Introduction aux écrits marials

Guillaume Joseph Chaminade utilise un grand nombre de sources fort diverses. Mais il n’indique pas toujours la référence des textes qu’il emprunte. En feuilletant ses écrits, on rencontre beaucoup de citations explicites de la Bible et des Pères. D’autres sources, implicites, d’auteurs plus contemporains sont révélées par les notes.

Pour expliquer ce fait, il faut prendre en compte la tournure de l’intelligence du Père Chaminade. Ecrivant à un jeune Maître des novices pour lui fixer les principes de la vie religieuse[1], le Fondateur lui exprime sa manière de procéder en matière de sources.
– Lorsqu’il trouve dans ses lectures une expression correcte, claire et approuvée de ses propres idées, Chaminade n’hésite pas à copier, exploiter et utiliser cette source.
– Il aime appuyer sa pensée sur « de graves autorités », évitant « de parler d’opinions ». Esprit positif et sensible à la tradition, il veut une base objetive à son action.
– Cette objectivité, il la cherche avant tout dans la Révélation. « Les vérités de la foi et les conséquences évidentes qu’on peut en tirer sont bien suffisantes pour nous conduire… »

Chaminade révèle là son vrai tempérament. Il ne fait pas de la théorie pour la théorie, mais il est homme d’action qui a besoin de principes pour avancer vers Dieu et entraîner les autres avec lui.

Dans les écrits marials autographes, trois séries de sources sont utilisées : l’Ecriture Sainte, les auteurs récents et les Pères, au sens le plus large de ce terme.

Sources bibliques

L’Ancien Testament

Contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’un homme du début du dix-neuvième siècle, la pensée mariale de Chaminade baigne constamment dans un climat scripturaire, d’où elle tire le meilleur d’elle-même, ses racines les plus profondes

La table des références scripturaires donne 733 références pour les Ecrits Marials I et II, dont 521 pour le volume I. Une analyse détaillée montre que l’Ancien Testament y est plus souvent cité que le Nouveau, avec 276 citations pour le premier et 245 pour le second. Et, dans l’Ancien Testament, certains livres émergent nettement : la Genèse (37 citations), les Psaumes (45), les Proverbes (35) et le Cantique des Cantiques (35), l’Ecclésiaste (47) et Isaïe (16).

Que peut signifier pareille distribution ? Pour la Genèse, c’est l’utilisation des trois premiers chapitres et des tout derniers qui domine. Ceux-ci interviennent à cause d’une application à saint Joseph des textes concernant la bénédiction des fils de Jacob.

Dans les trois premiers chapitres, le troisième est prépondérant avec ses versets 15, 16 et 20 concernant la chute d’Adam et d’Eve. Genèse 3, 15 est cité cinq fois : « Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme… » Ainsi, par le jeu des statistiques, se dégage le premier texte appliqué à Marie.

Dans les Psaumes, on constate de même que les Psaumes 44 et 86, qui sont les plus suggestifs sur Marie, reviennent plus souvent.

Les Proverbes, le Cantique des cantiques et l’Ecclésiastique sont eux aussi des domaines privilégiés. Marie a souvent été comparée à la Sagesse et bien des versets de ces trois livres décrivent merveilleusement la Mère de Dieu ou son action maternelle parmi nous. Proverbes 8, avec 25 citations sur 35 pour l’ensemble du livre, et Ecclésiastique 24, avec 36 citations sur 47, dominent largement. Ce sont les deux chapitres les plus utilisés dans la liturgie mariale de l’Eglise. Chaminade recueille, continue un enseignement traditionnel, voire élabore.

Reste le prophète Isaïe. On pense tout de suite à Isaïe 7, 14 : « Voici qu’une Vierge concevra… » Cette citation est utilisée deux fois dans le volume I des Ecrits marials. Mais les richesses mariologiques d’Isaïe ne sont pas épuisées avec ce premier texte. Les chants du Serviteur sont utilisés (42, 8 et 53, 7), la « tige de Jessé » (11, 1-2), la prière liturgique de l’Avent : « Cieux, répandez comme une rosée… » (45, 8), enfin Marie, assimilée à Jérusalem, rayonne comme elle sur le monde (2,2 et 60, 1.4).

Cet aperçu permet de constater une certaine identité d’enseignement entre Chaminade et le Concile Vatican II. Ce dernier document cite notamment Genèse 3, 15 et Isaïe 7, 14, pour parler de Marie. Il la montre comme « la fille de Sion par excellence »[2].

Ce dernier thème, sous sa formulation actuelle, est récent. Chaminade, selon l’enseignement de son temps appuyé sur la liturgie, préférait contempler et faire admirer la « Mère du bel amour », choisie par Dieu de toute éternité et qui apporte sagesse et bonheur à ceux qui la reçoivent, l’honorent et la suivent.

A cette rapide présentation des textes de l’Ancien Testament, il convient de joindre les figures de Marie. Elles sont nombreuses à travers tout l’Ancien Testament : Esther, Judith, Abigaïl, Jahel, Rébecca… Leur vie et leur comportement sont « types » de Marie. Enfin, certaines figures bibliques sont fréquemment évoquées : Adam et Eve, Abraham, Sara et Isaac, Moïse, David.

Cette utilisation multiple et fructueuse de l’Ancien Testament est la garantie de la valeur dogmatique de l’enseignement marial de Chaminade.

Le Nouveau Testament

Comment parler valablement de Marie sans se référer souvent au Nouveau Testament ? Chaminade le cite 245 fois dans les Ecrits marials I.

La Table des références bibliques montre la très large utilisation des évangiles de l’enfance : 9 citations de Matthieu 1 (sur 20 en tout), 88 citations de Luc 1-2 (sur 109 citations en tout), dans ce volume I.

Chaminade trouvait là ses textes privilégiés :
– Matthieu 1, 16 : « Marie de qui est né Jésus. »
– Luc 1, 28 : « Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. »
– Luc 1, 38 : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole. »

Surtout, il aimait commenter les « mystères » du salut où Marie tenait sa place. Les évangiles de l’enfance étaient donc un de ses domaines privilégiés.

Mais Chaminade avait un autre lieu de fréquents rendez-vous : le Calvaire. Le passage de Jean 19, 25-27 est souvent commenté, plus souvent que ne le font apparaître les 14 citations explicites. C’est un des lieux spirituels du Fondateur de la Famille Marianiste et tous les jours, à trois heures de l’après-midi, il y donne rendez-vous à tous ses fils et filles pour contempler le mystère du salut et remercier Jésus pour son testament.

Il existe à travers les évangiles des textes souvent mal compris où, comme l’exprime Vatican II, « le Fils, mettant le Royaume au-delà des considérations et des liens de la chair et du sang, proclamait bienheureux ceux qui écoutent et gardent la parole de Dieu (Marc 3, 35 et Luc 11, 27-28), comme Marie le faisait fidèlement elle-même (Luc 2, 19.51)[3]. Chaminade n’a pas eu peur de ces textes, comme le montre un Sermon sur l’Assomption de la Sainte Vierge[4] (I, § 261).

Dans l’enseignement marial de Chaminade, le Christ Jésus est toujours au centre. Il est le fondement même de la dévotion à Marie. Et nous n’aimons et n’honorons Marie que parce que Jésus l’a fait et veut continuer à le faire en chaque baptisé. Il ne se trouve aucun texte, dans lequel Chaminade développerait une exaltation indue de la Sainte Vierge. Son souci constant est de la mettre à sa place par rapport à Dieu, à Jésus, son Fils, à l’Eglise et à chacun de nous, comme le fait l’Ecriture qui ne présente jamais Marie de Nazareth pour elle-même.

Une dernière remarque s’impose : Chaminade, dans ses Ecrits marials, ne cite jamais la Lettre aux Galates (4, 4), où saint Paul fait son unique allusion à Marie : « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme… ». On ne trouve non plus aucune insistance sur la Femme, telle que la présente le chapitre 12 de l’Apocalypse. Par contre, Marie est quelquefois comparée à la nouvelle Jérusalem (Apocalypse 21, cité 8 fois).

La mariologie de Chaminade, comme il apparaît dans Ecrits marials I, s’est développée autour des textes sapientaux et évangéliques, tout spécialement autour des textes de l’Annonciation. Que l’on ne voie là aucune étroitesse. N’est-ce pas là le lieu privilégié de la Révélation divine, où Dieu, par son ange, entre en dialogue avec Marie de Nazareth et par elle avec le monde ? N’est-ce pas dans ce texte unique que l’Eglise a trouvé l’essentiel du Je vous salue, Marie ?

Sources contemporaines

Comme le Curé d’Ars et bien d’autres, comme fait chacun d’entre nous, Chaminade a utilisé amplement les auteurs récents. Au début du dix-neuvième siècle, les livres chrétiens étaient bien moins nombreux qu’aujourd’hui et l’on se reportait volontiers aux auteurs des dix-septième et dix-huitième siècles.

– Louis Lallemant, S.J. (1578-1635) traite De la gloire de la Sainte Vierge dans l’Incarnation, dont Chaminade s’inspire pour écrire De la Sainte Vierge comme Mère (EM I, §§ 88 et 118). Certaines notions, comme l’être de grâce, la dépendance de Jésus par rapport à sa Mère, sont communes à Lallemant et à Chaminade.

– Jacques Marchant (vers 1587-1648) a essayé, à l’intention des catéchistes, controversistes, moralistes et prédicateurs, de schématiser la doctrine chrétienne, sur le fondement de la Bible et des Pères, dans son Hortus Pastorum (Jardin des Pasteurs). Chaminade s’est souvent inspiré de son commentaire de l’Ave Maria. Il trouve chez Marchant des textes bibliques et patristiques, dont il va se servir sans cesse.

Promoteur, puis Préfet de la Congrégation de Saint-Charles Borromée, Jacques Marchant eut le souci de la formation des prêtres. Il écrivit pour eux la Virga Aaronis florens, Le bâton d’Aaron en fleur, dont la seconde fleur est, pour les prêtres, « une piété spéciale envers la Vierge Mère de Dieu ». De ce passage Chaminade s’est inspiré (EM I, § 230).

Chaminade fait de Marchant un usage fort libre. D’autres prédicateurs ont aussi cueilli leurs fleurs dans le Hortus Pastorum, ce qui explique la liberté avec laquelle Chaminade utilise Marchant qu’il pouvait rencontrer ailleurs que dans les livres mêmes de l’auteur.

– Marie d’Agréda (1602-1665), Abbesse espagnole, a, avec son livre La cité mystique de Dieu, voulu édifier et non faire œuvre de critique historique. Le texte, qui a pour trame la vie de la Sainte Vierge, se réfère également à des visions privées de l’auteur. Fort controversé, le livre fut rejeté par les uns et approuvé par d’autres, ce qui laisse deviner qu’à des erreurs d’ordre historique et à un style propre à l’époque se mêlent de l’édification et des enseignements de valeur.

Chaminade a utilisé plusieurs fois le livre de Marie d’Agréda, dans les Epoques de la vie de l’auguste Marie (EM I, §§ 1-18) et dans un texte analogue concernant la vie de saint Joseph (EM I, §§ 297-299). A deux autres endroits apparaissent des emprunts à Marie d’Agréda (EM I, §§ 153 et 218, 222). Cependant il semble que Chaminade ne puise pas là directement à La cité mystique de Dieu, mais utilise un auteur qui s’en est inspiré.

– Jean-Louis Fromentières (1632-1684), fut prédicateur à la Cour de Louis XIV. A plusieurs reprises, Chaminade utilise Fromentières pour des développements concernant la grâce de Marie, soit dans son Immaculée Conception, soit dans sa Nativité. Le sermon Sur la Nativité de la Sainte Vierge (EM I, §§ 386-392 et 484-505), où Chaminade s’inspire de Fromentières et d’autres auteurs, est un exemple typique de la liberté avec laquelle il reprend et travaille ses sources.

– Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) ne peut pas manquer à cette liste, où figurent les grands prédicateurs du dix-septième siècle. Son Sermon Sur la dévotion à la Sainte Vierge a modelé pour une part significative la formulation de Chaminade sur ce sujet. Il y revient à trois reprises (I, §§ 67-71, 358, 359). Ce même sermon lui a permis d’exposer la maternité spirituelle de Marie et la coopération de sa charité maternelle à notre salut (I, §§ 77-78). Pour un enseignement analogue, Chaminade a utilisé aussi le Sermon pour la fête du Saint Rosaire de Bossuet (I, §§ 81-85). De ce dernier sermon, Chaminade a encore tiré un développement sur « Marie, l’Eve de la nouvelle Alliance » (I, §§ 90-92).

La formulation doctrinale de Bossuet et la clarté de sa pensée ont dû plaire à Chaminade qui revient plusieurs fois à lui. Mais, à regarder de près, la pensée de Chaminade et son analyse du rôle de Marie vont souvent plus loin et plus profond que celles du grand prédicateur.

– Louis Bourdaloue, S.J. (1632-1704), est un des prédicateurs que Chaminade utilise volontiers : huit fois dans le volume I et une fois dans le volume II. C’est un des rares qu’il cite explicitement (I, § 405 ; II, § 352). Bourdaloue fournit à Chaminade les expressions pour méditer sur la grâce de Marie, la grâce qui permet à Marie d’intercéder pour les hommes (I, §§ 65-66) et la fidélité de Marie à sa grâce, exemple de notre fidélité à la nôtre (I, §§ 158-161, 164-165, 495-496, 523-526), et pour présenter les vertus de Marie, surtout son humilité (I, §§ 404-411, 453, 523-526).

Ces citations n’ont rien d’une analyse abstraite. C’est à travers la méditation des mystères de Marie dans sa vie que se dégagent ces enseignements : Immaculée Conception (I, § 158), Nativité de Marie (I, §§ 164, 495). Annonciation et Incarnation (I, §§ 351, 404), Assomption (I, § 523).

– Vincent Houdry, S.J. (1630-1729), donne dans sa Bibliothèque des Prédicateurs, en vingt-trois volumes, d’amples matériaux pour les sermons. Chaminade l’utilise cinq fois pour les développements suivants : Marie qui est le livre de la généalogie où sont inscrits tous les élus (I, §§ 51-53 et 356-357), Marie dans son Immaculée Conception (I, §§ 378-382), la grâce spéciale de Marie à sa Nativité (I, §§ 501-504), Marie, couronnée à la mesure de sa grâce et de ses mérites, dans son Assomption (I, §§ 528-530).

Houdry, comme Marchant, semble avoir marqué Chaminade en lui fournissant l’expression de vérités qui lui tenaient spécialement à cœur.

– Jacques-Joseph Duguet (1649-1733) a beaucoup écrit avec la préoccupation de présenter « la religion d’un côté propre à consoler », comme il l’exprime dans ses Lettres sur divers sujets de morale et de piété. A un curé qui, pour cause d’abus, voulait supprimer la confrérie du Saint Rosaire dans sa paroisse, il répond : « Le peuple qui ne sait pas lire, et qui sait à peine d’autres prières que le Pater et l’Ave, croit qu’on lui ôte tout quand on lui ôte le chapelet… Il faut lui faire connaître Jésus Christ et ses mystères ; le nourrir de la parole de Dieu…, apprendre combien on trouve de secours auprès de la Sainte Vierge quand on désire sincèrement plaire à son Fils… Et quand ces vérités salutaires sont entrées dans le cœur, tous les abus sont corrigés. »[5]

Dans cette ligne, Duguet composa le Traité sur la Croix ou Explication du mystère de la Passion de N.S.J.C., en neuf tomes. Chaminade utilise le dernier tome de ce traité pour composer un sermon Sur la Sainte Vierge, Mère des chrétiens (I, §§ 521-539). Il y trouve quelques-unes des meilleures expressions d’une méditation qui lui est familière : celle du Calvaire, ici en relation avec la prophétie sur la « Femme » de Genèse 3, 15 (I, §§ 535-536). Ces expressions favorites, trouvées dans Duguet, Chaminade les reprend dans sa seizième méditation de la retraite de 1823 (II, §§ 809-813, 816-817).

– Jean-Baptiste Massillon, Oratorien (1663-1742), est, avec Bourdaloue un des rares auteurs que Chaminade cite explicitement dans ses Ecrits marials (I, §§ 468, 561). Les deux textes sont des notes concernant l’Assomption de Marie. Ils sont une utilisation libre du Sermon pour la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge, où Massillon montre la triple gloire de Marie comme fruit d’un triple abaissement.

– Saint Alphonse de Liguori (1696-1787) joue, dans les Ecrits marials de Chaminade, un rôle analogue à celui de Monsieur Olier dans les Ecrits de direction. Avant 1827, année des premières éditions françaises des Gloires de Marie, Chaminade semble ignorer les œuvres du fondateur des Rédemptoristes.

Mais une fois découverts les livres des Gloires de Marie et du Selva, il les fait totalement siens, il les recommande à tous les prêtres de la Société de Marie et en fait usage dans certains écrits concernant la direction. Le Père Fontaine qui, au nom et sous l’inspiration du Fondateur, écrit la longue introduction au Manuel du Serviteur de Marie de 1840-1844, connaît bien Alphonse de Liguori, le cite plusieurs fois (II, §§ 469, 477, 513) et l’utilise dans son chapitre 5, intitulé Marie, Mère des chrétiens.

Cependant cette influence de saint Alphonse sur Chaminade reste tardive. Elle n’est pas de celles qui ont contribué à former sa pensée mariale, mais, tel un catalyseur, les ouvrages de saint Alphonse ont comme cristallisé certaines facettes de la pensée mariale de Chaminade concernant surtout l’union maternelle de Marie aux mystères de Jésus et son action sur nous.

Tels sont les principaux auteurs des dix-septième et dix-huitième siècles utilisés par Chaminade et, rapidement esquissée, leur contribution au développement ou à l’expression de la pensée mariale du Fondateur.

Cependant, ils ont eu un autre rôle encore, courant jusqu’au début du vingtième siècle : celui de mettre à la disposition de Chaminade la plupart des citations patristiques qu’il utilise.

Sources patristiques

Les textes des Pères, c’est-à-dire des auteurs chrétiens des dix premiers siècles, ainsi que des grands théologiens du Moyen Âge, sont bien connus aujourd’hui. Le Concile Vatican II les utilise largement et d’innombrables études ont été faites pour dégager leur pensée.

Au temps de Chaminade, bien que l’édition mauresque permît de les consulter, les Pères étaient plutôt cités traditionnellement et sous une forme ramassée. Les livres de Marchant et de Houdry, pour prendre deux exemples utilisés par le Fondateur, se chargeaient de vulgariser des citations qu’eux-mêmes tiraient d’auteurs plus anciens. Les prédicateurs s’en servaient abondamment, au point que telle citation provoquait ou venait prouver tel développement précis, toujours le même.

Malgré des imperfections de forme et de citations, Chaminade, avec ses contemporains et ses prédécesseurs, a une très haute idée du rôle des écrits patristiques dans la transmission de la foi et de l’enseignement de l’Eglise. La « preuve des Pères » fait partie, après celle de l’Ecriture, de tout enseignement qui se veut sérieux et bien fondé. En cela, les intuitions de la première moitié du dix-neuvième siècle rejoignent les nôtres.

Dans les Ecrits marials de Chaminade, tous les Pères n’ont pas la même importance. D’après le nombre des citations, trois d’entre eux émergent : saint Bernard, saint Augustin et saint Ambroise.

Saint Bernard

Il est cité 65 fois dans les Ecrits marials. Les œuvres de saint Bernard citées sont les suivantes.

  • Le sermon sur l’Aqueduc : I, §§ 66, 107, 125, 248, 265, 520, 521 ; II, §§ 77, 431, 504, 506, 508, 797, 830 ; en tout 14 citations.
  • Le sermon sur les douze étoiles ou les douze privilèges : I, §§ 22, 217, 265, 445, 521, 546 ; II, §§ 389, 405, 466, 467, 479 ; en tout 12 citations.
  • Les sermons Super Missus est ; le premier : I, §§ 57, 355, 405, 453 ; le second : I, §§ 125, 573 ; II, § 162 ; le troisième : II, § 859.
  • Le sermon 27 sur le Cantique : II, § 672.
  • Les Lettres : I, §§ 139, 355, 372.
  • Les sermons du temps de Noël ; sermon 3 de la Vigile : II, §§ 418, 495 ; sermon 4 de la Vigile : II, § 411 ; sermon 1 de Noël : I, §§ 408, 456.
  • Les sermons du temps de l’Assomption ; sermon 1 sur l’Assomption : I, §§ 62, 104 ; sermon 4 sur l’Assomption : I, §§ 365-366 ; sermon du dimanche dans l’octave de l’Assomption : I, § 221.
  • Sermon de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie : I, § 366.

Après ces précisions sur l’utilisation des textes de saint Bernard par Chaminade, il convient d’analyser l’apport du moine de Clairvaux.

Les citations les plus nombreuses présentent Marie comme notre Médiatrice auprès de Jésus Christ, car elle a été, comme nouvelle Eve, associée à l’œuvre de salut du nouvel Adam. Ainsi Dieu a-t-il tout remis entre les mains de Marie.

De là découlent de multiples conséquences : elle est une aide sûre dans notre vie, la « raison de notre espérance », notre « étoile » capable de nous guider, la Mère de miséricorde et l' »échelle des pécheurs ».

Saint Bernard a aussi glorifié la virginité et l’humilité de Marie. Enfin, c’est lui qui nous assure que contempler Marie est une joie bien douce pour celui qui l’aime.

Saint Augustin

Une analyse des 29 citations de saint Augustin dans les Ecrits marials de Chaminade conduit aux résultats suivants :

  • 19 d’entre elles ne concernent pas directement la Sainte Vierge : I, §§ 52, 60, 74, 82, 169, 265, 357, 411, 447, 448, 456, 466, 547, 548, 552, 572 : II, §§ 678, 717, 810. Elles corroborent la large utilisation de saint Augustin par les prédicateurs de tous les siècles chrétiens.
  • 5 autres citations sont des Pseudo-Augustin : I, §§ 308, 366, 445, 520, 546.
  • 5 citations authentiques concernent directement la Vierge Marie et reprennent toutes le même texte, celui du De sancta virginitate, chapitre 6 (PL 40, 399) :
    « Selon le corps, Marie est Mère du Christ seul. Mais selon qu’elle fait la volonté de Dieu, elle est spirituellement sœur et mère. Et ainsi, cette femme unique, est mère et vierge, non seulement d’esprit mais de corps : mère en esprit, non de notre chef le Sauveur, dont elle est plutôt née spirituellement parce que tous ceux qui croient en lui sont appelés à juste titre fils de l’époux ; mais elle est bel et bien mère des membres que nous sommes, car elle a coopéré par la charité à ce que les fidèles naissent dans l’Eglise, eux les membres dont il est la Tête. »

Ce texte sur la maternité spirituelle de Marie a été utilisé à deux reprises par Vatican II dans le chapitre 8 de Lumen Gentium (n° 53 et 63). Chaminade y tenait beaucoup, mais ne l’a jamais réellement présenté dans son contexte. Il l’a reçu, semble-t-il, de Bossuet qui aimait à insister sur le rôle de la charité de Marie. Dans ses écrits ultérieurs, Chaminade utilise ce texte dans des passages plus personnels, telle une précieuse acquisition qu’il fait sienne.

Saint Ambroise

Vient ensuite saint Ambroise avec 20 citations explicites. A part une (I, § 505) concernant Jésus Christ et citée par M. Olier, toutes les autres s’appliquent à Marie.

  • L’exposition sur l’Evangile selon saint Luc a été fort exploitée. A la suite d’Ambroise, les siècles chrétiens ont aimé méditer l’Evangile de l’enfance, particulièrement les mystères de l’Annonciation et de la Visitation. Sur l’Annonciation, on trouve chez Chaminade deux citations : I, §§ 331, 361, et sur la Visitation six citations : I, §§ 111, 159, 415 (deux références), 420, 422.
  • Le livre Des vierges permet à saint Ambroise de présenter la Vierge Marie comme modèle aux vierges de son temps : I, §§ 172, 275, 455. Cette dernière citation donne la règle souvent citée : « Telle fut Marie que sa vie, à elle seule, peut servir de modèle à tous » (PL 16, 210).
  • Reste le De Institutione virginis, qui a fourni bien des textes à l’enseignement marial postérieur : sur le Nom de Marie (I, § 283 ; II, § 842) ; sur la maternité spirituelle de Marie (I, §§ 70, 79).

Un passage de cette œuvre (14, 91) mérite une attention particulière. Ambroise y cite le début du chapitre 7 du Cantique des cantiques : ton sein est comme un monceau de froment environné de lys (7, 3). Il est question du mystère de la génération de Jésus Christ et Marie est nommée en ce passage. Mais le « monceau de froment », c’est Jésus, ce grain tombé en terre et qui porte beaucoup de fruit. L’interprétation est allé son train. Le monceau de froment désigne aussi les hommes engendrés spirituellement par Marie, lorsqu’elle a engendré Jésus Christ. Et l’on donne cette explication comme étant l' »application de saint Ambroise ».

Chaminade suit la tradition qu’il lit soit dans Marchant (I, §§ 25, 99), soit dans saint Alphonse de Liguori pour les textes plus récents (II, §§ 483, 633, 662).

En conclusion

Chaminade nous apparaît comme un « mariologue » avant l’heure. Il a beaucoup reçu. L’Ecriture Sainte fut toujours la base de son enseignement. Il s’est enrichi de nombreuses lectures, comme en témoigne le catalogue de sa bibliothèque. A travers ses lectures, il a pris contact avec les « Pères » dont il utilise de multiples citations.

Témoin d’une longue tradition, Chaminade est un pasteur d’âmes proche du sens de la foi de ses fidèles. A l’écoute des besoins d’une société française secouée par la Révolution et basculée dans les temps modernes, attentif aussi aux appels de l’Esprit Saint et aux besoins nouveaux de l’Eglise, il s’est emparé du meilleur de l’enseignement marial du passé pour en faire la nourriture de sa génération issue de la Révolution et modelée par les bouleversements de l’Empire et de la Restauration.

En homme d’action, il a su dégager de la doctrine mariale traditionnelle des lignes de force, des principes pratiques, qui ont inspiré ses fondations mariales et les inspirent encore dans l’Eglise d’aujourd’hui. Les traits marials du charisme de Chaminade ont leurs racines dans les écrits groupés dans le volume I, mais c’est grâce au volume II que le lecteur verra se modeler progressivement le profil marial de l’initiateur de la Famille Marianiste.

[1] Ecrits de Direction, II, § 103.
[2] Constitution dogmatique Lumen Gentium 8, n° 55.
[3] Lumen Gentium 8, n° 58.
[4] Ecrits marials I, § 261.
[5] Lettres sur divers sujets de morale et de piété, Paris, 1719-1782, t. 2, pp. 70-71. Cité par Paul Hoffer, S.M. La dévotion à Marie au déclin du XVIIe siècle. Paris, Cerf, 1938, pp. 111-112.

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