Le Père Chaminade

Introduction : le décret de béatification

Le 20 décembre dernier, le Pape Jean Paul II signait, en présence du Supérieur général de la Société de Marie (religieux marianistes), de la Supérieure générale des Filles de Marie Immaculée (religieuses marianistes) et du Père Torres, postulateur de la cause du Père Chaminade, le décret qui reconnaît que la guérison miraculeuse de Mme Elena Otero (Argentine) est due à Dieu, certes, mais grâce à l’intercession du Père Chaminade.

La cause de béatification et de canonisation s’ouvrit en 1909. Le 18 octobre 1973, le pape Paul VI déclarait que le Serviteur de Dieu avait exercé toutes les vertus à un degré héroïque. (Mère Adèle : déclarée vénérable le 5 juin 1986)

Qui est donc le Père Guillaume Joseph Chaminade ?

Guillaume naît à Périgueux le 8 avril 1761, il est le 14ème enfant de la famille, 7 de ses frères et sœurs sont déjà morts. La maman veille à tout, le papa est marchand drapier. A 10 ans, celui que sa maman appelle son petit « Minet » à cause de sa gentillesse part étudier au collège-séminaire de Mussidan où son frère aîné, Jean-Baptiste, ancien jésuite, enseigne. Il retrouve également là son frère Louis, un peu plus âgé.

Au moment de sa confirmation, il ajoute à son prénom celui de Joseph. A l’âge de 15 ans, il est reçu dans la Congrégation de Saint Charles dont les membres dirigent le collège. Il va se préparer à devenir prêtre de Saint Charles. Ordonné prêtre en 1785 il exerce comme économe au collège-séminaire de Mussidan où règne une solide et profonde dévotion mariale.

Eclate la Révolution… En 1791, il refuse de prêter serment à la constitution civile du clergé et le voilà prêtre réfractaire. Il s’installe à Bordeaux et poursuit son ministère dans la clandestinité. Guillaume Joseph se déguise en rétameur, il arpente les rues de la ville en criant « chaudrons ! chaudrons ! » D’autres fois, il se présente comme un colporteur et vend du fil, des aiguilles…A Saint Laurent, dans la proche banlieue bordelaise, il achète une propriété où il installe ses parents âgés. Pour s’occuper d’eux, il engage une domestique, Marie Dubourg. C’est elle, qui, alors que Guillaume Joseph est traqué par les sans-culottes, a la présence d’esprit de retourner sur lui un cuveau et, tranquillement, sans se départir de son calme, elle les accueille et les invite à trinquer. Ainsi, dans la clandestinité, il poursuit son ministère : on vient souvent faire au colporteur, au rétameur et on lui signale malades, mourants. Il célèbre aussi la messe tandis que des enfants, tout en jouant, montent la garde.

Mais en 1797, il est finalement contraint de partir en exil en Espagne à Saragosse où, au pied de Notre Dame del Pilar, il creuse le mystère de l’Incarnation et de la maternité de Marie, approfondit son amour pour elle. C’est de cette expérience spirituelle qu’il rapporte l’intuition de la Famille marianiste pour rechristianiser la France. De retour à Bordeaux en 1800, il fonde, en décembre, la « Congrégation » ce que nous appelons aujourd’hui les communautés laïques marianistes ou fraternités. (J’y reviendrai tout à l’heure.)

Dès 1808, il propose à certains membres de la Congrégation qui veulent faire des vœux tout en restant dans la vie laïque, ce qu’il appelle « l’Etat », un institut séculier, qui permet à des laïcs de se consacrer à Dieu en vivant dans le monde.

A la même époque, il en relation épistolaire avec Adèle de Trenquelléon qui rallie la « Congrégation » avec les membres de sa « Petite Société  ». Plus de soixante personnes sont ainsi affiliées à la Congrégation de Bordeaux. Adèle est ardente, dynamique, elle brûle du désir de se consacrer au Seigneur, elle entraîne des jeunes qui, comme elle, souhaitent s’établir en communauté pour un service à temps plein des enfants et des pauvres et des groupes de la Congrégation.

En 1816, pour faire droit à l’insistance d’Adèle qu’il a identifiée comme un appel de Dieu, il fonde avec elle, à Agen, les Filles de Marie ou Sœurs Marianistes et l’année suivante, Bordeaux verra la fondation d’une « petite communauté de religieux de notre Ordre » comme l’écrit Adèle.  C’est la Société de Marie ou Religieux Marianistes.

Désormais le Père Chaminade va consacrer toutes ses énergies, son savoir faire, sa vie au service de ses fondations.

Il meurt à Bordeaux le 22 janvier 1850, laissant une réputation de sainteté et ayant accompli une œuvre extraordinaire. A l’aube du XXème siècle, l’archevêque de Bordeaux, le Cardinal Donnet reconnaîtra que « toutes les œuvres de son diocèse ont leurs racines dans l’œuvre de la Congrégation de Monsieur Chaminade. »

La vie du Père Chaminade est longue, sa personnalité riche, son œuvre immense, il y a beaucoup à dire. J’ai choisi quelques facettes (dix) pour tenter de vous donner un aperçu, mais ce faisant j’ai conscience de laisser dans l’ombre bien des aspects de cette belle figure.

Dix facettes, dix angles d’approche

Educateur de la jeunesse

Déjà à Mussidan, il est au contact de la jeunesse. Témoin des ravages occasionnés par la Révolution en particulier auprès des jeunes, à Saragosse il prie, réfléchit, se laisse instruire par le Seigneur. Avec d’autres ecclésiastiques, il cherche comment rechristianiser la France quand ils pourront rentrer au pays.

Et de retour, en décembre 1800, il propose à des jeunes de se retrouver régulièrement dans la Congrégation.

Quand, avec Adèle, il fonde l’Institut de Filles de Marie, il acquiesce aussitôt à la demande d’ouverture de classes gratuites pour les fillettes pauvres de la ville et des environs.

A peine fondée, la Société de Marie ouvre des écoles.

Devant le manque de formation des maîtres, il crée à partir de 1824 plusieurs écoles normales. Les futurs instituteurs sont formés et font en même temps la pratique auprès des élèves de l’école attenante à leur lieu de formation. C’est la Révolution de 1830 qui stoppe le développement très rapide de ces écoles normales. Il met au point une méthode d’enseignement à l’usage des maîtres.

La découverte de Marie et de sa maternité spirituelle

Périgueux avait une solide dévotion mariale. A Mussidan Marie était en bonne place. Adolescent, Guillaume est en sortie dans une carrière avec d’autres jeunes, quand une pierre se détache du rocher et le blesse sérieusement lui déboîtant la cheville. Les semaines passent et la cheville ne guérit pas. Avec son frère, il fait la promesse de se rendre à pied en pèlerinage à Notre Dame de Verdelais s’il se remet. Très rapidement, il est guéri et peut se rendre à pied auprès de Notre Dame, à quelque 80 kilomètres de là. Il considérera toujours cette guérison comme miraculeuse.

A Saragosse, auprès de Notre Dame del Pilar son amour pour Marie s’approfondit. Il médite longuement la scène du Calvaire. Jésus confie Jean à sa Mère. Mais Jean ne représente-t-il pas toute l’Eglise ? Jean a pris Marie chez lui. Chaminade se sent appelé à prendre Marie chez lui, dans tout ce qui fait sa vie et à se laisser former à la ressemblance de Jésus par Marie. Plus, il découvre que Marie l’invite à prolonger sa mission maternelle et c’est une autre facette :

L’alliance avec Marie

Depuis le baptême Marie est la Mère de tout chrétien. Mais les chrétiens en ont-ils toujours conscience ? Vont-ils jusqu’au bout de ce que cela signifie ?

Accueillir Marie comme sa mère dans sa vie de tous les jours n’est-ce pas le meilleur moyen de répondre à notre vocation de devenir conforme à Jésus Christ ?

Accueillir Marie c’est aussi partager ses soucis maternels, ses désirs de voir tous les hommes ses enfants découvrir l’amour de son Fils et se laisser aimer par Lui, devenir de vrais enfants de Dieu.

Le Père Chaminade va donc proposer aux membres des Congrégations puis des Instituts religieux de faire alliance avec Marie.

Faire alliance avec Marie : C’est lui laisser le champ libre pour qu’Elle puisse réellement nous engendrer à la vie d’enfants de Dieu,

C’est aussi lui offrir nos services pour partager sa mission maternelle auprès de tous ceux qui se trouvent sur notre route à quelque titre que ce soit.

Pour bien montrer que cette alliance avec Marie s’enracine dans le baptême, dès le début et aujourd’hui encore, le chrétien qui se sent appelé à faire alliance avec Marie commence par renouveler les promesses de son baptême.

Tous missionnaires

Quand, le 8 décembre 1800, à la sortie de la messe, le Père Chaminade avise deux jeunes et leur demande de venir la semaine suivante avec chacun un autre jeune (c’est le démarrage des Congrégations), il est bien convaincu

D’une part, qu’un chrétien isolé est un chrétien qui se perd, Et d’autre part que chaque chrétien est missionnaire là où il vit.

Très vite il organise les différents groupes de la Congrégation : les jeunes gens, les pères de famille, les jeunes filles avec l’aide de Melle de Lamourous sur Bordeaux, et à partir de 1808, les membres de la « Petite Société » d’Adèle.

Il constitue ainsi de petites communautés où se forment des chrétiens qui seront ferment dans leurs paroisses. Les membres de la Congrégation se réunissent en groupes divers selon leur état. Chaque congréganiste est un « missionnaire permanent », chaque Congrégation une « mission permanente ». En effet, bien loin de ne rassembler que des pratiquants, les groupes de la Congrégation accueillent tous ceux qui le souhaitent et c’est par contagion, au sein du groupe, qu’on devient chrétien. Stimulés par Chaminade, les membres de la Congrégation participent à nombre d’activités apostoliques : catéchisme, préparation des enfants, des jeunes à la communion, patronage, visite des pauvres, des malades, des prisonniers, œuvre des « bons livres »… En agissant de la sorte, son but est toujours le même : « multiplier les chrétiens. »

Les Laïcs

Attachant un très grand prix au baptême, le Père Chaminade donne toute leur place aux laïcs. Il les incite à être actifs dans la vie et la mission de l’Eglise. On a pu dire que sa manière de rechristianiser la France après la Révolution c’étaient les prémices de l’Action catholique du 20 ème siècle.

De fait c’est par les petites communautés des Congrégations qu’il va œuvrer au sein de l’Eglise et du monde. Convaincus du rôle qu’ils avaient à jouer nombre de laïcs de ces groupes vont rejoindre des séminaires, des instituts religieux mais aussi être ferments de vie chrétienne dans leurs paroisses. Le Père Chaminade n’a-t-il pas pour ambition de faire de ses congréganistes de bons paroissiens ?

La foi

Ce qui, chez Marie, a attiré le Père Chaminade c’est sa foi, son adhésion entière, libre et en toute connaissance de cause à la Parole de Dieu. La foi est le ressort de cette vie. Au plus fort des tempêtes qui ne manqueront pas de survenir, le Père Chaminade n’avance que par la foi, il s’enfonce dans la foi.

De Marie, il apprend à tout regarder dans la lumière de la foi. Que dit le Seigneur ? Que veut-Il ? Qu’attend-Il ? C’est par son « fiat », sa foi inconditionnelle que Marie a triomphé du Mal, du Serpent des origines, c’est par sa foi qu’Elle a entraîné les serviteurs de Cana à « faire tout ce qu’Il vous dira ». Le Père Chaminade accueille ces Paroles. Il les fait siennes puis les transmet à ses enfants, à ses disciples.

La foi est tellement la base de toute vie chrétienne, que pour la faire grandir, il propose une méthode pour faire oraison à partir du CREDO, le CREDO étant le contenu de la foi que nous avons à nous approprier constamment.

L’oraison

L’oraison est le meilleur moyen d’approfondir sa foi, de la purifier c’est-à-dire d’apprendre à voir, à juger un peu à la lumière de Dieu. Le Père Chaminade attache une grande importance à l’oraison et cela pour les congréganistes comme, plus tard pour les membres de ses instituts religieux.

On raconte que lorsqu’il avait davantage de travail, il commençait par consacrer un peu plus de temps à l’oraison. C’est là, dans le cœur à cœur avec son Seigneur, accompagné et soutenu par la présence de Marie qu’il discernait ce qu’il lui fallait faire.

« Jamais vous ne remplirez mieux l’étendue de vos devoirs, dit-il, que quand vous prierez mieux. »

L’inventivité : « A combats nouveaux, moyens nouveaux »

Le Père Chaminade ne rêve pas de restauration. Il ne rêve pas de refaire ce qui existait avant la Révolution. Tout ce qu’il entreprend porte la marque de la nouveauté, une nouveauté qui s’enracine dans le passé, c’est sûr, mais qui est neuve. Ainsi pour ses Congrégations, il reprend ce qu’étaient les congrégations mariales lancées par les Jésuites avant leur dissolution, mais alors que celles-ci s’attachaient à faire grandir chacun personnellement, les congrégations du Père Chaminade ont une orientation essentiellement missionnaire. On ne se forme que pour mieux annoncer Jésus Christ, pour le faire « connaître, aimer et servir ».

Pour la Société de Marie, il ne veut pas de costume religieux, ses frères doivent s’habiller comme tout le monde, sans se faire remarquer pour être plus proches des personnes. Autre nouveauté, la Société de Marie comprend des prêtres et des frères, mais tous ont même statut, mêmes droits.

Les maîtres n’ont aucune formation, il invente les écoles normales.

La Famille Marianiste

La Famille de Marie, ou Famille Marianiste, c’est bien un des effets de sa créativité qui tient compte des besoins tels qu’ils se présentent, qui tient compte des signes des temps, qui tient compte aussi de l’heure de Dieu.

Il est rentré d’exil, porteur d’une intuition qui l’habitait déjà auparavant mais qui s’est précisée : la fondation  d’instituts religieux pour œuvrer à la rechristianistaion de la France. Cependant il garde cela au plus profond de lui-même pendant des années attendant que Dieu fasse signe comme l’atteste la confidence qu’il fait au jeune Lalanne qui vient s’ouvrir à lui de son désir de vie religieuse :

« C’est là ce que j’attendais depuis longtemps. Dieu soit béni ! Sa volonté se manifeste et le moment est venu de mettre à exécution le dessein que je poursuis depuis trente ans qu’il me l’a inspiré. »

Il a donc attendu, commençant par lancer ses Congrégations qui connaissent un développement extraordinaire tant la proposition est adaptée aux besoins que les personnes ressentent. Des Congrégations naît d’abord l’Etat religieux dans le monde, qui permet à des personnes de se consacrer à Dieu tout en continuant à mener leur vie dans le monde. Enfin, Adèle et ses compagnes vont pousser le Père Chaminade à les instituer en communauté. Elles continueront à accompagner les Congrégations, à faire faire des retraites, à enseigner, à multiplier les chrétiennes. En somme ce seront des « religieuses missionnaires » comme l’écrit le Père Chaminade. L’année suivante, ce sont des jeunes gens, congréganistes, pour certains de la première heure, qui demandent au Père Chaminade à former une communauté.

Et voilà la Famille Marianiste dans ses quatre branches : les fraternités ou communautés laïques, l’Institut séculier : l’Alliance Mariale, les religieuses et les religieux Marianistes.

L’esprit de famille

Enfin le Père Chaminade, qui aime contempler l’église dans ses commencements, insiste volontiers sur le « cor unum, anima una ». Ils n’étaient qu’un cœur et qu’une âme. C’est ce que les Actes des Apôtres nous rapportent de la communauté de Jérusalem. Et cela, il le désire aussi bien pour chaque congrégation que pour ses deux instituts, que pour l’ensemble de ce qu’il appelle la Famille de Marie.

A ses frères enseignants ou éducateurs il demande d’être à la fois père et mère dans leurs relations avec les élèves qui leur sont confiés.

Quant à la Famille Marianiste, chaque branche, certes, a sa spécificité, chaque branche a sa responsabilité propre, son autonomie. Cependant, un peu à l’image de ce que vivent les trois personnes au sein de la Trinité, nous avons à vivre d’un même esprit dans des relations étroites faites de respect, de confiance, d’amour, nous aidant les uns les autres à vivre de plus en plus la vocation qui est la nôtre, et cela pour la gloire de Dieu et le bonheur de nos frères, les hommes, les femmes, les enfants, les jeunes d’aujourd’hui.

Conclusion

Une belle figure que ce Père Chaminade. Si l’Eglise, en authentifiant un miracle dû à son intercession, le propose comme modèle c’est qu’il peut apporter beaucoup pour aujourd’hui :

L’Eglise n’a-t-elle pas besoin de petites communautés où l’on puisse se retrouver pour partager sa foi, prier, s’éclairer mutuellement sur le regard à porter sur les situations, sur le monde…?

Les jeunes que nous côtoyons n’ont-ils pas besoin d’éducateurs qui soient à la fois père et mère ?

N’avons-nous pas à aimer notre monde pour découvrir de quelle manière nouvelle le servir ?

Le baptême fait-il de nous de vrais missionnaires là où nous vivons tous les jours ?

Et Marie, quelle place lui faisons-nous dans notre vie ? Quelle place lui fait notre Eglise ?

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