L’esprit marianiste

Chaminade son message aujourd’hui

Chapitre 6 (p 139 à 179)

L’esprit marianiste

Il y a déjà des études sur la spiritualité marianiste.1 La vision que j’en propose à la fin de cet ouvrage en fera ressortir quelques traits particuliers qui la feront apparaître sous un jour nouveau.

Je passerai en revue les quatre dimensions essentielles de notre charisme : d’abord Marie, elle qui nous confère son nom ; puis la foi, qui nous structure et nous définit ; ensuite la communauté et, enfin, l’apostolat marianiste.

Caractéristiques de cet exposé sur la spiritualité marianiste

Je relèverai dans la spiritualité marianiste trois caractéristiques particulières :

Une perspective génétique ou dynamique

« Quand on parle de spiritualité marianiste, on expose en général une série d’attitudes ou de vertus qui la définissent, au risque de faire penser à une doctrine statique. On peut se demander en outre pourquoi telles vertus plutôt que d’autres sont caractéristiques de la spiritualité marianiste. »

La méthode suivie dans cet ouvrage sera différente. Nous avons vu, tout au début, un homme, Chaminade, situé dans un contexte historique donné, ayant un certain bagage spirituel, et poussé par une inspiration divine. Ces éléments sont importants dans une perspective génétique ou dynamique. Car cet homme va créer, c’est-à-dire qu’il va communiquer son ‘esprit’ à une série de communautés et d’institutions.

– Pourquoi celles-ci ont-elles existé ? Pourquoi ces fondations sont-elles nées ? Une mission et des motivations communes les ont fait émerger de la masse de la société humaine, leur insufflant l’être, c’est-à-dire la vie, et leur donnant une structure institutionnelle.

Cet esprit qui génère l’être et la vitalité est toujours quelque chose d’intérieur et de dynamique. Le P. Chaminade a voulu rechristianiser la France et le monde en reproduisant le modèle des premiers chrétiens, membres de la communauté primitive de Jérusalem. L’esprit marianiste plongera toujours ses racines les plus profondes dans la spiritualité qui se dégage des premiers chapitres des Actes des Apôtres.

– Qui étaient les premiers chrétiens ? – Des hommes d’une trempe exceptionnelle. Issus du judaïsme ou du paganisme, ils ont dû abandonner bien des choses : des pratiques religieuses très ancrées chez certains d’entre eux – les juifs sont passés de l’Ancien au Nouveau Testament -, des us et coutumes, parfois leur famille. Leur conversion fut un acte de foi assumé avec profondeur et courage. Ils furent parfois contraints de vivre dans la clandestinité, d’endurer des persécutions, de subir le martyre. Leur foi dut se révéler d’une qualité à toute épreuve.

Les chrétiens de la première communauté s’unirent à Marie dans la prière et dans l’attente de l’Esprit Saint. Marie est la première parmi tous les chrétiens. Elle a une mission éducatrice maternelle, que l’on découvre en méditant certains textes évangéliques. Sa présence eut nécessairement une influence sur la formation de ces chrétiens de la communauté primitive.

Chez eux, le partage intégral était une réalité. Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme. Leur esprit communautaire se traduisait par la prière en commun, l’encouragement mutuel, l’aide généreuse aux nécessiteux, l’accueil. Tout cela explique pourquoi cette communauté a connu une extension rapide. Les premiers chrétiens convertirent le monde, mais surtout par l’attrait qu’exerçait le témoignage de leur communauté.

Que voulait le P. Chaminade ? – Rechristianiser ; qu’il y ait de nouveau des « premiers chrétiens ». Nous sommes là aux racines de la spiritualité marianiste, car c’est cet esprit qui a donné son être à la Congrégation de Marie Immaculée, à ‘l’Etat’, aux Filles de Marie Immaculée et à la Société de Marie.

L’application à notre époque

Nous avons vu que l’époque du P. Chaminade et la nôtre n’ont pas exactement les mêmes besoins. Nous vivons dans un nouveau contexte historique, c’est évident. L’évolution de la société s’est accélérée ; certains changements se produisent de manière déconcertante. Il faut prendre tout cela en considération lorsqu’on analyse la spiritualité marianiste, toujours ancien et en même temps, toujours nouveau. Pour qu’elle continue à donner vie et vitalité à la Famille marianiste, il faudra qu’elle débouche sur une action apostolique qui réponde aux besoins de notre temps. Nous verrons, d’ailleurs, que cette ouverture apostolique et le sens de la Providence qui guide et dirige notre histoire, sont également profondément marianistes.

Le P. Chaminade s’inspira des Saintes Ecritures pour communiquer un esprit. Il faut reconnaître que l’exégèse qu’il avait apprise était très approximative, nourrie davantage par l’esprit de foi et par la tradition que par la science. L’exégèse biblique a fait des progrès énormes entre temps. L’idée de présenter à nouveaux frais les perspectives spirituelles du P. Chaminade, en s’appuyant sur les acquis de l’exégèse actuelle, m’a toujours fasciné. J’essayerai au moins de donner un aperçu de l’esprit marianiste à partir de l’esprit qui émane du Nouveau Testament.

Un esprit marianiste ouvert à tous, laïcs et religieux

On présente souvent la spiritualité marianiste comme celle des religieux marianistes, ou comme l’esprit de la Société de Marie ; cette démarche influence considérablement la façon de présenter les choses, car, dans ce cas, on pense presque exclusivement à une spiritualité devant animer la Société de Marie. A partir de là, on voit les autres, en particulièrement les laïques, comme participant plus ou moins intensément de l’esprit des religieux. Récemment seulement sont apparues des publications sur la spiritualité marianiste pour les laïcs.2 Mon propos, dans cet essai, est de montrer l’esprit marianiste à son jaillissement originel, avant qu’il soit question de laïc ou de religieux.

En examinant la genèse et l’histoire de l’esprit marianiste, nous avons vu qu’il a d’abord animé le laïcat marianiste – à l’époque, la Congrégation Mariale du P. Chaminade -. C’est précisément pour maintenir cet esprit vivant et dynamique que sont nés les Filles de Marie Immaculée, religieuses marianistes, puis les religieux marianistes. Aujourd’hui, nous décelons de nombreux indices d’une nouvelle aube de la Famille marianiste. En son sein, personne ne possède l’esprit marianiste de manière exclusive. C’est un bien commun à tous, laïcs et religieux ; c’est un don que Dieu nous fait pour aujourd’hui et qui nous donne vie. Le fait que les religieux fassent leur consécration par le biais de vœux de religion et que les laïcs fassent leur consécration en renouvelant les promesses du baptême et de la confirmation, ne change rien d’essentiel à cet esprit. Celui-ci nous identifie tous et fait des uns et des autres des Marianistes. J’emploierai donc désormais le terme de « marianiste » pour désigner aussi bien le religieux que le laïc, l’homme que la femme ; je me référerai par ce mot à tous et à chacun des membres de la Famille marianiste.

Marie

Pour rendre compte de la dimension mariale de l’esprit marianiste3

  1. a) nous tâcherons de découvrir Marie avec le P. Chaminade,
  2. b) nous réaliserons dans quelle mesure un groupe marianiste est un « groupe de Marie », constitué de membres consacrés à Marie,
  3. c) nous verrons comment accueillir Marie à la manière du disciple bien-aimé de Jésus et enfin
  4. d) nous évoquerons la manière dont Marie comme mère forge nos attitudes évangéliques.

Avec le P. Chaminade, découvrir Marie

Le point de départ de toute la spiritualité marianiste consiste à découvrir la figure et le rôle de Marie dans l’histoire du salut. Dans les écrits du P. Chaminade, on trouve quantité de textes sur le rapport de Marie aux mystères de Christ. La participation de Marie à l’Incarnation pourrait être présentée à partir des deux premiers chapitres de l’Evangile de Saint Luc, tandis que le rôle de Marie dans le mystère de la Rédemption ressort davantage de l’œuvre de Saint Jean, des récits évangéliques des noces de Cana et de la scène du Calvaire : Marie au pied de la croix, et aussi de la figure de la Femme de l’Apocalypse, ch. 12.

A cela, il faudrait ajouter le texte de la Genèse qui annonce la Femme, nouvelle Eve, et sa descendance, ainsi que la scène des Actes des Apôtres montrant Marie avec les Apôtres, au milieu de la communauté primitive de Jérusalem.

Contemplant ainsi Marie à la lumière de la foi, le P. Chaminade découvre l’importance de son consentement au jour de l’Annonciation. Marie a été un instrument conscient dans le plan de Dieu ; sa réponse de foi est le modèle de la réponse que tout chrétien est invité à donner au plan divin.

Dieu a voulu que le « oui » de Marie fût tout à fait conscient et libre ; Il lui demanda son consentement pour réaliser son plan avec Elle. Il lui fit comprendre qu’il s’agissait de sauver le monde et Marie accepta sans condition. Elle est ainsi la mère qui enracine Jésus dans notre propre histoire humaine. Pleine de grâce, fidèle à toute épreuve au pied de la croix de son Fils, elle nous apparaît comme le modèle de la vie chrétienne. Son attitude aux noces de Cana revêt une importance capitale aux yeux et dans l’esprit du P. Chaminade. Marie nous transmet et nous inspire la confiance en Jésus-Christ ; elle persuade les serviteurs de Cana d’avoir confiance en Jésus-Christ. Dans la première communauté chrétienne, la présence de Marie est signe de cohésion du groupe et inspire sa disponibilité à l’Esprit.

D’une part, Marie est une mère formant à des attitudes chrétiennes, d’autre part, sa mission consiste toujours à conduire l’humanité au Christ, à transmettre la foi en Lui, à l’enraciner dans l’histoire humaine, en éliminant le péché et le mal. Son Immaculée Conception symbolise tout le mystère de lutte et de victoire contre les pouvoirs des ténèbres et du mal : Marie, la Femme promise par Dieu, est la première libérée du mal et de la mort. Du haut de la croix, Jésus-Christ nous dit à tous, à travers le disciple bien-aimé : « Voici ta Mère». Il se présente ainsi comme le premier-né de tous les frères, de tous les chrétiens. Dès le début du christianisme, Marie a été considérée comme la nouvelle Eve auprès du nouvel Adam. En un certain sens, Dieu a associé Marie à l’œuvre salvatrice tout au long de l’histoire. C’est pourquoi, lorsqu’on découvre la mission de Marie dans le plan de Dieu, on peut se sentir appelé à engager sa personne et sa vie dans cette même mission.

Un groupe marianiste est un groupe « de Marie »

– de personnes consacrées à Marie –

Le P. Chaminade pensait que tout groupe marianiste est un « groupe de Marie », quelque chose qui appartient à Marie, qui est sa propriété, parce qu’Elle en est la véritable fondatrice, celle qui convoque ses membres. A l’époque du P. Chaminade, les « groupes » marianistes étaient la Congrégation de Marie Immaculée, ‘l’Etat’, les Filles de Marie et la Société de Marie.

Aujourd’hui, ce sont les Fraternités Marianistes ou Communautés Laïques Marianistes, toutes sortes de mouvements marianistes, la Congrégation-Etat, d’autres institutions, les Filles de Marie Immaculée, tous les groupes que nous avons mentionnés dans le tableau général de la Famille marianiste.

Tous ces groupes ont en commun une spiritualité d’alliance avec Marie, c’est pourquoi ils se nomment marianistes : de Marie. S’engager dans un de ces groupes pour se consacrer à Marie, signifie sceller une alliance avec Elle. Marie elle-même nous appelle à faire partie de sa famille ; en répondant positivement, nous manifestons que nous l’avons choisie pour mère, nous aussi, pour qu’elle forge nos attitudes évangéliques et nous amène, sous l’action de l’Esprit Saint, à la ressemblance avec Jésus-Christ.

Notre attachement à l’aimer et à la faire aimer, à l’honorer et à la faire honorer, n’a d’autre fin que d’amener les hommes à Jésus-Christ, pour que Marie les forme à l’image de son Fils, premier-né d’une multitude de frères. L’alliance signifie aussi que nous sommes associés à Marie ; nous nous confions en son amour, en son aide et en sa protection. Elle compte sur nous, sur notre personne, sur nos ressources et sur notre vie, dans sa mission qui est de lutter contre les forces du mal, contre le péché, contre l’injustice…, d’amener les hommes à la foi en Jésus-Christ et de multiplier les chrétiens.

Se consacrer à Marie veut dire donner une orientation définitive à sa personne et à sa vie, faire sienne la mission de la Mère et se transformer en missionnaire – prendre part à la même mission. Se consacrer signifie entrer pleinement dans le dynamisme de l’alliance et adopter en tout point les exigences de cette alliance.

L’engagement dans un « groupe de Marie » comporte un profond caractère communautaire. Tout le groupe appartient à Marie et notre lien avec le groupe s’exprime, tout d’abord, par notre acte de consécration, quelle que soit sa formulation : renouvellement des promesses du baptême et de la confirmation, des promesses ou des vœux. Quelquefois, ce lien avec le « groupe de Marie » peut se traduire par un vœu de religion – le vœu de stabilité ou de fidélité active et dynamique dans le groupe, comme le font les Filles de Marie Immaculée et les religieux de la Société de Marie.

Comme le disciple que Jésus aimait, accueillir Marie

La spiritualité du P. Chaminade accorde une très grande importance au passage de l’Evangile de Saint Jean : 19,25-27 :

« Au pied de la croix de Jésus se tenaient sa Mère, la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple aimé, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Puis Il dit au disciple : «Voici ta mère ! » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. »

On a eu raison d’appeler ce passage : « l’évangile du marianiste ». Je m’y attarderai quelque peu, afin d’en dégager la charge spirituelle et les perspectives qu’il ouvre, pleines d’inspiration et de vie. L’exégèse récente nous aide à saisir la richesse du récit johannique de la crucifixion et de la mort de Jésus.4 Elle nous aide ainsi à mieux comprendre et intégrer les orientations spirituelles du P. Chaminade. Nous ne nous éloignons pas de notre sujet en nous arrêtant un peu sur ce récit pour en percevoir la profondeur.

Ce récit (Jean 19,19-37) se compose de cinq scènes, chacune constituant un petit drame coloré, au symbolisme varié. Pour saisir la signification profonde du tableau central, qui est celui qui nous intéresse ici, il faut analyser aussi les deux scènes qui le précèdent et les deux qui le suivent.

Premier acte (Jean 19,19-22) : l’inscription fixée à la croix. L’évangile de Saint Jean dramatise et solennise cet acte : « Jésus Nazaréen, Roi des Juifs ». L’inscription peut être lue par un grand nombre de personnes, car le lieu de la crucifixion est proche de la cité, et aussi parce que le texte est rédigé en trois langues : la langue vernaculaire du peuple juif (l’hébreu), la langue officielle de l’empire romain (le latin) et la langue internationale du monde civilisé de l’époque (le grec).

L’inscription n’est pas banale ; Pilate insiste : « ce qui est écrit demeure écrit ! ». Il s’agit donc d’une proclamation, la proclamation face au monde entier de la royauté de Jésus-Christ. Tous les détails sont orientés vers ce message messianique : sur la croix, Jésus est Christ, Roi de l’univers. Les trois langues de l’inscription confèrent à celle-ci ce caractère d’universalité. Ce passage nous avertit que nous assistons à l’intronisation de Jésus-Christ comme Roi, et ainsi les actes suivants peuvent être compris comme gestes du roi qui accorde dons et grâces à l’occasion de son couronnement à tous ceux qui reconnaissent son royaume. Il s’agit, en l’occurrence, des dons que Jésus Roi accorde aux croyants qui entrent dans son Royaume.

Deuxième scène (Jean 19,23-24) : le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique sans couture. Ce n’est pas non plus une anecdote sans importance. L’insistance sur la tunique, vêtement distingué parmi tous les autres, peut faire allusion aux ornements sacerdotaux (cf. Ex 23.4 ; Ap 1.13) ; le prêtre portait justement une tunique sans couture. On voit ainsi Jésus allant à la mort comme un prêtre. La pointe du récit est dans la décision de ne pas déchirer ce qui est un – la tunique – par opposition avec ce qu’on peut diviser, partager – les autres vêtements, adjugés en quatre lots -. La tunique est restée entière, unie ; elle était, en outre, « tissée de haut en bas ». Cette expression comporte également une signification toute symbolique : dans le sacrifice de Jésus, l’unité de l’Eglise commence à être tissée depuis la croix. Ce que Jésus-Christ accorde à ceux qui croient en Lui, c’est le don de l’unité.

Troisième épisode (Jean 19, 25-27), que nous décrirons à la fin de l’analyse.

Quatrième acte (Jean 19, 28-30) : la soif de Jésus-Christ et sa mort sur la croix. La soif de Jésus crucifié fut avant tout une soif biologique. Pourquoi, cependant, Jean la décrit-il de manière si dramatique ? Pourquoi emploie-t-il – dans l’original grec – un vocabulaire aussi surprenant et si différent de celui des trois autres évangélistes pour exprimer la mort de Jésus ?  Il écrit : « et, tête inclinée, il « fit don » de son esprit ».

Ordinairement, on traduit : « il remit l’esprit ». Mais en réalité, on pourrait tout aussi bien traduire : « il accorda, concéda son esprit », « il transmit son souffle ». Il semble que Saint Jean ait voulu présenter le dernier soupir de Jésus comme le prélude d’une effusion de l’Esprit. La soif, biologique certes, aurait aussi une portée symbolique : soif de « régaler », de « faire don » de son Esprit.

Cinquième acte (Jean 19, 31-37) : le coup de lance du soldat et l’effusion du sang et de l’eau. Ce dernier acte, qui est propre à l’évangile de Saint Jean ; il est également plein de symbolisme.

Il y a là une allusion claire à l’agneau pascal, dont on ne brise aucun os (cf. Ex 12,46 ). L’eau qui jaillit du côté de Jésus rappelle l’eau qui jaillit du Temple comme signe de vie et de salut (cf. la « méditation aquatique » d’Ezéchiel 47). La mort du transpercé est le commencement du temps messianique (cf. Za 12, 10). Le sang et l’eau qui jaillissent du côté ouvert évoquent les sacrements qui coulent vers l’Eglise à partir de Jésus-Christ lui-même.

La scène du coup de lance n’est pas, elle non plus, un épisode banal : elle nous annonce des réalités surnaturelles profondes ; elle marque le début d’une ère nouvelle, les temps messianiques, inaugurés avec le sacrifice pascal de Jésus-Christ et avec la nouvelle vie conférée à l’Eglise par les sacrements.

Ce bref parcours à travers les tableaux qui entourent le tableau central nous fait mieux comprendre que nous nous trouvons en présence d’un récit bien construit, hautement symbolique, révélateur des dons messianiques : unité de l’Eglise, effusion de l’Esprit, vie divine et sacrements de l’Eglise. Il faudra également interpréter dans ce même sens la scène centrale de ce polyptique. A travers elle, nous essaierons de saisir les perspectives spirituelles que le P. Chaminade nous faisait déjà entrevoir en son temps.

La scène centrale (Jean 19, 25-27) concerne donc le disciple et la mère. On peut comprendre : Jésus confie sa mère aux bons soins d’un disciple, celui précisément qu’Il aimait particulièrement. Cela reviendrait à interpréter la scène comme un fait quelconque et les mots de la fin de la scène – « le disciple la reçut chez lui » – auraient presque le sens d’un simple constat anecdotique. Cependant, il y a dans ce même texte certains indices qui renvoient à un contenu messianique. Par exemple, le fait que Jésus s’adresse à sa mère en l’appelant « Femme », ce qui nous fait penser à la Femme promise dans Genèse (3. 25), à la femme des noces de Cana ( Jean 2,4) et à la Femme de l’Apocalypse (12, 1-6 ).

Encore un exemple : l’allusion à l’ « heure » de Jésus : « à partir de cette heure-là ». D’autres détails du vocabulaire abondent également dans ce sens. Dans le verset 25, il est dit explicitement « sa mère », avec un possessif, « sa » (à Lui). A partir du verset 26 (dans le texte original grec), on parle de « la mère ». Tout cela nous élève, presque malgré nous, à un niveau profondément spirituel et symbolique. Au pied de la croix de Jésus, se trouvent la « mère et le disciple qu’Il aimait » : la mère par antonomase et le prototype des disciples. Cette mère, c’est Marie, et aussi l’Eglise, symbolisée par Marie.

Nous pouvons voir ici, à travers la figure de Marie, tout le contenu symbolique de l’Eglise comme « Mère », ainsi que tout le contenu marial de l’Eglise. Le disciple que Jésus aimait est le symbole de tous les disciples de Jésus.

Quand donc Jésus confie Marie à Jean, il lui confie la mère Marie et la Mère Eglise, des trésors messianiques qui nous sont concédés à cette «  heure de Jésus ». Et le disciple accueille Marie comme un don précieux. En la personne de Marie, il reçoit une mère et il reçoit l’Eglise. Le contenu symbolique de tout le contexte nous invite à interpréter ainsi ce magnifique tableau central, empreint de couleur messianique.

Il y a plus encore : la dernière expression de cette scène est ordinairement traduite comme suit : « le disciple la reçut chez lui ». Mais il y a une autre interprétation possible, et plus probable. Le mot qui dans cette première traduction est rendu par « maison » (en grec « ta idia »), a un autre sens, beaucoup plus clair, et fréquent dans l’ensemble de la Bible, et plus particulièrement sous la plume de Saint Jean. Il signifie : « ce qui est propre, caractéristique, l’ensemble des biens qui appartiennent en propre », biens matériels et spirituels. Ainsi, la phrase finale peut parfaitement se traduire comme suit : « Et à partir de cette heure-là, le disciple la reçut comme un bien parmi ses biens ». Parmi les biens qui caractérisent le vrai disciple de Jésus, il y a donc Marie et l’Eglise. On souligne donc une attitude spirituelle caractéristique de tout disciple : accueillir Marie et accueillir l’Eglise, comme des dons propres qui caractérisent le disciple qu’aime Jésus.

Quelle que soit la traduction exacte de cette dernière proposition, le sens est tout à fait clair pour nous, Marianistes : le disciple bien aimé de Jésus sera toujours notre modèle. Tout Marianiste reçoit Marie chez lui, dans son intimité, dans son foyer, dans ce qu’il a de plus profond, de plus cher, parmi les biens les plus précieux. La «  maison » du Marianiste inclut toujours Marie parmi les précieux dons de grâce et de libération que le Seigneur lui a dispensés. Le disciple reçoit Marie pour mère, et Marie forge ses attitudes évangéliques.

La Mère qui forge les attitudes évangéliques

Les enseignements du P. Chaminade affirment constamment que nous devons nous laisser former à l’image de Jésus-Christ par l’action maternelle de Marie. Cette dernière nous fait d’abord don du Christ, et puis elle agit de telle sorte que Jésus-Christ soit formé en chacun de nous. Son esprit évangélique, ses attitudes chrétiennes, ont un effet formateur sur le Marianiste. Le modèle de Marie est toujours suggestif, stimulant, et, jusqu’à un certain point, également créatif. La contemplation de son esprit nous façonne peu à peu ; elle nous configure petit à petit à l’image de Jésus-Christ. D’où la pensée traditionnelle du P. Chaminade : l’esprit de tout groupe marianiste (fraternité ou CLM, mouvement, congrégation, Filles de Marie Immaculée, Société de Marie ) est l’esprit de Marie ! Cela explique tout. Il est donc très important pour nous d’assimiler l’esprit de Marie, elle qui forme nos attitudes chrétiennes les plus profondes.

Le Marianiste doit voir Marie toute proche, comme une jeune fille qui partage les aspirations et les problèmes, les joies et les angoisses des personnes de notre époque. Lus dans cette perspective, les textes évangéliques se révèlent pleins d’inspiration pour notre propre vie. Essayons de découvrir, dans ces textes, l’esprit de Marie.

Marie, jeune fille vierge

La prophétie d’Isaïe (7, 14) nous présente une « jeune femme » comme un signe divin, comme un signe de l’intervention de Dieu. « La vierge a conçu et elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel – qui signifie «  Dieu avec nous »-. Dans ce fait nous lisons un signe que Dieu intervient par son action dans l’histoire. Dans son évangile, Saint Mathieu nous présente cette prophétie comme réalisée en Marie ; ainsi l’ange dit à Joseph, en songe : « N’hésite pas à prendre Marie, ton épouse, car l’enfant qu’elle porte est l’œuvre de l’Esprit Saint » (1, 20). Marie apparaît ainsi comme un signe d’espoir, car sa virginité témoigne de l’action de Dieu dans sa maternité. Son Fils vient au monde sans l’intervention d’un homme, virginalement. Jésus sort du sein de sa Mère par l’œuvre du Saint Esprit, sans l’initiative de l’homme. Joseph se doit de respecter ce signe de l’œuvre divine. Jésus n’est pas un produit de l’histoire humaine, ni le fruit d’un acte humain. Dans ce sens, la virginité de Marie est le signe de l’intervention salvatrice de Dieu ; c’est un signe d’espoir, car Dieu fait irruption dans l’histoire comme Sauveur.

La virginité de Marie est le signe de la divinité de son Fils.  « L’Esprit Saint descendra sur toi, et la force du Très Haut te couvrira de Son ombre ; c’est pourquoi, le Saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Luc, 1, 35). Dans le sein d’une jeune fille humble et pauvre, l’Esprit Saint fait germer le Sauveur du monde. Cette réalité implique que Marie a un esprit de proximité psychologique avec l’action de Dieu : elle vit comme plongée dans l’action salvatrice de Dieu. Sa virginité est signe de salut, signe lumineux de l’incarnation de « Dieu avec nous ».

Ce même esprit de proximité de l’action salvatrice de Dieu, de transparence à un Dieu qui s’incarne, doit animer le Marianiste, personne consacrée pour être signe d’espérance parmi les hommes.

Une jeune fille pleine de foi

Pour percevoir la foi de Marie, méditons un peu l’évangile de l’Annonciation (Luc 1, 26-38). Dans ce chapitre, deux personnes nous sont présentées : Dieu, qui parle par la voix de l’ange, et Marie, qui est l’expression de l’humanité ouverte à Dieu, concrétisant l’espoir d’Israël et le cheminement de tous ceux qui cherchent Dieu. Marie représente l’humanité qui accepte Dieu, qui accueille sa Parole et qui devient ainsi instrument de son action salvatrice.

L’annonce de l’ange est un récit en clair-obscur, fait de lumière et d’ombres. Dieu appelle Marie par une vocation personnelle. La salutation de l’ange évoque quelques textes bibliques importants, comme, par exemple, celui de la fille de Sion de Sophonie (3,14-18) : « Le Seigneur est avec toi, comme vaillant sauveur ; Il est en toi ». Marie est ainsi identifiée au peuple élu, et le fils qu’elle aura sera identifié au Dieu Sauveur. Marie sent naître en elle le pressentiment de la grandeur de sa vocation : tous les titres par lesquels on désigne son futur enfant, donnent à ce dernier, en s’accumulant, des traits divins. Le mode virginal de sa conception est un autre signe. Mais rien n’est dit sur la réalisation concrète de ce plan de salut.

Marie doit s’engager dans une aventure pleine de mystère et peut-être aussi de risques. Sa réponse révèle la grandeur de sa foi : « Voici la servante du Seigneur, qu’il soit fait en moi selon ta parole ». On voit dans cette phrase la totale disponibilité de Marie et sa confiance la plus active dans le Seigneur. C’est un « oui » sans condition ; un « oui » qui l’engage totalement dans le mystère de sa vocation, avec toutes ses exigences, encore inconnues.

Dans ce sens, Marie s’engage vers un avenir infini et inconnu ; elle abandonne les assurances humaines, elle sort d’Elle-même pour entrer pleinement dans l’action de Dieu. Marie, jeune fille pleine de foi, est la première d’un nouveau peuple de Dieu.

Un telle foi, intrépide et engagée, devra être la foi du Marianiste.

Une jeune fille qui unit et intègre prière et service

Marie est la protagoniste de deux scènes successives : l’Annonciation et la Visitation (Luc, 1, 39-56). L’Annonciation, c’est le dialogue avec Dieu ; la Visitation, le service des hommes. Après l’Annonciation, Marie sort de chez elle et se rend chez Zacharie et Elisabeth. La signification de ce voyage est assez claire : aller aider sa cousine, qui vivait des circonstances exceptionnelles. A l’âge mûr, elle avait conçu un enfant, et celle que tous considéraient comme stérile était déjà au sixième mois de sa grossesse. Marie, la jeune cousine, accourt pour aider sa cousine plus âgée, qui va avoir besoin de sa présence et de ses services. Elle presse le pas, poussée par l’amour, et elle ressent l’urgence du don. Cet esprit de service est le résultat d’une prière. Dans cette prière, Marie accueille Dieu ; par le service, elle rend Dieu proche des autres.

La salutation de Marie à sa cousine Elisabeth déclenche une série d’événements : l’enfant saute de joie dans le sein d’Elisabeth, la mère est remplie de l’Esprit Saint et adresse à Maire une série de bénédictions messianiques : « Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton ventre est béni aussi. Qui suis-je pour que me rende visite la mère de mon Seigneur ?…Bienheureuse, toi qui as cru, car la Parole du Seigneur s’accomplira ».

Nous réalisons devant tout cela la signification profonde de la salutation de Marie, origine de tous ces événements. La salutation de Marie transmettait un message et elle a été le signe d’une action divine. La salutation de Marie conduit à Dieu.

Ces deux femmes partagent en réalité leurs expériences de foi. Marie vient de faire une profonde expérience de foi à travers l’annonce de l’ange et l’incarnation du Verbe. Mais elle a su unir prière et action, contemplation et service ; c’est pourquoi, elle va visiter sa cousine. Elisabeth a eu, elle aussi, une profonde expérience de foi. Dieu l’a délivrée de l’infamie de sa stérilité et a libéré son mari de l’impuissance de son âge mûr ; ils vont avoir un enfant. Les deux femmes, s’embrassant, partagent leur foi et s’unissent dans un chant d’action de grâces et de louange au Seigneur : le « Magnificat ».

Dans toutes ces scènes, Marie se révèle comme croyante, c’est-à-dire qu’elle prie, partage sa foi et s’engage au service de son prochain. Voilà, en résumé, la vie spirituelle du Marianiste.

Une jeune fille contemplative

Dans l’évangile de Saint Luc, Marie nous est présentée comme une jeune fille recueillie, portée à la méditation (cf. 1. 29 ; 2 ,19 ; 2 ,51). Marie réfléchit sur la portée des événements qui sont en train de se produire. Les événements dans lesquels elle est impliquée et ce qu’elle entend dire, voilà les thèmes de sa constante méditation. A partir de ses expériences personnelles et nourrie des paroles du Seigneur, elle essaye d’intérioriser les mystères du plan de Dieu et elle les garde dans son cœur. Elle fait une méditation de foi, admirant, adorant, s’engageant totalement. Dans ce sens, Marie est le modèle d’une communauté qui prie ; elle représente l’idéal de toute l’assimilation personnelle de l’inépuisable mystère de notre foi.

Quand l’évangile dit qu’elle conservait tout cela dans son cœur, il fait allusion à l’action de garder – de mettre à l’abri – un trésor précieux. Inconsciemment, on pense à un coffre-fort ; le cœur de Marie garde, conserve le trésor de ses expériences de Dieu et de la Parole qu’elle reçoit. Mais le cœur est aussi le symbole du principe dynamique de la personne et de la vie. Garder dans le cœur signifie aussi transformer ce mystère de foi en principe de vie et d’action.

Cette même attitude d’attention à la Parole et aux interventions de Dieu doit caractériser l’esprit marianiste.

Une jeune fille pauvre

Le chant du « Magnificat » est le chant d’une personne pauvre – comme les pauvres dont parle la Bible -, qui demeure toujours ouverte à Dieu, intimement convaincue que tout être humain a un besoin vital de l’aide de Dieu. Le « Magnificat » témoigne de la force divine qui transforme l’histoire. Elle a transformé Marie, elle a fait en Elle de grandes choses. La force transformatrice de Dieu change le cours de l’histoire. « Il chasse les puissants de leur trône, et élève les humbles ; Il remplit des biens ceux qui ont faim et congédie, sans rien, les riches ». La spiritualité du « Magnificat » est la spiritualité des Béatitudes, la spiritualité des pauvres qui placent toute leur confiance en Dieu.

Dans son chant, Marie, Servante du Seigneur, se révèle solidaire de tous les pauvres. Elle entre en communion avec tous les petits et les humbles, avec ceux qui ne comptent point aux yeux des hommes. C’est pour cette raison que la Miséricorde du Seigneur est proclamée avec une si grande force.

Mais cette identification de Marie avec les pauvres n’est pas seulement un thème spirituel qui serait vécu au moment de la prière. Marie a passé par des situations de pauvreté angoissante comme en connaissent beaucoup de pauvres aujourd’hui. En parcourant simplement la Parole de Dieu, nous pouvons en déceler des exemples :

– les voyages inconfortables et fatigants. Marie est sur le point d’accoucher et doit se rendre de Nazareth de Galilée à Bethléem de Judée (cf. Luc, 2 ,3-5) ;

– la situation des « sans abri » ou la difficulté de trouver un logement dans des circonstances d’angoisse extrême. Lorsque l’heure de l’accouchement arrive, il n’y a pas de place pour Marie dans la salle commune, et Elle doit avoir recours à la solution de tant de pauvres de notre temps : se réfugier dans une grotte (cf. Luc 2, 7) ;

– l’émigration : Joseph doit entreprendre un voyage à l’étranger, avec Marie et le tout petit enfant (Mathieu 2.13). Marie connaît tous les désagréments des migrants pauvres de notre époque : un autre pays, une langue inconnue, d’autres mœurs, une autre religion, le manque de travail…

– le déchirement pour les parents qui voient leurs enfants se détacher de la famille. L’épisode de Jésus perdu et trouvé dans le temple (cf. Luc 2, 41-52) fait délicatement allusion au problème profondément humain de la rupture qui se produit dans chaque famille : il arrive un jour où les enfants cessent de faire comme les parents et cherchent leur propre chemin dans la vie.

– la violence. Marie a dû supporter toute l’injustice de la mort violente de son fils. Combien de familles supportent de nos jours une semblable violence ! Et nous trouvons Marie au pied de la croix, près de Celui qui est si injustement condamné ; elle se sent en totale et intime communion avec Lui (Jean, 19, 25) ;

– la pauvreté : Marie la connut dans sa vie. Foi et pauvreté la façonnèrent peu à peu sur le plan spirituel. Foi et pauvreté doivent de même forger l’esprit marianiste.

Mais Marie vécut sa pauvreté avec un grand esprit de service et d’hospitalité. En total contraste avec le traitement inhospitalier qu’elle supportait, elle reçoit les bergers dans sa grotte ( cf. Luc 2,16), partageant avec eux sa pauvreté ( la grotte ) et sa richesse ( Jésus ). Avec le même esprit d’accueil, elle reçoit ensuite les Mages dans sa demeure (Mt 2 ,11).

Une mère pleine de confiance qui communique la foi

L’esprit d’accueil de Marie, sensible à tout besoin humain, lui fait pressentir la gêne dans laquelle allaient se trouver les jeunes époux des noces de Cana (Jn 2,1-11). Ce passage évangélique aussi revêt une grande importance dans la spiritualité du P. Chaminade. Essayons de comprendre pourquoi.

Dans le peuple Juif de l’époque, les noces étaient célébrées avec solennité. Les festivités duraient environ une semaine. L’évangéliste dit que la mère de Jésus était déjà sur place lorsque Jésus et ses disciples furent invités à leur tour. Peut-être étaient-ils arrivés alors que la fête avait déjà commencé, et peut-être ce groupe de retardataires fut-il la cause du manque de vin. Marie se rend compte de ce qui va se passer et tout de suite elle se met à la place des jeunes époux et elle comprend la gêne qu’ils vont éprouver. Alors elle le dit à son Fils « Ils n’ont pas de vin ». Le détail matériel du manque de vin n’est pas ce qui préoccupe Marie ; c’est pourquoi elle ne dit pas « Il ne va pas y avoir de vin », mais « ils » n’ont pas du vin ». Ce qu’elle porte dans son cœur, ce sont les personnes dans la gêne.

Marie expose à son fils leur besoin et s’en remet pleinement à Lui. Elle a toujours une parole d’espoir et de confiance. Malgré la réaction de Jésus, qui ressemble à un rejet, Marie maintient sa confiance inébranlable en Lui et s’adresse aux domestiques en disant : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Ici, il convient de réfléchir un instant pour découvrir la qualité de la foi de Marie et l’efficacité de son action sur les serviteurs. A ce moment-là, Jésus était encore un parfait inconnu ; Cana est son premier miracle. Les serviteurs de la noce n’avaient absolument aucune raison, humainement parlant, d’avoir confiance en Lui et de lui obéir. En plus, les ordres qu’il leur donna étaient plus que déconcertants : « remplissez les jarres d’eau, tirez-en… et portez-en au majordome ».

Qu’est-ce que cela avait à voir avec le manque de vin ? Pourquoi obéirent-ils cependant à cet inconnu en accomplissant une tâche pénible et dont on ne voyait nullement l’urgence : charrier quelque six cent litres d’eau pour remplir quelques jarres ? Néanmoins, l’évangile dit qu’ils « les remplirent à ras bord ». Les serviteurs obéirent sans broncher. Après le deuxième ordre de Jésus : « Tirez-en à présent, et portez-le au majordome », l’évangile note : « Ils le lui portèrent ».

Ils obéirent donc à Jésus en toute diligence et avec pleine confiance. Qui leur inspira cette foi en Jésus Christ ? – Marie, sans nul doute ! C’est elle qui donna cette consigne aux domestiques : « Quoi qu’il vous demande, faites-le ». Marie est en train de former les domestiques à une attitude de foi profonde en Jésus-Christ,  elle est en train de façonner cette disponibilité totale à ce que Jésus demandera, même si cela semble déconcertant ; elle les prépare à l’obéissance confiante et diligente, à tout ce que demandera Jésus.

Il faut croire en Jésus-Christ et orienter toute l’existence autour de cette personne divine. C’est là l’œuvre de Marie et c’est là aussi l’œuvre de l’Eglise. Une fois de plus, Marie apparaît comme figure de l’Eglise, amenant les hommes à la foi en Jésus-Christ.

Nous pouvons ainsi mieux comprendre la portée et le contenu de la consigne donnée par le P. Chaminade : reprenant les paroles de Marie aux serviteurs de Cana, il exhortait constamment tous les Marianistes : « Faites tout ce qu’Il vous dira ! » Nous verrons plus loin les conséquences de cette consigne pour l’apostolat marianiste. Contentons-nous, pour l’instant, de ces considérations sur l’esprit dans lequel agit Marie, car c’est dans ce même esprit que nous devons agir en tant que Marianistes.

Mère des chrétiens et Mère de l’Eglise

Marie accueille son fils dans la virginité, comme un don de Dieu. Dieu se livre personnellement à elle en tant que Fils. Mais il faut qu’elle vive cette maternité de manière oblative : ce Fils est destiné au salut du monde, « aux choses de son Père » (Luc, 2, 49). Elle vit donc cette maternité dans le mystère de l’oblation et du détachement, Le présentant au temple ( Luc, 2, 22), se préparant à ce qu’« une épée lui transperce l’âme » (cf. Luc 2, 35 ) et surtout, s’unissant au sacrifice de Jésus sur la croix pour le salut du monde (cf. Jean 19, 25). C’est là que se confirme quelque chose dont elle avait l’intuition dans sa foi : elle sera Mère, comme l’Eglise, de tous les chrétiens.

Alors, par sa discrète présence de Mère, elle initie dans l’Eglise primitive sa mission éducatrice – cf. Ac 1, 14 : « Persévérant dans l’action et dans un même esprit ». L’esprit de Marie était partagé par la communauté primitive de Jérusalem. Rappelons que cette dernière est le modèle de toute communauté marianiste. Rappelons que « l’esprit de tout groupe marianiste est l’esprit de Marie. Cela explique tout. »

L’homme qui vit de la foi 5

Nous avons vu à plusieurs reprises tout au long de cet ouvrage que le P. Chaminade était un homme de foi, qui conçut un projet missionnaire pour rechristianiser la France et le monde. Ce qu’il lui fallait, avant tout, c’étaient des hommes de foi, comme les premiers chrétiens ; des êtres de foi comme Marie. L’esprit marianiste exige, avant tout, de vivre de la foi. Le P. Chaminade répétait avec insistance et comme un principe de base l’expression tirée des Saintes Ecritures : « Le juste vit de la foi » (cf. Hab 2, 4 ; Rm 1, 17 ; Ga 3, 11 ; He 10, 38). Selon le P. Chaminade, tout Marianiste devrait vivre de la foi.

Pour contribuer à former en chacun de nous cette personne qui vit de la foi, voici ce que nous propose aujourd’hui le message du P. Chaminade : 1. l’intrépidité dans l’élan ; 2. pour vivre de la foi, un moyen indispensable : l’oraison de foi ; 3. en vue de l’oraison de foi, un entraînement ascétique.

Intrépidité dans l’élan

Nous avons fait allusion, plus haut, au processus de conversion des premiers chrétiens. Tout Marianiste a besoin de cette décision personnelle radicale. On ne devient pas homme de foi du jour au lendemain. Cela suppose une grande exigence de vie. C’est pourquoi, il faut s’y mettre avec courage. Il faudra toujours fermeté et constance. Une fois qu’on a été conduit à Jésus par Marie, on peut avoir pleine et entière confiance en l’action de l’Esprit Saint.

Il faut considérer notre objectif : que la foi soit le principe qui structure notre personnalité et qu’elle donne cohésion à la totalité de notre vie. Pour cela, tout le contenu de la foi devra être assimilé, non seulement par la tête, mais surtout par le cœur. Cela ne s’obtient pas facilement.

Que tout le noyau affectif de ma personnalité soit marqué par la foi, que j’aime tous les mystères de la foi, que je les porte au plus profond de mon être et que je n’agisse que pour des motifs de foi : tout cela suppose un entraînement persévérant et tenace. Faire sienne la foi chaque jour, telle est la substance, la moelle de cet entraînement. On comprend alors que le P. Chaminade se soit montré catégorique sur cette exigence : pour vivre l’esprit marianiste, il faut avoir quotidiennement un temps d’oraison de foi. Quelqu’un qui n’y serait pas décidé dès le début ne serait jamais un vrai Marianiste, avec une personnalité de Marianiste. Il faut beaucoup de décision pour s’y mettre et puis pour se tenir à ses principes.

Un moyen indispensable pour vivre de la foi : l’oraison de foi

En fait, ce que l’on cherche dans l’oraison de foi, c’est de guérir l’homme tout entier, de parvenir à l’homme nouveau, conforme à l’image de Dieu. L’homme nouveau tient ferme devant toutes les difficultés, épreuves ou tentations. Il est fidèle à Jésus-Christ, et s’il faut, jusqu’au martyre. Fidèle à Jésus-Christ chaque jour et à chaque instant.

Le secret de la fidélité consiste à comprendre que toute la personne doit s’engager, être polarisée par Jésus-Christ. Le Père Chaminade parlait de ‘la foi du cœur’ car, selon lui, la foi n’est pas seulement une adhésion intellectuelle à un Credo. C’est beaucoup plus ; c’est faire siens, intérioriser profondément tous les mystères de notre foi ; c’est les garder dans le cœur.

Le P. Chaminade considérait la foi avant tout comme une nouvelle lumière, qui nous fait découvrir de nouveaux horizons. Elle nous fait découvrir qui est Dieu, et qui je suis ; bien plus, elle me fera découvrir peu à peu, comment Dieu veut que je sois. Ainsi seulement, je parviendrai à être la personne que Dieu désire ; seulement ainsi j’aurai la personnalité que je dois avoir. La contemplation des mystères de notre foi fera peu à peu entrer en moi l’échelle évangélique des valeurs, elle transformera mes jugements et mes critères en jugements et en critères vraiment chrétiens.

Un exemple très clair : comment est-ce que je considère la pauvreté, l’humiliation et la souffrance ? Peut-être avec de la répugnance ou du rejet ; je ne les accepte pas. Si je fais une oraison, ce sera sur la Passion de Jésus-Christ ; alors je verrai, dans la foi, que tout ce que je fuis ou que je n’accepte pas, a rendu la Résurrection féconde. A partir de là, mes réactions humaines sur ces réalités ne se modifieront-elles pas ? Mes critères ne changeront-ils pas, au moins un peu ? Ce mystère de la Passion du Christ a pénétré dans mon cœur et a commencé à modifier mon point de vue sur certaines choses.

Il en sera de même, progressivement, pour tous les mystères, à mesure que je ferai oraison sur ces mystères. Jour après jour, je rendrai plus chrétienne ma façon de juger toutes choses : les personnes, les événements, mes expériences personnelles… Avec la lumière de la foi, je me mets à penser comme pensait Jésus-Christ. La lumière de la foi me fait adopter le regard de Dieu.

Mais la foi est aussi, selon le P. Chaminade, un sentiment nouveau qui germe dans notre cœur. Elle ne doit pas se limiter à notre pensée. La foi est un don de Dieu, qui descend jusqu’au cœur, et qui fait jaillir un goût nouveau pour les choses de Dieu, pour son Royaume. Au fur et à mesure que nous faisons nôtre l’échelle évangélique des valeurs et les jugements et critères de Jésus-Christ, notre cœur se purifie de ses attaches trop humains, de ses peurs et de ses égoïsmes. Chaque mystère de notre foi comporte sa propre vertu purificatrice, enseignait le P. Chaminade.

Si je médite sur Dieu en tant que notre Père, je dois me convaincre de cette réalité et essayer de faire en sorte que ma relation avec Dieu soit une relation filiale. En s’efforçant d’intérioriser cette cordialité avec Dieu, mon cœur devra se purifier.

Lorsque nous vivons dans un climat de foi, et que la foi a pénétré jusqu’au cœur ; lorsqu’en même temps nous nous sommes progressivement débarrassés de tout ce qui n’est pas Dieu ni le plan de Dieu, alors nous nous sentons de plus en plus à l’aise dans la foi.

Le cœur ainsi purifié de l’égoïsme et des désirs inavouables, nous serons accueillants, serviables, nous saurons nous mettre à la place des autres, les comprendre mieux, nous sacrifier davantage pour le bien du prochain, partager dans la joie ce que nous sommes et ce que nous avons, communiquer avec fierté la foi dont est rempli notre cœur. La foi, comme sentiment, élan du cœur ou impulsion surnaturelle, amène les personnes à se soumettre activement et totalement au plan de Dieu.

D’aucuns diront : mais comment fait-on cette oraison de foi, concrètement ? – Il y a bien des façons de faire, bien des méthodes qui peuvent y aider. C’est aussi une question d’expérience : il faut se lancer, commencer. Ensuite, le conseil d’une personne expérimentée dans l’oraison peut nous orienter, nous encourager et nous guider. Voici tout de suite quelques réflexions auxquelles tenait particulièrement le P. Chaminade.

Il faut commencer l’oraison en se mettant en condition pour prier. Cela exige en réalité toute une préparation, d’abord lointaine – qui consiste à mener une vie cohérente avec la foi, et puis une préparation prochaine – consistant à choisir le mystère ou le thème sur lequel je veux méditer. Il faut aussi choisir le moment et le lieu appropriés pour l’oraison. Et puis il faut entrer dans l’oraison par un acte de foi en la présence de Dieu, à la fois ferme et paisible.

Très sereinement, sans crispation, mais avec détermination, je me convainc que Dieu est présent, que je suis immergé en Dieu et que Dieu est en moi. Même si toute mon oraison se limitait à cet effort prolongé et serein pour entrer et me tenir en présence de Dieu, ce serait déjà une très belle prière de foi.

Ensuite, le P. Chaminade propose, entre autres, cette petite méthode : réciter très lentement le Credo, en en savourant chaque phrase. Il renferme les mystères de la foi que je dois faire miens. Je les considère l’un après l’autre pour les intérioriser.

Une fois achevée la récitation de tout le Credo, je recommence le même exercice ; tant que mon esprit est occupé avec le premier mystère de la foi, je ne passe pas au suivant. Etre occupé signifie non seulement remuer des pensées mais aussi laisser monter en moi des sentiments d’amour pour Dieu ou pour le prochain, ou un sentiment d’humilité, de confiance ou de gratitude.

Etre occupé signifie aussi découvrir peu à peu qu’en fait je ne vis pas en conformité avec ce mystère de foi. Etre occupé signifie encore voir qu’il y a dans mon cœur des racines étrangères à ce mystère, que je dois arracher. Etre occupé signifie m’entretenir simplement avec Dieu, sur ce que je dois changer ou sur ce que je vais faire. Etre occupé signifie aussi prier pour d’autres personnes que je souhaite voir vivre mieux ce mystère dans leur vie.

Le premier article du Credo – « Je crois en Dieu le Père » – peut susciter en moi les pensées et les sentiments que je viens d’indiquer. Quand je sens que j’ai épuisé mes ressources à propos de ce mystère, je passe au suivant : « Créateur du ciel et de la terre », et tant que je serai occupé à le méditer, je ne passerai pas au suivant. Et ainsi de suite… Les premières fois, les mystères du Credo défileront peut-être l’un après l’autre comme des grains de chapelet, avec une certaine fluidité. Mais avec le temps, je m’apercevrai qu’avec un ou deux articles j’occuperai bien le temps de ma prière.

Cette manière de faire oraison que je viens de présenter schématiquement, le Père Chaminade l’appelait « méthode d’oraison sur le Symbole (des Apôtres) ». Son avantage, c’est qu’elle permet d’assimiler vraiment tous les mystères de notre foi.

Il va sans dire qu’au lieu du « Credo » on peut se servir du Nouveau Testament et méditer peu à peu les divers passages des Evangiles ou des Epîtres, avec la même méthode. L’important est de ne pas en rester au stade du discours. Le but de la méditation – de l’oraison – n’est pas d’enrichir nos connaissances et d’avoir plus d’idées, mais de changer notre cœur. C’est pourquoi, une oraison passée à « cogiter », même si nos idées sont très intenses et très fécondes, ne serait qu’un début d’oraison, ou une oraison de débutant. L’important est de faire naître des effets ou des sentiments personnels et nouveaux dans notre cœur : admiration, louange, adoration, générosité, grandeur d’âme, désir de réconciliation, dévouement envers autrui, envie de prier et de faire davantage pour le prochain, etc.

Voilà ce qui change le cœur et la vie. Un seul de ces effets, ressenti, entretenu avec pureté et profondeur pendant tout le temps de l’oraison, constituerait à lui seul une magnifique prière. Par contre, toute une série de raisonnements, même bien peaufinés, très logiques et pénétrants, produirait peut-être dans mon cœur un secret contentement, de l’autosatisfaction et j’aurai peut-être fait une piètre oraison. En résumé, il faut sortir de l’oraison moins avec des idées qu’avec un cœur transformé.

Le fruit de l’oraison de foi, selon le P. Chaminade, est la conversion personnelle. Celui qui est converti n’agira plus que par la foi. C’est pourquoi, dans ce type d’oraison, je dois intégrer foi et vie ; je dois m’impliquer moi-même, découvrir ce que Dieu veut de moi. C’est ainsi que l’on acquiert une solide personnalité chrétienne : être quelqu’un, avec une identité ; ne pas être un pantin, ni un faible, ni quelqu’un que l’on bouscule. Je dois savoir comment Dieu me veut, et quelles sont les attentes de mes semblables à mon égard.

J’apporte donc ma vie dans ma prière, pour la confronter inlassablement aux critères de la foi et savoir quelles sont les raisons secrètes de mes actions, de mes omissions ou de mes réactions. Je recherche tout cela sous le regard de Dieu. Comment Dieu le voit-il, lui qui connaît le plus profond de mon cœur ? Il ne faudra pas avoir peur de purifier ce qui doit l’être.

Je rapprocherai aussi mon oraison de ma vie. Le résultat de l’oraison de foi c’est une vie en présence de Dieu, c’est de marcher avec Lui ma vie durant, avec un Dieu plein d’amour et de tendresse envers moi et envers toutes les personnes que je rencontre sur mon chemin. Regarder, avec le regard de Dieu, les personnes et les événements, les projets, les aspirations, les offres, les désirs, etc., et n’agir qu’en conformité avec la foi.

Cette consigne est très exigeante. Combien de nos actions sont secrètement inspirées par la peur, le souci du « qu’en dira-t-on », l’égoïsme, la recherche de nos aises, l’orgueil, l’ambition… et tant d’autres raisons. Où donc est la foi ? – Consiste-t-elle, très superficiellement, en une simple adhésion à des principes ou en une très intellectuelle adhésion à un Credo, un ensemble de vérités ? Si la foi n’a pas atteint mon cœur, je ne serai jamais un « juste qui vit de la foi ». Il faut s’interroger sans cesse : pourquoi est-ce que j’achète telle ou telle chose ? Pourquoi est-ce que je souhaite atteindre tel objectif ? Pourquoi est-ce que je n’aime pas côtoyer telle personne ? … Où est donc ma foi ? Ce travail consistant à intégrer foi et vie est une tâche de toute une vie.

Pour faire méditation de foi, un entraînement ascétique

Le P. Chaminade a toujours enseigné qu’on ne progresse dans l’oraison que si, en même temps, on s’impose des exercices d’entraînement ascétique. Ce principe est peut-être plus impératif encore aujourd’hui, car nous sommes plongés dans une civilisation qui nous bombarde constamment d’images, de publicité, et nous plonge dans l’érotisation ambiante ; notre société de consommation nous incite à posséder et en même temps à nous créer des besoins totalement superflus ; la vitesse démesurée et les ambitions de ce monde peuvent facilement nous déstabiliser. Au milieu de tout cela, nous avons besoin d’une ascèse personnelle qui nous libère de certains asservissements ou attaches, qui nous pacifie intérieurement et qui nous rapproche de la ressemblance avec Jésus-Christ. Ce programme personnel suppose exercice et pratique quotidienne bien orientée.

Le P. Chaminade nous a laissé une méthode pratique pour nous former graduellement aux dispositions et aux attitudes de Jésus-Christ. Sur ce point, comme en tout ce qui concerne la vie spirituelle, nous avons besoin de l’accompagnement d’une personne sage et expérimentée qui nous guide et nous oriente sur notre chemin. La méthode du P. Chaminade est appelée « méthode (système) des vertus ».6 Son but est de nous revêtir de Jésus-Christ, c’est-à-dire, de l’homme nouveau, en nous dépouillant constamment de l’homme ancien qui demeure en chacun de nous.

Ne pouvant ici analyser cette méthode en détails, contentons-nous de quelques suggestions qui feront entrevoir les nombreux domaines dans lesquels nous pouvons travailler pour nous transformer en chrétiens, pour devenir conformes à Jésus-Christ, selon le sens profond du mot « chrétien ».

Nous devons vraiment nous convaincre que nous ne ferons jamais vraiment oraison si nous ne parvenons pas à faire le silence à l’intérieur de nous, si nous n’arrivons pas à contrôler notre imagination, si nous ne dominons pas nos désirs et nos passions. Celui qui vient à l’oraison débridé et excité, jamais n’en tirera profit.

Celui qui est distrait tout au long de la journée, qui vit à la surface de lui-même, ne pourra pas non plus faire une oraison de foi. Il faut pour cela pratiquer toute une série d’exercices de silence, de contrôle de l’imagination et des passions, de recueillement et d’attention intérieure à ce que l’esprit de Dieu nous suggère tout au long de la journée. Celui qui, pendant la journée ne pense jamais à Dieu, ne peut pas faire oraison.

S’il veut entrer dans la voie de l’oraison, il faut qu’il se mette à pratiquer ces exercices d’ascèse et de maîtrise de soi. En menant ces deux choses de front, il peut progresser dans la recherche de la ressemblance avec le Christ.

Cet entraînement initial lui ouvrira le chemin et il pourra approfondir davantage et découvrir ses propres faiblesses, dénicher les amères racines du mal qui plongent dans son cœur, et ses propres limites. Au moment où nous entreprenons ce travail de purification et dépassement de nous-mêmes, nous avons besoin, plus que jamais, du conseil et de l’aide d’un directeur spirituel.

La méditation quotidienne nous révélera, jour après jour, comment nous sommes et ce que nous devons changer ou vaincre en nous. Je devrai toujours faire preuve d’un courage patient et persévérant, malgré toutes les difficultés et rechutes que je pourrais connaître.

Il faudra que quelqu’un m’aide à me relever et à recommencer cet entraînement ascétique. Dans la voie de la perfection, je devrai lutter jusqu’à la mort contre tous les attraits du mal dont je prendrai conscience, qu’ils viennent de l’intérieur de moi-même ou de l’extérieur.

A mesure que je progresserai, je m’apercevrai que de nouveaux horizons s’ouvrent à moi, des appels à faire grandir mon amour pour Dieu et à me rendre disponible pour le service du prochain. Tout au début de la vie spirituelle, il est très difficile de percevoir les subtilités de mon égoïsme.

Pour les découvrir, il me faut beaucoup d’heures de fidélité. Ainsi seulement pourront être arrachées les adhérences de l’égoïsme, et je pourrai alors me détacher de tout bien mondain et inutile. Obtenir la libération totale et un dévouement total à l’amour de Dieu et du prochain, c’est l’occupation de toute une vie ! Et nous voilà revenus à la même conclusion qu’à propos de l’oraison de foi. Car oraison et travail spirituel – ascétique – doivent aller de pair et se compléter mutuellement.

La spiritualité marianiste exige de nous, non seulement de vivre personnellement de la foi mais aussi de partager notre foi. Nous le réalisons au sein de la communauté. Mais la spiritualité marianiste ne se limite pas à la vie de foi et au partager communautaire, elle nous incite constamment à communiquer notre foi.

Chacun de nous est un missionnaire et chaque communauté doit être une mission permanente. C’est pourquoi, cet exposé sur la vie de la foi doit nécessairement être le complément des deux autres composants de l’esprit marianiste : la communauté et la mission apostolique.

L’esprit communautaire

A quoi ressemblaient la première communauté de Jérusalem et les assemblées des premiers chrétiens ? Le P. Chaminade voulait que les communautés marianistes soient comme celles des premiers temps. Revenons un moment aux récits des premiers chapitres des « Actes des Apôtres », car c’est toujours là que se trouvent les racines de l’esprit marianiste.7 Nous retiendrons trois aspects : a) la vie de l’Eglise primitive et la nôtre ; b) la vie communautaire de l’Eglise primitive ; c) l’importance des réunions communautaires.

La vie de l’Eglise primitive et la nôtre

L’Eglise primitive de Jérusalem n’est pas une Eglise locale quelconque parmi toutes celles de l’histoire. Elle est à l’origine de toutes les autres, celle qui reçut le patrimoine spirituel de Jésus-Christ ressuscité, celle qui se trouva fortifiée par le témoignage des compagnons directs de Jésus et qui jouit de la présence de Marie, celle qui s’abreuva à la source de l’esprit de Pentecôte. L’esprit de l’Eglise primitive sera toujours l’idéal de toute communauté marianiste.

Soulignons d’abord la présence de Marie, qui ne sera jamais un simple détail pour la communauté marianiste. De Marie nous tenons notre appellation de Marianistes. Si elle n’est pas présente dans nos communautés, ces dernières ne pourront jamais se dire marianistes. Sa présence sera toujours une présence formatrice : Elle insufflera simplicité et humilité, union et réconciliation entre tous ; Elle nous poussera à marcher unis et à avancer dans les voies du Seigneur ; Elle ouvrira notre esprit pour nous rendre toujours accueillants et hospitaliers ; Elle nous engagera dans une action apostolique décidée et courageuse.

Il y a dans l’Eglise primitive un autre trait distinctif qu’on trouve dans plusieurs descriptions qu’on font les Actes des Apôtres ; il est traduit de manières diverses : « un même esprit, concordant ; – un seul cœur et une seule âme » (cf. Ac 1, 14 ; 2, 46 ; 4, 32 ; 5, 12). Nous retrouvons cela dans la consigne que le Père Chaminade répétait inlassablement : « N’avoir qu’un seul cœur et une seule âme ».

Cette insistance souligne l’union affective entre les membres de la communauté primitive, que la tradition marianiste traduit par « esprit de famille », et qui représente un élément constitutif de la communauté marianiste.

Conformément à la signification des termes bibliques, c’est toujours l’union des cœurs, la « concorde » que l’on veut signifier. Malgré le nombre, malgré les différences personnelles, malgré certaines opinions divergentes, malgré la diversité des niveaux culturels ou de l’appartenance sociale, la variété des postes ou des activités professionnelles ou encore la différence d’âge, le désir de Jésus doit devenir partout réalité : « qu’ils soient tous un ! » (Jn 17, 21).

Nous formons une nouvelle famille, fondée sur l’évangile. Les personnes d’une même famille éprouvent naturellement un amour mutuel ; elles s’intéressent les unes aux autres, s’appuient l’une sur l’autre et s’entraident mutuellement.

Ces relations fondamentales doivent être privilégiées par les Marianistes et entre eux. Or cette concorde exige beaucoup de chacun. Nous devons nous efforcer de rendre notre convivialité agréable, de faciliter la communication dans nos réunions de famille et promouvoir un climat d’émulation dans notre travail.

Cela implique l’attention à des détails très pratiques et en même temps très efficaces : éradiquer la critique amère et corrosive ainsi que le pessimisme qui déprime et empoisonne, les exagérations qui entretiennent un climat factice…

Par ailleurs, nous devons cultiver les gestes d’accueil, les interprétations bienveillantes, le sens d’un sain humour, l’art de dédramatiser et de débloquer les situations : créer une ambiance feutrée où chacun pourra s’exprimer avec simplicité et liberté, où chacun pourra faire part de ses aspirations, de ses joies, de ses peines, de ses échecs, de ses préoccupations, et toujours trouver un accueil et un intérêt réconfortants.

Il faut également être conscients et reconnaître honnêtement que dans tout groupe humain il peut surgir des tensions. L’histoire de la communauté marianiste doit être l’histoire d’une communauté sans cesse remise d’aplomb par la grâce de la réconciliation. Favoriser le dialogue et la compréhension mutuelle, c’est aider à surmonter les divergences. Malgré nos faiblesses et nos limites, nous devons essayer d’être un signe de la présence de Christ parmi nous. C’est tout cela qu’exige cette union des cœurs qui doit caractériser l’esprit marianiste.

Il y a peut-être lieu de remarquer un détail un peu curieux dans les tableaux de la communauté primitive, à savoir l’importance donnée par les Actes à la « chambre haute ». Elle est explicitement citée à maintes reprises : 1, 13 ; 2, 1 ; 9, 37 ; 9, 39 ; 20, 8. C’était la salle où l’on se trouvait ensemble pour les réunions et pour les prières de la communauté. Des lieux accueillants pour se retrouver et pour prier contribuent davantage à la formation d’un bon esprit qu’on ne croit au premier abord.

Descriptions de la vie de communauté de l’Eglise primitive

La vie de communauté de l’Eglise primitive de Jérusalem a été décrite dans plusieurs passages des Actes des Apôtres. Dans le premier (cf. 2, 42-47) sont soulignés quatre aspects qui doivent également caractériser la communauté marianiste.

  1. Ecoute constante de l’enseignement des Apôtres. La vie chrétienne ne doit pas être uniquement un moment d’enthousiasme. Elle exige persévérance dans l’étude et approfondissement des enseignements des Apôtres. Leur doctrine transmet ce qu’ont vu et entendu les compagnons directs de Jésus. Les Apôtres transmettent l’expérience de leur vie avec Jésus. Ils nous initient à la vie avec Jésus. Toute communauté doit constamment recevoir et vivre cette même expérience.
  1. La vie en commun. Il s’agit de se sentir communauté à un niveau profond, interpersonnel, et non du simple fait de vivre les uns à côté des autres ; le christianisme n’est pas une expérience religieuse individuelle. Partager en profondeur la vie et les projets apostoliques fortifie cet esprit commun. Ce texte reflète la joie et la simplicité évangéliques des temps forts communautaires.
  1. La fraction du pain, qui renvoie sans nul doute à l’Eucharistie. La célébration de l’Eucharistie est la plus sublime expression de ceux qui croient en Jésus-Christ. La célébration de l’Eucharistie constitue à la fois une inépuisable source d’union fraternelle et de force apostolique. L’ Eucharistie doit toujours être le centre de toute communauté marianiste.
  1. Les prières. Dans ce contexte, « les prières » font allusion à l’exercice communautaire de la prière. Quelles que soient les diverses formes qu’elle peut prendre de nos jours, cette pratique communautaire complète admirablement l’oraison personnelle de foi. Ecouter la Parole de Dieu en communauté, la partager avec simplicité et confiance, réfléchir ensemble sur l’action de l’Esprit Saint à travers les événements, bref, se laisser évangéliser personnellement et s’ouvrir mutuellement à l’évangélisation en communauté.

Un autre texte décrivant la vie des premiers chrétiens (Ac 4, 32-35) insiste sur le partage des biens. L’idéal de concorde et d’unité n’est pas un vague sentiment religieux d’amitié, mais un sentiment qui s’exprime par une attitude pratique de fraternelle solidarité. La foi seule peut changer l’échelle de valeurs des gens et les pousser à dépasser leur instinct de possession pour céder généreusement la place au désir de partager. Qu’il n’y ait personne qui souffre par manque de moyens : cette préoccupation prioritaire des premiers chrétiens doit aussi être la nôtre.

Comme Marianistes, nous devons nous engager dans cette action de redistribution des biens matériels et de toute espèce de ressources.

Il y a enfin un troisième petit tableau de la première communauté chrétienne (Ac 5, 12-16) qui fait allusion à l’attirance exercée par cette communauté. Nous y reviendrons plus loin.

Importance des réunions

Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce livre,8 le P. Chaminade déjà voyait dans la réunion fréquente de ses membres la nature et l’essence de la Congrégation. Il faut accorder une attention toute particulière aux réunions de toute communauté marianiste, car elles ont une fonction essentielle. Ces réunions peuvent présenter des aspects divers. Il peut y en avoir qui n’auront qu’un seul de ces aspects, et d’autres qui en auront plusieurs. Voici, énumérées, une série de possibilités :

– Réunions de prière, dont la finalité est le partage de la foi.

– Réunions de formation : ici, il faudrait inclure les réunions nécessaires pour parcourir des programmes d’initiation ou d’approfondissement dans toutes sortes de sujets utiles à notre vie spirituelle et à notre service apostolique ; les conférences d’information dans des domaines présentant un intérêt religieux ou apostolique ; les réflexions communes sur des documents d’Eglise ou de la tradition marianiste…

– Réunions d’information : puisque nous formons une grande Famille internationale, nous devons faciliter la circulation d’une abondante information sur toutes les affaires de la Famille. L’hospitalité aussi doit encore élargir nos horizons marianistes.

– Réunions de discernement, de planification et d’évaluation : toute communauté doit avoir un projet communautaire, élaboré dans la prière et le discernement. Dans certaines situations, elle doit savoir prendre communautairement les décisions qui conviennent, et être toujours disposée à évaluer avec lucidité la marche de cette communauté et des ses œuvres. Dans ses activités apostoliques, chacun doit trouver appui et discernement à l’intérieur de sa communauté. Ce dynamisme communautaire est un trait essentiel de l’esprit marianiste.

– Enfin, il n’y a pas de raison de négliger d’autres réunions plus informelles, plus détendues, des temps de récréation, ou de fête, des repas fraternels suivis de ces savoureuses conversations qu’on a souvent après le repas, le jeu et le sport ; bref, tout ce qui pourrait donner couleur, joie et vitalité à la Famille.

Traits de l’apostolat marianiste.

Comme le pensait et le disait le P. Chaminade, le Marianiste est toujours et partout missionnaire, membre actif de la mission Sa participation à cette mission comporte certains traits distinctifs. Parmi les plus importants on peut retenir : a) de se fixer comme objectif essentiel de la mission la multiplication des chrétiens ; b) l’Inspiration mariale et ecclésiastique de cette mission ; c) le sens de la Providence, la disponibilité et ouverture à tous les moyens d’évangélisation…

Objectif essentiel de la mission : multiplier les chrétiens

La croissance numérique de la communauté primitive de Jérusalem est tout à fait surprenante. A la lecture attentive des Actes des Apôtres, on suit bien cette progression. Dans la liste des premiers chrétiens figurent les douze apôtres, Marie, quelques femmes et quelques parents de Jésus (cf. 1, 14) Nous pouvons estimer le noyau initial à quelque vingt ou trente personnes tout au plus. Peu de jours après, leur nombre était déjà de cent vingt environ (cf.1, 15). Après le discours de Pierre aux Juifs de toute provenance se produisirent les premières conversions, des gens mus par la dynamique de la Pentecôte. « Ceux qui acceptèrent sa parole se firent baptiser et, ce jour-là, quelque trois mille autres personnes se joignirent à eux » (2, 41).

La vie de communauté de ces premiers convertis produisait constamment de nouvelles conversions. Les Actes disent : « Ils étaient bien perçus par tout le peuple et jour après jour, le Seigneur intégrait dans le groupe ceux qui s’acheminaient vers le salut » (2, 47). Après quelques guérisons, et alors que Pierre et Jean parlaient à la foule, les prêtres, le commandant du temple et les Sadducéens les saisirent et les incarcérèrent. Mais il est dit ensuite : « Bon nombre de ceux qui avaient entendu le discours, quelque cinq mille hommes, embrassèrent la foi » (4, 4). Un passage postérieur (cf. 5, 12-16) nous présente la communauté en constante augmentation, tant interne qu’externe.

Le nombre de croyants, hommes et femmes qui adhéraient au Seigneur, augmentait. Nombre de personnes des alentours se rendaient à Jérusalem, emmenant des malades et des possédés de l’esprit immonde, et tous revenaient guéris. La communauté avait déjà une grande force d’attraction, qui s’étendait au-delà de la ville de Jérusalem. Les guérisons sont un signe de la puissance de la Résurrection.

La communauté des croyants qui sème des signes de Résurrection possède un vrai rayonnement. Une œuvre d’évangélisation était en train de se développer, qui débordait des frontières. Tout cela était dû à une présence chrétienne, à un témoignage de vie, à une parole qui transmet la foi, à des signes visibles de la libération du mal. Les allusions à l’expansion de la communauté chrétienne parsèment les Actes des Apôtres (cf.6, 1 ; 6, 7).

Après avoir pris conscience de cette impressionnante croissance de la première communauté de Jérusalem, on comprend mieux pourquoi le P. Chaminade assignait comme finalité apostolique essentielle aux groupes qu’il fondait, de « multiplier les chrétiens ». Comme il voulait rechristianiser la France, il devait adopter la même méthode missionnaire que celle des premiers chrétiens. On peut citer d’autres phrases chères au P. Chaminade : par exemple celles-ci : « Donner au monde le spectacle d’un peuple de saints » ; « Montrer que l’on peut pratiquer l’évangile aujourd’hui avec toute la vigueur des premiers temps du christianisme »…

Toutes ces phrases font allusion à une mission évangélisatrice qui agit comme une présence et un témoignage, un témoignage qui puisse être accessible au monde.

Le premier, le principal apostolat d’une communauté marianiste consiste dans la force d’attraction de sa propre vie. C’est pourquoi le P. Chaminade veut que chaque communauté soit une mission permanente ; qu’elle évangélise constamment ceux qui en sont déjà membres, et cela leur confère une force interne qui attire ceux du dehors et les incite à se laisser évangéliser.

Nous devons laisser transparaître les valeurs évangéliques dont nous vivons. Notre mode de vie aura toujours plus de valeur, plus d’impact aussi, que nos paroles. L’hospitalité et l’ouverture à tous ceux qui désirent partager notre foi et notre vie est aussi un trait typique de la communauté marianiste.

Inspiration mariale et ecclésiastique

Marie, qui est activement présente dans l’histoire du salut, est l’inspiratrice et le modèle de notre action apostolique. Nous avons vu précédemment que se consacrer à Marie c’est faire alliance avec Elle et s’engager dans sa mission de communiquer la foi et d’enraciner Jésus-Christ parmi les hommes, avec les implications d’une incarnation libératrice du mal et du péché. En se consacrant à Marie, le Marianiste se rattache à cette action, il se constitue, au sein de sa communauté, comme allié à Marie.

A plusieurs reprises, nous avons parlé de Marie comme figure de l’Eglise. L’amour de Marie nous amène à donner une dimension ecclésiale forte à l’ensemble de notre action. Nous devons vivre en intime communion avec l’Eglise, avec son ministère et avec ses orientations pastorales. Notre but unique est de faire grandir l’Eglise ; que la qualité de la vie chrétienne, la communion de l’Eglise et son action évangélisatrice s’intensifient, pour que le monde se convertisse à la foi.

Sens de la Providence, disponibilité et ouverture à tous les moyens d’évangélisation

La consigne donnée par le P. Chaminade, « Faites tout ce qu’Il vous dira ! » résumait cet esprit. En effet, ces mots ont été prononcés par Marie. C’est elle, en réalité, qui nous donne cette consigne, comme elle la donna aux serviteurs des noces de Cana. Elle nous a convaincus que nous devons faire ce que Jésus-Christ nous dirait, quelle que soit l’ordre qu’Il nous donne, même s’il nous paraît difficile ou surprenant.

Nous ne nous lançons pas d’emblée dans un engagement apostolique concret de façon uniforme et irrévocable, pas plus en tant que communauté qu’individuellement. Pour savoir ce que nous dit Jésus-Christ, il faut être très attentifs aux signes des temps.

Les urgences pastorales qui se manifestent à travers les besoins qui se font sentir dans les diverses époques et les divers endroits, doivent être considérés comme autant de signes de la Providence. Tout comme les appels de l’Eglise.

Cela exige des Marianistes une grande disponibilité et une bonne capacité d’adaptation à de nouveaux engagements apostoliques.

Nombreux sont les domaines d’action concrète vers lesquels nous pouvons canaliser notre potentiel, aussi bien en personnel qu’en autres ressources.

A titre d’exemple, et pour suggestion, en voici quelques-uns :

– l’éducation de la foi, l’enseignement chrétien, la catéchèse des adultes, la pastorale universitaire, l’animation de mouvements chrétiens et apostoliques…

– les moyens de communication sociale, les livres, les revues, la radio, la télévision, le cinéma, etc. ; tous ces medias exercent une influence formatrice ou déformatrice dans la société actuelle, suivant les mains dans lesquelles ils se trouvent ;

– l’apostolat paroissial dans tous ses aspects ; aujourd’hui nous devons tous nous sentir appelés à cette action si nécessaire dans l’Eglise ;

– le large ensemble d’actions qui contribuent courageusement à la construction d’une société juste et fraternelle. Jour après jour, l’on découvre de nouvelles possibilités en ce domaine. On sent chaque jour davantage la grande urgence d’éduquer à la paix. Les initiatives en faveur des pauvres et l’action toujours plus fraternelle pour aider les peuples en voie de développement constituent autant d’appels lancés à ceux qui ont fait alliance avec Marie, la première libérée du mal et de la mort.

Il faudrait transposer en notre temps ce mystère de lutte et de victoire que représentait aux yeux du Père Chaminade l’Immaculée Conception, mystère de libération de l’injustice, mystère de l’oppression et de tout le pouvoir ténébreux du mal.

– Mentionnons encore l’implantation de l’Eglise dans de nouvelles zones du monde, c’est-à-dire tout l’apostolat missionnaire, avec l’aide multiforme aux jeunes Eglises qu’il implique. L’apostolat marianiste demande une grande disponibilité ; il faut être prêt même à quitter son propre pays et cela est vrai non seulement pour les religieux mais aussi pour les missionnaires laïcs et les couples, qui pourraient apporter un extraordinaire témoignage de détachement et de vie chrétienne et, en même temps, exercer des activités professionnelles dans tous les secteurs de la technique et de la science, si nécessaires dans ces pays.

Conclusion

Pour clore ce livre et en guise de conclusion, je voudrais ajouter un dernier mot : le Marianiste n’est jamais seul dans sa tâche apostolique. Il trouve toujours appui et soutien chez les autres Marianistes, d’abord les confrères de sa propre communauté mais aussi ceux des autres communautés marianistes.

Mon objectif précis, en écrivant ce livre, a été de tourner mon regard vers les racines dont nous sommes issus, d’ouvrir des horizons plus communautaires à notre présent et de jeter sur l’avenir un regard chargé de plus grande espérance.

Non ! nous autres Marianistes, nous ne sommes jamais seuls.
Nous sommes avec Marie.

Rome, 19 mars 1987
Solennité de Saint Joseph

1 Cf. par ex. : Paul Joseph Hoffer S.M. La vie spirituelle d’après des écrits du Père Chaminade (pro manuscripto) Curia Generalizia dei Marianisti, Roma.

2 Cf. (en espagnol) La spiritualité Marianiste dans l’Eglise d’aujourd’hui (schémas pour réunions de groupes), Ignacio Zabala SM, Imprimerie SM Madrid, 1984 . Ce feuillet est conçu avec une perspective plus historique et générique, et il s’adresse à tous les groupes laïcs Marianistes.

3 Parmi les ouvrages sur Marie et la spiritualité Marianiste : Emile Neubert SM, La doctrine Mariale de M. Chaminade, Editions du Cerf. Paris 1937. William J. Cole S.M., The maternity of Mary, according to the writings of Father William Joseph Chaminade ( thèse de Doctorat ), Fribourg 1958; G.-J. Chaminade, Ecrits Marials, édition préparée par le Jean-Baptiste Armbruster S.M., séminaire marianiste, Fribourg, 1966, 2 vol.; Avec G. Joseph Chaminade, fondateur des Marianistes (1761-1850) connaître, aimer, servir Marie, Paris 1982.

4 Cf. surtout I. De La Potterie S.J. La parole de Jésus « Voici ta Mère » et l’accueil du disciple (Jn 19,27 b), dans la revue «  Marianum » n 110 , 1974 , p. 4-39. Pour l’étude de l’Evangile de Jean, voir également Salvatore Alberto Panimolle Lettura Pastorale del vangelo di Giovanni, trois volumes, Edizioni Dehoniane, Bologna 1978, 1981, 1984… Sur les textes marials, consulter Giuseppe Ferraro I racconti dell’ infancia nel Vangelo di Luca, Edizioni Dehoniane, Naples 1983 ; Carlos Escudero Freire Devolver el Evangelio a los pobres, Ediciones Sigueme, Salamanca, 1978.

5 Sur la foi et la prière dans la spiritualité Marianiste, cf. G. J. Chaminade Ecrits sur la foi, Edition préparée par le P. J.B. Armbuster; James F. Kunes The spirit of Faith in the active Life – « A Spirituality of Faith based on the writings of William Joseph Chaminade, Thèse de doctorat, polycopiée, Fribourg ; G.J. Chaminade, Ecrits d’oraison, Edition préparée par le P. Raymond Halter S.M., Séminaire Marianiste, Fribourg, 1969.

6 Sur la méthode des vertus, cf. Bertrand Clemens S.M. The System of Virtues, Institute of Marianist Studies, Glencoe, Missouri 1960 ; Quentin Hakenewerth S.M. In his likeness, Maryhurst, Press  1977 (et autres publications ultérieures)…

7 Sur les Actes des Apôtres, cf. Benigno Papa, Atti degli Apostoli, commento pastorale, 1° volume, Edizioni Dehoniane, Bologne 1981; Jacques Dupont, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, Ed. du Cerf, Paris 1984.

8 Cf. § 3.2.

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