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Les associations mariales de recrutement féminin
Jusqu’en 1751, les congrégations mariales affiliées à la Prima primaria se réservèrent jalousement aux hommes et aux jeunes gens. Même après le bref Quo tibi, qui autorisa l’érection et l’affiliation des sodalités féminines, celles-ci semblent être restées rares jusqu’au dix-neuvième siècle. Il était peut-être plus utile, avant la Révolution, de concentrer les efforts d’apostolat sur les hommes, les femmes étant mieux protégées qu’aujourd’hui par les mœurs publiques.
Les Bordelaises avaient pourtant accès à plusieurs associations de caractère marial.
Les Religieuses de Sainte-Ursule s’étaient fondées à Bordeaux au début du dix-septième siècle et si leur œuvre première était l’enseignement, à l’exemple des Jésuites et peut-être sous leur influence, elles étendaient leur action au moyen de congrégations. Leurs Règles, approuvées en 1618, à défaut d’autres documents, nous renseignent sur le caractère et le rôle de ces associations.
Le but est de former des Dames pour venir en aide matériellement et spirituellement aux malheureux et aux déshérités. Une religieuse, souvent la Supérieure en personne, assume la responsabilité de l’œuvre.
« Elle doit être grandement zélée à procurer, par le moyen des Dames de cette congrégation, le soulagement des pauvres nécessiteux de la ville, de l’Hôpital et des prisonniers ».
« Et non seulement elle procure qu’elles aient soin de leur entretien et nourriture, mais encore du salut de leurs âmes ».
« Elle donnera la charge à quelque nombre des Dames de la Congrégation de faire confesser les pauvres de l’hôpital et les prisonniers, de quinze en quinze jours, et ceux qui seront en état de recevoir les sacrements, elles les feront communier ».
« On doit avoir particulièrement soin des malades et leur faire administrer souvent les saints sacrements ; et lorsqu’ils approcheront de leur fin, elles leur feront donner l’extrême-onction ».
« Elles auront soin de les faire visiter quelquefois par de bons prêtres et religieux, pour les exhorter à souffrir avec patience les épreuves que Dieu leur envoie ».
« La Mère de la congrégation se fera rendre compte, aux assemblées, des œuvres de miséricorde qu’elles auront exercées envers les pauvres et des commissions qui leur auront été données par elle ou par le Père de la congrégation. »
Les Dames de la congrégation s’occupent aussi de catéchiser « les pauvres filles de l’hôpital« , de leur faire apprendre un métier et de leur fournir du travail, « afin qu’elles aient moyen de gagner leur vie et d’éviter l’oisiveté, qui est la mère de tous les vices. »
« Elles les feront venir tous les dimanches au collège pour être instruites et les exhorter à bien faire ».
« La Mère de la congrégation fera des mémoires des affaires qu’il faut traiter aux assemblées, afin qu’on pourvoie avec prudence aux affaires des pauvres de Jésus-Christ. Elle aura deux livres, l’un pour écrire la recette des aumônes et bienfaits qu’on donne à cette congrégation, et l’autre pour la mise et distribution de tout le bien qui se fait à cette congrégation ».
« La Supérieure lui donnera une secrétaire pour lui aider, laquelle secrétaire lui servira d’assistante lorsqu’elle tiendra la congrégation ou expédiera quelque affaire. »
Les Règles prévoient minutieusement la conduite à tenir pour admettre de nouvelles associées :
« Lorsqu’il se présentera quelque fille ou femme pour être reçue à la congrégation, la Mère l’examinera de l’intention qui la meut de se mettre dans cette congrégation et lui proposera tous les exercices d’hospitalité et de miséricorde à quoi il faudra qu’elle s’exerce, si elle veut être reçue. » Les postulantes « demeureront trois mois en probation : pendant lequel temps, elles seront exercées en tous les exercices de la congrégation ».
« Pendant ce temps, la Mère s’enquerra de son humeur, si elle est de douce et paisible conversation, comme il est porté dans les Règles, car on ne doit admettre dans cette compagnie que des esprits tranquilles et soumis à l’obéissance… Lorsque les postulantes seront jugées dignes de cette compagnie, la Mère les proposera au Père de la congrégation et aux Dames, le jour de l’assemblée, pour avoir leur avis ou leur voix pour les recevoir ou arrêter le jour et l’heure de la réception ».
« Si, après trois mois de probation, on en reconnaît quelqu’une qui n’aie les qualités requises, on la congédiera tout doucement, car il se pourrait faire qu’elle fera plus de bien en son particulier que si elle était de cette compagnie. Elle pourra être bienfaitrice de cette congrégation.«
Le caractère marial est ici le même, exactement, que celui des congrégations jésuites et rien n’est plus naturel puisque ce sont des Pères du collège de la Madeleine qui sont à l’origine des Ursulines.
Les dames congréganistes tendent à atteindre leur fin sous la protection de Notre-Dame et, dans cette vue, choisissent Marie comme patronne le jour de leur réception dans l’association. La formule de consécration est empruntée aux sodalités de la Société de Jésus. « Un jour de fête, disent les Règles, ou de congrégation, les Dames étant assemblées dans l’église ou chapelle, les portes closes, la postulante se présentera à genoux devant l’autel, tenant en sa main un cierge allumé ».
Le Père de la congrégation étant assis sur une chaire, au-devant de l’autel, lui fera ces interrogations :
– Que demandez-vous ?
La dame postulante lui répondra :
– Je demande (ou nous demandons si elles sont plusieurs) d’être reçue en la congrégation de Notre-Dame, régie et gouvernée par les religieuses de Sainte-Ursule.
Le Père lui demandera :
– Etes-vous résolue de vivre et de mourir en l’observance des règles de cette compagnie, qui vous ont été lues, et de vous exercer en toutes les œuvres de charité envers les pauvres, tout autant que votre santé et commodité le permettra ?
La postulante répondra :
– Je le veux faire moyennant la grâce de Dieu.
Le Père lui répondra :
– La Supérieure avec la congrégation vous l’accorde.
Le Père se mettra à genoux et commencera le Veni Creator Spiritus. La Supérieure, avec la Mère de la congrégation, répondront à voix basse. Cela fait, le Père se remettra sur la chaire, pendant que la postulante lira cette oraison tout haut :
« Sainte Marie, Mère de Dieu et Vierge, je…, ce aujourd’hui, te choisis pour ma Dame et Avocate, et propose fermement de ne t’abandonner jamais et oncques ne dire aucune chose contre toi, ni permettre que par mes sujets chose quelconque se dise ou se fasse contre ton honneur. Je te supplie donc de me recevoir pour une tienne perpétuelle servante et de m’assister en toutes mes actions et de ne m’abandonner à l’heure de la mort. »
L’oraison étant achevée, le Père bénira le cordon et la postulante signera au livre de la réception.
La postulante ira remercier la Supérieure et la Mère de la congrégation et saluera toutes les dames. Cela étant fait, le Père dira le Te Deum laudamus, et toutes répondront. A la fin d’icelui, on éteindra les chandelles, puis le prêtre commencera l’exhortation où toutes assisteront. »
Les Règles ne décrivent pas les assemblées de la congrégation, qui différaient notablement de celles des sodalités jésuites. Alors que là on se réunissait avant tout pour prier, s’édifier et s’instruire, ici on s’assemble pour concerter l’action et s’occuper des intérêts de l’association. Les dames congréganistes tiennent des réunions générales ou partielles, pour étudier les besoins des pauvres, des malades, des prisonniers et pour arrêter les moyens à mettre en œuvre, ou encore pour décider de l’admission d’un nouveau membre. Elles ne se soucient pas d’elles alors, mais des autres. Leur association réalise le type de l’œuvre de charité.
Si l’influence des Jésuites apparaît dans les congrégations tenues par les Ursulines, elle est encore plus nette dans la Congrégation de Jésus mourant et de Notre-Dame des Douleurs, qui était érigée dans la Maison professe.
Formée en 1738, cette association se rattachait à la congrégation primaire de même titre, que le bref Redemptoris nostri de Benoît XIII avait établie dans la maison professe de Rome, en 1729. L’approbation donnée par l’archevêque de Bordeaux, François-Honoré de Maniban et reproduite dans le recueil de « Pratiques, Indulgences et Prières« , que les confrères et confréresses firent imprimer à leur usage, nous indique le but de cette association : « Nous exhortons nos diocésains, dit le prélat, de s’associer à ladite congrégation et de ne pas se borner à y donner leur nom, à participer aux indulgences accordées en sa faveur, à observer quelqu’une des pratiques qui y sont proposées et à ne pas faire d’une manière superficielle et sans ferveur les prières ou actes dont on leur a donné ici le modèle, mais de remplir tout cela avec zèle et d’entrer dans l’esprit et la fin de cette congrégation, qui est d’obtenir une bonne et sainte mort par le moyen de la dévotion à Notre-Seigneur Jésus-Christ mourant .et à Notre-Dame des Douleurs, sa très sainte Mère. »
Placés sous la protection spéciale de saint Joseph et de saint François-Xavier, les associés consacrent le premier dimanche de chaque mois à leurs dévotions : le Saint-Sacrement est exposé toute la journée ; ils communient, entendent un sermon et font l’exercice de la préparation à la mort. En dehors de ces pratiques mensuelles, point d’autre obligation que la récitation quotidienne de trois Pater, Ave et Gloria, en souvenir des trois heures d’agonie de Jésus. Moyennant quoi les membres de l’association jouissent d’indulgences très nombreuses et s’assurent de nombreux suffrages.
M. Chaminade adoptera les usages de cette société pour ses dames congréganistes. Peut-être l’élément féminin était-il devenu exclusif, en fait, dès avant la Révolution, bien que rien n’empêchât la confrérie d’être mixte.
En 1743, comme la peste s’était déclarée et ravageait la ville, le peuple bordelais se tourna une fois de plus vers Celle qu’il n’avait jamais invoquée en vain, et Mgr de Maniban érigea, en l’église Saint-Projet, la « Confrérie du Culte perpétuel de la Vierge, Notre-Dame de Protection. »
Cette pieuse association, approuvée et enrichie d’indulgences par un bref de Benoît XIV n’était pas sous la direction des Jésuites. Le petit manuel des confrères nous apprend que cette dévotion fut établie pour la première fois à Lyon, en 1716, dans la chapelle de Notre-Dame de Paix, au grand Hôtel-Dieu, et que de là elle se répandit dans les diocèses de Lyon et d’Avignon, avant d’être connue et adoptée ailleurs.
Honorer Marie d’un culte perpétuel et se rendre digne de sa protection, c’est tout le but de la confrérie qui peut se recruter dans les deux sexes.
En donnant son adhésion, chaque membre s’engage à passer chaque jour une heure devant l’autel qui est dédié à Marie et devant lequel brûle constamment un cierge, aux frais de l’association. Chaque année, le lundi des Quarante-heures, après la messe chantée pour les défunts, la petite société se nomme deux syndics et deux assistants, qui veillent au recrutement, à la célébration des fêtes et aux dépenses. Tous les dimanches, les membres assistent à la bénédiction du Saint-Sacrement. A la fête patronale, le 2 juillet, et aux fêtes secondaires, Purification, Annonciation, Présentation et Nativité de Notre-Dame, il y a grand’ messe et sermon ; les syndics ont soin de retenir à l’avance un prédicateur, en l’avertissant qu’il doit porter la parole sur le culte ou la dévotion de la Sainte Vierge et non sur d’autres matières.
Une contribution de 24 sols pour les hommes, de 12 sols pour les femmes, est exigible lors de l’inscription, et l’annuel est égal à la moitié de la contribution d’entrée, mais les pauvres sont reçus gratuitement et secourus dans leurs maladies au prorata de la quatrième partie du produit de la quête.