Itinéraire spirituel d’Adèle de Trenquelléon

 A travers ce qui nous reste de Mère Adèle (essentiellement sa correspondance, mais aussi son règlement de vie, ses notes de retraite) j’ai essayé de dégager ce qui me semble être son itinéraire spirituel. Comme pour chacun, il y a des constantes, c’est la visée fondamentale, et il y a des points d’approfondissement plus particuliers selon les époques. La visée fondamentale, c’est l’appartenance totale à Celui qu’elle appelle, dès la troisième lettre que nous avons d’elle : « l’Epoux ». Elle vit l’alliance avec le Seigneur, elle tend de tout son être à la rencontre définitive avec Lui, cela s’accompagne de la présence de Marie. Dès le début, sa spiritualité est mariale. Sur ce fond qui représente la trame de sa vie, il y a des points d’approfondissement selon les époques, et j’en ais dégagé quatre :

– L’attrait du Carmel (en gros, jusqu’à la rencontre avec le Père Chaminade)

– l’attrait de la mission (de la rencontre avec le Père Chaminade jusqu’à la fondation)

– La fondation des Filles de Marie (en gros jusque vers 1820), période où elle tend à concilier les deux attraits,

– La maternité (de 1820 à sa rencontre avec l’Epoux)

Ce sont ces quatre points que je vais développer tout en m’efforçant de laisser apparaître pour chaque période la trame de sa vie.

L’attrait du carmel

Mère Marie-Joseph, dans ses mémoires, nous raconte que toute petite (elle a cinq ou six ans), Adèle, ayant entendu parler des carmélites par sa famille, désire se faire elle-même carmélite. C’est ainsi qu’elle habille sa poupée, c’est ainsi aussi qu’elle griffonne sur des morceaux de papier des lettres soi-disant destinées à un Ecclésiastique, visiteur des carmélites.

Elle fait sa première communion à Saint Sébastien dans l’église Santa Maria qui se trouve juste à côté du Carmel où elle est probablement allée prier avec sa mère. Au moment de quitter l’Espagne pour rentrer en France, fin 1801, elle veut rester dans ce pays afin de pouvoir se faire carmélite (Le Carmel ayant été supprimé en France par la Révolution), elle n’accompagne ses parents que sur la promesse de sa mère de la laisser entrer au carmel en Espagne à sa majorité (25 ans sous l’Ancien Régime), si alors le Carmel n’est pas rétabli en France.

Avant sa confirmation, pour se préparer à recevoir ce sacrement, elle se rend chez les anciennes carmélites d’Agen qui se sont regroupées dans la clandestinité. Et là, elle vit avec les religieuses, conformément à la Règle de Sainte Thérèse.

Enfin autre point qui nous dit cet attrait, la place qu’elle fait à Sainte Thérèse : toutes les lettres que nous avons d’elle jusqu’à la fondation (premier volume) portent comme en-tête JMJT, c’est-à-dire Jésus Marie Joseph Thérèse. Nous avons aussi que la fête de cette sainte ne passe pas inaperçue. C’est en la fête de la réformatrice du Carmel qu’elle fait la communion pour connaître sa vocation (Lettre 22). Est-ce le signe qu’elle n’est plus tout à fait certaine que Dieu l’appelle au Carmel et qu’elle invoque l’intercession de celle qu’elle regardera toute sa vie comme une grande sainte.

Comment cet attrait pour le Carmel influence-t-il sa vie spirituelle ?

C’est en vue de se préparer à son entrée au carmel qu’avec la permission de sa mère, elle sollicite de Monsieur Ducourneau, précepteur de son frère Charles, un règlement de vie.

Qu’y trouve-t-on ? (cf. fin du premier volume p 412 Sv)

  • Oraison (½ h matin et soir)
  • Office de la Sainte Vierge
  • Lecture spirituelle
  • Examen avant le repas de midi
  • Examen de conscience en famille le soir
  • Parfois le chapelet
  • La communion chaque semaine et pour quelques grandes fêtes, donc la confession la veille (selon la pratique de l’époque)
  • Importance du travail de la maison, s’adonner aux exercices de son âge.

Prenons conscience qu’elle n’a pas encore 14 ans !

Quant à l’esprit dans lequel elle doit vivre ce règlement de vie, elle doit :

  • Se rappeler qu’elle est dans le monde pour sauver son âme (les plaisirs passant comme un songe)
  • Aimer ses parents
  • Pratiquer la charité
  • Demander à Dieu l’amour de la retraite, se plaire dans la solitude
  • Faire tout pour Dieu
  • Vivre dans la charité, l’humilité, l’obéissance, la modestie
  • Pratiquer la mortification (à table par exemple)
  • Modérer sa vivacité
  • Renoncer à sa volonté propre
  • Ne pas entretenir d’attaches aux créatures pour que son cœur soit tout à Dieu

C’est tout un programme qui est assorti d’une grande largeur de vue. Monsieur Ducourneau note dès le commencement du règlement qu’elle doit être prête à accepter que les circonstances fassent qu’elle manque à cette règle. Il s’agit donc d’une aide, non d’une contrainte, d’un carcan obligatoire. Monsieur Ducourneau ajoute encore, pour éviter qu’elle ne tombe dans le scrupule, qu’elle ne devra jamais répéter une prière, une confession qu’elle penserait avoir mal faite, et surtout il insiste pour qu’elle voie toujours l’amour de Dieu, sa miséricorde, et qu’elle ne fasse pas de lecture qui porte sur la crainte de Dieu, la peur du jugement.

Adèle adopte ce règlement comme étant l’expression de la volonté de Dieu sur sa vie, car, pour elle, le ministre qui lui parle est toujours le porte-parole de Dieu (cf. les résolutions prises après la réception de ce règlement. Vol I p 420)

« Je prends la résolution de dire tous les jours un Sub Tuum pour la personne qui m’a fait ce règlement et de lui faire une communion par mois ; je prends la résolution de m’appliquer principalement à la pratique de l’humilité, de la douceur, de l’obéissance ; de renoncer à ma propre volonté et de faire toujours celle des autres de préférence à la mienne, de m’appliquer enfin à la pratique de toutes les vertus, en particulier de celles qui sont le plus nécessaires pour mon état actuel et le Carmel.

Jésus, Sainte Marie, St Joseph, Ste Thérèse, St Bernard, priez pour moi !

De m’appliquer à faire ce qui m’ennuie avec un air aussi content que si ça m’amusait beaucoup. Me ressouvenir sans cesse de ce que je veux être ; me rendre sans peine à ce que papa et maman demandent de moi. »

Le 5 août 1804, la « Petite Société » voit le jour avec Jeanne Diché et Monsieur Ducourneau. Commence l’apostolat de la correspondance. A travers ces lettres se laisse entrevoir l’influence de ce règlement.

Elle insiste sur la fuite du monde, des occasions, le détachement des créatures pour que le cœur soit entièrement à l’Epoux :

« Quand nous donnerons-nous à Dieu entièrement et sans réserve ! Quand est-ce que nous ferons mourir entièrement le monde en nous ! (…)

Tâchons donc d’acquérir cette précieuse liberté de cœur et d’esprit. C’est sur quoi j’ai fait aujourd’hui la méditation du matin : que notre cœur puisse prendre son élan pour voler vers son Créateur. » (Lettre 75)

« Soyons attachées éternellement avec le divin Epoux de nos âmes, qui est tout beau et tout désirable. Que notre cœur brûle pour Lui des plus pures flammes. » (Lettre 74)

« Oui, divin Epoux de mon âme, je vous consacre mon cœur, je vous en consacre toutes les ardeurs et toutes les affections. » (Lettre 48)

Elle parle de la méditation, on vient de le voir, de ses lectures :

« Je vais vous donner un règlement pour la fête de saint Pierre : la méditation du matin sera sur la chute de saint Pierre… » (lettre 12)

« Je vous propose de faire la méditation, dimanche, sur le détachement » (Lettre 19).

« Faites bien attention à ce que Monsieur Larribeau (prêtre associé, directeur spirituel d’Adèle et de la Petite Société quand Monsieur Ducourneau partira à Paris) nous recommande : l’usage de la méditation et l’examen du soir; n’omettons jamais cela. Il vaudrait mieux laisser nos autres prières, quand nous n’avons pas le temps, que d’omettre ces deux choses si essentielles pour quiconque veut faire des progrès dans la vertu. » (Lettre 36)

Elle aide à se préparer à l’Eucharistie :

« Tirons plus de profit de cette communion que de toutes les autres. Conservons notre Jésus, ne le laissons point aller ; qu’il retrouve en nous la grâce quand il reviendra nous visiter; qu’il ait à se réjouir des progrès que nous aurons faits. » (Lettre 48)

« Que nous sommes coupables, bonne amie, lorsque nous sommes indifférentes pour la sainte communion, pour le pain des anges ». (Lettre 7)

Les citations sont nombreuses et laissent voir comment elle-même se disposait à recevoir l’Eucharistie.

Elle s’émerveille du pardon que Dieu donne dans le sacrement de réconciliation :

« Nous avions défiguré en nous l’image du Créateur ; il se plaît dans ce Sacrement de paix et de réconciliation de nous en retracer l’empreinte. Que nous serions donc coupables si nous négligions un si puissant remède à nos maux ! » (Lettre 18)

Elle porte un amour plein de confiance à Marie en qui elle voit un modèle à imiter. Elle compte sur sa sauvegarde, n’est-elle pas la protectrice de la « Petite Société » !

La fête du 25 mars 1806 lui donne l’occasion de toute une réflexion sur l’humilité et la pureté de Marie, engageant les associées à prendre modèle sur la Mère du Sauveur, et elle conclut ainsi sa lettre :

« Après avoir pris toutes les précautions convenables, remettons ce dépôt si précieux entre les mains de la Sainte Vierge ; prenons-la pour la gardienne de notre pureté et de notre innocence ; apprenons d’elle à craindre les dangers et à les éviter ; qu’aucun désir de plaire ne trouve accès dans nos cœurs ; que ces cœurs ne brûlent que pour le Seigneur. » (Lettre 35)

C’est avec enthousiasme qu’elle s’engage sur le chemin de la vie spirituelle, cherchant à y faire des progrès constants.

« Ayons beaucoup d’ardeur pour notre avancement spirituel ; tâchons de faire tout pour plaire à Dieu. N’écoutons point ce que demande la nature mais la grâce. » (Lettre 52)

Cela ne va pas de soi, la vie spirituelle est un combat :

« L’heure du combat est arrivée ; armons-nous d’un véritable courage et combattons sans cesse, et avec l’aide du Tout-Puissant, nous aurons sûrement la victoire. » (Lettre 59)

Quelle énergie, quel dynamisme allié à une confiance invincible dans le Seigneur car, « le Sauveur dit : celui qui espère en moi ne périra jamais. » (Lettre 59)

Elle ponctue ses exhortations de cette phrase qui lui est chère : « Qui n’avance pas recule ». (Lettres 62, 78, 82)

Elle se prépare ainsi à ce que Dieu attend d’elle, le Carmel ou peut-être autre chose.

En attendant de savoir plus précisément, elle met en œuvre le temps qui lui est donné par Dieu afin de disposer son âme à la bonne mort :

« Ah ! Qu’on est heureux à la mort d’avoir vécu saintement ! Vivons de même (…)

Ne cessons de demander à Dieu qu’il nous protège à ce redoutable moment ; préparons-nous y et méritons par notre sainte vie la grâce de la persévérance, qui nous sera accordée par le Dieu de miséricorde. » (Lettre 2)

Dès le 3 décembre 1805, elle médite pour nous la parabole des vierges sages et des vierges folles. « Faisons bonne provision d’huile afin que, quand l’Epoux frappera, nous puissions entrer avec Lui dans la salle des noces. » (Lettre 27) Texte qui parle à son cœur et que l’on retrouve cité tout au long de sa vie. (Lettres 168, 213, 214, 247, 524, 691)

Tels me semblent être les traits qui caractérisent sa vie spirituelle jusqu’à ce qu’elle entre en relation avec le Père Chaminade.

L’attrait de la mission

On sait comment, durant l’été 1808, Madame de Trenquelléon se trouve avec sa fille à Figeac (Lot) chez sa mère, rencontre au cours d’une visite, un professeur, congréganiste de Bordeaux, Monsieur Hyacinthe Lafon.

Madame de Trenquelléon parle de la « Petite Société » qu’anime sa fille. Monsieur Lafon est frappé de la ressemblance avec la Congrégation de Bordeaux que dirige le Père Chaminade. Il s’offre à parler de la « Petite Société » et d’Adèle au Père Chaminade et en tout cas, il lui enverra des documents. C’est ainsi que la « Petite Société » va bientôt s’agréger à la Congrégation de Bordeaux, devenant la troisième division, les deux premières étant celles des jeunes gens et des jeunes filles.

Entre temps, survient un événement déterminant dans la vie d’Adèle (20 novembre 1808). Quelques années plus tard, elle écrira elle-même :

« C’est précisément la veille de ce saint jour (la présentation de la Sainte Vierge au Temple), il y aura sept ans, que j’ai dit positivement non pour un établissement qu’on me proposait. » (Lettre 282)

Adèle a vécu quelques semaines difficiles avant de se déterminer pour le Seigneur, comme unique Epoux. L’exemple de son amie Jeanne, heureuse en mariage (jusqu’à son veuvage prématuré), heureuse mère de famille, qui continue son activité dans la « Petite Société » et mène spirituelle très régulière, n’est-il pas le signe qu’il est possible de se sanctifier dans le mariage ? N’est-ce pas cela que le Seigneur veut pour elle ? Le parti qui s’offre à elle ne la laisse pas indifférente. Le Seigneur la veut-il vraiment à Lui dans la consécration religieuse ? Elle connaît une profonde anxiété et c’est grâce à l’intervention d’un ecclésiastique, peut-être le Père Chaminade, peut-être Monsieur Ducourneau, peu importe, qu’elle se décide à se garder pour le Seigneur. Le calme et la paix reviennent en elle et en janvier 1809, elle peut écrire :

« Que ce soit dès ce moment que nous nous donnions entièrement au Seigneur. N’usons plus ni de retard ni de réserve pour ce bon maître. Il n’en use pas pour nous puisqu’il se donne tout à nous. » (Lettre 91)

Entre 1808 et 1816, sa vie spirituelle, tout en demeurant axée sur le pôle essentiel de la période précédente, prend des orientations nouvelles qui seront déterminantes pour l’avenir.

Avec le « Manuel du Serviteur de Marie », elle découvre avec bonheur la consécration à Marie.

« Nous avons donc le bonheur d’être ses enfants, membres de sa famille privilégiée. Oh ! Confions-nous donc à cette tendre Mère, elle est le refuge des pécheurs. » (lettre 90)

« Il faut nous faire saintes, à quelque prix que ce soit. Implorons sans cesse l’assistance de la Sainte Vierge ; Elle est une si bonne Mère, qu’Elle ne méprisera pas les voix de ses enfants, de ses filles qui ont tant de besoin de son secours (…) Faisons-Lui le don de, nous-même par la consécration qui est dans le Manuel du Serviteur de Marie ; exhortez toutes nos sœurs à la faire souvent. » (Lettre 91)

Adèle et ses amies se soutiennent dans l’amour de Marie et dans sa présence par la mise en pratique de « l’amour actuel de Marie ». (Lettre 97)

C’est pendant cette période que se multiplient les activités d’Adèle au service des misères qui l’environnent. (Déjà, quand elle était rentrée d’exil, en traversant la France de Saint Sébastien à Agen, elle avait été frappée par le spectacle de désolation qu’elle avait vu : misère des gens, abandon des églises, saccages divers… Les campagnes étaient particulièrement dépourvues : pas d’école, les gens tenus loin des sacrements, hameaux isolés, loin de l’église… Adèle gardera au cœur, même une fois religieuse, ce souci de l’apostolat des campagnes. Elle verra une part de réalisation de ses désirs dans la mise en œuvre du Tiers Ordre Séculier, tant à Agen qu’à Tonneins, mais elle voulait davantage pour donner une stabilité aux œuvres commencées. C’est ce qui arrivera avec la naissance du Tiers Ordre régulier à Auch, quelques années après sa mort en 1836)

Madame de Trenquelléon était une femme extrêmement charitable qui n’hésitait pas à sortir du château pour visiter les pauvres, les soulager dans leur misère. Adèle accompagne souvent sa mère. Elle aussi veut participer : elle se lance dans l’élevage, les broderies pour subvenir par ses travaux aux besoins des pauvres qui viennent frapper au château ou habitent dans les environs. Elle ne se contente pas de soulager la misère matérielle, elle parle de Dieu, enseigne les prières essentielles, les points importants de la foi.

Elle ouvre bientôt son école au château, elle enseigne le catéchisme, prépare aux sacrements, tout en maintenant son activité épistolaire auprès des membres de l’association. Ses journées sont bien remplies quand on sait qu’elle reste fidèle à ses deux demi-heures d’oraison quotidienne, à la lecture spirituelle, à l’office de la Sainte Vierge, au chapelet, ce n’est pas surprenant qu’elle conclut l’une ou l’autre fois ses lettres en disant : « le sommeil m’empêche de vous écrire plus longuement. » (lettre 149, cf. 107)

Soulager des misères, mais la plus grande n’est-elle pas de ne pas connaître le Seigneur ? C’est pourquoi Adèle s’ingénie à faire des conquêtes, à ramener des cœurs à Dieu. Tout est pour elle d’annoncer la Bonne Nouvelle, de parler du Bien-Aimé. Elle stimule ses amies dans ce sens :

« Engagez la chère Elisa à nous faire des conquêtes, si elle en trouve l’occasion. Propageons la famille de la très pure Marie. Ramassons le plus que nous pourrons de jeunes cœurs sous son égide et à la gloire de notre divin maître. » (lettre 175)

Rien de surprenant qu’un tel amour du Seigneur, une telle soif de donner des cœurs à Marie et par elle à son Fils, n’engendrent un projet un « cher projet » qui concilierait à la fois :

– son attrait pour le Carmel (ce qu’il en reste, c’est le don total de soi à Dieu aimé par-dessus tout)

– son attrait pour les activités apostoliques, la mission.

Ce cher projet s’ébauche peu à peu :

  • Vie entièrement consacrée à Dieu
  • Sous les auspices de Marie
  • Pour le salut de tous les hommes

« Etre les missionnaires de Marie », terme qui enchante Adèle.

La retraite de Lompian, les 13-14 juin 1814, va être un moment fort dans la réalisation du « cher projet ». D’un rêve qu’on caresse, le « cher projet » devient réalité en germe.

Ce jour-là, Adèle et plusieurs des associées qui comptent faire partie de la mise œuvre du projet, se rassemblent autour du Père Larribeau, curé de Lompian. (Celui-ci avait coutume, durant l’année, d’accueillir Adèle, seule ou avec des amies, pour une retraite. Il venait aussi de temps à autre au château, célébrait la messe, faisait les méditations).

Ce jour-là :

« Nous arrivâmes lundi, à huit heures et demi. Nous eûmes une conférence le matin, très longue; une le soir, et une autre le lendemain. (…) Nous parlâmes beaucoup de ce «cher projet». Nous entrâmes dans les plus petits détails : nous prîmes des noms (de religion). » (Lettre 234)

Les lettres écrites au retour de cette réunion de Lompian sont marquées par un désir renouvelé de consécration à Dieu et une grande vigueur spirituelle :

« Ne soyons plus nous-mêmes, même toutes à Dieu. Appliquons-nous à notre correction avec une nouvelle ardeur. » (lettre 233)

« Quelle paix, quelle joie dans le service de Dieu ! Quelle différence avec les malheureux mondains ! » (Lettre 234)

« Confiance en Dieu » (Lettre 234)

« Ne formons plus qu’un cœur et qu’une âme ; qu’ils soient à Dieu seul. Ne cherchons qu’à plaire à ce céleste Epoux de nos âmes. Que ce ne soit plus nous qui vivions mais Jésus-Christ en nous. Allons, de tout notre cœur mourons au monde, à nos mauvaises inclinations. » (Lettre 235)

« Abandonnons-nous toujours à la volonté de notre bon Maître afin qu’Il conduise tous les événements à sa plus grande gloire. Ah ! Chère amie, quel bonheur si nous pouvions acquérir cette conformité à la volonté de Dieu en tout ! » (Lettre 236)

La volonté de Dieu se dessine. Dieu semble appeler Adèle et quelques-unes de ses compagnes à une forme de vie religieuse nouvelle qui concilierait consécration à Dieu et mission. Adèle s’enthousiasme. Elle veut ce que Dieu veut et sa plus grande gloire. Jusqu’à la fondation de l’Institut des Filles de Marie, elle se prépare et prépare ses compagnes à l’exécution du « cher projet ».

Le 8 décembre 1814, pour la Conception de Marie, le Père Chaminade, qui a été chargé de revoir le projet de constitutions, autorise Adèle et ses compagnes à faire le vœu de chasteté pour six mois.

Ses lectures s’orientent vers l’état religieux, comme nous le constatons dans cette lettre du 10 janvier 1815 :

« Je lisais hier, chère amie, une lecture sur l’état religieux. J’y voyais que le véritable esprit de ce saint état est un esprit de renoncement et de mort. Appliquons-nous donc, chère amie, à acquérir ce saint renoncement, cette mort à nous-mêmes dont nous sommes si éloignées. (…) Ce n’est pas la douceur et la tranquillité de la vie qu’on doit chercher dans la vie religieuse, mais la Croix, la mortification. » (Lettre 261)

Au mois de juin 1815, son père, qu’elle soigne depuis des mois avec un dévouement inlassable, meurt avec toute as présence d’esprit, ayant reçu le saint Viatique et l’Extrême Onction, pour parler comme elle. Adèle alors ne songe qu’au jour où le cher projet sera devenu réalité.

« Elle s’annonce (…) sous d’heureux auspices cette année, puisque c’est celle où une partie d’entre nous dira un éternel adieu à ce monde pervers et se consacrera tout entière à notre céleste et divin Epoux. Qu’il est doux, chère Lolotte, de Le servir, de Lui gagner des cœurs ! » (Lettre 286)

En attendant « le principal, c’est de préparer notre cœur et de le former aux vertus du saint état où nous aspirons. » (Lettre 290)

Et voici en quels termes, le Père Chaminade dépeint, dans une lettre à Madame Belloc, la mission qui attend Adèle et ses amies :

« Elles seront associées à l’œuvre de la Rédemption, participantes de l’esprit apostolique, brûlantes du zèle des missionnaires. D’autres fois, vous pourrez leur parler des avantages de la vie commune et régulière, du bonheur de la retraite et toujours vous leur ferez estimer la grâce inappréciable de sortir de Babylone, de renoncer aux vanités du siècle. » (Lettre297)

Tout cela est bien propre à enthousiasme Adèle. Il s’agit « de gagner à Dieu la génération naissante ». (Lettre 297) Et tout cela avec l’aide la « divine Marie qui est si puissante » (lettre 297).

Le 25 mai 1816, Adèle et ses amies voient leur projet prendre corps.

La Fondation

En gros, cette période va jusqu’à la « deuxième maison de l’Ordre » en septembre 1820.

Une fois au petit couvent d’Agen, Adèle est enfin l’épouse de Jésus Christ, elle a contracté alliance avec Celui que son cœur aime. Elle partage sa joie avec Charlotte de Lachapelle, qui n’a pas encore rejoint la communauté :

« Quel bonheur, ma tendre amie, si nous pouvions être bientôt ensemble à nous exciter à mieux servir et aimer notre divin Epoux (…). Oh ! Donnons-nous à Lui de cœur, d’esprit, d’affection. Que tout ce qui est en nous soit pour Lui : pensées, désirs, projets, actions. Faisons-Le connaître et nous Le ferons aimer. Brûlons de zèle pour sa gloire, pour Lui gagner des cœurs. Tout à Dieu, tout pour Dieu. » (Lettre 306)

Epouse de Jésus Christ, elle est aussi Fille de Marie, et c’est pourquoi son œuvre privilégiée est bien, dès le début, la Congrégation.

« La Congrégation, ici, s’augmente dans toutes les classes : il y a beaucoup de zèle. » (Lettre 305)

« Nos réunions sont très nombreuses. Je fais des conférences à nos jeunes personnes. (…) Il y a un zèle admirable pour les réunions. » (Lettre 307)

Voici ce qu’elle attend de la Congrégation :

« Qu’un grand nombre de jeunes personnes viennent se ranger sous ses Bannières sacrées et renouvellent, par leur ferveur, les beaux jours de l’Eglise naissante. (…) Nous ne faisons qu’une famille. Ne formons qu’un cœur et qu’une âme qui soit à Dieu seul, occupé sans cesse à L’aimer et à Le faire aimer. » (Lettre 325)

Elle peut bien écrire, au début de sa correspondance avec Mère Emilie de Rodat :

« Notre principale œuvre est la formation et le soutien de la Congrégation. Vous ne sauriez croire le bien que produisent ces Congrégations. » (Lettre 334)

Dès la fin de l’année 1819, les sœurs adoptent la pratique de « l’amour actuel de Marie » :

« J’ai une grande consolation de penser que Marie, notre Mère, est perpétuellement honorée dans notre couvent et qu’à chaque heure, une sœur lui offre toutes ses actions. » (Lettre 350)

Qui s’associe à Marie est amené à lutter contre le mal, contre l’enfer :

« Notre mission est grande : c’est par tous les moyens qu’il faut tâcher d’arracher des âmes à l’enfer, à cette éternité de malheur, et à les donner à notre doux Jésus. » (Lettre 313)

On trouve le même écho dans une lettre adressée à Mélanie Figarol :

« Unissons nos efforts pour arracher au démon ses victimes, pour donner des cœurs à Jésus et à Marie. » (Lettre320)

Procurer la gloire de Dieu, travailler au salut des âmes, sous la protection de Marie, tel est bien l’objectif de cette période :

« Faisons aimer et honorer Marie, et par là nous sommes sûres de faire aimer et servir notre céleste Epoux. » (Lettre 334)

Toute cette activité apostolique prend sa source dans un amour total de l’Epoux, amour renouvelé dans l’Eucharistie, amour qui la tient dans l’humilité et la confiance :

« Ne nous décourageons cependant pas, nous pouvons tout avec le secours de sa grâce qui ne nous manquera jamais si nous Lui sommes fidèles. Evitons les moindres fautes qui la diminuent et l’affaiblissent en nous et allons souvent la puiser à la source surabondante de la divine Eucharistie. » (Lettre 313)

Amour humble, conscient de ses limites :

« Oh ! Mon Dieu, mon cœur est trop petit pour vous aimer, mais il vous fera aimer de tant de cœurs que l’amour de tous ces cœurs suppléera à la faiblesse du mien. » (Lettre 325)

Humilité qui lui fait souvent mettre le doigt sur l’amour propre qui menace de gâcher ce qu’elle fait :

« Oh ! Mon Père, écrit-elle au Père Chaminade, que j’ai besoin de me laisser conduire et de ne rien faire de moi-même, pour éviter ce misérable amour propre qui se mêle dans tout ce que je fais. » (Lettre 323)

Humilité encore qui la fait s’émerveiller de la grâce de sa vocation :

« Quel bonheur d’être l’épouse du Seigneur, et dans un Institut où on peut lui gagner des âmes ! Qu’ai-je fait au bon Dieu pour une si grande grâce ? » (Lettre 319)

Humilité qui se fait dépendance à l’égard du bon Père. Elle lui soumet les décisions concernant les sœurs, lui demande conseil, reconnaît dans ses orientations la volonté de Dieu.

Comme elle le dit à Mère Emilie de Rodat un peu plus tard :

« Travaillons à voir Dieu dans tous les événements et à ne désirer que son bon plaisir : tout pour plaire à Dieu et rien pour nous satisfaire. » (Lettre 353)

Progressivement, au cours de l’année 1819, semble-t-il (car nous avons peu de lettres de cette période, si ce n’est celles adressées au Père Chaminade et à quelques associées), l’épouse devient mère. Et c’est surtout dans la correspondance ave Mère Emilie de Rodat que l’on perçoit cette évolution.

Est-ce la mort de la première des Filles de Marie au printemps 1819 qui déclenche cette prise de conscience de sa maternité ? Peut-être.

En août 1819, elle parle au Père Chaminade de la « Petite Société », « si chère à mon cœur parce qu’elle fut les prémices de ma maternité et le principe de mon bonheur ». (lettre 338)

Le 4 septembre suivant, elle écrit encore au Père Chaminade « encore aujourd’hui vous allez avoir des lettres de la pauvre petite mère ».

Que nous dit-elle de cette maternité spirituelle qu’elle se sent appelée à vivre ?

« Que nos filles trouvent toujours notre cœur ouvert à tous leurs besoins, prêts à supporter leurs faiblesse, nous faisant toutes à toutes pour que toutes soient à Jésus Christ. » (Lettre 353 et cf. 364 à 369)

Pour parvenir à cette disponibilité, quelle attitude d’âme conseille-t-elle ? Ecoutons-la encore :

« Efforçons-nous de répondre aux grands desseins du Seigneur. Soyons généreuses à son service : regardons-nous comme victimes. En effet, une supérieure doit l’être pour être une véritable mère. » (Lettre 353)

« Veillons sans cesse sur notre cher troupeau, tâchons de perfectionner de plus en plus nos chères filles; sanctifions-nous nous-mêmes; soyons l’exemple en tout. » (Lettre 364)

« Une supérieure a encore plus besoin de cet esprit de dépouillement, car elle a besoin de plier sans cesse, de se renoncer sans cesse, si elle veut accomplir ses devoirs. Ne soyons plus à nous, chère sœur, regardons-nous comme les servantes de nos sœurs. (…) Rendons-leur intérieurement une espèce d’obéissance cachée. » (Lettre 369)

Finalement :

« Tâchons de nous sanctifier dans cette place si difficile. Formons des épouses fidèles au Roi des rois qui le dédommageront de nos négligences. » (Lettre 379)

Et quand, à cause de la première atteinte du mal qui finira par l’emporter, elle doit obéir et « quitter les Congrégations, les catéchismes et même les récitations du chœur », sa plus grande souffrance est de « voir la surcharge de ses chères enfants sans pouvoir les soulager. » (Lettre 379)

Elle écrit ainsi au Père Chaminade :

« La cessation de l’œuvre extérieure où j’étais, pour ainsi dire appliquée depuis quatorze ans, est un véritable sacrifice pour moi ! Je trouve un vide pénible dans mes journées, que je désirerais remplir par l’amour de Dieu et par une surveillance plus habituelle sur la communauté. Pour ce qui est de l’amour de Dieu, mon cœur est sec et aride et ne peut absolument s’occuper seul à seul avec son Dieu. Apprenez-moi à le faire, mon digne et unique Père ! (…) Une autre vue afflige mon cœur bien plus sensiblement : c’est de ne pouvoir plus (retenue par l’obéissance) soulager mes pauvres filles que je vois succomber sous le faix des travaux. Il m’était si doux de les aider. » (Lettre 378)

Malgré tout, elle reste « prête à tous les sacrifices, même à celui de voir périr ses Isaac chéris, faute de pouvoir les soulager ». (Lettre 378)

Sans aucun doute alors, dans la foi, elle fait sien ce conseil qu’elle donnait quelques mois plus tôt à Mère Emilie de Rodat :

« Mon cœur maternel sent bien vivement le glaive dont doit être percé le vôtre ! Entrez, ma chère sœur, dans celui de Marie au pied de la Croix ; voyez de quelle amertume il est submergé et offrez vos sacrifices avec le sien. » (Lettre 349)

La mort d’une seconde Fille de Marie en avril 1820, la maladie qui l’atteint et l’oblige à cesser certaine activités extérieures, les difficultés de toutes sortes rencontrées pour la fondation de Tonneins où « l’enfer s’est déchainé » (lettre 396), bientôt la séparation d’avec six de ses filles qui forment la seconde maison de l’Ordre, telle est la croix où elle rejoint Marie, telle la croix où elle s’offre avec l’Epoux, telle est la croix où, unie à Marie, elle engendre ses filles.

LA MERE

Durant cette période, on trouve des expressions comme celle-ci : « j’embrasse toutes les filles de mon cœur » (lettre 435), « ma très chère fille » (lettre 436), « comment vont nos filles ? » (lettre 589), « mes enfants de Tonneins » (lettre 613), « ma chère fille aînée » (lettre 635 et cf. 628), « mes aînées » (lettres 584, 639, 661).

A partir du 10 mars 1821, elle se met à signer « votre mère dévouée, affectionnée, bonne, pauvre… » Nous trouvons bien là le témoignage de cette prise de conscience qu’elle fait de sa maternité spirituelle.

Autre exemple :

« Mon cœur partage bien sincèrement vos sollicitudes maternelles. Je sens que la maison de Tonneins m’est chère comme celle d’Agen ; que vous êtes toutes les filles de mon cœur. » (lettre 513)

«  Adieu, mes chères filles, mon cœur vous chérit » (lettre 535)

« Les peines de mes chères filles sont bien partagées par leur mère » (lettre 668)

Mère, elle l’est de plus en plus profondément au fil des années. Elle sent toute la responsabilité qu’elle a à l’égard de ses filles et le 22 août 1825, elle invite Mère Marie du Sacré-Cœur (Agathe) à demander pardon des péchés qui se commettent dans sa communauté :

« Faisons souvent des amendes honorables à notre Epoux, des infidélités que nous commettons et que commettent nos filles. Je vous propose, tous les soirs en nous couchant, après notre acte de contrition, d’en faire un pour les péchés de notre communauté. »  (Lettre 601)

Elle désire que les supérieures aient le souci de l’avancement spirituel de leurs communautés :

« Travaillons à notre avancement et à celui de nos filles avec paix et tranquillité. » (lettre 606)

En étant la « mère », elle a conscience d’une lourde responsabilité. Elle ne se l’approprie pas. C’est Dieu qui lui a imposé » le fardeau. Elle s’abandonne, elle se prête à ce qu’Il lui demande ;

« Oui, chère sœur, (écrit-elle à Mère Emilie de Rodat) abandonnons-nous avec notre pesante charge entre les bras de notre si bon Maître. C’est Lui qui nous a imposé le fardeau, nous devons espérer de sa bonté la force de le porter. (Lettre 414)

Elle se plaint de « se livrer trop aux œuvres extérieures et de négliger le soin de sa perfection » (lettre 417), elle reconnaît avec humilité qu’elle a « besoin d’être prêchée sur l’article de la patience et de la mortification intérieure ». (Lettre 443) Elle est parfois « découragée par son peu de capacité et surtout son peu de vertu » (lettre 414). C’est elle qui parle ! Mais jamais elle ne se laisse aller, elle recommande à Mère Emilie de Rodat, à Mère Thérèse de Jésus, à Mère Marie du Sacré-Cœur… ce qu’elle vise elle-même, travailler à sa sanctification. Là, les citations abondent.

(Mère Emilie de Rodat est malade, elle lui conseille) :

« Que votre abandon à la volonté de Dieu remplace tout ! Votre perfection dans ce moment doit être dans cette conformité : c’est une vertu qui fait les saints ». (lettre 443)

« Relevons notre courage parmi tous les embarras de notre charge. Surtout ne nous oublions pas nous-mêmes, travaillons à devenir des saintes et nos communautés iront bien ; car, que ne peut une sainte supérieure auprès de ses filles ? » (lettre 465)

Elle aime à citer à ses sœurs cette phrase du Père Chaminade qu’elle s’applique à faire passer dans sa vie :

« Avec des saintes, nous ferons beaucoup de choses, mais avec des religieuses médiocres, nous ne ferons rien ou presque rien. » (Lettre 404)

« Du courage, travaillons à former des saintes ! Mais n’oublions pas de le devenir nous-mêmes : une sainte supérieure pourrait rendre sainte sa communauté. » (lettre 436)

Elle reconnaît souvent que la maternité est une lourde responsabilité.

« C’est une grande charge d’être mère ! Mais le bon Dieu ne donne pas des enfants spirituels sans donner abondance de lait pour les nourrir. Mais, pour cet effet, prenons nous-mêmes une bonne nourriture par l’oraison, la récollection, l’union avec Dieu. » (Lettre 458)

« On ne peut être mère, ma très chère fille, sans éprouver les douleurs de la maternité ; (…) Mais aussi quel bonheur si nous pouvons engendrer des filles pour le Ciel, des épouses pour l’Agneau ! Courage parmi toutes les contradictions ! » (Lettre 464)

« La maternité apporte avec soi bien des douleurs. Patience ! Devenons filles d’oraison et nous trouverons dans ce saint exercice, notre paix, notre force, notre consolation. » (Lettre 466)

« Jamais le Seigneur ne donne des enfants à une mère sans lui donner du lait pour les nourrir: ayez donc confiance, il vous donnera tout ce qu’il faut pour le nourrissage de ces chères enfants. Soyez toujours courageuse malgré les difficultés qui se rencontrent ! Imitez notre Seigneur Jésus Christ ! » (Lettre 684)

« Oui, les enfants spirituels coûtent bien à cultiver ». (Lettre 420)

Et, à Mère Marie de l’Incarnation, à qui la responsabilité de supérieure de Condom est à charge, elle écrit, révélant ce qu’elle vit parfois elle-même :

« Supportez votre charge avec courage ! Je vous avoue que j’ai aussi des moments de découragement en voyant la responsabilité que j’ai. Je pleure quelquefois. Mais, chère sœur, il faut que nous portions notre croix, le bon Dieu nous l’a imposée, nous n’avons pas ambitionné notre charge, nous ne l’avons pas recherchée, nous sommes persuadées de notre insuffisance, ayons donc confiance que nous nous élèverons, par le secours de la grâce, à la hauteur de nos devoirs redoutés et non ambitionnés. » (Lettre 579)

Il ne faut pas fuir la croix que le Seigneur présente mais l’embrasser et la chérir. (cf. lettre 443)

« Tâchons d’aimer la croix et de porter nos filles à l’aimer. C’est le lit nuptial de l’Epoux céleste. » (Lettre 525)

« Montons généreusement sur la croix qui doit être l’échelle par laquelle nous arriverons au Ciel ! Oh ! Si nous connaissions le prix de la croix ! Ce qu’elle vaut aux yeux de Dieu, nous l’embrasserions avec amour comme Saint André. » (Lettre 587)

« Allons, embrassons généreusement la croix de notre Maître. Entrons dans la carrière des saints. » (Lettre 691)

La croix, c’est le signe que Dieu est à l’œuvre. Pour mère Adèle, « les maisons fondées sur le calvaire sont les plus solides » (Lettre 415 ; cf. 580)

« La vie est dans la croix, le salut est dans la croix » (lettre 602)

« La croix seule peut nous conduire au ciel » (lettre 683)

Vouloir la volonté de Dieu en tout (lettre 655 – 725 – 727 – 735), accepter la croix qui se présente comme étant celle que Dieu envoie (cette croix qui peut être simplement, pour une supérieure, de ne pas être à soi pendant la retraite pour être à ses sœurs) (lettre 444), tel est le sentiment intime de son cœur. C’est la conformité avec Jésus Christ qui la conduit à écrire :

« Ne sachons que Jésus crucifié ! Crucifions-nous avec Lui ici-bas si nous voulons régner là-haut dans le Ciel. » (Lettre 667)

« Si nous connaissions le prix des souffrances, nous serions jalouses d’en rien laisser perdre ! Elles sont plus précieuses que la vraie Croix ! Heureux qui est bien entré dans cette science du Crucifix ! » (Lettre 704 »

Et là, à la croix, elle retrouve Marie, Marie dont elle cherche à faire siennes les attitudes profondes :

« Voyons les choses avec les yeux de la foi et tenons-nous comme Marie « debout » au pied de la Croix. » (Lettre 568)

De plus en plus, elle vit les vœux (cf. les notes de sa dernière retraite 1827). Elle recommande la pratique de la pauvreté et lorsque ses communautés éprouvent des difficultés financières, elle en souffre mais elle sait leur rappeler leur vœu de pauvreté :

« Nous avons fait vœu de pauvreté, sachons donc la supporter si le bon Dieu veut que nous en tâtions. Ainsi, point d’inquiétude, ma chère fille, Celui qui nourrit les oiseaux nourrira ses enfants s’ils s’abandonnent à Lui avec confiance. » (Lettre 616)

« Je partage vos sollicitudes ; j’en parle au bon Père. Abandon entre les mains de la Providence. (…) Aimons à avoir à mettre en pratique ce que nous avons voué : la sainte pauvreté. » (Lettre 697)

Sa manière de vivre l’obéissance, c’est d’être au service de ses sœurs :

« Regardons-nous comme les servantes de leurs âmes (de nos sœurs), obligées de les servir, devant être à leur ordre et volonté ; de cette manière nous pratiquerons une obéissance habituelle malgré notre supériorité. » (Lettre 465)

L’obéissance, elle lui est particulièrement rude quand elle doit interrompre ses activités :

« Le bon Père m’a envoyé, la veille du renouvellement des vœux, une obéissance bien pénible : c’est celle de ne plus faire nulle espèce de conférence, soit particulière, soit générale. (…) Le bon Dieu a ses vues, je reconnais sa volonté toujours juste et toujours adorable dans celle de mes Supérieurs. » (Lettre 523)

L’obéissance, elle engage ses communautés à la vivre :

« Je vous donne donc le défi de l’attention à mourir à notre volonté par la sainte obéissance. Voyons laquelle des deux communautés (Tonneins ou Agen) y fera des progrès plus rapides, y travaillera, avec plus de vérité et d’ardeur, à y mourir surtout dans les petites occasions journalières que la Providence nous ménage: être dérangées trois, quatre fois, dans une occupation qui nous plaît, être assujetties à un remède qui nous gêne… » (Lettre 572)

Ce qui sous-tend tout, c’est l’amour de l’Epoux :

« Se quitter soi-même : voilà ce qui consomme véritablement l’Alliance avec l’Epoux sacré. » (Lettre 592)

« Quand serons-nous sans réserve à notre Bien-Aimé ? (…) Quand vivrons-nous enfin de la foi ? » (Lettre 609)

« Tout pour le Bien-Aimé de nos cœurs. » (Lettre 636)

« Allons, chère sœur, plus de nous-mêmes, tout à Dieu. » (Lettre 663)

« Soyons à Dieu entièrement et mourons à nous-mêmes pour ne plus vivre que pour le céleste Epoux. » (Lettre 706)

Amour de l’Epoux, amour de Marie aussi car « nous ne pouvons plaire à notre céleste Epoux qu’en aimant sa Mère qu’Il aime tant et qu’Il a rendue dispensatrice de ses grâces. » (Lettre 574)

C’est pourquoi elle écrit à Mère Louis de Gonzague, maîtresse des novices à Bordeaux :

« Il me semble que nous n’avons pas eu encore assez de dévotion envers la Très Sainte Vierge : il faudrait l’inculquer davantage dans le cœur de nos enfants. Faire tout au nom de Marie ! » (Lettre 688)

Tout ce programme ne peut se vivre que dans la foi et la confiance. C’est pourquoi elle écrit à Mère Marie-Joseph :

« C’est un grand point pour une supérieure de ne rien voir et de ne rien juger par les vues de la nature, mais uniquement par les vues de la foi et l’esprit de Dieu. » (Lettre 523)

A Mère Louis de Gonzague, elle dit :

« Vie de la foi toute nue ; soutenez-vous par l’oraison, par la sainte communion. Vie intérieure, vie de foi, cachée en Dieu : voilà la vie que doit mener ma chère Gonzague. » (Lettre 584)

L’année suivante, elle écrit encore :

« Rehaussons notre courage par les pensées de la foi : agissons toujours à la lueur de sa lumière ; envisageons tout par ses yeux et non par ceux d’une nature qui nous aveugle et nous séduit. » (Lettre 669 ; cf. 733 et 520)

Comptons sur Dieu, Lui seul peut toucher les cœurs, Lui seul fait plus que toutes les créatures réunies :

« Qu’il est vrai qu’il ne faut pas s’appuyer sur un bras de chair ! Dieu seul peut faire plus pour le bien de notre âme que toutes les créatures ensemble. » (Lettre 605)

Sans cesse, elle appelle ses filles sur ce chemin où elle s’est engagée avec ardeur : celui de la sainteté. Il faut devenir des saintes, c’est le leitmotiv qui revient constamment dans ses lettres :

« Mon cœur voudrait s’étendre, parler à toutes. Je n’en ai pas le temps, mais j’ai celui de vous dire que je vous veux des saintes. Laissez-vous polir, pierres encore brutes, afin d’être capables d’être placées dans le céleste édifice. Laissez-vous donner des coups de ciseau et de marteau, troncs informes, afin de devenir des copies des saints et surtout du Saint des saints ! » (Lettre 578)

« Entreprenons tout de bon de devenir des saintes. » (Lettre 594)

« Combien faut-il que vous travailliez à devenir des saintes car les Apôtres qui ont converti l’univers ont tous été des saints ! » (Lettre 535 ; cf. 560 et 632, etc…)

C’est encore ce même message qu’elle adresse dans la dernière lettre que nous ayons d’elle : « Je ne puis pas écrire plus au long vu mon état de souffrance. Mon cœur vous chérit toutes et prend part à vos peines et vous veut grandes saintes. » (Lettre 736)

« Il faut devenir des saintes », elle s’y emploie et, dans les derniers mois, tandis que la maladie l’affaiblit et l’empêcher de pouvoir se fixer à quelque pensée, quelque réflexion, elle constate, dans son humilité qu’elle s’avance vers son éternité sans pouvoir s’en occuper. Il ne faut donc pas attendre le dernier moment pour le faire. N’est-ce pas ce à quoi elle a consacré sa vie : préparer la rencontre avec le Bien-Aimé !

Voici ce qu’elle note :

« Ma santé s’altère, j’ai une petite fièvre habituelle qui absorbe mes forces corporelles et spirituelles, car je sens que ma tête est faible et peu capable de faire les choses avec le calme qu’exigerait ma place. » (Lettre 644)

Dix mois plus tard, elle écrit à Mère Marie du Sacré-Cœur :

« Ma santé ne se remet pas. Je me traîne en langueur et souffrant toujours sans pouvoir prendre que très peu et encore en souffrir. Mais cela m’ôte le goût de la prière, je fais tout par force. Hélas ! Je vais à l’éternité sans pouvoir m’en occuper sérieusement, il ne faut pas attendre d’être malade pour penser à se préparer. » (Lettre 728)

Elle qui aimait méditer et faire méditer l’Evangile des vierges sages et des vierges folles avait sa lampe bien garnie lorsque le Bien-Aimé vint au-devant d’elle. Elle accueillit dans un suprême élan d’amour et s’écria : « Hosanna au Fils de David ! » Elle vient de contracter l’Alliance éternelle avec l’Epoux.

 

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