175ème anniversaire de la fondation de la société de Marie

Introduction

Lorsque vous voyez le frais minois de Claire Chazal, vous pensez qu’elle est une journaliste compétente. Certes. Mais en réalité, elle ne fait que donner une voix au discours préparé dans les coulisse par l’équipe de Robert Namias.

Je serai pour vous aujourd’hui, – charme et séduction en moins, hélas pour vous! – la Claire Chazal de visages cachés auxquels je dois absolument tout :

  • Jean Baptiste Armbruster, tout particulièrement pour l’article de Marianiste n° 44, intitulé « Les Fondateurs de la Société de Marie »; et pour la copie des notes de la retraite de 1817 qu’il a pris soin de réorganiser pour en rendre le document intelligent et mieux utilisable
  • Joseph Verrier, dont les « Jalons » signalent les sources à utiliser, avec les corrections justifiées à y apporter, ou les nuances à utiliser dans leur maniement, pour éviter d' »absolutiser » un détail pris hors du contexte
  • Emile Weltz, qui m’a fourni les références, voire les photocopies des deux susnommés.
  • ajoutons les lettres du P. Chaminade (en particulier les notices biographiques), l’Esprit de Notre Fondation (tome III), le Père Simler (biographie du P. Chaminade, et circulaire 14 pour la notice sur Monsieur Cantau).

On aurait pu faire l’économie de mon intervention, en faisant représenter « Deux compositions dramatiques » du P. Henri Lebon, l’une sur l’entrevue du 1er mai, l’autre sur la rencontre du 5 septembre. Je vous conseille de les lire, dans Jalon IV, pages 239 à 273. C’est ingénieusement fait, complet et ça n’a pas pris une ride.

Puisque cela m’était ainsi demandé, je ne parlerai que de la Fondation de la Société de Marie. Adèle sera donc absente, sauf une mention significative. Mais j’ai acquis la conviction que la convergence qui s’est manifestée chez les jeunes gens dont nous allons parler n’aurait été pour le moins ni aussi unanime ni aussi rapide, si Adèle n’avait montré la route à Agen avec les Filles de Marie. Sans les F.M.I, la Société de Marie n’aurait pas vu le jour, du moins pas aussi tôt.

Les semailles… ou les essais non transformés

 » …le moment est venu de mettre à exécution le dessein que je poursuis depuis trente ans que Dieu me l’a inspiré «  dit Monsieur Chaminade à M. Lalanne, le 1er mai 1817.

Trente ans, cela nous fait remonter à 1888, veille de la Révolution. Est-ce une exagération due à l’enthousiasme ?

Dans un document, en dépôt à l’abbaye de Tournay, Frère Philippe de Madiran nous apprend en effet qu’à la veille de la Révolution, les frères Chaminade du Séminaire de Mussidan le pressaient d’intervenir à Rome auprès de Pie VI pour obtenir l’approbation de leurs « constitutions ou règlements afin de faire corps » à la manière des Missionnaires de Saint-Lazare.

Durant la Révolution, un jeune disciple du P. Chaminade, Denys Joffre, écrit à son père sa joie d’avoir rencontré le guide de son coeur, un prêtre, un saint et il poursuit: « …il m’assure que bientôt il me gardera avec lui nuit et jour et que je serai son premier disciple. C’est son espoir et c’est le mien ». Denys Joffre deviendra prêtre du diocèse de Bordeaux, et il mourra connu comme  » le saint curé de Gaillan ».

Citons encore, avant l’exil, Joseph Bouet qui entrera à la trappe; Louis-Arnaud Lafargue et Raymond Darbignac qui sous la direction de Chaminade restaureront les Frères des Ecoles Chrétiennes à Bordeaux.

Contraint à l’exil Chaminade médite…et au retour repose des jalons : l’Abbé Joseph Boyer lui est cédé par l’ Evêque d’Auch, qui était en exil avec Chaminade. « Cet abbé a un exeat illimité pour le placer sous la direction de M. Chaminade qui veut établir une société de missionnaires en vue de raviver la foi », nous apprend une note d’un vicaire général à Mgr d’Aviau. Bernard Lansac, étudiant, est également décidé à rejoindre Chaminade…

Mais le Consulat, s’il refait la paix religieuse, n’accepte ni prosélytisme, ni association suspecte… L’Empire suivra la même politique.

Vers la fin de l’Empire

Chaminade amène des membres de la Congrégation, en particulier les anciens officiers, à une vie spirituelle et apostolique plus marquée, traduite par des voeux. Ces jeunes gens constituent le « Centre », puis « l’Etat dans le monde… »

L’abbé Lalanne en est témoin : « Il existait dans la Congrégation une sorte de société secrète composée d’une quinzaine de membres qui avaient adopté des pratiques particulières et qui s’y obligeaient par voeu ».

De l’abbé Collineau, nous avons l’engagement pris le 14 avril 1816, jour de Pâques :

« Au nom de la très Sainte Trinité, pour la plus grande gloire de Dieu, et sous la protection de l’auguste Vierge Marie Immaculée,

« Nous, frères en Jésus-Christ, désirant réunir nos efforts pour concourir ensemble à notre sanctification et à la multiplication des serviteurs de notre bon et souverain Maître, avons fait entre nous les conventions suivantes :

« Nous nous imposons un règlement de vie, chacun selon ses besoins, mais qui contiendra ces quatre articles communs : 1° communion tous les quinze jours; 2° méditation tous les jours; 3° examen de prévoyance tous les matins; 4° examen de conscience tous les soirs.

« Nous prenons chacun à tâche de former un élève dans le véritable esprit du christianisme.

« Nous soumettons notre règlement de vie, la direction de notre élève et les autres oeuvres de zèle que nous pourrions faire, à notre commun directeur; et nous faisons entre ses mains voeu d’obéissance, pour trois mois environ, en ce qui concerne ces choses. »

Ces dispositions étaient communes aux membres. Mais cela n’empêchait pas les uns et les autres d’avoir des engagements supplémentaires. Nous savons que depuis plusieurs années, MM. Bidon et Canteau, avaient fait entre les mains de M. Chaminade des voeux privés de pauvreté, chasteté, obéissance. Un autre voeu est souvent mentionné sous la plume de M. Chaminade : le vœu de zèle, plus particulièrement au service de la congrégation.

  1. Chaminade a mis sur le papier plusieurs projets d’une sorte de vie religieuse dans le monde, où la Congrégation pourrait puiser les officiers nécessaires à son fonctionnement.

L’Empire n’est pas favorable, et les pierres posées se disjoignent. Mais Chaminade se raidit dans l’espérance. Il « avait un instant conçu la pensée de faire vivre ces chrétiens comme vivaient ceux des premiers âges apostoliques, ayant tout en commun : mais il reconnut que cette forme de vie religieuse était impraticable, et sans abandonner tout à fait son idée d’une vie religieuse sous une forme séculière, il ne songea plus à la réaliser qu’au moyen d’une communauté. Plein de ce projet, il attendait que la Providence lui envoyât des hommes et ouvrît une voie. » (Lalanne)

Le déclic se produit le ler mai 1817

c’est la célèbre entrevue de M. Lalanne. Ce n’était sans doute pas le 1er mai, comme nous l’explique le P. Verrier dans Jalon IV, notes, p.46, n°16. Nous continuerons à dire « l’entrevue du 1er mai ». En voici les circonstances.

L’abbé Rauzan – lui-même congréganiste – et ses missionnaires prêchent une « mission » qui réveille la foi et le sens religieux des Bordelais et opère de multiples conversions.

Comment la Congrégation. peut-elle contribuer à ce renouveau spirituel? On avait dû en discuter dans les réunions, ou en privé. L’abbé Lalanne fait le pas décisif :

« Monsieur Lalanne, le premier, vint un jour lui dire qu’il renonçait au dessein qu’il avait formé de se donner à la Compagnie de Jésus, qu’il avait compris, par le résultat de ses premières démarches à cet effet que ce n’était point là que Dieu le voulait, et qu’il se croyait appelé à un genre de vie et d’oeuvres qui ressemblât à la vie et aux oeuvres du directeur de la congrégation. A cette ouverture, M. Chaminade parut attendri jusqu’aux larmes et il y répondit par une exclamation de joie… »

Ce dernier essai va être transformé

Lalanne en parle à ses amis…qui sont comme lui à la pension Estebenet : Auguste Brougnon-Perrière et Jean-Baptise Collineau…

Chaminade croit pouvoir alors proposer son oeuvre à ceux qu’il sait dévoués de tout leur cœur à Dieu et libres de leur personne : deux jeunes gens dans le commerce : Louis Daguzan et Dominique Clouzet (le plus jeune).

Le 2 octobre 1817

La retraite de 1817

Le Père Chaminade avait une propriété de campagne à Saint Laurent – avec des vignes… A un km de la Cathédrale, cette propriété était à l’époque une solitude.

Le Père Chaminade y a installé le noviciat des Frères, en 1807, avec deux membres issus de la Congrégation, MM Lafargue et Darbignac. Quand le noviciat s’est transporté à Toulouse, le P.Chaminade utilise la maison comme centre de retraite, pour l’élite de la Congrégation, les membres de l’Etat… Retraites à des petits groupes, voire individuelles, en relation étroite avec la « direction » que nous appelons actuellement « accompagnement spirituel », mais avec une « reddition de comptes » rigoureuse, écrite, sous forme de convictions et de programme de vie. Ces retraites « fabriquaient » des hommes et des femmes brûlant de foi et de zèle.

En 1817, il y prêche l’une de ces retraite, probablement à une petite quinzaine de participants. Nous en avons le schéma général de la main du P. Chaminade et des notes partielles du P. Lalanne.

Retenons-en les accents suivants :

– une première série de méditations sur la foi et le service de Dieu.

Par ces « exercices » le Père Chaminade savait disposer les âmes à entendre les mystérieux appels de Dieu et à y répondre dans la vie. D’une retraite de 1820, nous avons de la main de M. Bidon deux séries de notes : une série intitulée « Résumés de méditation », l’autre « Dispositions intimes notées après chaque méditation ». Il ne s’agit donc pas simplement de « retenir » un enseignement, il s’agit de se « convertir », de se mettre en route. Ceci éclairera mieux les notes écrites par M. Lalanne, pour cette retraite de 1817 :

« Puisque la foi pratique est si rare dans le monde, est-il étonnant que le nombre des élus soit si petit? Et puisque le nombre des élus doit être si petit, c’est donc d’une foi pratique qu’il faut croire pour être sauvé.

« Et voici que la bonté de Dieu nous présente une situation où nous ne pouvons que mettre en pratique notre foi, puisque ce saint état de la vie religieuse n’est qu’une pratique continuelle de la foi, dans toutes les circonstances de la vie, et dans les actions de l’homme à l’égard de lui-même, envers ses semblables et à l’égard de Dieu. Le religieux est un homme qui, croyant en Dieu, en Jésus-Christ et en la vie future, a résolu de ne plus faire que des actions qui soient une conséquence directe et immédiate de sa foi ».

– une seconde série de méditations sur l’Alliance, avec Dieu, prolongée par une autre série sur l’alliance avec Marie.

Ecoutons le P. Lalanne :

« Vous avez choisi Marie, la souveraine, pour être votre mère; Marie vous a choisi comme sa famille spéciale. »

« Cette alliance étroite et particulière avec la très Sainte Vierge est un des caractères propres de l’Institut… »

« Nous avons choisi Marie, nous le savons bien, et nous avons bien eu dans le coeur l’intention de la choisir pour mère; mais sommes-nous également assurés que de son côté la divine Marie a fait choix de nous, pour avoir en nous une famille spéciale? Ce n’est pas moins certain. Nous n’aurions pas choisi Marie, si elle ne nous avait choisis la première. Ce n’est pas de nous-même que nous sommes arrivés jusqu’ici; c’est par une conduite secrète de la Providence; qui a dirigé cette conduite, qui a fait mouvoir ces ressorts, le plus souvent à notre insu, qui nous a inspiré cette confiance de prendre pour mère la Souveraine du monde ? Nous n’en doutons pas, c’est la grâce de Dieu et cette grâce comme toute autre, nous est venue par Marie. Car il est sûr que Marie est comme le canal par lequel nous viennent toutes les grâces de Dieu. C’est de son amour pour nous que sont parties celles qui nous ont attirés dans son sein. C’est donc Marie qui nous a choisis, c’est elle qui nous a appelés ».

De ces convictions, découlent l' »engagement » réciproque et la constitution d’une alliance sous forme d’une société unique entre Marie et nous.

– suit une troisième série de méditations : un appel pressant à fuir les fausses joies du monde et à goûter, à savourer, les pures joie de la vertu.

Cette ascèse établit l’âme dans la paix, faite toute d’abandon à Dieu et à la Providence, et s’épanouit dans une charité « surnaturelle dans son motif », « universelle dans son objet », « efficace dans ses oeuvres ».

Nous savons par ailleurs que le Père Chaminade, à la fin d’une retraite, ne considérait pas la page tournée… Pour lui, cette fin devait aboutir à un commencement. Il ne « lâchait » ses retraitants qu’après leur avoir recommandé de consulter Dieu dans l’oraison, dans le calme de leur chambre, et de venir ensuite confier à leur directeur les résolutions que l’Esprit de Dieu leur suggèrerait.

Après cette retraite, dont nous ignorons la date exacte, le lendemain, ou quelques jours plus tard, cinq retraitants reviennent voir leur directeur à Saint Laurent…

Le 2 octobre 1817 (Jalon 173)

« Ce fut le 2 octobre 1817, jour des saints anges gardiens, que se réunirent pour la première fois chez M. Chaminade, à Saint-Laurent, ceux qui les premiers furent décidés à embrasser la vie religieuse dans un nouvel institut. C’était. MM Auguste Perrière, Collineau, Daguzan, Clouzet et Lalanne. Ils déclarent tous que leur résolution était prise et qu’ils se croyaient appelés de Dieu non seulement à renoncer au monde mais encore à travailler de tout leur pouvoir à procurer l’établissement projeté ». (Note de M. Lalanne, rédigée dès 1819, et recuellie par M. Boby Secrétaire Général de la SM)

Ils souhaitaient faire des voeux immédiatement. Le P. Chaminade ne leur permet pas… Il les embrasse et très ému leur assure qu’il va prendre les mesures leur permettant de vivre en communauté.

La mise en place de la communauté

Des rencontres régulières vont se succéder chaque semaine entre les « Fondateurs » et le P. Chaminade.

On trace les principes directeurs de la nouvelle fondation. Les voici, et pour les éclairer, des extraits du récit de l’entrevue du ler mai.

On pose en principe :

Qu’il s’agissait d’un véritable corps religieux, dans toute la ferveur des temps primitifs.

« La vie religieuse est au christianisme ce que le christianisme est à l’humanité. Elle est aussi impérissable dans l’Eglise que l’Eglise est impérissable dans le monde. Sans les religieux, l’Evangile n’aurait nulle part une application complète dans la société humaine »

D’autres échos du Père Chaminade insistent : ses religieux doivent tendre à la plus haute et plus sublime perfection, se méfier de la tiédeur, du relâchement, donne au monde le spectacle d’un peuple de saints, prouver par le fait qu’aujourd’hui, comme dans la primitive église, il est possible de pratiquer l’Evangile dans toute la rigueur de l’esprit et de la lettre.

Le Père Chaminade avait une haute idée de l’Etat religieux, de son idéal, de ses exigences. Dès le point de départ, ses disciples en prennent conscience.

Ce corps serait mixte, c’est à dire composé de prêtres et de laïques.

Le Père Chaminade a accueilli, comme de la main de la Providence, ceux qui lui étaient envoyés, de tout âge, condition, éducation… Dans le groupe des cinq, il y a deux candidats au sacerdoce, et le P. Lalanne est déjà habillé de la soutane. Certains sont professeurs, d’autres quittent la profession commerciale. S’y adjoindront bientôt deux artisans tonneliers.

Des fait, le P. Chaminade tirera un enseignement, et cette composition mixte pour lui n’est plus désormais simplement « circonstancielle ». Elle donne mieux l’image de l’Eglise, et chacun, prêtre ou laïc, y a une mission propre, et d’abord à l’intérieur de la communauté.

L’institut aurait pour œuvre principale l’éducation de la jeunesse de la classe moyenne, les missions, les retraites, l’établissement et la direction des Congrégations.

MM Auguste, Collineau, Lalanne sont professeurs à la pension Estebenet. Mais ce n’est pas fortuitement. Il y a un choix de départ, souvent répété par ailleurs : les frères des Ecoles assurent l’éducation du peuple; les Jésuites, l’éducation de la haute bourgeoisie. Mais la « classe moyenne » ? C’est la classe la plus marquée par les idées rousseauistes et voltairiennes, la plus vulnérable à l’idéologie antichrétienne des Lumières… et le P. Chaminade pressent peut-être qu’elle va devenir la plus nombreuse. En tous les cas, il en vivra le développement, que nous pouvons suivre dans les romans de Balzac.

Mais le P. Chaminade sait aussi que si la formation initiale est décisive, elle ne suffit pas. Il faut assurer le service après-vente, accompagner la vie chrétienne « du berceau à la tombe ». Bordeaux vient de vivre une « mission » fervente, et Collineau se sent une vocation de prédicateur – ce sera le drame de sa vie -; ces « missions sont indispensable pour des « réveils réguliers de la foi ».

Par ailleurs, tous ces hommes sont issus de la Congrégation, qui assure la nourriture régulière de la foi et sa traduction pratique dans la vie. Dès l’origine de la Société de Marie, la Congrégation ne peut-être que « l’œuvre de notre cœur. »

L’institut ne se montrerait pas d’abord à découvert, mais on userait des précautions qu’exigeaient les circonstances.

L’entrevue du 1er mai nous dit :  » Les formes monastiques sont usées; elle se sont elles-mêmes tellement déconsidérées par tant de scandales! Mais aucune forme n’est essentielle à la vie religieuse. On peut être religieux sous une apparence séculière. Les méchants n’en prendront moins d’ombrage; il leur sera plus difficile d’y mettre obstacle; le monde et l’Eglise n’en seront que plus édifiées. Faisons donc une association religieuse par les trois voeux de religion, mais sans nom, sans costume, sans existence civile, autant qu’il se pourra : Nova bella elegit Dominus ».
Les « précautions qu’exigeaient les circonstances » sont-elles réduites à la prudence civile et politique ? On peut penser qu’elles appellent, en raison même de la nouveauté de l’Institut et de son audace, d’autres « précautions » pour éviter que l' »esprit du monde » ne le vide de son sens. L’un des objets propre de l’institut comprendra dès l’origine les règles de réserve et de modestie qui séparent tout en édifiant. L’article 11 de notre Règle de vie reprend l’un des principes fondamentaux de notre fondation.

Surtout l’Institut serait sous la protection et comme la propriété de la Sainte Vierge.

« Mettons le tout sous la protection de Marie Immaculée à qui son divin fils a réservé la dernière victoire sur l’enfer : et ipsa conteret caput tuum. Soyons, mon enfant, soyons dans notre humilité, le talon de la femme ».

Le double aspect de l’Alliance est souligné: Marie nous assure sa protection… Mais nous sommes dans son armée et c’est sa bataille que nous livrons contre le mal.

– le 13 novembre 1817, deux nouveaux membres les rejoignent : MM. Bidon et Cantau, deux tonneliers. Les trois catégories de la Société de Marie sont réunies dès le point de départ.

Ce même jour, les membres de la Société adoptent un règlement provisoire, rédigé par Lalanne et approuvé par Chaminade, conçu en 6 articles:

  1. Ils feront provisoirement des voeux temporaires d’obéissance, pauvreté et chasteté, avec les modifications qu’exigeait la situation de chacun
  2. Ils prendront l’usage de la communion hebdomadaire
  3. Ils font oraison ensemble les mercredis et vendredis
  4. Ils jeûnent le vendredi, et pour répondre aux difficultés particulières et aux intentions   spéciales, également le mercredi.
  5. Est nommé supérieur, M. Auguste; chef de Zèle et chargé de rédiger les règlements et formules de prière, M.Lalanne; chef d’instruction, M. Collineau; chef de travail, M. Canteau.
  6. Ils tiennent conseil chaque semaine, sous la présidence du P. Chaminade.
  7. Mais chacun continue à exercer son état comme auparavant.

– 24 novembre : M. Auguste, chargé par le groupe de trouver un local où se réuniraient immédiatement ceux qui seraient libres de leur personne, loue une petite maison, 14 impasse de Ségur (65, rue du Commandant Arnould).

Cinq pièces au rez de chaussée: chapelle, salle d’étude, cuisine, salle à manger, dortoir commun. Et un petit jardin. La location est conclue le 24 novembre. Le P. Chaminade bénit la maison, et dès le 25, Monsieur Auguste vient l’habiter.

« Les membres de la petite société de Marie firent tous leurs efforts pour hâter leur réunion en communauté dans la petite maison qu’on eût put appeler de Nazareth, tant son ameublement respirait la pauvreté ».

– 11 décembre 1817 : dans l’octave de l’Immaculée Conception, furent prononcés les premiers voeux temporaires, en la sacristie de l’Eglise de la Madeleine, à peu près en ces termes: Je promet de garder jusqu’à l’Annonciation les voeux d’obéissance, de chasteté, de pauvreté que je fais entre vox mains, tels qu’ils ont été convenus entre nous » (Jalon 174) (voeux privés)

– la communauté va se constituer à mesure : Dominique Clouzet, le 8 janvier 1818; Louis Daguzan, le 10 mars, J.B.Lalanne à la Pentecôte; Canteau et Bernard Laugeay, au mois d’août; M. Collineau

– Les frères souhaitaient que le P. Chaminade vienne habiter avec eux et ils s’y attendaient. Mais Chaminade ne croit pas prudent d’accéder à leurs désirs. Il se jugeait trop âgé pour prendre de nouvelles habitudes; il avait sa maison et des gens à lui qu’il ne pouvait subitement éloigner; il ne fallait surtout pas que cette retraite fasse tomber la congrégation des jeunes gens.

Dernières étapes jusqu’à la naissance officielle

  • P. Chaminade agit avec prudence. Certes, il informe Mgr d’Aviau, Evêque de Bordeaux, puis Mgr Jacoupy, évêque d’Agen…Mais pour le reste tout se fait dans la plus grande discrétion. Il en parle à peine fin avril à Adèle, qui écrira le 2 juin à son amie Lolotte de Lachapelle, à Condom : »Je ne sais si je vous ai marqué que notre bon Père a formé, à Bordeaux, sous l’autorisation de Mgr l’archevêque, une petite communauté de religieux de notre ordre. Ils sont encore très peu nombreux mais bien édifiants: on les appelle « La Société de Marie… N’en parlez pas ouvertement parce que c’est un secret. Ils sont habillés en séculier… et le monde ignore qu’ils sont religieux. Un Ordre d’hommes, en ce temps-ci offre bien plus de difficultés qu’un de filles ».
  • A l’intention de ceux qui vont, en faisant profession, « jeter le fondement solennel de la Société de Marie », il rédige avec David Monier un texte intitulé « L’Institut de Marie », ébauche de constitutions, extrait de celles des Filles de Marie, approprié à la Société de Marie, surtout en ce qui concerne l’organisation. On rédigerait une règle définitive plus tard, en tenant compte de l’expérience.
  • retraite du lundi 31 août au samedi 5 septembre 1818, suivie par 16 personnes
  • 5 septembre 1818, à l’issue de cette retraite animée par le P. Chaminade, MM. Lalanne, Auguste, Daguzan, Cantau et Bidon, font des voeux perpétuels; MM Collineau et Clouzet, des voeux pour trois ans; M. David, non autorisé par M. Chaminade à faire profession, s’offre pour toujours à la Société de Marie. Tels sont nos 7 Fondateurs.

Les HOMMES : qui sont-ils ? Que sont-ils devenus ?

a / Jean Baptiste Lalanne
b / Jean Baptiste Collineau
c / Monsieur Auguste Brougnon Perrière
d / Monsieur Daguzan
e / Monsieur Dominique Clouzet

Pour ces cinq, voir l’article du P. Armbruster dans Marianiste, n° 44, pages 3 à 10.

f / Monsieur Bidon (1778 – 1854)

L’une des plus sympathiques figures de l’époque de la fondation.

Né à Bordeaux, d’une famille d’ouvrier, il apprend le métier de tonnelier. Dès 1801, il entre dans la Congrégation de la Madeleine, dont il resta l’un des membres les plus zélés, et dont il est nommé Préfet honoraire. Il est chargé des jeunes artisans de la congrégation.

Mobilisé dans l’armée d’Italie par les guerres napoléoniennes, prisonnier des Autrichiens, dès son retour à Bordeaux, il se remet sous la direction du P. Chaminade qui l’admet bientôt à faire des voeux privés.

Le « fidèle Bidon » fut l’homme de confiance du P. Chaminade pour le temporel. Toujours à Bordeaux, sauf de 1837 à 1841, où il est chargé de fonder et diriger l’école de Clairac, pays en grande partie protestant, où il gagne le respect et la vénération de tous. Le fondateur le charge des missions délicates. C’est ainsi qu’en 1840 il accompagne la caravane des Filles de Marie, appelées à la fondation d’Olmeto en Corse. Au retour, il est placé au noviciat de Saint-Anne jusqu’à la fin de sa vie.

Religieux d’une humilité profonde, d’une humeur douce et égale, d’un caractère aimable, toujours prêt à rendre service. Quand les premiers Marianistes partent en Amérique, en 1849, un Supérieur lui ayant demandé en plaisantant s’il se sentait disposé à les accompagner, M. Bidon, âgé alors de 70 ans, et croyant recevoir un ordre, se mit aussitôt à faire les préparatifs du voyage.

Une très grande piété tout au long de sa vie, et en particulier dans les dernières années, avec les menus services qu’il était encore capable de rendre : chapelet, bréviaire devant le Saint Sacrement, chemin de croix.

« Ce Nestor de notre Institut, le seul peut-être qui au milieu de tant de secousses n’ait jamais bronché », écrit M. Lalanne, s’éteignit paisiblement, assisté du jeune Simler qui en fut profondément marqué.(cf Lettres, tome I, page 302, note)

g / Monsieur Antoine Cantau (1790 – 1819)

Le premier religieux mort dans la Société de Marie.

Nous ne savons rien de sa vie avant son entrée dans la Congrégation. Il fut remarqué par Monsieur Bidon à l’Eglise Sainte Croix pour la décence de son maintien et son assiduité à la grand’messe. Ils font connaissance, se lient d’amitié, parlent des choses de la religion. Prévenu d’abord contre la Congrégation, il apprend à la découvrir et exprime le désir d’y entrer.

Reçu Congréganiste le 26 avril 1811, il est atteint par la conscription, et part au service militaire. Réformé, il reprend sa place dans la Congrégation. Il y est chef de fraction, introducteur, et anime des oeuvres au dehors, en particulier sur sa paroisse, pour la préparation des enfants à la première communion. Il contribue à la fondation d’une société pieuse sur la paroisse Sainte-Croix.

Le Père Chaminade le contacte quand la fondation de la Société est décidée, et il va entrer dans la communauté de l’impasse Ségur. Il demande au Supérieur, M. Auguste :  » Que faut-il que je fasse ? M. Chaminade m’a dit que je serais chargé des travaux du ménage, que c’est moi qui ferais les lits « . Le supérieur lui répond que chacun fait son lit, mais qu’on verrait…

Il est chargé de faire la cuisine… Art nouveau pour lui, où il se montre d’abord novice… « Mais le soin qu’il prit de consulter, l’attention avec laquelle il suivait les leçons qui lui étaient données, les essais et combinaisons qu’il fait de lui-même, lui permirent bientôt d’apprêter les mets passablement… »

A la rue des Menuts, il tombe malade, en 1819, tout en s’efforçant de rendre service. Le 16 juillet, fête de N.D. du Mont Carmel, l’Archevêque vient visiter la communauté. Monsieur Cantau se traîne de sa chambre pour demander sa bénédiction. L’évêque lui dit : « Vous avez une maladie dangereuse, mais nous devons être résignés à la volonté de Dieu, et, dans l’état où vous êtes, vous pensez sans doute quelquefois à la vanité des choses d’ici-bas? – J’ai renoncé au monde, Monseigneur, il y a déjà longtemps qu’il a plu à Dieu de me faire la grâce de mépriser ce qui est de ce monde ».

Bientôt, il ne peut plus aller à la messe à la paroisse, mais on lui apporte la communion. Il pensait mourir le jour de l’Assomption, mais en fait il attend que M.Chaminade et M. David Monnier soient de retour d’un voyage à Agen, et il les revoit avec une grande joie.

Il mourra le 20 août, entouré de ses frères, dans la paix du Seigneur. (cf Circulaire 14 du P. Simler)

Conclusion

a / l’enfantement de la Société de Marie a été long, douloureux, sans cesse retardé… Pour des raisons politiques , dans un contexte culturel incertain et nouveau. Nous devons nous attendre à ce qu’il en soit de même dans l’histoire qui suivra… y compris pour la page que nous écrivons, et quel qu’en soit le pays. La vie religieuse apparaît d’emblée comme insolite et menaçante à presque tous les pouvoirs.

Et en même temps, le P. Chaminade – de nombreuses lettres le prouvent – a tenu à ce que la Société de Marie soit non seulement reconnue un institut dans l’Eglise, mais il a voulu aussi qu’elle ait une existence juridique, qu’elle soit une « citoyenne » dans la société civile.

Ce double trait marquera la Société de Marie: respect des pouvoirs légitimes établis… et contestation de ces mêmes pouvoirs par notre existence même.

b / Les Fondateurs, qui avaient vécu une période de trouble, étaient de fortes personnalités. Ils avaient certes une grande générosité, mais ils avaient déjà une histoire avant de se faire religieux. Il y a eu une période dans la Société de Marie où la formation dès l’âge le plus tendre (postulat, noviciat précoce, scolasticat) a pu modeler un type d’homme plus « souple », ou du moins selon un moule plus traditionnel…. Avec des vocations plus tardives, nous revenons à la situation primitive. Ne nous étonnons pas si cette situation entraîne, comme elle a entraîné aux origines, des difficultés de relations, des affrontements dans les choix, y compris apostoliques…parfois des séparations.

c / Au point de départ, est affirmé fortement la visée et la pratique apostoliques… Mais sans la lier à un objet restrictif, et surtout pas à une oeuvre déterminée… C’est la communauté qui est le point de ralliement, la source d’impulsion, le lieu de l’envoi en mission et de vérification. La communauté est apostolique par son existence même. Elle nourrit le zèle de ses membres; l’obéissance et le discernement des signes de la Providence font le reste. En ces temps bénis – et fragiles aussi – de la naissance, le corps social marianiste n’avait pas encore l’héritage de l’histoire; il n’était pas encore l’Albatros de Beaudelaire, parfois empêtré de trop grandes ailes quand les pattes sont au ras de la terre.

d / La grande diversité des personnes ne nuit pas à la solidité du corps. Le Père Chaminade y a injecté dès le départ des éléments qui me semblent être pour lui des conditions non soumises à la fluctuation des temps : une vie exigeante de communauté; un règlement précis qui englobe le dynamisme de la vie et son organisation minutieuse dans le détail; une ouverture sans compromission et une docilité sans réserve à leur « directeur », le P. Chaminade. Ils auront pour lui une admiration et une tendresse jamais démentie, qu’ils traduiront par un dévouement total à sa personne et à l’oeuvre qu’avec lui ils ont créée.

A nous de voir si nous retrouverons ces bornes en parcourant notre chemin de Saragosse.

Il est vraisemblable qu’en chacun de ces jours décisifs, le groupe des fondateurs ne s’est pas dispersé avant d’avoir récité l’acte de consécration que nous a gardé l’histoire. Je propose que pour conclure, nous nous levions. Avec eux, qui en ce jour nous sont unis dans la liturgie céleste, dans les mots qui furent les leurs, redisons notre pacte d’alliance avec Marie :

 » Souveraine du ciel et de la terre, au pied de votre trône où le respect et l’amour ont enchaîné nos coeurs, nous vous offrons nos hommages de service et de louanges; nous embrassons avec transport un état où l’on ne fait rien que sous vos auspices, où l’on s’engage à vous louer, à vous servir, à publier vos grandeurs et à défendre votre Immaculée Conception. Puisse notre zèle pour l’honneur de votre culte et les intérêts de votre gloire, vous venger des attentats de l’hérésie, des outrages de l’incrédulité, de l’indifférence et de l’oubli de la plupart des hommes!

Mère du Rédempteur, dispensatrice de toutes les grâces, étendez l’empire de la religion dans les âmes, bannissez l’erreur, conservez et augmentez la foi dans cet Etat, protégez l’innocence, préservez-là des écueils du monde, des faux attraits du péché; et, sensible à nos beoins, favorable à nos voeux, obtenez-nous la charité qui anime les justes, les vertus qui les sanctifient et la gloire qui les couronne ! « 

Amen.

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