Le oui d’Adèle à son temps…

Quiconque parcourt les lettres d’Adèle trouve peu de références aux événements de son époque. Rappelons-nous pourtant qu’elle fut, dès son enfance, témoin des bouleversements liés à la révolution française et qu’elle en a subi les conséquences avec sa famille : exil du papa, visite et fouille du château de Trenquelléon, fuite vers l’Espagne puis exil de plusieurs années au Portugal. Lorsque la famille rentre en France à l’automne 1801, Adèle découvre les églises devenues hangars pour le fourrage, la misère des paysans, les enfants sans éducation, les pauvres qui viennent chercher au château de quoi manger.

Toute jeune Adèle est convaincue que la véritable paix se trouve en Dieu : « Se laisser aller à perdre la paix, à se troubler, à se démonter la tête, c’est une tentation du démon… Conservons donc la paix du cœur comme un des plus grand trésors. Dans quelque événement qui nous arrive sachons ne pas perdre cette paix. »(lettre 8). « Mon Dieu, donnez la paix à mon âme, pour le temps et pour l’éternité ! » écrit-elle un peu plus tard.

Au cœur d’une réalité politique tumultueuse, Adèle est avant tout guidée par sa foi : elle réagit en femme de foi aux réalités qui l’entourent. Elle ne passe pas son temps à gémir ou à regretter le passé et c’est au nom de sa foi, de son amour du Christ qu’elle accueille les événements et décide d’agir.

Le 9 mars 1814, dans une lettre à Amélie de Rissan, Adèle fait allusion à la guerre qui menace :

« Nous avons été dans de grandes agitations, ma chère amie, depuis ma dernière lettre, par les nouvelles qu’on débitait et qui se contrariaient sans cesse : tantôt les ennemis à la porte, tantôt bien loin… tout le monde était en l’air ! Hélas, chère Amélie, notre malheureuse patrie va, je crains, payer bien cher tous ces crimes. Car le théâtre de la guerre est un des plus grands fléaux du monde. » (lettre 219)

1815 : Napoléon a débarqué au golfe Juan et il entre à Paris le 20 mars ; l’aventure des cent jours met un arrêt aux projets d’Adèle ; par ailleurs son père est très malade et elle se consacre à le soigner. Adèle commence sa lettre à Agathe Diché par cette prière : « Mon Dieu, donnez-nous cette paix que le monde ne peut donner ! » et elle poursuit : « Il sait tirer le bien du mal ; il ne tombe pas un cheveu de notre tête sans sa permission. Il sait mieux que nous ce qui nous convient. Il ne borne pas ses pensées au temps : c’est pour l’éternité. Au lieu que nous, aveugles, ne pensons qu’au temps présent… J’ai besoin de ces réflexions chère amie, car mon cœur est plongé dans l’amertume sur différents sujets… » (lettre 264)

Dès son plus jeune âge, Adèle est habité par la certitude que le temps présent est court, il nous échappe à tout moment ; elle écrit à Agathe : « Faisons nos actions les plus indifférentes avec tant de pureté d’intention que notre temps ne soit perdu en rien. Faisons en vue de Dieu tout ce que nous faisons. » (lettre 223)

Elle met cela en pratique alors qu’elle vit encore dans sa famille : les enfants du voisinage ne reçoivent aucune éducation ? Elle les accueille au château, ils arrivent à toute heure et elle interrompt son travail ou son courrier pour les accueillir, leur apprendre à lire, leur faire le catéchisme, les éduquer dans la foi.

Après la fondation des Filles de Marie, elle encourage ses sœurs à mettre tout en œuvre pour rejoindre les plus pauvres : « J’ai assisté hier à l’instruction des pauvres de la sœur saint Vincent, elle s’en acquitta fort bien. » Elle forme les congréganistes (les ‘ancêtres’ des CLM !). Derrière le vocabulaire désuet, nous pouvons entendre son invitation à faire face de mille et une manières aux besoins de son temps :

« Nous avons distribué des œuvres de zèle parmi les congréganistes : les unes enseignent le catéchisme, les autres s’emparent des enfants après la première communion pour les retenir et les entretenir dans la piété ; d’autres vont instruire les pauvres dans leur maison ; d’autres faire de saintes lectures aux malades ; d’autres rassemblent les jeunes personnes pour les faire amuser innocemment chez elles pour les détourner du mal ; d’autres doivent chercher les premières communions retardées et nous les amener ; d’autres porter à l’approche des sacrements les jeunes personnes ; d’autres procurer de bonnes lectures…. » (lettre 421)

Le regard d‘Adèle est tourné vers la venue du Seigneur, qu’elle accueillera par un cri de joie « Hosanna au Fils de David », elle est tendue vers le temps de la joie qui n’aura pas de fin. Pour autant elle ne méprise pas le temps qui lui est donné pour aimer et servir, et surtout pour faire aimer celui qu’elle nomme son Epoux. En un même mouvement, elle dit OUI au Seigneur qu’elle veut servir et à l’époque dans laquelle elle vit.

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