vœu apporte bien autre chose encore. Nous le verrons plus loin.

EST-IL « LA DETERMINANTE DE NOTRE PROFESSION » ?

Etant donné que le vœu de stabilité exprime notre volonté d’entier dévouement à Marie et que ce dévouement est la raison d’être de notre profession, peut-on dire que le vœu de stabilité « est la déterminante des trois autres vœux, celui en fonction duquel (les religieux de Marie) permettent pauvreté, chasteté et obéissance » (L’Apôtre de Marie), 1904, Henri Rousseau) ? La pensée qui est derrière la formule est sans doute orthodoxe, mais la formule elle-même ne l’est pas. Le vœu de stabilité exprime de dévouement marial : il n’est pas ce dévouement marial. La volonté de dévouement marial a préexisté à la fondation de nos deux sociétés, et ces sociétés une fois crées, elle a existé chez les Filles de Marie avant leur émission de vœu de stabilité le 27 décembre 1947, – et elle existe chez tous les vrais religieux temporaires des deux Sociétés. C’est cette volonté de dévouement perpétuel au service de marie qui est la déterminante de nos trois vœux ordinaires, comme elle est aussi et surtout la déterminante de notre vœu de stabilité ; bien plus elle est la déterminante de la création de la Société de Marie. Le vœu de stabilité ne la crée pas, mais il l’exprime, la rend plus sacrée, plus inviolable, plus généreuse, plus active.

On ne peut pas dire non plus que le vœu de stabilité est la fin des t’ois autres vœux. Comme nous l’avons vu, ces trois vœux sont nécessaires pour nous constituer dans l’état religieux ; ils nous font religieux de Marie. Le vœu de stabilité ne nous ferait qu’oblats de Marie. Uni aux trois autres, il nous fait plus nettement, plus joyeusement, plus dynamiquement religieux de Marie.

VŒU DE CONSECRATION INDIRECTE A MARIE

Dans sa réponse à l’abbé fontaine, au sujet du vœu de stabilité, le P. Chaminade affirme que « le vœu de consécration y est indirectement ».(E.F. I, (100). Qu’est-ce dire ? Le P. Chaminade explique : « puisqu’on s’engage à demeurer perpétuellement dans une société qui lui est intimement dévouée. » Le vœu de stabilité nous fait perpétuer notre don à la Société de marie. Mais puisque cette Société ne travaille que pour la sainte Vierge, par l’intermédiaire de cette Société, – donc indirectement, – il nous donne à la sainte Vierge. Le cas est identique à celui du chrétien qui veut se donner tout entier à Dieu : pour réaliser son don, il se donne à lui non pas par une offrande directe entre Dieu et lui, mais en se donnant à une société religieuse. Son don est indirect.

MAIS CONSECRATION D’AUTANT PLUS EFFICACE

Consécration indirecte ne veut pas dire imparfaite. Tout au contraire. Une consécration indirecte à Marie ou à Dieu est bien plus réelle, plus totale, plus continue qu’une consécration directe.

Celle-ci, même si elle est très sincère, sera un acte de donation généreuse, dont on se souviendra plus ou moins souvent dans le cours de sa vie, mais qu’on ne peut pas constamment songer à vivre ; de plus, elle laisse de fait au consacré la disposition de ses biens de son corps, de sa volonté surtout et de son activité. Sa situation extérieure ne change pas. Par la consécration indirecte, au contraire, on abandonne tout et en toute réalité : bien extérieurs, corps, âme, toute l’activité jusqu’au dernier moment, tout est donné à Marie dans la Société qui la représente.

Les conditions ont entièrement changé ; lieu d’habitation, costume, régime, exercices de piété règlement journalier, travaux, buts, compagnons, tout est devenu différent par suite de cette donation indirecte. Dans la consécration directe, on ne peut guère donner que la bonne intention ; dans la donation indirecte, avec l’intention, on donne la substance même des choses ou des actions. C’est vraiment un holocauste d’amour.

DANS L’INTENTION ; LA PENSES DE MARIE EST PREMIERE

« Si, dans l’ordre de l’exécution, on se donne directement à la Société de Marie et indirectement à la vierge, dans l’ordre de l’intention, la pensée de Marie est première. On veut se donner à Marie, et pour se donner à elle le plus efficacement, on se donne à sa Société.

C’est là un caractère unique de la stabilité dans la Société de Marie. Dans les autres instituts, par le vœu de stabilité on veut se donner tout d’abord à la Société. On fait les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance pour se donner à Dieu. On fait le vœu de stabilité pour se lier à l’Institut. C’est là l’origine de ce vœu dans les associations à vœux simples qui ont surgi depuis le Concile de Trente. Ainsi la Vénérable Anne de Xaintonge, fondatrice des ursulines de Dole auxquelles se rattachent celles de Fribourg, ayant à répondre à diverses objections soulevées contre sa fondation, en particulier à celle-ci : « Le vœu de stabilité est une innovation ; il ne signifie rien, puisqu’un évêque peut en délier les religieuses »,elle expliqua : « Si les trois autres vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance lient ses filles envers Dieu, celui de stabilité les attache entre elles et à l’institut. »

Or, dans la Société de marie, nous l’avons entendu affirmer au P. Chaminade, « le vœu de stabilité n’est distinctement prononcé que par dévotion à la sainte Vierge ».

V Pour la petite histoire.

  1. a) Lettre du P. P. Resch, S. M, supérieur provincial de la

Province de Saint-Louis, au P. J. Verrier

Maryhurat, le 24 avril 1952

Mon cher Père,

Hier soir, j’ai attiré l’attention du P. Fee sur l’erreur qu’on a exprimé dans l’enseignement du Second Noviciat de Marycliffe. Il a pris votre travail sur la Stabilité avec lui. Je n’avais jamais vu le document du second noviciat que vous avez cité à la fin de votre récent travail.

Certainement cet enseignement va contrer le statut du chapitre général de 1946 et va contre tout ce que nous avons toujours enseigné à propos de l’obligation de notre vœu de stabilité. Le rédacteur du Chapitre n’avait pas le temps sans doute de contrôler les éditions et les titres, mais, comme vous avez supposé, les membres voulaient indiquer clairement que la vraie doctrine sur les obligations du vœu de stabilité se trouvait non pas dans la première expression (édition) du P. Schellhorn, mais dans sa dernière expression (éditiion).

Je me rappelle bien la discussion que j’avais eue par écrit avec leP. Schellhorn sur ce texte. Il fit la suppression de ces obligations supplémentaires par ordre du bon Père Sorret.

Ce qu’il faut craindre, ce sont les mauvaises interprétations des disciples, comme celles du Second noviciat, comme celles des séminaristes, – certains de Saint Meinrad, – qui ne voulant pas accepter l’explication de leur supérieur, – l’explication même de votre travail – se sont adressés au chapitre général de 1946.

Vous avez sans doute envoyé un exemplaire de votre étude au P. Hoffer. »

  1. b) Lettre du P. Hoffer, assistant général du P. Juergens

au P. J. Verrier, S.M.

Rome, novembre 1955

Cher ami,

« Un petit mot par occasion. Ces jours-ci, à propos d’un cas personnel, le P. Scherrer a parlé du vœu de stabilité aux PP Larranoa et Creusen. Les deux lui ont dit qu’il ne peut s’agir d’un objet strict. La persévérance dans la Société est déjà vouée par la profession religieuse ordinaire .Le vœu de stabilité n’ajoute rien à cette obligation. Pour eux, c’est un beau geste et c’est tout. En somme, une affirmation d’entier dévouement à la sainte Vierge. Je vous livre la chose comme elle a été dite Vous êtes plus savant que moi pour en profiter. »

  1. c) Lettre du P. E. Neubert au P. au P.P. HOFFER.

Grangeneuve, le 6 juin 1952

Cher monsieur le Supérieur,

Je vous renvoie les remarques du P. Verrier sur le Petit traité de Marialogie du P. Schellhorn. Il m’en avait déjà soumis d’autres sur le même traité ainsi que sur le Catéchisme de l’Etat religieux et sur la Vie Intérieure.

J’y avais répondu en accordant qu’il y avait quelques expressions à modifier et en faisant valoir que celles qui paraissaient imprécises à tel endroit du livre étaient à interpréter en fonction des explications données à tel autres ; que du reste, il ne fallait pas demander à un traité de spiritualité destiné à des novices la rigueur philosophique ou juridique. (J’ai profité de quelques-unes des remarques du P. verrier dans la refonte que je fais actuellement de « Notre Don de Dieu. » Je vois par les nouvelles remarques que la tournure d’esprit du P. Verrier n’a pas changé. Je vous soumets deux pages d’observations ; une foule d’autres affirmations demanderaient des rectifications.

Le P. Verrier parle des « incertitudes manifestées périodiquement par les religieux sur la portée du vœu de stabilité » et il en cherche la cause dans l’imprécision des enseignements donnés. J’ai entendu parler à plusieurs reprises de ces incertitudes, mais ceux qui en parlaient se réclamaient des remarques qu’ils attribuaient au P. Verrier. Je viens de recevoir une carte de M. Kohmescher. Il me dit dans un P.S.: I hear Fr Verrier « objects » to the Mariology taught at Glencoe by Fr. Fee!”…

  1. d) Extrait de la réponse du P E Neubert aux observations du P. J . Verrier sur la brochure du P H. Lebon : Notre vœu de stabilité et notre consécration à Marie.

« Quand il parlait de la très Sainte Vierge, le P. Lebon donnait libre cours aux inspirations de son cœur ; il s’enthousiasmait et cherchait à gagner les autres à son enthousiasme, sans se préoccuper de l’exactitude théologique et canonique des termes qu’il employait.

Tel a été le cas en particulier dans les articles qu’il a donnés à L’Apôtre de Marie en 1923. Il était au comble de l’enthousiasme à cause de la récente réintroduction officielle du texte du fondateur dans nos Constitutions (voir à la préface). Si d’ailleurs il parlait en prédicateur, ici il parle en panégyriste, désireux de faire admirer de tous les membres de la S.M., le don de Dieu à notre Société. Il mêle les notions de consécration et de vœu, d’obligations et d’esprit de générosité. Ama et fac quod vis, pensait-il, sans doute. Mais s’il est permis à un prédicateur, à un panégyriste surtout de recourir à des hyperboles et de négliger les distinctions, cela est dangereux dans un texte imprimé qui devra être étudié et médité à froid.

Cependant, si l’on veut juger équitablement la doctrine du P. Lebon sur notre consécration mariale, il faut prendre celle que le P. Schellhorn a exprimée dans son « Petit traité de Mariologie laquelle a été discutée avec le P. Lebon et approuvée par ce dernier comme étant la doctrine de la Société de Marie. »

  1. e) Extrait de Paul Joseph HOFFER, S.M., La Vie spirituelle d’après les écrits du Père Chaminade. Rome 1968, p. 89-91.

« Par elle-même, la profession religieuse dans la Société de Marie équivaut donc à une consécration mariale de caractère apostolique. On ne fait pas la profession et, en plus, une consécration à Marie. En vérité, les deux s’identifient. L’état religieux marianiste n’est qu’une manière plus parfaite de remplir toute l’étendue de la consécration à Marie. « Ce que je regarde comme le cratère propre de nos ordres, dit le Fondateur, et ce qui me paraît sans exemple dans les fondations connues, c’est que c’est en son nom et pour sa gloire que nous embrassons l’état religieux, c’est pour nous dévouer à elle corps et biens, pour la faire connaître aimer et servir. » Toute alliance, du reste, suppose la réciprocité : au religieux qui se livre à Marie, Marie communique à son tour toute la richesse de sa prière et de ses mérites à elle. La fidélité aux vœux et à la règle implique donc une signification spécifiquement mariale, et il ne tient qu’au religieux d’entrer consciemment dans cette orientation.

Le vœu de stabilité

Il semble qu’on ne puisse pousser plus loin la consécration à Marie

C’est pourtant ce que le P. Chaminade entendait faire en ajoutant aux trois vœux ordinaires le vœu de stabilité. Encore une fois, celui-ci est déjà implicitement « renfermé dans l’émission des trois vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté faits et reçus dans la Société ; il n’est distinctement prononcé que par dévotion à la très sainte Vierge et dans le pieux dessein de perpétuer autant que possible son entier dévouement à mon service ». Même si la Société devait un jour perdre ce vœu o_ si la Règle n’en parlait pas, du moment que la Société a été fondée pour aider Marie dans sa mission apostolique, chaque religieux s’oblige à persévérer au service de Marie en émettant les trois vœux ordinaires qui incluent, d’après l’actuelle législation canonique, l’obligation de persévérer dans la Société de Marie. En d’autres termes, la consécration à Marie est contenue dans la profession des trois vœux. Ce n’est donc pas le vœu de stabilité qui crée cette consécration ; il n’apporte aucune offrande nouvelle à l’holocauste des trois autres vœux. Par l’émission de ces derniers, le religieux se met à la disposition de Marie pour l’assister dans sa mission providentielle, pour lutter à ses côtés « dans sa noble lutte contre l’enfer ». Aussi bien les profès temporaires, qui n’ont pas prononcé le vœu de stabilité, sont-ils, eux aussi, engagés au service de Marie.

En ce cas, pourquoi prononcer encore un vœu de stabilité ? Bien qu’il soit déjà implicitement contenu dans la profession des trois vœux ordinaires, le vœu de stabilité rend plus explicite notre consécration et proclame solennellement la volonté de persévérer dans la Société de Marie. Il ne crée pas l’obligation de persévérer, celle-ci étant déjà contenue dans la profession des vœux, mais il l’exprime avec plus de solennité, la rend plus sacrée et plus inviolable. Il n’impose pas des actes précis de piété filiale, mais met en relief la volonté de persévérer dans la « Famille de Marie » en vue du service de Marie. Inspiré par la piété filiale, ce vœu n’est donc pas à proprement parler un vœu de piété filiale ou de consécration à Marie. »

POUR   FINIR

Que ressort-t-il de ce débat ?

Faute de comprendre exactement la pensée de notre Fondateur, faute de distinguer le plan ascétique et moral du plan juridique et canonique, faute aussi de tenir compte de l’évolution survenue dans la législation de l’Eglise au sujet des congrégations à vœux simples, on a trop insisté, au dam de la nature de la Société de Marie et de l’Institut des Filles de Marie, sur l’importance du vœu de stabilité dans ces deux sociétés

En contemplant l’arc-boutant, on a négligé la cathédrale ; en voyant l’ancre, on a oublié le paquebot ; l’arbre a caché la forêt.

Indépendamment de tout vœu de stabilité, les membres de la Société de Marie et ceux de l’Institut des Filles de Marie Immaculée sont consacrés à Marie par le fait même de leur profession religieuse.

Toute profession religieuse, en effet, outre la promesse faite à Dieu de vivre dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance aux Supérieurs d’une société religieuse reconnue par l’Eglise et juridiquement désignée, comporte un contrat implicite par lequel le profès exprime sa volonté d’être incorporé dans cette société religieuse, tandis que, de son côté, cette société l’agrée à titre de membre.

Puisque la Société de Marie et l’Institut des Filles de Marie Immaculée sont officiellement et constitutionnellement des sociétés religieuses consacrées à Marie et comme « la propriété de Marie », il est obvie que tous et chacun de leurs membres sont ipso facto consacrée à Marie par l’emprise effective et réelle que Marie a sur tous et chacun d’eux par l’intermédiaire des Supérieurs de ces Sociétés.

Cette consécration est complète. Le vœu de stabilité n’y ajoute rien.Ce qu’il a de propre c’est de la rendre plus ferme, plus irrévocable, plus inébranlable, plus solide en un mot aux yeux de la conscience et du monde

Par le fait même, le vœu de stabilité soumet ceux qui l’émettent à tous les devoirs de l’état marianiste d’une manière plus irrévocable, mais ne change en rien l’obligation inhérente à ces devoirs. Tout en étant la fin de ce vœu, comme ils le sont déjà de la profession elle-même, ces devoirs ne sont pas l’objet promis à Dieu par le vœu. L’objet propre du vœu est préalable aux devoirs de l’état marianiste, c’est l’engagement de rester d’une manière continue dans cet état ou, si l’on veut, de ne pas embrasser un autre état. En conséquence, les manquements aux devoirs d’état relèvent du vœu de stabilité s’ils mettent en question la permanence dans l’état, la persévérance, mais pas autrement.

C’est ce que notre fondateur a déclaré expressément dans les Constitutions de 1839,

« Le vœu de stabilité, se réalisant par le fait, ne demande que l’attachement constant de la volonté cette promesse, et du reste, aucune habitude spéciale qui entre dans la manière de vivre. » (Constitutions SM, art. 233)

« Le vœu de clôture, se réalisant par le fait, ne demande que l’attachement constant de la volonté à la promesse qui le constitue. Il en est de même pour le vœu de stabilité que font les compagnes. » (Constitutions F.M.I., art 400)

Le 9 juillet 1947, le P. E. Neubert m’écrivait : « Si vous avez des remarques à faire sur ma manière d’entendre le vœu de stabilité, je les recevrai volontiers. Il importe qu’on arrive à une notion nette de ce vœu de stabilité et qu’on ne continue pas de dire, comme l’a fait dernièrement un de mes séminaristes nouveaux : « Le vœu de stabilité, mais il paraît qu’on ne sait pas en quoi il consiste. »

Des remarques, je lui en ai fait et il en a largement tenu compte, comme il est facile de le constater en comparant son édition 1954 de « Notre Don de Dieu » avec celle de 1928.

La these de Notre confrere Matthey F. KOHMESCHER, Additional vows of religion in general and in particular the vow of stability in the Society of Mary (Marianiste), I primée en 1957 Donne généralement la note juste. Il est regrettable cependant que certaines de ses affirmations excèdent çà et là son argumentation. Ainsi comment se plaçant sur le plan juridique a-t-il pu écrire : « The latter (Society of Mary) has a vow of stability wich has à very special, even unique, meaning, that of consecration to Mary. » Indirectement, oui ; mais directement, non. Aurait-il écrit cette phrase et d’autres semblables, en traitant du voeu de clôture émis par les filles de Marie ? Et pourtant, dans la pensée du P. Chaminade, le vœu de clôture était pour les Filles de Marie ce que le vœu de stabilité était pour les membres de la Société de Marie. D’un côté comme de l’autre, aux termes mêmes des constitutions de 1839, ces deux vœux, pour le répéter, « se réalisant par le fait, ne demandent que l’attachement constant de la volonté à cette promesse. (Art. 233 pour la S.M., et 400 pour les FMI) L’article 400, chez les F.M.I, continuait : »Il en est de même pour le vœu de stabilité que font les compagnes. »   Il aurait pu ajouter et les religieux de la Société de Marie.

De même notre confrère conclut son étude par cette phrase : « The strict obligations of the vow (of stability) are to persevere in the Society and to cooperate.” Distingue-t-il assez l’obligation de persévérer dans l’état et celle qui est inhérente aux devoirs de cet état ? Je l’ai dit précédemment : vouer l’état pas formellement vouer l’accomplissement de chacun des devoirs de l’état. Les devoirs d’état sont la fin du vœu qui voue l’état, et la fin ne tombe pas sous l’obligation du vœu, à moins qu’elle ne conditionne essentiellement l’engagement du vœu.

Il est indéniable que le refus total de toute coopération aux œuvres de la Société serait un motif sérieux d’exclusion – l’auteur le dit expressément – et donc un manquement grave au vœu de stabilité dans n’importe quelle société religieuse ; mais on ne peut pas soutenir que n’importe quel refus de service, que n’importe quelle négligence, apathie, nonchalance ou manque de zèle sont des manquements au vœu de stabilité pour les religieux de la Société de Marie, et au vœu de clôture pour les Filles de Marie. Nous sommes ici dans le domaine des devoirs c’état et il nous faut appliquer ici le théologie morale des devoirs d’état et non celle des vœux. Le chapitre général de 1946 a eu raison dans le statut qu’il a adopté à ce sujet, bien que, soit dit en passant, de telles questions ne semblent pas être de la compétence d’un chapitre. Puisqu’il s’agit d’un vœu public, c’est à l’Eglise d’en fixer la portée et les obligations.

Dernière remarque au sujet de l’étude du P. Kohmescher. Sauf erreur de ma part, il ne mentionne même pas le décret du 11 août 1865 dans lequel Pie IX approuve la Société de Marie dont les membres, dit-il « émettent les trois vœux simples ordinaires de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, y ajoutant aussi un quatrième vœu par lequel ils s’obligent à persévérer dans le pieux institut, et à demeurer soumis à la direction du Supérieur général. » Dans une étude qui se veut spécialement canonique, une pareille omission n’est-elle pas surprenante ? Regrettable aussi l’omission du témoignage émanant du P. Caillet, dans sa circulaire n° 41, 3 novembre 1865, p. 3 : « Les vœux obligent le religieux pour tout ce à quoi il s’est engagé devant Dieu ; or, il a promis d’être chaste, d’obéir au supérieur général et à ses délégués, d’être pauvre, d’être stable dans la Société de Marie (c(est moi qui souligne) : le Saint père a-t-il ajouté d’autres obligation ? » Le P. Caillet était profondément dévot à marie et ne méconnaissait en rien le caractère spécifiquement marial de la profession religieuse et de le Fille de marie. Mais il a su distinguer l’obligation propre et canonique des obligations subséquentes et dérivées.

L’obligation canonique du vœu de stabilité et celle du vœu de clôture sont ordonnées aux obligations mariales qui sont inhérentes aux devoirs d’état de qui a prononcé un de ces vœux ; mais il ne suffit pas qu’une chose soit ordonnée à une autre pour que cette autre chose soit elle aussi matière ou objet du vœu.

Chaminade n’était pas un canoniste. Quand il parle du vœu de stabilité soit dans les Constitutions, soit dans ses lettres et spécialement dans sa lettre aux prédicateurs de retraites, 24 août 1839, il vise au résultat pratique, à l’accomplissement généreux des devoirs d’état et ne s’arrête pas à la distinction du juridique, du moral ou de l’ascétique

Manque la page 52.

De nombreuses sociétés religieuses sont placées sous l’invocation et le patronage de la Vierge Marie. elles honorent Marie et recourent à elle en considération de sa puissance d’intercession et attendent d’elle son concours pour atteindre la fin et les objectifs de leur institution, qui ne doivent rien aux vérités dogmatiques touchant le rôle de marie dans la mission de l’Eglise.

Le caractère marial de la Société de Marie et de l’institut des Filles de Marie s’explique différemment. Ce qui a conduit Chaminade à fonder deux nouvelles Familles religieuses « missionnaires », c’est la conviction acquise dans l’oraison qu’associée ç son Fils d’une manière unique dans l’œuvre de la Rédemption et de la Régénération du genre humain Marie était l’antagoniste née de Satan, et qu’à ce titre elle avait besoin d’auxiliaires, de collaborateurs et collaboratrices, de missionnaires dévoués jusqu’à extinction.

Par suite, l’institut des Filles de Marie d’abord, la Société de Marie ensuite furent conçus et organisés pour fournir à la Vierge ces auxiliaires, ces missionnaires. Ils ont été reconnus et approuvés comme tels par l’Eglise, et dans la mesure où ils restent fidèles à l’intention de leur fondateur comme à leur mission, ils sont consacrés l’un et l’autre à la Vierge Marie par l’Eglise elle-même.

Du temps du père Chaminade, le vœu de stabilité chez les membres de la Société de Marie et le vœu de clôture chez les Filles de marie étaient pour leur consécration à Marie, ce que les arcs-boutants sont à une cathédrale gothique, les contre-fortd à un mur, les ancres à un navire Ils assuraient la stabilité de la consécration, parce que, comme Anne de Xainctonge, Chaminade les considéraient et les faisaient considérer comme des vœux faits à son profit et lui conférant de ce fait un droit de justice sur les services des profès, dans ces vœux, la consécration aurait exister aussi complète, aussi totale, mais elle aurait été moins ferme, moins solide juridiquement et devant la conscience de chacun.

De 1865 à 1947, les Filles de Marie n’émirent que les vœux simples de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Elles firent approuver de nouvelles constitutions. Furent-elles encore pendant ce temps consacrées à Marie ? La question n’a pas été étudiée jusqu’ici. La réponse dépend de la nature de l’institut tel qu’il a été fixé pendant ce temps par les Constitutions. Si les religieuses sont restées constitutionnellement les missionnaires de Marie telles que les a voulues le P. Chaminade, leur profession a continué à les rendre consacrées à marie par le ministère de l’Eglise. L’absence du vœu de clôture n’a eu d’autre conséquence que de rendre cette consécration moins stable, cet amoindrissement de stabilité étant d’ailleurs compensé par un affermissement de la profession religieuse elle-même en raison d’une évolution du droit canon.

Au cours du XIX è siècle, en effet, la législation de l’Eglise a évolué au sujet des congrégations à vœux simples. Aujourd’hui la profession des vœux simples de pauvreté, de chasteté et d’obéissance a d’elle-même la stabilité qu’au temps du P. Chaminade elle n’avait que moyennant le vœu explicite de stabilité dans la congrégation agréant le profès. En d’autres termes, l’Eglise a elle-même fait pour toutes les professions de vœux simples de ce que Chaminade, après et avec d’autres fondateurs, avait fait pour la profession de ses religieux et de ses religieuses, en décidant pratiquement que le vœu de stabilité était implicitement contenu dans toute profession religieuse. Elle admet que ce vœu soit explicitement exprimé comme elle admet qu’un prêtre ayant implicitement fait vœu de chasteté en recevant le diaconat émette explicitement ce même vœu, s’il vient à entrer en religion.

L’explicitation n’ajoute rien aux obligations ; elle a pourtant sa valeur propre : elle attire l’attention plus que la seule « implicitation », c’est pourquoi on peut regretter que dans la Société de Marie le vœu de stabilité ne soit pas explicitement prononcé lors de la profession temporaire comme dans l’Institut des filles de marie Immaculée. Les profès temporaires ne sont-ils pas ceux qui ont le plus besoin d’avoir leur attention attirée sur le devoir d’assurer leur persévérance ?

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, comme au temps du Vén. G.-J. Chaminade, les religieux de la Société de Marie et les religieuses de l’Institut des filles de marie Immaculée sont consacrés par l’Eglise à la vierge Marie par leur profession religieuse en même temps qu’ils sont consacrés à Dieu, et le propre du vœu de stabilité, qu’il soit implicite ou explicite, c’est de consolider tout à la fois et la consécration à Dieu et la consécration à Marie.

A mettre la consécration dans le vœu de stabilité au lieu de la mettre essentiellement dans la profession religieuse, on fait comme le chien de la fable qui lâcha sa proie pour l’ombre.

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