Marie la croyante

L’ACTUALITÉ DE LA PROPOSITION DE FOI DU BIENHEUREUX CHAMINADE

MARIE LA CROYANTE: Propositions pour aujourd’hui sur le chemin du P. Chaminade

Sur le chemin du P. Chaminade

Deux observations préliminaires

Deux observations préliminaires sur la façon d’enseigner du P. Chaminade, façon qui a une incidence sur les propositions de foi pour les hommes d’aujourd’hui:

a)-. Avant toute chose, il faut bien comprendre que le P. Chaminade est un missionnaire et un pasteur. Il n’est pas stricto sensu “théologien”, encore moins un spécialiste de “mariologie” au sens actuel, adonné à la spéculation ou à l’enseignement de la théologie. Son originalité ne tient pas, à proprement parler, à sa pensée, mais à son offre spirituelle et apostolique.

La théologie l’intéresse beaucoup, non seulement pour son progrès personnel dans la foi, mais surtout à deux fins: premièrement pour s’en inspirer dans les instructions de foi pour ses disciples; également pour trouver les principes de base de direction spirituelle des personnes et des communautés. Il n’hésite pas à prendre des textes d’auteurs qu’il considère comme valables pour rédiger ses instructions, préparer ses guides spirituels ou rédiger les statuts et les constitutions des communautés qu’il fonde.

Les textes en question sont « siens », dans la mesure où c’est lui qui les a choisis, acceptés et transmis. Dans la sélection intitulée Écrits Marials, le P. Armbruster présente en détail leurs sources. Le P. Chaminade est ainsi le “scribe docte” loué par Jésus, semblable au “père de famille, qui du trésor [de l’Église] tire des choses nouvelles et des choses anciennes (Mt 13,52).

b)-. Quant à la paternité de ses propositions il faut également souligner une importante originalité du P. Chaminade. Pour mener à bien sa tâche d’instruction et de direction comme Missionnaire Apostolique, il prit avec lui toute une série de collaborateurs et de secrétaires qui l’aidaient. Les grands artistes considéraient comme leurs les toiles et les fresques peintes sous leur signature par les élèves de leur atelier.

De même, Chaminade a partagé sa tâche avec de nombreux collaborateurs. Il leur faisait une grande confiance et il les encourageait et les suivait généralement de près. C’est pour cela que ses “Écrits” et ses “Paroles”, comme l’ìndique la série Écrits et Paroles, sont matériellement l’œuvre de “l’atelier Chaminade”, tout en étant d’inspiration chaminadienne. Le dernier disciple de l’atelier primitif de Chaminade a été le P. Fontaine, lequel fut chargé par lui d’écrire le Manuel du Serviteur de Saint-Rémy, le court traité “De la connaissance de Marie”[1], peut-être davantage fruit de l’atelier que création personnelle du P. Chaminade. D’ailleurs c’est pour cela que, très justement, le texte en a été placé à la fin de la collection Écrits et Paroles, juste avant le troisième testament du P. Chaminade.

Ce choix d’utiliser un atelier, auquel d’ailleurs participent souvent des laïcs, qu’ils soient religieux (frères) ou non, est une proposition chaminadienne qui a des conséquences pour notre époque. Car, d’une certaine façon, nous qui participons à ce symposium, nous faisons partie de “l’atelier Chaminade” dans la mesure où nous essayons de suivre son inspiration.

Marie: une foi pleine, ferme, constante et centrée sur son objet: les mystères du Christ

Pour comprendre la différence entre la proposition de Chaminade et la proposition pour aujourd’hui, il nous faut nous arrêter sur un aspect de la foi qui a pris beaucoup d’importance dans les derniers cinquante années. Le Concile Vatican II, dans sa constitution Lumen Gentium a dit sur Marie un mot qui a provoqué depuis lors une riche réflexion: “La Bienheureuse Vierge Marie a avancé dans le pèlerinage de la foi” (LG 58. année 1964).

Cette déclaration a été employée fréquemment depuis par papes et évêques. Après cela c’est non seulement l’expression, mais toute une attitude et une perspective qui sont devenus populaires dans l’Église Catholique à travers la prédication, la catéchèse et les publications.

La foi de Marie est un chemin qui passe par des joies et des peines, des épreuves et des consolations, des nuits obscures et des lumières. En outre, ce chemin est un modèle pour le chemin de la foi de l’Église pèlerine, thème principal de l’encyclique Redemptoris Mater (1987).

Cette expression dans un document du concile était à proprement parler une nouveauté, même si le thème venait déjà d’avant, peut-être du milieu du XIXe siècle. La foi comme un chemin avec ses difficultés, que l’on parcourt tantôt le jour, tantôt la nuit, Thérèse de Lisieux l’avait évoqué dans le fameux poème de la fin de sa courte vie, Pourquoi je t’aime, ô Marie, non sans avoir été influencée par la spiritualité de saint Jean de la Croix. La Vierge Marie a elle-même fait l’expérience de la nuit de la foi![2]

En réalité tout le XIXe siècle est un siècle de recherche de la foi dans l’obscurité ; nous en trouvons une illustration significative dans le beau poème du Cardinal John Henry Newman (1801- 1890), Lead, Kindly Light (1833). Puis c’est l’Église du XXe siècle qui trouvera cette si belle expression biblique: le pèlerinage de Marie dans la foi.

Pourquoi cette introduction? Chaminade et Newman furent des contemporains pendant un demi-siècle, le second étant plus jeune de quarante ans. Mais cette courte différence d’années recouvre une dramatique rupture culturelle et spirituelle. En lisant Newman, nous avons le sentiment que sa vie c’est la nôtre. Chaminade, lui, nous semble, au premier regard lointain et différent de nous. Cette distance est une difficulté, mais, bien comprise, elle peut nous apporter des perspectives importantes que nous laisserons aujourd’hui de côté.

En effet, pour le P. Chaminade, la foi de Marie, telle que la considérait le baroque[3], est toujours marquée par la certitude, jamais par le doute. Sa foi, toute venue toute entière de Dieu, est centrée non sur son propre moi, mais sur les mystères. Les mystères, tous ceux auxquels Marie est associée (expression constante chez Chaminade), lui font comprendre la foi en plénitude. C’est un savoir qui inclut même, de façon surprenante, des précisions théologiques et dogmatiques que l’Église ne parviendra à définir que bien longtemps après.

Prenons comme exemple des notes du P. Chaminade pour un sermon ou une instruction au moment de la Nativité, probablement vers les débuts de la Congrégation (1801-1809):

“Et elle le coucha dans une crèche (Lc 2,7).

À peine l’auguste et très pure Marie eut joui du bonheur de tenir entre ses bras l’aimable et divin enfant qu’elle venait de mettre miraculeusement au monde, à peine l’avait-elle offert au Père éternel, à peine la cour céleste et le glorieux saint Joseph lui eurent payé le tribut de leurs adorations, que cette divine Mère, instruite des hauts conseils de la sagesse éternelle, le coucha dans une crèche.

La divine Marie savait que Jésus-Christ venait comme époux des âmes, roi des cœurs, prêtre de la nouvelle alliance et docteur de l’Église; que la crèche serait en même temps et le lit nuptial, le trône de grâce et de miséricorde, l’autel du sacrifice et la chaire de la vérité”.[4]

Dans ce texte (les mots en caractères gras ne figurent pas dans l’original) nous pouvons voir comment en Marie croire est un savoir sûr et profond, puisque, après “l’instruction” de l’archange, elle connaît les dimensions théologiques de la mission de Jésus-Christ. Tout ceci nous semble aujourd’hui étrange, parce que nous mettons au premier plan les aspects “humains” et “historiques” de la personne croyante.

En outre, nous valorisons tout spécialement sa conscience et sa psychologie, qui se développent et se transforment progressivement. Le texte cité, littérairement bien construit, n’est pas écrit dans le style du P. Chaminade ; il l’emprunte très probablement à un auteur de sa bibliothèque, mais, en l’employant pour sa prédication, il le fait sien.

C’est la même chose, par exemple, dans un autre morceau de la même époque, mais qui appartient à un autre dossier. Il s’agit d’une méditation, cette fois-ci sur la ¨Passion et le Calvaire, dans laquelle on présente Marie comme connaissant clairement tous les mystères, puisque en elle réside le “dépôt de la foi”.

Le texte nous rappelle en plus les sources auxquelles Marie boit une foi aussi claire et complète, à savoir: a) les annonces de Gabriel et de Siméon, b) son propre Fils et c) l’Ancien Testament. La connaissance venue de son expérience la conduit à une telle profondeur théologique et sacramentaire que Marie peut même s’identifier avec ce que l’Église fera plus tard dans la liturgie, au Saint Sacrifice de la Messe, en offrant le sacrifice du Christ (les mots en caractères gras ne le sont pas dans l’original):

“Pourquoi Marie monte jusqu’au Calvaire? Ce n’est pas par des sentiments de pitié, de compassion, de tendresse maternelle. Elle y va pour accomplir de grands mystères: le dépôt de la foi est tout entier en Marie. Elle avait une claire connaissance de tous les mystères, non seulement par saint Gabriel et par saint Siméon, par son divin Fils, mais aussi par l’intelligence de toutes les prophéties, etc.

Au pied de la croix elle était à la place de l’Église, immolant son Fils à Dieu par le sacrifice sanglant de la croix, en s’immolant elle-même. Elle immole et s’immole pour réparer la gloire de Dieu…”[5]

Le troisième texte du P. Chaminade est emprunté à une méthode de méditation qu’il est en train d’élaborer pour le noviciat. Il le compose depuis son exil d’Agen, en 1832. Il est clair que c’est lui qui l’écrit et qui le rédige, mais en y introduisant des textes d’autres auteurs. Lisons donc cette prière de Marie au Calvaire, au moment où Jésus va être crucifié, très appropriée pour préparer le thème de méditation.

Point unique: Prière que fit Marie au Père Éternel sur le Calvaire, en lui offrant son fils pour la Rédemption du monde comme une chose propre par le Droit de Mère qu’elle avait :

“Mon Seigneur, Dieu éternel, vous êtes le Père de votre Fils unique, qui par l’éternelle génération Dieu vrai né de Dieu vrai, que vous êtes, et par la génération humaine est né de mes entrailles, où je lui ai donné la nature d’homme dans laquelle il souffre.

De mon sein je lui ai donné le lait et l’ai nourri, et comme au meilleur des enfants qui ait jamais pu naître d’une autre créature je l’aime comme une vraie Mère, et comme Mère j’ai le droit naturel a son humanité très sainte dans la personne qu’il a, et jamais Votre Providence ne le refuse à qui l’a et qui lui appartient. J’offre donc ce droit de Mère et le mets dans Vos mains encore une fois, pour que votre Fils et mon fils soit sacrifié pour la Rédemption du genre humain.

Recevez, mon Seigneur, mon acceptable offrande et sacrifice, puisque je n’offrirais autant si moi- même étais sacrifiée et souffrais, non seulement parce que mon Fils est vrai Dieu et de Votre même substance, mais aussi de la part de ma douleur et de ma peine. Car si moi je mourais et que changeait le sort, pour que sa très sainte vie fut conservée, ça aurait été pour moi un grand soulagement et la satisfaction de mes désirs”[6]

Chaminade copie directement ou indirectement le texte sur une version française de La mística Ciudad de Dios (La cité Mystique de Dieu) de María de Ágreda. Il l’emploie parfois, tout en étant conscient que cette œuvre suscitait des controverses et des réticences.[7]. Il est surprenant que la Vierge Marie connaisse non seulement toute la foi, mais qu’elle prie même avec les expressions de foi de Nicée et de Chalcédoine.

Mais si la prière est de María de Ágreda, pour voir comment Chaminade fait sienne cette théologie, il suffit de lire ce qu’il lui ajoute et qui porte son cachet. Dans la première considération qui suit, Marie croit fermement et avec l’orthodoxie antiarienne très précise de la formule de foi de Nicée, le credo confessé à la liturgie de la messe (les mots en caractères gras ne le sont pas sur l’original).

“La première considération [de cette méditation] traite naturellement de la grandeur d’âme de Marie dans ce sacrifice. C’était son propre fils, qu’elle croyait fermement être le vrai fils de Dieu, de la même substance que Dieu son Père, égal en tout à son Père, etc. Combien aurait dû croître l’amour maternel de Marie depuis la naissance de Jésus-Christ, en vivant toujours avec lui, etc.”[8]

Comme nous voyons, il s’agit d’une foi pleine, ferme, constante, sans doute[9] ni nuit[10] et centrée sur son objet : les mystères du Christ.

Si nous tenons compte du fait qu’entre les premiers textes et les autres se sont écoulées 25 années, et que le document qu’il prépare pour que les novices apprennent à méditer est important comme proposition à transmettre, nous pourrons conclure qu’une telle perspective de la foi de Marie est constante dans les enseignements du P. Chaminade et qu’elle appartient à ses propositions.

Reste à savoir si une telle proposition peut être encore prise en compte par la théologie et la culture d’aujourd’hui.

Le Credo de Marie: le Magnificat

Puisque la foi de Marie est centrée sur les mystères en lesquels elle croit, sur la foi objective, les vérités de foi, il est important de savoir “à quoi croit Marie” selon le P. Chaminade, quel est le “credo de Marie” ? Observons principalement ce que Marie croit du Fils, du Père et de l’Esprit.

Les textes présentés ci-dessus nous montrent des aspects importants sur la manière dont Marie croit en Jésus-Christ selon le P. Chaminade. Ils sont une preuve suffisante de sa pensée et donc il n’est pas nécessaire de revenir dessus dans ce bref article.

Et Dieu Père ? Nous avons déjà vu la prière (selon María de Ágreda) que Marie adresse au “Père éternel”, au “Père du Fils Unique”, au Calvaire. Chaminade ne dit pas davantage de choses de la façon dont Marie voit le Père de Jésus, ni le Père dont elle est fille, comme il le commente fréquemment. Il n’y a non plus chez Chaminade un commentaire au mot “Père” que Jésus lui-même emploie pour expliquer à Marie et à Joseph sa façon d’agir lorsqu’’on le retrouve au temple de Jérusalem (Lc 2,49).

Quant à l’Esprit, Chaminade ne commente pas non plus ce que Marie “croit” ou “sait” de celui qui descend sur elle et la couvre de son ombre, comme l’a expliqué Gabriel. Il ne fait pas allusion au fait que sa foi ou son fiat soit une réponse explicite à l’action de l’Esprit annoncée. Évidemment pour Chaminade l’incarnation se fait par l’Esprit Saint et Marie est son épouse comme l’avaient dit tant de spirituels. Par exemple, il ne souligne pas, que l’Esprit et l’Épouse disent “Viens” (Ap 22,17).

Nous ne nous arrêterons plus sur ce que Marie “croit” de l’Église, même si ce serait intéressant –et long– puisque sa mission pour l’église, pour les autres enfants dans le Fils unique, occupe un chapitre complet, et que son engagement de “protéger” celui qui se consacre à elle est un point d’appui de sa spiritualité.

Qu’il nous suffise finalement d’orienter notre travail vers un commentaire significatif du Magnificat que Chaminade ajoute à ses notes d’instruction.

Même si l’explication qu’il note peut venir d’un autre auteur, on voit à cause des longs paragraphes recopiés qu’elle l’a intéressé. Le caractère schématique du résumé qu’il fait de son commentaire peut nous laisser penser qu’il a pu l’utiliser comme instruction[11].

Le Magnificat est-il un credo ? C’est plutôt, nous dit Chaminade, une réaction à l’éloge de sa foi qu’Elisabeth adresse à Marie, même si indubitablement c’est une confession. Ses mots renferment un éloge parfait des attributs de Dieu : son pouvoir, sa sainteté et sa miséricorde. Ainsi est “le Dieu de Marie”. Il est le Tout-puissant qui a fait en elle de grandes choses.[12]

Marie confesse en plus un Dieu qui agit dans le passé, prophétise les actions de Dieu pour l’avenir et nous instruit sur le présent. Il y a eu un temps des promesses de Dieu, objet de la foi juive. Maintenant c’est pourtant le temps de l’accomplissement, et l’accomplissement de Dieu est pour toujours.

La lecture de tout le commentaire nous fait voir le Dieu vivant, qui voit, qui agit, qui promet et qui accomplit.

Le Magnificat est sans doute une importante démonstration de la foi de Marie, que très justement a louée Elisabeth.

Marie vit de la foi. – Justus ex fide vivit.

Pour Chaminade la foi objective et la subjective sont en interaction. Il parle de cela dans un écrit sur la prière, composé en 1832 pour le P. Chevaux, qui était assistant de zèle de la Communauté de Saint-Rémy et maître des novices.

“La méditation se fait: 1. En considérant une vérité ou un article de foi à la lumière même de cette vérité: la foi subjective s’exerce sur la vérité objective de la foi”.[13]

QUESTIONS ET NOTES SUR LE CORPS DE LA MÉDITATION

PREMIÈRE QUESTION: Qu’entendez-vous, s’il vous plaît, par foi subjective et foi objective?

RÉPONSE: La foi considérée dans le sujet qui croit s’appelle foi subjective, considérée en elle-même, comme crue par le sujet croyant est appelée objective. Soit, par exemple cette vérité révélée : il est établi que les hommes meurent une seule fois. Louise et Gonzague croient cette vérité comme étant de foi : la foi de cette vérité est subjective en eux. Et la vérité elle-même, qui est l’objet de leur foi sera la foi objective.

L’on parle fréquemment de l’augmentation de la foi (et c’est une grande grâce qu’il faut demander souvent à Notre Seigneur Jésus-Christ). Cette augmentation peut être comprise comme une plus grande vivacité, ou une plus grande extension, et généralement on peut croire qu’elle augmente en extension, lorsque d’implicite elle se fait explicite”.[14]

Pour le P. Chaminade (les expressions en caractères gras ne sont pas exactement celles du texte) par la méditation, notre foi se fait plus étendue dans les considérations (et dans les instructions) qui font comprendre la vérité et les vérités implicites en elle.

Mais la proposition de Chaminade n’est pas principalement “d’avoir foi”, ou avoir une foi plus étendue, mais surtout de “vivre de la foi”. C’est pourquoi il est important que la méditation soit une “prière du cœur”, qui mène à une “foi du cœur”. Ceci n’est simplement un exercice de sentiments/affections. La foi du cœur fait “vivre de la foi”.

Cette « vie de foi », le P. Chaminade la comprend en partant du principe biblique : “Le juste vit de la foi” (Rm 1, 17; Gal 3,11; Hb 10,38; citation d’Hab 2,4), comme il l’explique souvent.[15]

Quoique Marie ait une foi pleine, cette foi a encore un développement et une croissance, non en extension, mais dans une “plus grande vivacité”, c’est à dire, elle se développe dans la mesure où elle s’informe et se transforme en une vie qui croît et se développe. Chaminade a une belle parabole pour expliquer la croissance de la “vie de foi” dans le chrétien :

“Justus ex fide vivit (Rom 1,17).

  1. Qu’est-ce que vivre de la foi ? C’est une vie spirituelle réglée, vivifiée chaque fois davantage par la foi.
  2. On doit comparer la foi qui vivifie la vie spirituelle du chrétien à la sève qui monte à travers les racines d’une plante, d’un arbre, et qui arrive jusqu’aux extrémités de la feuille et de la branche la plus petite, en y faisant naître, fermenter tout l’arbre, le chargeant de belles fleurs, d’une verdeur agréable et de fruits mûrs.
  3. La manière de produire dans notre âme cette espèce de fermentation de la sève de la foi, n’est uniquement de produire des actes [de foi], mais surtout de s’adonner à l’oraison de foi, à la lumière de la foi”. [16]

Et c’est ainsi que croît la foi de Marie : en informant sa vie depuis sa conception jusqu’à sa mort, Marie “s’est élevée au plus haut degré de sainteté et de justice parce qu’elle a mené une vie toute de foi depuis le premier instant de sa conception jusqu’à sa précieuse mort”.[17] “Celle-ci était la vie de notre sainte Mère et Patronne ; et c’est pour cela que Sainte Élisabeth fait d’elle cet éloge magnifique : Heureuse toi qui as cru, parce que ce qui t’a été dit de la part du Seigneur s’accomplira en toi (Lc 1,45)”[18]

Propositionpour aujourd’hui

Loin de nous l’idée de laisser de côté la peinture que Chaminade fait de la foi de Marie. Au contraire, elle peut être d’une grande aide pour notre faible foi d’aujourd’hui.

La foi objective

Elle nous aidera à ne pas nous contenter de la foi subjective, ce que je sens et ce que je crois. Le credo objectif, les mystères et les vérités de la foi sont la lumière qui éclaire le chrétien et l’Église. Sur cet aspect la foi de Marie concentre dans son cœur la foi de l’Église, qui nous aide à sortir de nous-mêmes et à avancer dans la connaissance de la foi (les instructions sur la foi de Chaminade), dans l’amour pour la foi (foi du cœur) et dans la vie de foi : Le juste vit de la foi.

Un pèlerinage serein pour “vivre de la foi”

Chaminade est un directeur spirituel qui propose un chemin de foi jusqu’à la plus haute sainteté. Marie occupe un rôle important sur ce chemin. L’image que Chaminade donne de Marie nous aide à ne pas trop dramatiser le pèlerinage dans la foi que chaque personne doit certainement vivre. Les héros de la foi d’aujourd’hui semblent être surtout les convertis qui sont passés par la nuit ou de la désolation ou de l’incroyance. Edith Stein, Charles de Foucauld, Manuel García Morente,

André Frossard sont des noms mémorables et de véritables lumières dans un siècle de pénombre. Même des saints et des mystiques comme la petite Thérèse de Lisieux ou Mère Thérèse de Calcutta elle-même ont pu vivre un difficile pèlerinage dans la foi.

Nous risquons pourtant de banaliser la foi de ces magnifiques croyants et saints, qui ont grandi dans une famille croyante et qui ont eu une foi heureuse depuis leur enfance, comme l’a vu dans Marie toute la tradition chrétienne depuis les premiers apocryphes. Il est certain qu’aujourd’hui il est plus difficile de transmettre la foi en famille à la génération suivante, parce que dans la croissance des enfants il n’y pas que la famille et le Temple, comme nous le raconte de la petite Marie le Proto-évangile de saint Jacques.

Par les fenêtres ouvertes des maisons du village global il entre de tout, et jusque dans les recoins les plus intimes des foyers, et il entre également, indubitablement, des germes abondants d’incroyance. Chaminade a été très sensible à l’éducation chrétienne de l’enfance en temps de crise. Nous ne pouvons pourtant pas éduquer pour enfermer dans une serre, mais pour la mission.

En suivant le P. Chaminade dans sa mission apostolique nous pouvons faire beaucoup dans l’éducation de la foi des familles, afin que dès l’enfance les enfants puissent croire et être heureux. Le pèlerinage dans la foi ne doit pas nécessairement passer par le tunnel de l’incroyance ou de “l’angoisse vitale”.

Au contraire, avec Chaminade nous proposons un pèlerinage vers la “foi vitale”, pour “vivre de la foi”, comme Marie, et donner beaucoup de fruit.

Le chemin biblique: histoire et foi.

Il y a aujourd’hui une tendance, précieuse sans doute, à chercher la “Marie de l’histoire”, comme une réaction aux excès de cette “Marie de la foi” qui connaissait et même confessait le credo même de Nicée. Les évangiles ne délimitent pas aussi énergiquement histoire et foi, au contraire leur symbiose est source de salut. C’est pour cela qu’il vaut la peine, à la lumière des évangiles et de la Bible entière, de relire avec une interprétation raisonnable la foi de Marie.

Étudier à nouveau le Magnificat comme credo de Marie peut être une très bonne chose. En revenir aux contenus christologiques de l’annonce de Gabriel et de la prophétie de Siméon pour comprendre ce que Marie gardait dans son cœur, est tout-à-fait nécessaire.

Sachant que Marie est une disciple qui écoutait la Parole de Jésus et la mettait en pratique, nous pouvons mieux pénétrer dans le cœur croyant de Marie et nous pouvons croire davantage et mieux. Dans le contexte de foi, et pas seulement culturel et religieux, de l’Ancien Testament, si fortement présent dans les évangiles de l’enfance, nous pouvons pénétrer plus profondément dans la foi de Marie. Cette Marie de la Bible, des évangiles, est un chemin précieux de foi.

C’est aussi un chemin ouvert au dogme ultérieur, comme une progression en extension de la foi laquelle, si elle est aimée de cœur, fait vivre le juste. C’est cela que visent de façon significative les perspectives bibliques et mariales présentes dans tant de documents du magistère des quarante dernières années, comme les encycliques et les exhortations post-synodales. Ce chemin continue un vecteur qui, pour nous marianistes, vient de Chaminade.

La Parole dans la liturgie

Chaminade aime citer la Bible et il le fait très fréquemment, même s’il le fait plus avec les méthodes de son époque qu’avec celles de la nôtre. Si la citation est en latin c’est parce qu’il s’agit d’une Parole lue fondamentalement dans la liturgie, qui alors était en latin. Ses enseignements sur Marie sont fréquemment en rapport avec des fêtes liturgiques mariales, comme sermons, instructions ou conférences de retraites.

Parler de la foi de la Vierge Marie à partir de la Bible et de la liturgie est un chemin que Chaminade aime beaucoup. Aujourd’hui il existe des possibilités, comme jamais il n’y en a eu, de croire en Marie dans la liturgie. Il suffit de s’émerveiller et de célébrer avec les nouveaux formulaires du missel de Paul VI et de la collection de messes mariales de Jean-Paul II. Ce sont de bonnes propositions sur le chemin de Chaminade.

Les choses nouvelles et les choses anciennes du trésor de l’Église

Le P. Chaminade ne prétendait pas créer une nouvelle théologie. Avec une grande sagesse il savait choisir ce qui lui semblait le meilleur tant des auteurs de la tradition (il vénérait les Saints Pères, même s’il ne les connaissait que par des collections de citations), comme des meilleurs auteurs qu’il trouvait dans son environnement. Cette sagesse chaminadienne nous anime à chercher et à lire, à étudier et à nous appuyer sur ceux qui aujourd’hui connaissent, aiment et servent le mieux Marie.

Sur ce point, les centres marianistes de Bordeaux et de Rome, la Marian Library et l’IMRI, et d’autres encore, sont une œuvre marianiste excellente, totalement dans le chemin du P. Chaminade. Ce que nous ferons dans chaque unité pour connaître et instruire sur la foi de Marie – “Il faut beaucoup instruire sur la Très Sainte Vierge”[19] est une proposition chaminadienne pour aujourd’hui.

Aujourd’hui le thème de la foi de Marie et de sa relation avec la Parole de Dieu, peut-être de façon spéciale à partir de la théologie de Romano Guardini (Marie, mère des croyants, 1955), est un thème qui revient parmi les théologiens catholiques et dans le magistère de l’Église, avec une importante ouverture œcuménique. Profiter de ce courant c’est aller sur le chemin du P. Chaminade.

“L’atelier Chaminade” aujourd’hui

Il est toujours vivant, et il faut qu’il prenne encore plus d’importance. Grâce aux laïcs et aux religieux la Famille Marianiste peut, entre autres thèmes, approfondir la foi de Marie et trouver des pistes importantes pour la foi dans le monde d’aujourd’hui. Avec notre collaboration mutuelle, comme par exemple à ce Symposium, nous continuons à actualiser des propositions par lesquelles le P. Chaminade continue à porter dans le monde entier le flambeau de la foi.

[1] Manuel du Serviteur de Marie. De la connaissance de Marie et de son culte. EP 7,37, p. 620-673

[2] De marcher sur tes pas, ô Reine des élus, Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère L’étroit chemin du Ciel, tu l’as rendu visible […]   Soit plongée dans la nuit, dans l’angoisse du cœur […] Mère, ton doux Enfant veut que tu sois l’exemple C’est par la voie commune, incomparable Mère De l’âme qui Le cherche en la nuit de la foi. Qu’il te plaît de marcher pour les guider aux Cieux. Poésies, 54, 15. Voir le commentaire du poème de Thérèse in C.R. ARMSTRONG, Under the veil of the Virgin: Saint Thérèse and the Blessed Virgin Mary, w Marian Library Studies New Series 26, 1998-2000, s. 202-234.

[3] Voir, par exemple comment Saint Alphonse de Liguori, en commentant la foi de Marie, cite Suarez, l’initiateur de ce que l’on allait appeler la “mariologie”: “Le P. Suarez dit que la Vierge eut davantage de foi que tous les hommes et tous les anges réunis. Elle voyait son fils dans la crèche de Bethléem et le croyait le créateur du monde. Elle le voyait fuyant Hérode et croyait pourtant qu’il était el roi des rois; elle le vit naître et le crut éternel; elle le vit pauvre, démuni, ayant besoin de nourriture, et elle le crut seigneur de l’univers. Déposé sur la paille, elle le crut tout-puissant. Elle observa qu’il ne parlait pas et crut qu’il était la sagesse infinie; elle l’entendait pleurer et croyait qu’il était la joie du paradis. Elle le vit finalement mourir sur la croix, méprisé, et alors même ^que la foi des autres vacillait, Marie crut toujours fermement qu’il était Dieu”. Saint Alphonse Marie de Liguori Les gloires de Marie, X.3.4.2.

[4] Et reclinavit eum in praesepio. [Et elle le coucha dans une crèche] (Lc 2,7). A peine l’auguste et très pure Marie eut joui du bonheur de tenir entre ses bras l’aimable et divin enfant qu’elle venait de mettre miraculeusement au monde, à peine l’avait-elle offert au Père éternel, à peine la cour céleste et le glorieux saint Joseph lui eurent payé le tribut de leurs adorations, que cette divine Mère, instruite des hauts conseils de la sagesse éternelle, le coucha dans une crèche. La divine Marie savait que Jésus-Christ venait comme époux des âmes, roi des cœurs, prêtre de la nouvelle alliance et docteur de l’Église; que la crèche serait en même temps et le lit nuptial, le trône de grâce et de miséricorde, l’autel du sacrifice et la chaire de la vérité”. De la Nativité. EP 2, 20.118, p. 71.

[5] “Pourquoi Marie va-t-elle sur le Calvaire? Ce n’est pas par un pur sentiment de pitié, de compassion, de tendresse maternelle. Elle y va remplir de grands mystères: le dépôt de la foi est tout dans Marie. Elle avait une claire connaissance de tous les mystères, non seulement par Saint Gabriel, par saint Siméon, par son divin Fils, mais par l’intelligence de toutes les prophéties, etc. Elle tenait au pied de la croix, la place de l’Eglise en immolant son Fils à Dieu par le sacrifice sanglant de la croix, en s’immolant elle-même. Elle l’immole et s’immole pour réparer la gloire de Dieu…” De la compassion de la Sainte Vierge. EP 2, 196.151, p. 420. Selon le P. Armbruster, texte inspiré en Evangile médité, Liège 1792, p. 180-182; 336e méditation, 1er point. Ecrits Marials I, 215, p. 240.

[6] Pratique d’oraison mentale: vie purgative. EP 7,11.76-78, p. 154. El texte est emprunté à la version française de Maria de Ágreda, La cité Mystique de Dieu, Bruxelles 1715, Livre 6, chap. 23 § 1376.

[7] “La cité Mystique de Dieu”. EP 2, 118.19-20, p. 267.

[8] Pratique d’oraison mentale: vie purgative. EP 7. 11.78, p. 155

[9] “Elle ne peut douter que la main du Très-Haut seul ne l’ait jusqu’ici conduite, elle n’a pas de peine à se persuader que c’est lui-même qui la conduit aujourd’hui au Temple”. Second sermon sur la purification. Marie, modèle de soumission. EP 2, 193.140, p. 423.

[10] “Mais la pieuse Mère ne savait-elle pas que son Fils devait mourir? Et sans doute n’espérait-elle pas qu’il ressusciterait? Et bien fidèlement”. De la compassion de la Sainte Vierge. EP 2, 196.153, p. 421.   ”La lumière de sa foi demeura spécialement en la Sainte Vierge au Samedi-saint… Non extinguetur in nocte Lucerna ejus… (Pr 31,18) [Sa lumière ne sera pas éteinte durant la nuit]¨. Conférence sur la sanctification du dimanche. EP 3 68.83, p. 241.

[11] 11 Explication du Magnificat. EP 2, 131.77-81, p. 286-290.

[12] Les “grandeurs de Marie” dont il parle, sont importantes pour Chaminade. Beaucoup plus tard, lorsqu’il élabore le manuel de direction, il écrira: “On ne saura trop s’instruire aussi des grandeurs de Marie, grandeurs divines, opérations du Tout-puissant: fecit mihi qui potens est (Lc 1,19)”. Manuel de direction à la vie et aux vertus religieuses dans la Société de Marie. EP 7, 21,33, p. 272.

[13] “La méditation se fait: 1. En considérant une vérité ou un article de foi à la lumière même de cette vérité: la foi subjective s’exerce sur la vérité objective de la foi”. Pratique d’oraison mentale: vie purgative. EP 7,11.8, p. 124.

[14] Pratique d’oraison mentale:vie purgative.EP7,11.10, p.124-125.

[15] Par exemple: “Il faut conduire son coeur par les lumières intérieures de la foi. Justus ex fide vivit (Rom 1, 17)… Corde creditur ad justitiam. (Rm 10,10). … Le juste ne croit pas seulement les vérités que la religion lui propose, mais il les observe et les aime; et par une vraie affection de coeur, il les fait servir de fondement et de degrés pour opérer la justice. C’est ainsi que sa justice est comme alimentée par sa foi. Justus ex fide vivit”. De la foi. EP 3, 148.207.

[16] Le juste vit de la foi (Rm 1,17) 1. Ce que c’est que vivre de la foi. C’est une vie spirituelle réglée, vivifiée de plus en plus par la foi. 2. On doit comparer la foi vivifiant la vie spirituelle du chrétien à la sève qui monte par les racines d’une plante, d’un arbre et qui va jusqu’aux extrémités de la plus petite feuille et branche, faisant pousser, fermenter tout l’arbre, le chargeant de belles fleurs, d’une agréable verdure et de fruits mûrs. 3. La manière de faire faire dans notre âme cette espèce de fermentation de la sève de la foi, c’est non seulement d’en produire des actes, mais c’est surtout de s’adonner à l’oraison de foi, à la lumière de la foi. Conférence faite par le bon Père à Saint-Laurent. EP 6,65, p. 460.

[17] ”Si votre auguste Patronne s’est élevée au plus sublime degré de la sainteté et de la justice, ce n’est que parce qu’elle a mené une vie toute de foi depuis le premier instant de sa conception jusqu’à sa précieuse mort”. Direction sur la Société de Marie dans les voies du salut, 1828, EP 6. 73,2, p. 540.

[18] C’était la vie de Marie, notre auguste Mère et Patronne; c’est pourquoi Sainte Elisabeth a fait d’elle ce magnifique éloge: Beata quae credidisti, quia perficientur in te quae dicta sunt tibi a Domino (Lc 1,45).

[19] ”Il faut instruire aussi beaucoup sur la Ste. Vierge”. Ensuite Chaminade rédige un index de thèmes pour instruire au noviciat. Manuel de direction à la vie et aux vertus religieuses dans la Société de Marie. EP 7, 21,33, p. 272

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