L’heure de Jésus et l’heure de Marie

Que me veux-tu, femme, mon heure n’est pas encore venue. (Jn 2, 34)

Au premier abord, cette réponse de Jésus à sa mère a de quoi surprendre. Nous connaissons bien le contexte dans lequel elle a été prononcée : une noce, la joie, et tout à coup, un problème, il n’y a plus de vin. Marie a perçu l’embarras des serviteurs.

Jésus vient tout juste de commencer sa vie publique et de recruter ses premiers disciples. Mais Marie connaît son fils, elle sait qu’on peut lui faire confiance. Elle lui fait part de la difficulté. Elle a foi en lui.

La réponse de Jésus à sa mère ne la décourage pas : Faites tout ce qu’il vous dira dit-elle aux serviteurs (Jn 2, 5), qui non seulement écoutent Marie, mais obéissent à Jésus malgré l’ordre étrange qu’il leur donne : Remplissez d’eau les cuves… Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. (Cf. Jn 2, 7, 8). Nous connaissons la suite, l’eau changée en vin et les compliments du maître du repas au marié. Mais ce qui est important c’est la conséquence de ce premier miracle de Jésus : Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. (Jn 2, 11).

Marie a provoqué en quelque sorte le premier miracle de Jésus qui a eu pour conséquence de montrer sa puissance et de conforter la confiance de ses premiers disciples.

Vues comme cela, les noces de Cana sont un événement exceptionnel certes, mais qui reste dans le quotidien de la vie.

Mais nous pouvons en faire une autre lecture

Ce qui est étrange dans la relation de cette scène, c’est que les mariés restent au second plan, la mariée n’est même pas mentionnée. Le message est donc ailleurs.

En fait il s’agit bien d’épousailles, mais de celles de Dieu avec l’humanité. Le livre de la Genèse au chapitre 3, nous relate comment Satan a tenté Eve et Adam. Ils n’ont pas résisté et en désobéissant à l’ordre de Dieu, ils ont provoqué une rupture entre le Créateur et l’humanité. Se manifeste ainsi, pour la première fois, l’opposition fondamentale de Satan au projet de Dieu. Dieu dit à Satan : Je mettrai une hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et ta descendance : sa descendance te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. (Gn 3, 15). La Tradition de l’Eglise reconnaît dans cette mention le rôle de la Vierge Marie : la femme, et également celui du Messie : sa descendance, dans le combat contre le Satan.

Les noces de Cana mettent en scène le Nouvel Adam, Jésus, et la Nouvelle Eve, Marie, unis pour combattre le Malin. Dieu le Père veut envoyer son Fils restaurer l’alliance qu’il avait faite avec l’humanité. A l’Annonciation, l’Ange Gabriel fait part de ce projet à Marie qui accueille et accepte la mission d’être la mère de son Seigneur : Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. (Lc 1, 38). A partir de ce moment-là, Marie épouse de tout son être le plan de salut de Dieu.

Lors des noces de Cana apparaît un nouveau « couple » – le Nouvel Adam, le Christ, la Nouvelle Eve, Marie – uni pour restaurer l’humanité blessée par le péché et l’ouvrir à la vie en Dieu.

Nous le savons, seul Jésus-Christ, à la fois, vrai Dieu et vrai homme, réalise cette mission. Mais celle-ci ne peut se faire sans l’acquiescement et la coopération libres de l’humanité représentée par la Vierge Marie. Ainsi sont respectées la liberté de Dieu qui apporte le salut, et celle de l’humanité qui l’accueille. L’eau changée en vin aux noces de Cana préfigure le sang et l’eau qui vont couler du côté ouvert du Crucifié au Calvaire lorsque précisément l’heure de Jésus sera arrivée.

Ainsi, les noces de Cana montrent Marie toute attentive aux besoins des hommes et à la volonté de Dieu. Mais le besoin fondamental des hommes est leur rédemption. Marie, parce qu’elle est comblée de grâce, est prête à coopérer de tout son être au salut de l’humanité.

Le texte relatant les noces de Cana se termine en mentionnant que Jésus, sa mère et ses disciples, se rendent ensuite à Capharnaüm où ils restent quelques jours. On peut donc penser que Marie suit son fils sur les routes de Palestine. Mais l’évangéliste Jean ne mentionne ensuite qu’au Calvaire la présence de Marie.

Voici le texte de la présence de la Vierge Marie au Calvaire

Il est très court, juste deux versets.

Or, près de la croix de Jésus se tenait sa mère, avec la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. (Jn 19, 25-27).

C’est maintenant l’heure de Jésus. En fait, elle est en préparation depuis la venue de Jésus en notre monde. Toute sa vie, toute sa mission ont tendu pour la réalisation de cette heure. Ce n’est pas sans angoisse, mais c’est avec détermination que Jésus y est arrivé. Peu de jours avant le dernier repas qu’il prend avec ses apôtres, Jésus dit :« Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » (Jn 12, 27-28). Et nous connaissons sa prière au Jardin des Oliviers : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. » Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. (Lc 22, 42-43).

Jésus est désormais sur la croix, dépouillé de tout, prêt à remettre son esprit au Père. Mais avant, il va engager sa mère à accueillir la vie : femme, voici ton fils, dit-il en désignant Jean. (Jn 19, 26). Marie est au pied de la croix. Elle compatit à la souffrance de son fils. Elle vit cette épreuve dans la foi en la promesse de Dieu, transmise par l’Ange Gabriel, et qui pourtant semble anéantie par la scène dont elle est témoin : Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » (Lc 1, 32-33).

C’est l’heure de Jésus, c’est aussi l’heure de Marie

Alors que Marie est témoin de l’agonie de son fils Jésus, elle est invitée par lui, à donner la vie. En accueillant Jean comme son fils, elle devient par lui, la mère de tous les croyants qui la prennent pour mère. Son acceptation silencieuse fait d’elle leur mère spirituelle, ayant pour mission, en coopérant avec l’Esprit Saint, à les éduquer dans la foi, afin qu’ils ressemblent de plus en plus à son fils unique, Jésus.

En entendant la parole de Jésus : « Voici ta mère. » (Jn 19, 27), Jean prend Marie chez lui. Il la reçoit comme sa mère spirituelle se laissant éduquer par elle. En disant oui à la demande de Dieu lors de l’Annonciation, Marie est fécondée, par la puissance de l’Esprit Saint, pour devenir la mère du Sauveur qu’elle va mettre au monde. Mais elle est déjà en attente de la naissance des disciples de son fils, car on ne peut dissocier ce dernier d’avec les croyants qui constituent l’Eglise. Jésus en est la tête et les fidèles en sont les membres.

Après cet épisode, marquant l’origine de la maternité spirituelle de Marie, Jésus va remettre son esprit à son Père dans un abandon total. Peu de temps après, un soldat, voyant que Jésus est déjà mort, va lui percer le côté d’où sort du sang et de l’eau. (Cf. Jn 19, 34). De nombreux pères de l’Eglise voient en cette réalité la représentation symbolique du baptême, figuré par l’eau, et de l’eucharistie, signifiée par le sang. Ces deux sacrements manifestent l’Eglise. L’Eglise naît du côté transpercé du Christ mort sur la croix.

Mais l’Eglise serait mort-née et la maternité spirituelle de Marie également, s’il n’y avait pas eu la résurrection de Jésus Christ au matin de Pâques. Le sacrifice du Christ est œuvre de vie uniquement parce que celui qui est mort, est aussi ressuscité par la puissance d’amour de Dieu, et qu’il est vrai Dieu et vrai homme. Désormais le mystère de la rédemption est réalisé. Jésus, par sa mort et sa résurrection rétablit l’Alliance entre Dieu et l’humanité supprimant la rupture due au péché et donnant accès à la vie trinitaire.

Notre prière de trois heures rend bien compte de cette œuvre de salut. Nous prions le Fils pour demander pardon de nos péchés et le remercier du don de sa mère. Nous prions Marie en nous mettant sous sa protection et en lui demandant de nous éduquer à être sous la mouvance de l’Esprit.

Nous prions saint Jean, pour que comme lui, nous accueillions Marie dans notre vie et nous nous mettions au service de sa mission maternelle. Notre prière s’ancre dans ces deux versets de la scène du Calvaire, relaté par l’apôtre Jean. C’est le cœur même du charisme marianiste, tel qu’il a été inspiré au Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.

Avec Dieu, la gloire est un service

Jésus manifesta sa gloire au début de son ministère par le miracle qu’il réalisa pendant le repas des noces de Cana. Mais sa gloire est bien plus manifeste dans le mystère de la rédemption. La gloire du Christ, c’est de faire la volonté de son Père. Il est au service de notre salut. La gloire de Marie, c’est d’acquiescer au désir du Père et du Fils en étant mère du Fils de Dieu et notre mère.

La gloire du chrétien, c’est de suivre le Christ et de lui ressembler de plus en plus. La gloire des membres de la famille marianiste, c’est de se mettre aussi au service de la mission maternelle de Marie, d’être des éducateurs de la foi quelque soit nos états de vie, participant ainsi à l’œuvre de la nouvelle évangélisation.

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