Lorsqu’on se met à lire les lettres d’Adèle, on est émerveillé de constater combien la Parole de Dieu est présente. Adèle vit de la Parole, Adèle se sert de la Parole pour animer la « Petite Société », ses sœurs. Elle s’ingénie pour que la Parole s’incarne dans sa vie, dans la vie des autres.
Nous développerons trois aspects :
- Comment Adèle accueille-t-elle la Parole en sa vie ?
- La Parole comme source d’animation de la « Petite Société » et de ses sœurs.
- Quelques textes clé.
Pour conclure, nous verrons comment Adèle nous appelle à vivre toujours plus de la Parole de Dieu.
Comment Adèle accueille-t-elle la Parole en sa vie ?
Tout au long de ses lettres, nous trouvons les textes de la parabole du semeur (Mt 13, 3 Sv)
Ce texte apparaît pour la première fois en février 1806 et pour la dernière en novembre 1826. Cela signifie, me semble-t-il, que c’est un texte capital pour elle, un peu comme un élément de la toile de fond de la spiritualité d’Adèle.
- Lisons le texte de l’Evangile
« Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres grains sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés sur la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
- Ce texte, Adèle le commente dans cinq lettres :
33.3-4 ; 70. 4-6 ; 280. 6 ; 313. 5 ; 687. 8
Nous allons voir ce que ce texte lui suggère. Commençons par écouter Adèle. C’est la lettre 33 qui est la plus intéressante :
« Dans quelle terre, chère Agathe, recevons-nous la semence ? Dans une terre remplie de ronces et d’épines qui étouffent bientôt les précieuses semences de la parole de Dieu. Oh ! Ma chère amie, qu’il n’en soit plus de même: arrachons de notre âme les épines qui s’y trouvent ; que le feu de l’amour divin en consume jusqu’aux racines. Donnons au contraire de bonnes racines à la précieuse semence que Dieu jette dans nos cœurs ; qu’elle ne tombe point sur des cœurs aussi durs que la pierre des rochers, mais sur des cœurs tendres pour Dieu. Ne la laissons pas non plus comme sur un chemin sans garde, de peur que le démon ne vienne nous l’enlever ; mais plutôt, mettons-y pour gardes, la vigilance chrétienne et l’humilité ; alors notre semence ne sera plus sur un chemin où tout le monde peut la prendre.
Préparons nos cœurs : mettons-y un bon fumier pour engraisser la terre de nature inculte. Arrosons-la souvent. Et avec quoi ? Avec le Sang adorable de notre Sauveur. Eh ! Quelle terre ne profiterait pas avec un tel arrosement ? Travaillons-la à la sueur de notre front pour en arracher les mauvaises herbes. Et alors, ayant reçu la semence avec un cœur pur et un cœur préparé, elle rapportera cent pour un. »
Que nous apprend cette lettre ?
Pour accueillir la Parole, il faut commencer par préparer son cœur
- De notre côté, nous avons à mettre des gardes : la vigilance et l’humilité.
La vigilance, c’est cette attitude qui nous rend disponible pour écouter et accueillir la Parole à tout moment.
L’humilité, c’est ne pas compter sur ses propres forces, mais s’appuyer sur le Seigneur, comme Marie.
Il faut ensuite arracher les mauvaises herbes, c’est-à-dire tout ce qui nous empêche de faire attention au Seigneur, de reconnaître sa voix.
Dans une autre lettre (70.4) elle ajoute la nécessité de la prière et des œuvres bonnes.
Avec le Père Chaminade, elle a coutume de dire que « c’est dans la solitude que Dieu parle au cœur ». (60.5) et à plusieurs reprises elle recommande le silence.
Dans la lettre 33, elle conseille de faire cela quoi qu’il en coûte car le Royaume appartient aux violents.
Nous constatons là sa détermination.
- Du côté du Seigneur: c’est son amour qui consume les épines jusqu’aux racines.
C’est le sang du Sauveur qui arrose la terre.
C’est le Seigneur qui, par sa grâce, rend nos cœurs accueillants à la semence (70.6)
« Hâtons-nous donc de mettre à profit la parole que nous avons le bonheur d’entendre (70.5).
Alors, comme Marie, nous serons heureuses car, ayant entendu la Parole, nous la mettrons en pratique (cf. Lc 8, 21 et 11,27)
Une fois le cœur préparé (c’est une façon de parler, non un ordre chronologique), la Parole s’accueille dans la foi et s’incarne dans la vie.
- Parce que c’est Jésus qui nous parle, comme elle l’écrit :
« Le moment approche, ma très chère amie, où nous allons célébrer la Pâque avec notre divin Sauveur. Figurons-nous qu’Il nous adresse les mêmes paroles qu’Il adressa à ses Apôtres quand Il leur dit: « Préparez-moi une salle, afin que j’y aille manger la Pâque avec mes disciples ». Préparons-nous donc à cette communion pascale. » (220.2)
Adèle accueille la Parole, elle voit ce qu’elle signifie pour elle et ses amies, puis essaie de la mettre en œuvre. Une autre fois, elle écrit :
« Je vous donne rendez-vous, dimanche, avec les apôtres à qui Jésus-Christ apparut en leur disant: « La paix soit avec vous ! ». Nous nous représenterons y être et entendre cette douce parole, et nous prendrons la ferme résolution de vivre en paix avec tout le monde » (37.5)
C’est vraiment dans la lumière de la Parole qu’Adèle cherche à vivre.
Nous pourrions lire de nombreux exemples qui illustrent cette attitude. Quand Adèle reçoit la Parole, c’est Jésus qui s’adresse à elle et lui dit ce qu’il attend.
- De la même manière, elle écrit que, lorsque le prêtre parle, il parle au nom de Dieu.
« Regardons Dieu dans le ministre qui nous annonce la Parole et tâchons de profiter de ce qu’on nous dit. » (70.6)
C’est forte de cette conviction que, plusieurs années plus tard, elle écrit à ses sœurs :
« La Parole de Dieu nous est prodiguée, cette Parole si puissante, que n’opérerait-elle pas dans nos âmes si nous y étions bien préparées ? Je lisais hier que, puisque le Saint Esprit dit que c’est une obligation de se préparer à la prière parce qu’on va parler à Dieu, il n’en faut pas moins pour aller écouter Dieu qui nous parle par la bouche de ses ministres qui sont la bouche de Dieu. Tâchons donc de faire abstraction de l’homme pour ne voir que Dieu dans ses ministres. Cette vue de l’homme rend inutile la Parole sainte: ouvrons les yeux de la foi et écoutons la Parole de Dieu comme Parole de Dieu et non de l’homme et alors, l’instruction la plus triviale profitera à notre âme. » (613.3)
Tout ceci conduit Adèle à cette conclusion :
« Frémissons de cette Parole de l’Evangile : ‘On demandera beaucoup à celui à qui on a donné beaucoup, et on fera rendre un plus grand compte à celui à qui on a plus confié.’ » (243.5 cf. Lc 12,48)
Et Adèle ajoute :
« Ce qui sera trouvé très bien à une personne sera regardé bien imparfait en nous, qui avons été éclairées de tant de lumières et de tant de grâces. »
Adèle sait bien tout ce qu’elle a reçu de Dieu. Elle veut en rendre grâce en vivant et en faisant vivre les autres dans la lumière du Seigneur, dans la lumière de l’Evangile, de la Parole de Dieu.
La Parole comme source d’animation de la « Petite Société » et de ses sœurs
C’est à partir de la méditation de la Parole qu’Adèle anime ses amies, ses sœurs.
La Parole est vie, lumière, force, défi pour elle et elle se sent appelée à la partager avec les autres. C’est pour elle le meilleur moyen de porter remède à la situation dans laquelle se trouve le monde. A la fin de l’exil, avant de quitter l’Espagne, elle a voulu rester pour pouvoir entrer au Carmel, mais au retour, en traversant les villages du Sud-Ouest de la France, elle a été frappée par leur misère, par les traces de la Révolution (églises en ruines, statues décapitées…). C’est pour cette raison que, peu après sa confirmation, elle a fondé avec Jeanne Diché la « Petite Société ».
L’aide spirituelle que les deux amies s’apportent en s’écrivant, elles veulent en faire profiter les jeunes de hameaux voisins.
Dans les lettres, Adèle communique ce qui la fait vivre, son amour de Dieu, son amour du prochain. Ce qui l’encourage, c’est la Parole de Dieu méditée chaque jour (à 14 ans, elle fait oraison matin et soir !).
C’est cette Parole méditée avec amour qu’Adèle cherche à incarner dans ses actions quotidiennes. Et elle cherche à aider ses amies à faire de même.
Que propose-t-elle à ses amies ?
- « L’acte » que l’on trouve en tête de chaque lettre, est souvent une phrase tirée des Psaumes, de l’Evangile. Cette parole est à répéter tout au long du jour de façon à féconder les moindres actions.
Par exemple, « Mon Dieu, pardonnez-nous nos offenses ! » (34.1)
Cette phrase, Adèle va la reprendre dans le cours de sa lettre, développant le thème du pardon de Dieu. Elle écrit :
« C’est Jésus Christ lui-même qui a composé cet « acte », puisqu’il l’a tiré de la prière qu’il a lui-même apprise à ses disciples. Ainsi, faisons-le avec beaucoup d’ardeur. » (34.3)
Nous trouvons de nombreux « actes » tirés de l’Ecriture.
« Vous êtes le Dieu de mon cœur et serez éternellement mon trésor et mon héritage » (114.1 ; 115.1)
« Je ne veux me glorifier que dans votre croix, ô Jésus Christ ! » (249.1)
« Vous êtes morte et votre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu » (614.1 ; 681. 1)
Les amies avaient ainsi un « acte » pour chaque semaine de l’année. La Parole de Dieu vivifiait leur vie spirituelle.
- L’année liturgique
Pour stimuler les membres de la « Petite Société », Adèle médite avec elles l’année liturgique. La Parole proposée par la liturgie est l’une de ses principales sources d’inspiration.
Ainsi, par exemple, le jour de l’annonciation :
« C’est au sortir, ma chère amie, de lire un sermon de Bourdaloue, que je vous écris. Puisse l’Esprit-Saint qui animait cet orateur chrétien, m’inspirer sur quoi je vous entretiendrai ! Aujourd’hui, et que je puiserai dans les salutaires réflexions que m’a inspirées le sermon.
Quelle grande fête, ma bonne amie ! Le Verbe de Dieu prendre notre chair ! Le Fils de Dieu devenir le fils de l’homme ! Dieu même devenir notre frère! » (35, 2-3) Et Adèle continue en méditant les attitudes de la Vierge.
Une autre fois, c’est la fête de Marie Madeleine (45.3). Elle commente l’Evangile puis s’émerveille de cette parole du Seigneur à Marie Madeleine : « Vos péchés vous sont remis » et elle ajoute, faisant sienne la Parole de Dieu « parce que vous avez beaucoup aimé ».
En d’autres circonstances, elle reprend la Parole de Dieu à propos des temps liturgiques : Noël, Pâques, Pentecôte, le Carême :
« Le moment approche, ma très chère amie, où nous allons célébrer la Pâque avec notre divin Sauveur. (…) Préparons-nous donc à cette communion pascale avec un redoublement de ferveur; regardons-la, suivant l’étymologie du mot « pâque », comme un véritable passage du péché à la grâce.
Laissons en Egypte toutes nos mauvaises affections. Ne regrettons pas les vaines satisfactions que nous y laisserons ; la manne du désert sera préférable aux viandes et aux oignons de l’Égypte. » (220. 2-3)
A travers ces exemples, nous voyons comment Adèle adapte la Parole de Dieu à sa vie et à celle de ses amies. Nous découvrons aussi comment elle développe son enseignement à partir des textes de l’Ecriture. Cela nous la rend très proche.
La Parole de Dieu joue un rôle également dans la préparation aux sacrements, en particulier l’Eucharistie et la réconciliation.
« et rappelons-nous, pour nous animer dans notre lâcheté, cette parole sortie de la bouche de Celui qui est la vérité même : « Celui qui ne mange point ma chair et qui ne boit pas mon sang, n’aura point la vie éternelle en lui. » (7.4)
Un peu plus loin, dans la même lettre, elle écrit :
« Venez à moi, dit ce Sauveur, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés et je vous soulagerai. Le pain que je vous donnerai est ma chair et le breuvage que vous y boirez est mon sang » (7.5)
(Notons au passage qu’Adèle cite rarement le texte de façon littérale. Elle les cite à sa façon mais on s’y retrouve bien. )
Voici ce qu’Adèle propose à Agathe pour se préparer à recevoir le pardon du Seigneur :
« Quoi que vous fassiez, dit l’Apôtres faites tout au nom de, Notre Seigneur Jésus-Christ». Je vous en fais le pieux « Défi », et, pour l’acquérir, je vous propose, d’ici à notre première confession de demander cette grâce à Dieu le matin et le soir par un Ave Maria. » (130. 5)
La Parole de Dieu semble lui être connaturelle, c’est parce qu’elle en vit.
- Par rapport à notre attitude vis-à-vis de la Parole de Dieu, elle donne quelques bons conseils.
– Elle nous invite à nous en nourrir.
« Demandons à Jésus Christ qu’il nous nourrisse de sa Parole. (83.7) Nous avons à nous rappeler cette Parole pour qu’elle puisse vivifier ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous disons. »
Voilà pourquoi elle recommande :
« Je vous propose, chère amie, de nous rappeler le plus souvent que nous pourrons, mais au moins trois fois dans la journée, cette parole de Jésus-Christ: «Apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur ! ». Je désirerais bien que nous puissions nous en rappeler quand l’horloge sonne. » (292.6)
Quelques années plus tard, elle conseillera à ses sœurs de prendre leur nourriture dans l’oraison :
– Cette Parole, il faut l’écouter et la proclamer avec respect (cf. 70.6 et 93.7)
– Cette Parole sert pour prier
« Prions pour les hommes et ne cessons de demander grâce pour eux par les paroles consacrées par notre divin Sauveur : pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». (64.4)
– Seul un cœur humble peut accueillir la Parole. Ces conseils d’humilité qu’elle nous donne prennent eux-mêmes racine dans la Parole de Dieu. Elle paraphrase à la fois le texte du Magnificat et Saint Paul : « Notre impuissance sera le siège de sa toute puissance et notre faiblesse celui de sa force, notre misère celui de sa miséricorde. » (617.3)
– Plus que tout, cette Parole doit être partagée. Elle le fait dans ses lettres. Elle encourage ses amies à faire des conquêtes. Qu’est-ce à dire ? Sinon que la « Petite Société » doit conduire les jeunes au Christ et à Marie. Les associées peuvent utiliser plusieurs moyens : visite des malades, des prisonniers, jeux pour les enfants, prêt de livres, classes… Mais toutes doivent faire connaître aimer et servir Jésus et Marie. Elles ont à partir de la Parole de Dieu pour cela.
Mère Adèle rappelle à Mère Thérèse Yannash, supérieure de Sœur Dosithée Gatty qui est chargée du Tiers Ordre à Tonneins que Jésus allait, enseignant, par les villes et les villages et que l’Institut (religieux, religieuses, Tiers Ordre) doit imiter le Christ :
« L’Institut doit marcher sur les traces du Divin Sauveur qui allait par les villes et les campagnes (458.5)
Une autre fois se devine toute sa joie d’apprendre que la Parole de Dieu est annoncée aux pauvres femmes de Saint Hilaire :
« Tous les dimanches matins, la mère saint Vincent a une réunion de filles et femmes de Saint Hilaire – d’une lieue et demie – qui écoutent avec avidité la Parole de Dieu. Elle leur fait en gascon. (…) Dieu aime les simples et c’est à ceux-là qu’Il révèle ses secrets. Soyons bien simples et bien humbles » (581.6)
En lisant ces passages, nous percevons comme en écho la louange de Jésus :
« Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Lc 10, 21)
Accueillir la Parole, la dire, la transmettre par tous les moyens et en particuliers aux petits, aux pauvres, tel est l’idéal d’Adèle tout au long de sa vie.
Quelques textes-clé
J’ai choisi quelques textes que l’on retrouvait d’un bout à l’autre de sa vie.
L’alliance avec le Seigneur est une réalité bien vivante, profonde chez Adèle :
Nous trouvons le texte du Cantique 2, 16 (de novembre1805 à décembre1826)
« Mon Bien-Aimé est à moi et moi à Lui » qui est complété par le Psaume 15, 5-6 (de janvier 1810 à janvier 1819) : « Yahvé, ma part d’héritage et ma coupe (…) l’héritage est pour moi magnifique. »
Le texte du cantique exprime l’alliance de Dieu avec son peuple, cette alliance qui parcourt toute la Bible, alliance qu’Adèle vit. Le Bien-Aimé, Adèle le nomme le « divin Epoux, « le céleste Epoux » et cela dès le 27 mars 1805.
Elle recourt aux mêmes paroles en 1826 en s’adressant à Sœur Séraphine à l’occasion de sa profession perpétuelle.
Elle s’est donnée à Dieu, au Bien-Aimé, répondant à son amour. C’est toujours lui qui nous devance, qui vient vers nous. De cet engagement réciproque, Adèle recueille les fruits « Dieu est sa part d’héritage, son trésor ». Elle écrit à Mère de l’Incarnation qui passe par des épreuves :
« Il est notre Père, notre Bien Aimé, notre Epoux (…) Nous sommes à Lui (…) A d’autres les biens, les plaisirs de ce monde : Jésus, sa Croix, son Cœur, son Ciel, sont notre partage. Le Seigneur est ma portion et la part de mon héritage, pouvons-nous nous regarder mal partagées ? » (595.4)
Toute sa vie se déroule dans ce contexte d’alliance au sens biblique. Le Christ est son Epoux, elle est son épouse. Dans cette vie d’alliance, les textes qui alimentaient sa pensée s’articulent autour de trois thèmes :
– La précarité du temps : il faut le mettre à profit
– La suite du Christ
– La mission
- La précarité du temps : la parabole des dix vierges (Mt 25. 1 Sv.) (de décembre 1805 à novembre 1826)
Au moment où vit Adèle, nombreuses sont les jeunes qui meurent. Quelques filles rêvaient de mourir jeunes. Adèle, consciente de la précarité de la vie, fait tout son possible pour mettre à profit le temps qui lui est donné et cela d’autant plus qu’à l’âge de 20 ans, en 1809, elle tombe gravement malade, frôlant la mort.
La « Petite Société » a pour but de se préparer à une bonne mort. Cela veut dire : vivre à fond sa vie chrétienne, le baptême et la confirmation.
Avec la parabole des dix vierges, Adèle invite ses amies, puisses sœurs à :
– Mettre à profit le moment présent : personne ne sait combien de temps il a à vivre.
– Remplir sa lampe de l’huile de la charité : faire tout pour Dieu, chercher sa gloire, prier, lutter pour donner au Christ la première place.
– Etre toujours prête à suivre l’Epoux, c’est-à-dire vivre dans l’attente du Christ, entrer dans la carrière des saints, devenir des saintes.
« Travaillons à notre sanctification, une supérieure sainte fera beaucoup de choses ». (417.7)
Marie est pour Mère Adèle la Vierge sage qui a accueilli l’Epoux à chacun de ses passages, disant chaque fois « oui » dans une foi entière. Adèle vit avec elle, apprend d’elle à être à son tour la vierge sage.
- La suite du Christ jusqu’à la croix (cf. Mt 16, 24) (mai 1805 à décembre 1826)
Amoureuse du Christ, Adèle, très jeune, a découvert qu’elle ne pouvait répondre à l’amour du Christ qu’en Le choisissant, en le préférant à tout. Cela l’a conduite à donner ces conseils :
– Ne pas cesser de se renier soi-même
– Profiter de tout pour se dépouiller
– Ne pas suivre sa nature
– Ne pas fuir la croix
– Etre heureuse de marcher à la suite du Christ
– Suivre le Christ
– Se charger de la croix
– Embrasser la croix que le Seigneur envoie.
Lorsque la croix se présente, le Seigneur est toujours présent et aide à la porter. Mais il faut vivre de la croix. La croix, c’est le Calvaire. Là, Adèle retrouve les préférés de Jésus : Marie et Jean. (Jn 19, 25-27)
Ce texte, qui apparaît pour la première fois en décembre 1814, elle le cite six fois entre 1819 et 1826.
A partir de ce texte, elle nous dit que :
– Jésus distingue ses amis en les associant à sa croix
– Par la croix ils sont devenus semblables à Lui
– Les sœurs sont les filles d’une Mère transpercée par un glaive
– Il faut rester debout au pied de la croix avec Marie
– Elle invite à entrer dans le cœur de Marie pour compatir avec elle
– Elle-même fait preuve de compassion à l’égard de Mère Emilie de Rodat
– Elle invite à offrir son sacrifice avec celui de Marie
– La croix est le lit nuptial où s’accomplit l’Alliance
– C’est le moment de prouver son amour à Dieu
Ce texte lui sert encore pour expliquer les souffrances de l’enfantement spirituel, de la maternité spirituelle. Avec Marie, il s’agit de s’engager sur un chemin de foi.
- La mission : c’est une attitude fondamentale chez Adèle. Les textes qu’elle cite le plus souvent sont ceux de :
- La Pentecôte (Ac 2, 1-11) : de mai 1807 à novembre 1825
- Saint Paul (1 Co 9, 22) de décembre 1815 à novembre 1826
Missionnaire : Adèle se sent appelée à vivre de manière spéciale cette dimension de sa vocation chrétienne. Le texte de la Pentecôte se trouve étudié dans « l’Esprit Saint, source de dynamisme apostolique d’Adèle ». Je m’en tiens au texte de la première aux corinthiens :
« Je me suis fait faible avec les faibles afin de les gagner. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns ».
- Comme ce texte exprime bien ce qui habite Adèle ! Elle se donne sans compter aux membres de la « Petite Société », des jeunes cherchant à gagner des âmes à Dieu. Ainsi espère-t-elle correspondre à « l’état presque apostolique où le Bon Dieu nous destine » (lettre 301.3)
Un peu plus loin, elle écrit : « Faisons-nous toutes à tous pour les gagner tous (…) Vive Jésus, vive Marie ! »
- Une fois supérieure, elle se donne à ses filles : elle les accueille, cherche à les comprendre, les encourage, stimule leur foi, les aide à avancer sur le chemin de la sainteté parce qu’elle est convaincue que c’est sa première mission, ses filles travaillant plutôt à la mission à l’extérieur.
Dans une carte adressée à Mère Emilie de Rodat, elle dit :
« Que nos filles trouvent toujours notre cœur ouvert à tous leurs besoins, prêts à supporter leurs faiblesses, nous faisons toutes à toutes pour que toutes soient à Jésus Christ. » (lettre 353.11)
* * *
Comme nous l’avons vu, la Parole de Dieu joue un rôle essentiel dans la vie et la mission d’Adèle. La Parole est pour elle source, nourriture, paix, lumière. La parole ne la laisse jamais en repos. Il y a toujours quelque chose à faire, quelque chose à vivre pour répondre à cette Parole qui, finalement, est amour.
L’importance qu’Adèle accorde à la Parole nous interpelle, elle nous pousse à accueillir la Parole et à en vivre toujours plus, cette Parole qui s’est faite chair en Marie, en Adèle et qui veut s’incarner en nos vies aujourd’hui pour se donner aux hommes au milieu desquels nous vivons.
Textes bibliques fondateurs de l’expérience de mère Adèle
Mère Adèle n’est pas une théologienne : elle n’a pas fait d’études bibliques. Elle connait la Parole de Dieu à travers les textes de la liturgie et les commentaires qu’elle a pu lire. De plus, ce que nous avons d’elle, ce sont des lettres. Ce qu’elle cite, c’est pour illustrer tel ou tel enseignement, conseil, destiné à la personne à laquelle elle s’adresse (à travers elle, souvent les associées, puis la communauté, les tertiaires).
Toutefois, au fil des années, on peut repérer un certain nombre d’insistances et dégager, me semble-t-il, la façon dont la Parole de Dieu a fondé son expérience. C’est la Parole de Dieu accueillie, méditée, mise en pratique, partagée, qui l’a conduite tout au long de sa vie.
Il est intéressant de constater qu’au long des années, des passages bibliques reviennent plus fréquemment (à noter qu’il cite fort peu littéralement, souvent les citations sont implicites).
J’ai essayé de dégager les textes qui l’ont structurée personnellement et dans la mission que Dieu lui confiait : textes qui ont été fondateurs de sa vie, de sa mission. Donc textes fondateurs pour nous.
J’ai fait trois parties :
- Les textes qu’on trouve uniquement avant la fondation de l’Institut des Filles de Marie
- Les textes qu’on trouve avant et après et qui constituent comme la trame de son existence
- Les textes qui n’apparaissent qu’après la fondation
Les textes qu’on trouve uniquement avant la fondation de l’Institut des Filles de Marie
Deux textes m’ont paru essentiels :
L’amour de (pour) Dieu : Mc 12,30
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. »
L’amour de Dieu, c’est la raison d’être de la « Petite Société »
« L’amour de Dieu est l’unique lien de la Société ; ainsi, l’exclamation « mon Dieu » répétée si souvent et si naturellement par toutes les bouches, servira à tous les membres de terme de ralliement et équivaudra à cet acte « Aimons Dieu » ! (Règlement de la Petite Société n°5)
Aimer Dieu, c’est
- Rechercher ses intérêts, « ses intérêts nous tiendrons à cœur »
- Etre à Lui sans partage ni retour
- S’attacher uniquement à Lui car il est un Dieu jaloux (« les partages l’offensent, il veut tout notre cœur »)
- Se tenir dans l’humilité, reconnaître notre bassesse, notre néant (Gn 3,19) « car tu es glaise et tu retourneras à la glaise »
- Reconnaître que nous tenons tout de Lui car il est l’auteur de tout bien
Dieu de son côté nous aime. Dieu, c’est aussi bien le Christ
« Il aime prendre ses délices parmi les enfants des hommes » (Pr 8,31) : texte qu’elle utilise à propos de l’Eucharistie : le Christ qui vient demeurer chez nous. Il se donne tout à nous dans l’Eucharistie « prodige de l’amour de Dieu pour nous ». Dès lors,
« qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ?» (Rm 8,35) (Second texte essentiel)
Il nous a manifesté son amour par ses souffrances, sa mort, sa résurrection, Il continue de nous le manifester par ses grâces sans nombre (Nous sommes aveugles et nous ne le voyons pas).
Nous sommes assurés de l’amour de Dieu.
De Dieu qui est bonté, miséricorde, toujours prêt à nous accueillir, il tend toujours les bras pour nous recevoir, il est prodigue à notre égard…
Si Dieu ne se sépare jamais de nous, nous nous séparons de lui par le péché.
Revenir à Lui en formant un cœur « contrit et humilié, cœur qu’il ne méprisera pas ». (Ps 51,19)
Eviter, fuir le péché.
Nous nous séparons de lui par l’attache aux créatures : préférer Dieu, nous attacher à Lui seul et lui demander de soutenir notre amour.
Lui seul peut nous donner sa paix (Jn 14,27) : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne ».
Il nous donne cette « paix si désirable, l’un des plus grands biens de cette terre », « paix qui vient d’une âme parfaitement soumise à la volonté de Dieu et qui reçoit tout de sa main ».
Donc : aimer Dieu de tout son être, car Dieu nous aime, nous donne tout, nous attend toujours, rien ne pourra nous séparer de l’amour qu’il nous porte.
Les textes qu’on trouve avant et après et qui constituent comme la trame de son existence
Cette seconde partie est à lire dans la lumière des textes qui suivent, essentiellement du premier :
- Ct 2, 16 « Mon bien-aimé est à moi et moi à lui »
- Ps 16, 5-6 « Yahvé ma part d’héritage et ma coupe (…) et l’héritage est pour moi magnifique. »
Le texte du Cantique exprime l’alliance de Dieu avec son peuple, cette alliance qui parcourt toute la Bible, alliance qu’Adèle vit. En 1801, avant de quitter l’Espagne à la fin de l’exil, n’a-t-elle pas exprimé le désir de rester là pour pouvoir entrer au Carmel, quand elle aurait l’âge. Le Bien-aimé, c’est celui qu’elle appelle le « divin Epoux », le « Céleste Epoux ». (première lettre où se trouve l’expression : 27/03/1805)
« Le Bien-aimé est à nous. Sommes-nous à Lui quand il veut ? » écrit-elle à Agathe à la fin de l’année 1805.
Ce sont les mêmes termes qu’elle emploie en 1826 pour parler à Sœur Séraphine lors de sa profession perpétuelle.
Elle s’est donnée à Dieu, au Bien-aimé, en réponse à son amour. C’est toujours Lui qui fait les premières avances. De cet engagement réciproque, Adèle recueille les fruits. « Dieu est sa part d’héritage, son trésor ». Elle écrit à Mère Incarnation qui se débat au milieu des épreuves :
« A d’autres les biens, les plaisirs de ce monde : Jésus, sa croix, son cœur, son ciel sont notre partage. Le Seigneur est ma portion et la part de mon héritage, pouvons-nous nous regarder mal partagées ? »
Toute sa vie se déroule sur le mode de l’alliance au sens biblique du terme… Le Christ est son Epoux, elle est son épouse.
Sur ce fond de tableau de textes qui s’articulent autour de trois thèmes :
- La précarité de la vie, mettre à profit le temps donné
- A la suite du Christ jusqu’à la croix
- Participer à la mission
La précarité de la vie – mettre à profit le temps donné
C’est la parabole des vierges sages et des vierges folles (Mt 25,1 Sv.)
- A l’époque où vit Mère Adèle, la mort frappe souvent chez les jeunes et tandis que certaines jeunes filles se font un idéal de « mourir jeunes », Adèle, consciente de la précarité de la vie dès sa jeunesse, mais plus encore quand elle frôle la mort à l’automne 1809 (elle a 20 ans) s’ingénie à bien vivre le temps qui lui est donné.
- Si la « Petite Société » a pour but de se préparer à la bonne mort, il ne s’agit pas de se laisser aller mais bien au contraire de vivre à plein le baptême et la confirmation, en un mot la vie chrétienne.
La parabole des vierges sages et des vierges folles amène à inviter ses associées puis ses sœurs à :
* mettre à profit le temps présent : se hâter de faire ses provisions : nul ne sait le temps dont il dispose. A cet aspect se rattachent deux autres paraboles,
celle des talents (Mt 25,14 Sv)
- faire valoir les grâces reçues pour en recevoir d’autres
- être fidèle dans les petites choses
- (après la fondation) le talent qui est confié doit servir au salut des âmes, ne pas le laisser inexploité.
Celle de la semence (Mt 13, 3 Sv)
- travailler la terre de son cœur pour qu’elle puisse accueillir la semence et la fasse fructifier
- que le feu de l’amour divin brûle tous les obstacles
- préparer son cœur par la prière et les bonnes œuvres
* garnir sa lance de l’huile de la charité, la renouveler souvent.
Il s’agit de faire tout pour Dieu :
1 Co 10,31 « soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu »
- n’agir que pour l’amour de Dieu
- surnaturaliser ses actions, les plus communes deviendront agréables à l’Epoux, méritoire…
- en tout chercher la gloire de Dieu
- faire tout pour Dieu et tout devient prière, car, « que sert à l’homme de gagner le monde entier ? » (Mt 16,26)
- la vie chrétienne est un combat, il s’agit de sauver son âme,
- la perte de Dieu est irréparable,
- ne pas négliger le soin de sa perfection en se livrant trop aux œuvres extérieures.
C’est tout cela garnir sa lampe d’huile.
* Etre prête à suivre l’Epoux avec zèle et promptitude, donc :
- vivre dans l’attente continuelle de l’Epoux qui passe
- entrer dans la carrière des saints
- devenir des saintes : travaille à sa sanctification, c’est ce à quoi elle s’est engagée, ce à quoi elle engage ses sœurs. Elle s’encourage en ce sens avec Mère Emilie de Rodat (fondatrice de la Sainte Famille de Villefranche).
« Travaillons à notre sanctification, ma chère amie, une supérieure sainte fera beaucoup de choses, tandis qu’une supérieure imparfaite arrêtera les grâces de Dieu, y mettra obstacle. »
Cette parabole des vierges sages et des vierges folles permet à Adèle de mettre en œuvre les dons qu’elle a reçus pour elle et pour les autres dans une attitude de disponibilité et de service.
Dès le début de la « Petite Société », celle-ci se trouve sous la protection de Marie.
Adèle aime regarder Marie, elle cherche à l’imiter et les deux textes auxquels elle se réfère plus volontiers se trouvent être l’Annonciation et la Visitation.
L’Annonciation (Lc 1,26 Sv) : prendre Marie pour protectrice et modèle,
La Visitation (Lc 1, 48 Sv) (cela s’approfondira avec, en 1808, la découverte de la consécration à Marie et les relations avec le Père Chaminade), c’est pratiquer ses vertus :
– la pureté : fuir toute occasion de péché, toute pensée, pratiquer la modestie (du regard, des gestes, du maintien, dans les conversations…), recourir à la reine des vierges pour acquérir la pureté, lui confier sa pureté.
– l’humilité : comme Marie, être la servante du Seigneur (aimer et pratiquer cette parole de Marie : « je suis la servante du Seigneur »), être prête à accomplir toutes les volontés du Seigneur, imiter la vie intérieure, cachée de Marie, commune aux yeux des hommes, précieuse aux yeux de Dieu. (il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante)
Avoir confiance dans la miséricorde de Dieu qui éclatera dans notre faiblesse.
Pratiquer l’humilité dans les actions, les pensées, dans toute notre personne, quand on nous contredit, en acceptant patiemment les humiliations et les croix qui adviennent.
Pour recevoir le Christ dans l’Eucharistie
– L’obéissance : comme Marie, répondre aux inspirations de Dieu et aux ordres des hommes. (Marie obéit à l’empereur au moment du recensement)
– L’amour de Dieu : aimer Dieu comme Marie avec une ardeur toujours nouvelle
– L’action de grâce : dans son Magnificat, Marie rend grâce pour tout ce que Dieu a fait en elle, pour tous ses bienfaits. Là, on retrouve un autre texte : Ps 116,12 « Comment rendrai-je à Yahvé tout le bien qu’il m’a fait ? »
Marie est la Vierge sage qui a accueilli le Seigneur à tous ses passages, lui renouvelant dans la foi un « oui » sans partage. C’est elle qu’Adèle a vraiment prise chez elle. Elle vit avec elle. Elle est heureuse et fière d’être Fille de Marie. Elle veut enrôler le maximum de personnes sous les bannières de Marie. A peine commence-t-elle de correspondre avec Mère Emilie qu’elle lui suggère de démarrer la Congrégation mariale à Villefranche, ce qui se réalise rapidement avec succès.
A la suite du Christ jusqu’à la croix
Mt 16,24 : « Alors Jésus dit à ses disciples : si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive » (un des passages les plus cités).
Amoureuse du Christ, Adèle, très jeune, a découvert qu’elle ne pouvait répondre à l’amour du Christ qu’en le choisissant, en le préférant, ce qui l’amène à donner des conseils de ce genre, conseils qu’elle commence par pratiquer :
– ne pas cesser de travailler à se renoncer, à se quitter, se haïr,
– profiter de tout pour se dépouiller,
– rompre sa volonté propre,
– ne pas suivre sa nature corrompue.
Cela s’accompagne d’autres réflexions :
– Etre heureuse de marcher à la suite du Christ,
– suivre le Christ,
– ne pas fuir la croix,
– charger sa croix,
– embrasser la croix que le Seigneur présente.
Une fois fondatrice, ce n’est pas toujours facile ; Mère Emilie de Rodat sait aussi, de son côté, ce qu’il en est, et, avec elle, Mère Adèle se livre lorsqu’elle reconnaît qu’il faut porter la croix de sa charge avec un nouveau courage. (Dieu donnera la grâce d’en profiter) A Mère Incarnation (Lolotte de Lachapelle) qui a du mal à assumer la responsabilité de la communauté de Condom, elle parle, comme toujours, le langage de la foi : la croix est une nécessité. Le Seigneur adoucit la croix par sa grâce. Il aide à la porter. Il en porte même les trois quarts. La croix, c’est enfin l’échelle qui fait gravir le ciel. Elle tient le même langage à Mère Marie du Sacré Cœur (Agathe Diché). Elle s’est engagée à la suite du Christ, elle veut le suivre jusqu’au bout… Dans ses lettres, on retrouve 16 fois Mt 26,39 : « Mon Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux ! »
C’est l’acceptation de toute la volonté de Dieu aussi crucifiante qu’elle soit, car la foi l’assure que Dieu est toujours là et que lorsque la croix se présente Il demeure le même : Tout Amour.
A la croix elle se retrouve avec ceux qui sont les plus proches, les plus intimes du Seigneur. Le texte qui revient sous la plume alors c’est Jn 19,25sv :
« Près de la Croix de Jésus se tenaient sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. Voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’Il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils » puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». A partir de cette heure, le disciple la prit chez lui ».
Ce texte apparaît pour la première fois en décembre 1814, un an et demi avant la fondation, il est cité six fois entre 1819 et 1826.
Que tire-t-elle de ce passage ?
- Jésus distingue ses favoris, ses bien-aimés en les associant à la Croix, témoins : sa Mère, le disciple bien-aimé,
- Par la Croix ils sont rendus conformes à Lui,
- La seule distinction à laquelle les sœurs peuvent prétendre : être les enfants d’une Mère transpercée d’un glaive de douleur,
- Il s’agit de se tenir debout au pied de la Croix :
– se montrer les dignes filles d’une Mère debout,
– comme Elle,
- Elle invite à entrer dans le cœur de Marie (elle dit à Mère Emilie de Rodat que son cœur maternel sent le glaive dont doit être percé le sien : compassion)
- Elle invite à offrir son sacrifice avec Marie,
- Elle invite encore à monter sur la Croix, lit nuptial où l’alliance est contractée, à s’attacher à la croix,
- C’est le moment de prouver à Dieu son amour par un humble acquiescement à son bon plaisir.
Ce passage lui sert également pour exprimer les douleurs de l’enfantement spirituel. La maternité spirituelle offre ses douleurs. Marie es passée par là : comme elle entrer dans une démarche de foi.
Suivre le Christ, c’est annoncer la Bonne Nouvelle : participer à la mission.
Lc 8,1 « Or Il cheminait ensuite à travers villes et villages, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu ».
On ne trouve ce texte cité que deux fois, une fois avant la fondation, une fois après.
Toutefois, il semble rendre compte d’un appel profond entendu par Adèle, appel auquel elle a cherché à répondre toute sa vie.
- Avant la fondation
Il s’agit simplement de se mettre à la suite du Christ qui enseigne par les villes et les villages (ce qu’elle cherche à faire par la Petite Société : il y a des fractions dans les villes et les villages). Adèle est restée très marquée par la misère morale et spirituelle des campagnes qu’elle a traversées en rentrant d’exil. Elle s’ingénie à faire ce qu’elle peut : école, catéchisme, préparation aux sacrements.
- Après la fondation
Le texte est cité dans une lettre à Mère Thérèse Yannash, supérieure de Tonneins, concernant la Tiers Ordre séculier :
– Le Tiers Ordre est destiné à faire l’œuvre de l’Institut dans les villages.
– L’Institut (Sœurs, frères, Tiers Ordre) doit marcher sur les traces du Sauveur qui allait par villes et villages.
En installant des communautés en villes, Adèle répondait à une partie de l’appel du Seigneur, mais elle a toujours gardé le souci de l’évangélisation des campagnes. Le Tiers Ordre séculier était un moyen mais il n’assurait pas une continuité de la mission. Elle appelait de tous ses vœux un Tiers Ordre régulier qui soit « une mission permanente ». Il vit le jour à Auch en 1836. Et dans les constitutions de 1839, lorsque le Père Chaminade traite du Tiers Ordre, il rend hommage à Mademoiselle de Trenquelléon.
Missionnaire (terme qui l’exalte), Adèle a conscience de l’être dès sa confirmation (elle en fête l’anniversaire, comme pour son baptême) et chaque année, la Pentecôte est, pour elle, l’occasion de se laisser renouveler par l’Esprit Saint pour le service de la mission.
De 1807 à 1825, elle cite fréquemment le récit de la Pentecôte (Ac 2,1-11). Voici les points forts sur lesquels elle insiste :
* La première lettre seule met l’accent sur l’union à Dieu, au Christ, l’amour de Dieu – ne vouloir plaire qu’à Dieu et donc fuir le péché, braver nos passions.
* Dans les autres passages, elle note l’accueil ensemble de l’Esprit Saint (dimension de la Petite Société, de l’Institut : nous l’Institut, les œuvres)
C’est l’aspect ecclésial qui est mis en lumière. Faire Eglise, comme les Apôtres, pour accueillir les dons de l’Esprit. En lien avec cet aspect, on peut dégager une autre citation : (Ac 4,32) « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. » (Avant la fondation, c’est l’union des membres, un cœur, une âme, pour être totalement à Dieu, à son service – après la fondation, elle y ajoute la dimension missionnaire : un cœur, une âme pour aimer et faire aimer Dieu dans le sillage des premiers chrétiens de l’Eglise naissante).
* Toutes les lettres qui se réfèrent à la Pentecôte mettent en valeur la mission.
Comme pour les Apôtres : la mission a vraiment commencé avec le discours de Pierre à la Pentecôte.
Alors
- Que l’Esprit Saint nous transforme en créatures nouvelles pour le service de la mission, là où Dieu nous envoie.
- Que l’Esprit Saint nous éclaire, enflamme
- Que l’Esprit Saint nous embrase pour aller embraser les autres de l’amour de Dieu, pour le faire connaître et aimer
- Que l’Esprit Saint nous rende libres pour être tout entières aux intérêts du Seigneur, ne chercher que sa gloire
- Que l’Esprit Saint nous prépare même au martyre pour sa gloire et le salut des âmes.
Et l’attitude profonde qu’elle vit dans le service de la mission, c’est celle même du grand Apôtre Paul :
1 Co 9,22 : « Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles, je me suis fait tout à tous afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. »
C’est le ressort de son être : elle se donne totalement pour les associées, les jeunes filles… dans le but de gagner à Dieu des âmes, pour répondre à « l’état presque apostolique auquel le Seigneur nous appelle ».
Une fois supérieure, elle se donne toute à ses filles : elle les accueille, cherche à les comprendre, les encourage, ranime leur foi, les aide à avancer sur le chemin de la sainteté, bien convaincue que c’est alors sa première mission, ses filles ayant davantage à travailler à la mission extérieure.
Et vient s’ajouter, en face de l’ampleur de la mission, l’appel à la prière au maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers :
Mt 9,37 : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux, priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. »
Elle écrit cela à ses sœurs, à Mère Emilie… mais également à Monsieur Lacaussade, le directeur de la manufacture de tabac de Tonneins qui s’est chargé de l’acquisition de la maison de Tonneins.
Ayant accueilli l’alliance que Dieu lui proposait, Adèle, consciente de la précarité de la vie, s’est mise à la suite du Christ, faisant fructifier les talents reçus ? Elle a suivi le Christ jusqu’au don total d’elle-même, acceptant la croix comme elle se présentait et rejoignant Marie, la première disciple de son fils, debout sur le calvaire, ouverte à l’esprit d’amour qui a dynamisé les Apôtres et les premières communautés chrétiennes, elle s’est donnée, en communion profonde avec ses sœurs et autant qu’elle le pouvait, à l’évangélisation des villes et des campagnes, faisant tout pour la gloire de Dieu.
Les textes qui n’apparaissent qu’après la fondation
Ils se rapportent à la vie religieuse :
- La vie religieuse : quitter le monde pour trouver Dieu
- La vie religieuse : dépouillement, pauvreté, foi
- La vie religieuse : vie cachée dans le Christ, pour Dieu
La vie religieuse : quitter le monde pour trouver Dieu
Ex 3,17 (plus qu’un passage, c’est toute l’expérience de Moïse et du peuple de Dieu qui quitte la terre d’Egypte pour aller au désert et offrir un sacrifice à Yahvé)
Tributaire de son époque, Adèle perçoit la vie religieuse comme une délivrance : le Seigneur a rompu tous les liens, toutes les attaches au monde (le monde est conçu comme foncièrement mauvais).
Elle et ses compagnes (et elle invite Lolotte, Mélanie Figarol à vivre la même expérience) ont quitté le monde pour aller au désert s’immoler en victime au Seigneur.
Le Seigneur ne les nourrit plus de la manne mais de sa grâce, de son Corps et de son Sang. Comment dans une telle situation, regretter les oignons d’Egypte puisqu’elles sont en marche vers la véritable terre promise : le Ciel ? Elle engage Mélanie à persévérer auprès de son père, comme Moïse auprès du pharaon pour obtenir la permission de rejoindre le couvent.
Il faut rattacher à ce texte le passage du Ps 45,11 « écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père ».
Il est toujours question d’oublier son peuple, la maison de son père, pour venir dans la terre que le Seigneur veut donner. « Oh ! Qu’il est doux de tout quitter pour le Bien-Aimé ! »
Ainsi la vie religieuse est-elle présentée comme une sortie du monde, un passage, une pâque, pour un lieu où l’on vit totalement de Dieu, pour Lui et avec Lui. « Le religieux est celui qui se donne totalement à Dieu aimé par-dessus tout » dit le Concile (Lumen Gentium n°44).
La vie religieuse : dépouillement, pauvreté, foi
C’est sur le ROC qu’est le Calvaire qu’Adèle fonde sa vie et son œuvre.
Mt 7,24 : « Quiconque écoute ces paroles… peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc ».
Elle est profondément convaincue que les maisons, les communautés fondées sur le Calvaire sont les plus solides, elle se réfère en particulier à Saint François de Sales qui a éprouvé bien de difficultés lors de la fondation de la Visitation.
Je compléterai ce texte par trois autres qui insistent sur l’abandon à la Providence, la confiance en Dieu.
Mt 6,25 Sv : « Ne vous inquiétez pas… Voyez les oiseaux du ciel… Votre Père céleste les nourrit… Observez les lis des champs… Que si Dieu revêt de la sorte l’herbe des champs… »
Jr 17,5-7 : « Malheur à l’homme qui se confie en l’homme, qui fait d’une chair son appui et dont le cœur s’écarte de Yahvé. Heureux l’homme qui se confie en Yahvé et dont Yahvé est l’espérance. »
Jb 2,10 : « Si nous accueillons le bonheur comme un don de Dieu, comment ne pas accepter de même le malheur ? »
Il s’agit de s’en remettre toujours, dans les joies comme dans les croix, à Dieu qui nous aime et veille sur nous.
Il s’agit de se confier à la Providence : car Dieu nourrit les oiseaux, vêt les lis des champs, car la Providence veille sur les besoins de ses enfants et sait mieux qu’eux ce qui leur convient.
Cette vie dans la confiance en Dieu conduit à ne pas chercher d’appui auprès des créatures (confesseurs, religieuses…). Ce ne sont que de faibles appuis. Dieu fera plus pour le bien de chacun que toutes les créatures ensemble. Il fera tout réussir pour le bien de ses enfants.
Dans une telle optique, Dieu devient la seule richesse.
Seul un cœur pauvre peut vivre cet abandon entier à Dieu : cela se manifestera dans les comportements à l’égard de la pauvreté :
Il faut être pauvre avec Jésus Christ pauvre, cela veut dire concrètement :
Aimer ressentir les effets de la pauvreté, savoir la supporter, ne pas s’inquiéter outre mesure pour le temporel, compter sur Dieu avec une foi et une confiance sans défaut.
Le Christ est là : il ne laissera pas périr ses épouses.
La vie religieuse : vie cachée dans le Christ, pour Dieu
Col 3,3 : « Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu ».
Ce texte apparaît assez tardivement, pour la première fois en janvier 1825 : elle a déjà huit ans de vie religieuse derrière elle. Il lui sert que la vie religieuse est une vie cachée en Dieu, avec le Christ, vie simple, ordinaire, commune, à l’exemple de la vie que la Vierge Marie a menée, vie de foi (en surnaturalisant les moindres actions, faire pour l’amour de Dieu, pour sa gloire). C’est à travers cette vie que l’on est une vraie missionnaire, capable de gagner les âmes à Jésus Christ.
La vie religieuse, sur ces bases, apparaît comme une pâque (passer sans cesse du monde à Dieu), une mort à soi-même pour vivre de Dieu, c’est une vie axée sur l’amour de Dieu, la foi, la confiance, l’abandon à Dieu, la pauvreté, car Dieu est la seul richesse véritable. C’est une vie simple, comme Marie, mais animée par la foi, cette vie est missionnaire.
Et pour conclure, je prendrai Mt 21,9 : « Hosanna au Fils de David », la parole de louange par laquelle la vierge sage a accueilli qu’elle attendait dans la fidélité vigilante, d’un amour totalement livré.