Marie dans les lettres d’Adèle de Trenquelléon

Conférence du 8 janvier 1989

Commençons par une rapide évocation biographique d’Adèle et un regard sur sa correspondance.

Née le 10 juin 1789, au château de Trenquelléon, commune de Feugarolles, elle est baptisée le jour même dans son église paroissiale. Le baron, son père, s’engage en 1791 dans l’armée du Rhin et laisse à son épouse le soin d’élever sa fille.

Exil en Espagne et au Portugal, de 1797 à 1801.

Dès son enfance, elle vit un profond attrait vers le Carmel où elle désire entrer à l’âge de 12 ans.

En février 1803, elle reçoit le sacrement de la confirmation et rencontre, à cette occasion, Jeanne Diché. Les deux filles se lient d’amitié, et, en 1804, elles fondent ensemble, aidées par Monsieur Ducourneau, le précepteur de Charles, frère d’Adèle, une association de prière et d’action chrétienne. Cette Petite Société va jouer un grand rôle dans la vie d’Adèle. D’ores et déjà, elle est fondatrice et animatrice d’une œuvre d’Eglise.

Cette animation, celle de la Petite Société d’abord, puis celle de son Institut religieux, elle la fera surtout à travers ses nombreuses lettres, 737 au total, qui vont s’échelonner entre le 2 février 1805 et le 28 novembre 1827.

Trois périodes sont à distinguer dans la vie d’Adèle et sa correspondance.

  1. De 1805 à 1808, Adèle a entre 16 et 19 ans. Toutes ses lettres sont adressées à la sœur de Jeanne, Agathe Diché qui est devenue, pour le groupe d’Agen, sa correspondante habituelle. Grâce à plusieurs lettres de cette époque, nous voyons s’exprimer les attitudes mariales fondamentales d’Adèle, celle qu’elle gardera toute sa vie.
  1. De fin 1808 au 25 mai 1816, Adèle, entre 19 et 27 ans, vit une période extraordinairement riche, au contact de la Congrégation mariale de Bordeaux et de son fondateur, le Père Chaminade. Sa vie mariale va s’enrichir considérablement durant cette période.
  1. Du 25 mai 1816 au 10 janvier 1828, Adèle, devenue en religion Mère Marie de la Conception, entre 27 et 38 ans, vit sa vie de fondatrice et première supérieure générale des Filles de Marie, à Agen. C’est la période de son épanouissement marial dans la vie religieuse.

Comme un tronc solide : les éléments premiers et constants de sa vie mariale

Durant la première époque de sa correspondance, trois lettres (17 ; 35 ; 88) et huit allusions permettent d’entrevoir les éléments premiers et constants de la dévotion d’Adèle envers la Sainte Vierge.

Lisons la lettre n°17 qui est la plus caractéristique. Elle date du 20 août 1805, octave de la fête de l’Assomption : de quoi entretient-elle Agathe et les associées ? Des vertus de Marie et de l’obligation qu’elles ont de les imiter :

« De quoi vais-je vous entretenir ? Ah ! Ai-je besoin de chercher longtemps ? Les vertus de Marie qui doivent être notre objet d’imitation, et surtout entre les deux fêtes qui lui sont consacrées, l’Assomption et la Nativité, vont me fournir une ample matière.

La pureté, cette vertu plus angélique qu’humaine, la Ste Vierge l’a possédée dans le degré le plus éminent. Elle se trouble dès qu’elle voit entrer l’Ange sous la figure d’un jeune homme, et elle ne consent à devenir la Mère de Dieu que quand l’ange lui eût assuré qu’elle demeurerait vierge. A son exemple fuyons toute occasion de ternir seulement cette précieuse vertu que nous portons dans des vases d’argile ; la fuite est l’unique moyen de triompher de la passion contraire. Et pour acquérir cette délicate vertu, ne nous arrêtons jamais à la moindre pensée. Que la modestie règle nos regards, nos gestes, notre maintien. Fuyons, dès que nous voyons que la conversation que l’on peut tenir, peut nous donner quelque mauvaise idée. Enfin, recourons à la Reine des Vierges et nous acquérons cette vertu à laquelle nous devons tâcher de travailler encore plus particulièrement jusqu’à la Nativité.

L’humilité aussi a été une vertu favorite de la Ste Vierge. Elle se trouble à la salutation glorieuse de l’Ange et elle ne répond à l’assurance qu’il lui fait qu’elle va devenir la Mère de son Dieu, qu’en s’en reconnaissant la servante. Imitons cette vertu et reconnaissons-nous toujours pour des serviteurs inutiles. Ne nous glorifions jamais de rien, reconnaissant en toute vérité que Dieu est l’auteur de tout bien.

L’obéissance a aussi paru dans Marie d’une manière admirable. Elle part pour aller visiter Elisabeth – quoique ce fût un voyage pénible – dès qu’elle en eut reçu l’inspiration du Seigneur. Elle va, pour obéir à l’empereur, à Bethléem pour aller se faire enregistrer malgré la rigueur de la saison et sa grossesse avancée. Imitons cette obéissance dans les inspirations que Dieu nous donne de faire le bien, et en obéissant ponctuellement et sans raisonner aux ordres de nos supérieurs.

L’amour de Dieu a surtout brillé dans cette vierge incomparable. A son exemple, aimons toujours Dieu avec une nouvelle ardeur et souvenons-nous que l’amour ayant été la cause de son triomphe sera aussi celui du nôtre, si nous aimons véritablement, sincèrement et de tout notre cœur.

La patience dans les souffrances a été aussi bien parfaite dans la Ste Vierge. Souffrons comme Elle de voir calomnier et souffrir les personnes qui nous intéressent et que nous aimons, et souffrons nous-mêmes pour l’amour de Dieu, et pour effacer nos péchés qui méritent bien des châtiments, tandis que la Ste Vierge qui a tant souffert n’avait jamais péché. »

La lettre n°35, du 25 mars 1806, jour de l’Annonciation, reprend le même thème à partir d’une lecture qu’elle vient de faire d’un sermon de Bourdaloue :

« C’est au sortir, ma chère amie, de lire un sermon de Bourdaloue, que je vous écris. Puisse l’Esprit-Saint qui animait cet orateur chrétien, m’inspirer sur quoi je vous entretiendrai ! Aujourd’hui, et que je puiserai dans les salutaires réflexions que m’a inspirées le sermon.

Quelle grande fête, ma bonne amie ! Le Verbe de Dieu prendre notre chair ! Le Fils de Dieu devenir le fils de l’homme ! Dieu même devenir notre frère ! Oh ! Prodige d’amour d’un Dieu pour des hommes coupables !

Après avoir admiré cette grâce immense et cet amour infini, venons aux réflexions pratiques que nous pouvons retirer de ce mystère :

Un Dieu s’est anéanti jusqu’à prendre la forme d’esclave… Et qui choisit-il pour cela ? Une vierge humble.

Dans quel moment s’opère ce prodige ? Dans le moment où cette vierge incomparable fait l’acte d’humilité le plus parfait, en s’avouant la servante du Seigneur, quand lui-même l’honore de la qualité de sa mère. Que devons-nous conclure de cela, sinon que l’humilité est la vertu chérie de Dieu, puisqu’elle a, pour ainsi dire, le pouvoir de faire descendre un Dieu en terre.

Ainsi, faisant profession d’adorer ce mystère, nous devons aussi, par une conséquence indubitable, pratiquer cette humilité dans toutes nos actions, dans toutes nos pensées, dans toutes nos personnes. C’est cependant ce que nous ne faisons guère.

Oh ! Ma chère amie, soyons humble si nous voulons plaire à Dieu ; c’est sa vertu favorite et qui a mérité à la très sainte Vierge de le concevoir dans son chaste sein. Qu’on remarque donc en nous cette humilité dans tout : quand on nous contredit, en ne nous plaignant point ; en prenant patiemment toutes les humiliations et les croix qui nous adviennent, reconnaissant, dans un esprit d’humilité, les avoir bien méritées.

Une autre réflexion que me fournit le mystère d’aujourd’hui : C’est la pureté angélique de la Vierge Marie. Elle se trouble à la vue d’un Ange sous une forme humaine. Ah! quel contraste avec celui d’une infinité de jeunes vierges prétendues chrétiennes qui n’ont pas de plus grand plaisir que de voir et d’être vues, et qui perdent bien souvent, pour ne pas dire toujours, le vase précieux de la virginité qui ne peut être conservé qu’avec beaucoup de précautions, qu’avec beaucoup de retraite. A l’exemple de la Sainte Vierge, ma chère amie, fuyons toute occasion, même la plus petite ; mettons un frein à nos yeux et à nos oreilles pour ne rien voir, ni ne rien entendre capable de ternir la beauté d’une vertu si délicate et si fragile. Oh ! Belle vertu, oh ! Vertu angélique, qu’on vous perd souvent ! Qu’on vous perd facilement ; et qu’on vous répare difficilement.

Mais, ma chère amie, après avoir pris toutes les précautions convenables, remettons ce dépôt si précieux entre les mains de la Sainte Vierge ; prenons-la pour la gardienne de notre pureté et de notre innocence ; apprenons d’elle à craindre les dangers et à les éviter; qu’aucun désir de plaire ne trouve accès dans nos cœurs ; que ces cœurs ne brûlent que pour le Seigneur ; que toute flamme impure et étrangère en soit bannie. »

De l’analyse de l’ensemble des lettres et allusions mariales se dégagent nettement trois attitudes fondamentales qui caractérisent la dévotion mariale d’Adèle :

  1. Adèle vit avec Marie au rythme de l’année liturgique, au rythme de l’Eglise.
  2. La vie spirituelle d’Adèle intègre certaines vertus de Marie qui favorisent une vie d’union avec la Sainte Vierge
  3. Marie prend une place toujours plus grande dans la Petite Société dont elle est la « protectrice ».

A – Adèle célèbre Marie au rythme de l’Eglise

Comme Sainte Thérèse d’Avila, qu’elle vénérait particulièrement, Adèle est fille de l’Eglise, tout simplement. Elle soigne les temps forts liturgiques, l’Avent, le Carême. Elle célèbre les fêtes mariales : l’Assomption et l’Annonciation sont les premières qui apparaissent entre 1805 et 1808.

Puis viennent s’ajouter durant la deuxième période (1808-1816) : la Présentation du Seigneur et la Purification de Marie (2 février), la Compassion de Marie (durant le carême), la Nativité de Marie (8 septembre), la Présentation de Marie (21 novembre) et surtout l’Immaculée Conception, fête patronale de la Congrégation de Bordeaux.

Durant la période de la vie au couvent, une nouvelle fête : le Saint Nom de Marie, donnée par le Père Chaminade comme fête patronale en 1823, aux deux Instituts religieux fondés en 1816 et 1817.

Chacune de ces fêtes avait sa signification propre et nourrissait la vie spirituelle d’Adèle et de ses associées. Cela d’autant plus que les fêtes étaient préparées ou prolongées par une octave, c’est-à-dire un temps de vie chrétienne plus intense. Loin d’être seulement des actes ponctuels, les fêtes mariales étaient vécues comme de véritables sommets, des périodes de ferveur.

Ainsi, dès le 23 juillet 1805 : « Voilà la fête de l’Assomption qui approche, où la Sainte Vierge mourut d’amour. Ah ! À son exemple, tâchons que l’amour de Dieu fasse mourir en nous toutes nos mauvaises habitudes, tous nos penchants déréglés. » (lettre 15.3) Cette même fête va se prolonger, comme le dit la lettre du 20 août (lettre 17) sur les vertus de Marie. Celles-ci doivent être notre objet d’imitation, et surtout entre les deux fêtes qui lui sont consacrées, l’Assomption et la Nativité.

Faut-il rappeler que toutes ces fêtes de Marie étaient célébrées, autant que possible, par la participation à la sainte messe et par la sainte communion, précédée, comme toujours en ce temps-là, par la confession ? Dans le Christ et avec Lui, Adèle rencontre et honore sa mère.

B – Adèle vit avec Marie sa spirituelle

Elle voit dans la sainte Vierge l’exemplaire vivant des vertus qu’elle sent nécessaire dans sa propre vie spirituelle : l’obéissance, l’humilité, la patience, la douceur et la maîtrise de soi (lettres 17, 35 et 53). Ainsi veut-elle devenir semblable à Jésus qui nous dit : « apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Lettre 16).

Adèle contemple et imite très spécialement en Marie deux vertus : la pureté et l’amour de Dieu. La première deviendra chasteté virginale pour s’épanouir dans la consécration d’elle-même à son Céleste Epoux, comme elle aimait à appeler Jésus ; la seconde constituait l’unique lien de la société. Elle revient sans se lasser à l’amour de Dieu comme au but ultime de toute sa vie et de celle des associées (lettre 15, 17, 35, 53). Déjà, elle vit d’amour à l’exemple de Marie. Rien d’étonnant qu’Adèle aussi, le 10 janvier 1828, meurt d’amour en exprimant son amour émerveillé envers son divin Epoux : « Hosanna au Fils de David ».

Sa vie quotidienne, Adèle la vit en grande proximité avec la Sainte Vierge. Dans les moments de souffrance, elle prend l’habitude de contempler Marie au Calvaire et de s’unir à elle. Les prières mariales, le Sub Tuum, le chapelet, parsèment ses journées et nourrissent cette union profonde avec la Mère de Jésus. Avec enthousiasme, elle communique à Adèle qu’elle écrit en face d’un portrait du Christ et de celui de sa sainte Mère. Son oratoire n’est plus reconnaissable tant il est embelli par ces deux superbes gravures. (Lettre 72.5)

Le cœur d’Adèle, en même temps qu’il s’approfondit, s’élargit à toutes les associées. Elle veut les rassembler toutes, ce qui lui fait inventer, selon une tradition carmélitaine, des rendez-vous spirituels. Celui du Calvaire à Trois heures après midi est le plus habituel. Elle le transmettra au Père Chaminade qui l’adoptera et l’adaptera pour le rendre encore plus marial. Mais Adèle donnait d’autres rendez-vous spirituels : à la crèche, dans le désert, dans les bras de Jésus mourant, au Cénacle, et bien d’autres.

C – Avec Marie, protectrice de la société

L’article 3 du règlement précisait : chaque membre se mettra sous la protection spéciale de la Sainte Vierge par une communion faite à ce dessein. Entre 1804 et 1808, la Société se développe. Née en Lot-et-Garonne, elle s’étendait, en 1808, aux départements des Landes, de la Dordogne, du Lot, du Gers.

Cette extension remplit Adèle d’admiration et de zèle. Il faut lire ici la lettre 88, du 16 juillet 1807, fête de Notre-Dame du Mont Carmel. Cette lettre clôture et couronne la première époque de la correspondance mariale d’Adèle et manifeste combien l’Esprit Saint et Marie l’ont providentiellement préparée à aborder avec fruit la période suivante.

« Oh ! Qui pourrait nous séparer de l’amour de Jésus-Christ : seraient-ce les maladies, les souffrances ou la mort ? Non, rien ne nous séparera de son amour ! Notre Dieu est le même aujourd’hui qu’hier : toujours notre Dieu, notre Sauveur, notre Rédempteur ! Aussi, chère amie, soyons toujours les mêmes envers Lui.

Son amour pour nous ne diminue point ; que le nôtre à son égard aille toujours croissant.

Dieu nous comble chaque jour de nouveaux bienfaits ; réveillons donc tous les jours le feu -de notre amour.

Oh ! Ma chère amie, soyons fidèles au plus fidèle des époux ! Hélas ! Un rien nous fait oublier nos plus fermes résolutions. Jusques à quand serons-nous si inconstantes dans nos voies !

Ma tendre amie, que les exemples que nous avons sous les yeux nous animent à les suivre : j’envoie à Dicherette une lettre d’Adèle de Pomiès, dans laquelle elle me mande qu’on remarque tous les jours quelques nouveaux progrès dans la piété de nos associées. Pour elle, sa grande humilité fait qu’elle se croit en arrière ; et que même, elle n’ose pas écrire tout à fait comme nous. Mais moi qui la connais, je vous assure qu’elle est bien une de celle qui l’est le plus. Et puis je le sais par Mme de Ste Agnès.

Notre Chef aussi, chère amie, qui est si saint !… Mr. Grenier !… Le saint Missionnaire !… Oh ! Que de saintes âmes dans ce cher petit troupeau !

Je suis enchantée de votre petite réunion des vendredis. Que je voudrais m’y trouver ! Enfin, la volonté de Dieu !

Que nous sommes augmentées, ma bonne amie: à Agen, à Valeilles, à Condom, à Villeneuve d’Agen, Villeneuve de Marsan… Nous nous étendons bien loin, puissions-nous nous étendre loin en amour pour Dieu et courir à pas de géant dans la carrière de la perfection.

Que j’en suis loin ! Ne nous décourageons cependant jamais. N’espérons rien de nous-mêmes ; mais tout de Celui qui nous fortifie.

Ayons souvent recours à la protectrice de la Société : la très Sainte Vierge. Oh ! Qu’Elle est puissante auprès de son Fils ! Mettons-nous bien sous sa sauvegarde. Nous sommes ses enfants particulières, soit par notre Société, soit par l’habit du Scapulaire dont nous avons le bonheur d’être revêtues. » (lettre 88)

La Sainte Vierge est devenu la protectrice de la Société. Les membres de cette Société deviennent de ce fait les enfants particulières de Marie qui est puissante auprès de son Fils. Cette appartenance à Marie est encore vue avant tout comme un mise sous la sauvegarde de Marie, dans le sens du Nous nous réfugions qu’Adèle et peut-être aussi ses amies, priaient tous les jours.

Dans la lettre 88, il est fait allusion également à l’habit du scapulaire dont toutes les associées son revêtues. Cette dévotion typiquement carmélitaine symbolisait elle aussi la protection de Marie. Porter l’habit de la Sainte Vierge, marquait ainsi qu’on lui appartient et qu’elle peut exercer envers nous son rôle de Mère, voilà des convictions solides qui vont s’épanouir dans l’époque entre 1808 et 1816, marquée principalement par la mise en relation d’Adèle et de son groupe avec le Père Chaminade et sa Congrégation de Bordeaux.

Sur ce tronc primitif, de nouvelles branches mariales apparaissent

Nous sommes en l’année 1808, qui est pour Adèle décisif. Deux événements la marquent et ouvrent un avenir nouveau :

  • Adèle renonce au mariage
  • Adèle est mise en rapport avec le Père Chaminade.

Le trouble d’Adèle fut grand face à une belle proposition de mariage qui lui fut présentée en cette année 1808. Son père, qu’elle chérissait beaucoup, appuyait cette proposition. Elle consulte des prêtres, elle prie intensément. La veille de la fête de la Présentation de Marie, elle prit la décision de ne jamais se marier. Avec Marie qui s’est offerte toute jeune au Seigneur, elle s’est donc rendue libre pour le Christ, désormais son unique Epoux. Son avenir peut s’orienter maintenant vers la vie religieuse. Cette nouvelle détermination rend aussi Adèle avide de tout ce qui peut approfondir sa foi chrétienne et son ouverture à Marie.

Oui, Marie va faire irruption dans sa vie à partir de cette année 1808. L’événement fut fortuit. Durant l’été, alors que Madame de Trenquelléon se repose dans sa famille à Figeac, elle rencontre Jean Lafon, un congréganiste de Bordeaux. On parle. La mère évoque sa fille et la Petite Société. Le professeur, le Père Chaminade et sa Congrégation si active à Bordeaux. On se promet de mettre les deux fondateurs en relation, ce qui se fit en automne, par une lettre que le Père Chaminade adressa à Adèle.

Une correspondance très active va s’établir entre les deux personnes, ce prêtre de 57 ans et cette demoiselle de 19 ans. Nous avons des lettres du Père Chaminade mais celles d’Adèle ont disparu. Il ne nous reste que celles adressées régulièrement à ses amies et qui font écho à celles reçues de Bordeaux. Que trouvons-nous dans cette correspondance concernant Marie ?

Les lettres que Monsieur Chaminade adresse à Adèle lui font découvrir tellement de vues nouvelles sur la Sainte Vierge. Il faut nous contenter d’un rappel de l’essentiel.

Dès sa première lettre (n°31), le Père Chaminade décrit la Congrégation de Bordeaux, souligne les nombreuses ressemblances entre les deux groupements et termine sa lettre par ces deux phrases qui résument l’esprit marial du groupe de Bordeaux : Oh ! Si je pouvais vous bien faire sentir le bonheur qu’il y a d’appartenir d’une manière spéciale à la Mère de Dieu ! Nous nous glorifions ici du titre d’enfants de Marie : nous croyons composer sa famille privilégiée.

Membres des fraternités, qui sont la continuation actuelle de la Congrégation mariale, membres des Instituts religieux ou amis de nos Fondateurs, nous pouvons trouver dans ces deux phrases tout l’essentiel de nos démarches mariales constitutives : le bonheur d’appartenir à Marie d’une manière spéciale car elle est notre mère spirituelle et nous sommes ses enfants, nous nous consacrons à elle, et, ensemble, nous constituons la famille privilégiée de Marie.

A – Le bonheur d’appartenir à Marie

Dès le mois de janvier 1809, Adèle fait écho à la lettre précédente ainsi qu’aux premières lectures qu’elle a pu faire dans le Manuel du serviteur de Marie, le livre de piété de la Congrégation de Bordeaux. Elle a confié à Agathe : « que j’aime ce petit livre, ma chère amie, toutes ces belles prières, ces belles instructions, ces beaux cantiques en l’honneur de Marie ! Nous avons donc le bonheur d’être ses enfants, membres de sa famille privilégiée. Oh ! Confions-nous donc à cette tendre Mère, elle est le refuge des pécheurs. » (Lettre 90.2)

Dans la lettre suivante, du 26 janvier 1809, elle utilise pour la toutes première fois le terme de consécration à Marie qu’elle vient de découvrir, et elle continue : « Heureux celui qui, dès l’enfance, lui fait de soi-même le don et met son innocence à l’abri de son Nom. » (Lettre 91.6-7)

On assiste ainsi à l’assimilation joyeuse qu’Adèle fait et fait faire de la nouvelle dimension mariale venue de Bordeaux par le Manuel et les lettres du Père Chaminade. Cette joie est le meilleur signe de la nouveauté de ce qu’elle reçoit. Elle est comblée dans son attente. Il est vrai que la période précédente de sa vie l’y avait tellement bien préparée.

D’ailleurs est d’un tempérament optimiste. Il suffit de parcourir sa correspondance pour relever les nombreuses fois où elle utilise l’adjectif heureux. La multiplication des points d’exclamation en est un autre signe. Et voici que Marie ajoute à son bonheur. A parti du 10 juin 1810, jour de ses 21 ans, de sa majorité, on lit, dans un contexte de Pentecôte, pour la première fois, une autre exclamation d’Adèle : « Vive Jésus ! Vive Marie ! A jamais dans nos cœurs ! » (Lettre 125.5) Elle est prête à embrasser avec joie la vie religieuse marianiste ! Mais cette heure-là n’a pas encore sonné en 1810.

B – La maternité spirituelle et la consécration à Marie

Autre constatation étonnante : jusqu’à sa rencontre avec le Père Chaminade, Adèle ignorait, dans ses lettres, le mot et la démarche de consécration à Marie. Cependant, l’Esprit Saint avait préparé, là encore, Adèle, comme l’a montré sa lettre 88. Elle se savait enfant de Marie, placée sous la sauvegarde, la protection de Marie parce qu’elle appartenait à la Petite Société.

Mais de Bordeaux arrivait un enseignement beaucoup plus riche et plus diversifié. Adèle qui avait de l’imitation des vertus de Marie un axe essentiel de sa vie mariale, découvre avec enthousiasme les fondements spirituels de sa démarche déjà ancienne. Elle progresse donc et s’en réjouit.

Le Père Chaminade l’orient lui-même vers une doctrine plus élaborée sur la maternité spirituelle de Marie. La pédagogie du fondateur est très simple. Il part de la prière de consécration à Marie, en constate les heureux effets et la justifie par un rappel doctrinal. Voici cette lettre d’initiation qu’Adèle reçoit de Bordeaux en août 1810 :

« Je vous invite, ma chère Enfant, à faire cet Acte de consécration de tout votre cœur à la fête de la Nativité de la Sainte Vierge, si vous avez reçu cette lettre : ce sera aussi un bon avis à donner à toutes vos amies. Je suis comme étonné des grâces et des bénédictions que reçoivent tous ceux et celles qui le font de bon cœur, et qui persévèrent dans les sentiments qui le leur ont inspiré. Oh qu’heureux sont les vrais Enfants de Marie ! La Mère de Jésus devient réellement leur Mère. – Peut-être, direz-vous : mais Marie ne peut pas être ma Mère comme elle est Mère de Jésus ? – Sans doute, si nous ne considérons pas les choses selon l’esprit : mais c’est bien plus selon l’esprit que nous devons envisager sa maternité divine, que selon la nature. Marie, d’après l’aveu même de Jésus-Christ, a été plus heureuse de l’avoir engendré spirituellement, que de l’avoir engendré selon l’ordre de la nature. Si vous ne comprenez pas bien cette vérité, que je ne fais presque qu’indiquer, j’y reviendrai avec plaisir dans une autre lettre. » (Lettre 40)

Que représentait cet acte de consécration qu’Adèle découvrait ainsi ? Au plus simple, c’était une prière d’offrande de soi à Marie. On peut la lire dans les Ecrits Marials du Père Chaminade (Tome II n°881 et 883). Pour les deux tiers, ce texte est une sorte de Credo marial (881-882) ; suivent les engagements à prendre (883) : honorer Marie, s’en remettre à son amour maternel, vivre la qualité d’enfant de Marie en appartenant à la Congrégation et en ayant envers Marie respect, obéissance, confiance et amour filial.

Dans le Manuel du Serviteur de Marie, Adèle pouvait lire une très suggestive présentation de la Consécration à Marie. Une consécration (…) forme entre la personne qui se consacre et la Vierge Immaculée qui reçoit cette consécration, une alliance véritable. D’une part, l’auguste Marie reçoit sous sa puissante protection ce fidèle qui se jette entre les bras de sa tendresse maternelle et l’adopte pour son enfant. De l’autre, le nouvel enfant de Marie contracte avec son auguste Mère les obligations les plus douces et les plus aimables. (EM II.395)

Grâce à des textes comme ceux-ci, Adèle prend conscience de la réalité de l’Alliance. Avant 1813, elle n’utilise jamais ce mot dans sa correspondance avec ses amies. Sa circulaire du 25 juillet 1813 permet d’apprécier à quelle profondeur elle communie sur ce point, comme sur d’autres, avec le Père Chaminade. Cela va jusqu’à une similitude de vocabulaire.

Vous allez vous enrôler d’une manière plus particulière sous les étendards de notre auguste Mère. Préparez-vous avec toute l’ardeur possible, à cette glorieuse Alliance que vous allez contracter avec elle. (…) Oh ! Quelles qualités doivent distinguer les enfants de Marie ! Etre sous la protection de la plus sainte des Vierges, c’est faire profession de combattre tous les vices : plus de monde pour nous, plus d’attrait pour ses vains plaisirs. Que la vie humble, retirée et fervente fasse toutes nos recherches.

Adèle transcrit à sa façon qui, lui, à la suite du texte sur l’Alliance véritable, énumère les sept obligations de toute personne consacrée à Marie dans la Congrégation : prier, honorer et faire honorer Marie, se conduire en véritable enfant de Marie en imitant ses vertus et en combattant les vices.

Adèle en effet garde toute sa personnalité. Je voudrais souligner sa manière très personnelle avec laquelle il lui arrive, à l’occasion de la Présentation de Marie, de formuler l’Alliance dans sa double dimension : Alliance avec Dieu et Alliance avec Marie.

Tout d’abord, l’Alliance entre elle et le Christ, le divin Epoux, reste première et fondamentale. Présentons-nous aussi en ce jour au Seigneur. Faisons-lui une consécration entière de notre personne ; n’ayons plus rien en nous qui ne soit à ce divin Maître à qui nous devons par tant de titres, et à qui nous ne faisons que rendre ce que nous lui devons quand nous nous donnons à Lui. (Lettre 203.2)

L’année suivante, en 1814, on sent Adèle plus mûre en ce domaine du don d’elle-même. Elle a très bien harmonisé l’Alliance avec Marie et celle, fondamentale, avec le Seigneur. J’ai prié, chère amie, notre divine Mère, le jour de la Présentation, d’offrir à son divin Fils toute sa petite famille conjointement avec Elle (…) Offerte par de telles mains, regardons-nous donc, chère amie, comme entièrement consacrées au Seigneur. Soyons à Lui : n’agissons que pour Lui et en vue de Lui plaire, même dans nos actions les plus indifférentes. (Lettre 256.2)

Remarquons l’emploi judicieux du vocabulaire. Le mot consacrées a, en son sens fort, rapport au Seigneur. Cette Alliance prend tout son sens dans l’Alliance biblique entre Dieu et son peuple, entre Dieu et l’homme. Telle est la vraie démarche consécratoire.

Quant à la relation à Marie, Adèle et ses amies forment sa petite famille. Elles sont conjointes avec Elle. L’Alliance avec Marie est une démarche analogue à celle de deux conjoints ; l’on reste donc dans le domaine de l’union d’amour entre deux êtres humains. L’Alliance avec Marie est une manière de faire famille, Eglise avec Elle, autour d’Elle, conjointement avec Elle. N’est-Elle pas la Mère de l’Eglise et nous ses enfants, parce que disciples de Jésus, comme Jean, au Calvaire ?

C – Former ensemble la famille de Marie

Dans la première lettre reçue du Père Chaminade, Adèle avait pu lire cette affirmation qui pouvait paraître prétentieuse : nous nous glorifions ici du titre d’Enfants de Marie : nous croyons composer sa famille privilégiée. (Lettre 31)

Que désigne, pour le fondateur, l’expression Famille de Marie ? C’est une réunion de chrétiens qui ont Dieu pour Père, et qui, reconnaissant aussi, très explicitement, qu’ils ont, en commun, Marie pour Mère, ce qui renforce singulièrement leur fraternité chrétienne et donne à l’Eglise un visage plus familial. En somme, grâce à Marie, ces chrétiens tendent à former une Eglise vécue comme une grande famille.

L’expression avait impressionné Adèle qui la relève dès la lettre 90, la première après réception de celle du Père Chaminade : nous avons donc le bonheur d’être ses enfants, membres de sa famille privilégiée. Rapidement la réalité de cette famille spirituelle va stimuler le zèle d’Adèle. Elle a perçu que la famille de Marie est appelée à s’agrandir, ce qu’elle appelle faire des conquêtes. Celles-ci ont un but : Propageons la famille de la très pure Marie. Ramassons le plus que nous pourrons de jeunes cœurs sous égide et à la gloire de notre divin Maître. (Lettre 175.7) Nous sommes en 1813.

L’année suivante, le 12 novembre, en écrivant à Seurette Poitevin, responsable du groupe de Tonneins, Adèle inclut dans la famille également les personnes spirituellement rattachées au groupe. Nos chère affiliées me sont bien chères aussi : elles appartiennent à notre famille (Lettre 254.9). Et neuf jours après, lors de la Présentation de Marie, elle la prie d’offrir à son divin Fils toute sa petite famille conjointement avec Elle. (Lettre 256.2)

Désormais l’expression fait partie de son vocabulaire et on la retrouve bien des fois sous sa plume pour désigner, dans la période suivante, soit la Congrégation, soit les affiliées.

Le même élargissement et la même préoccupation, Adèle les partage avec le Père Chaminade. La famille de Marie, cette Eglise à visage marial, était devenue le but de leur zèle apostolique. C’est ce qui confie le fondateur à des Congréganistes, en 1825 : par la grande miséricorde de Dieu sur moi et sur les autres, depuis longtemps, je ne vis et je ne respire que pour propager le culte de cette auguste Vierge, et faire ainsi tous les jours s’accroître et se multiplier sa famille. (Lettre381) Aujourd’hui, nous sommes invités par le Concile Vatican II et le très beau chapitre 8 de Lumen Gentium, à penser l’Eglise universelle comme la famille de Marie. N’en a-t-elle pas été proclamée la Mère ?

III – Épanouissement marial dans le vie religieuse

Abordons la troisième époque de la vie d’Adèle. Depuis le 25 mai 1816, la voici devenue, dans la petite communauté d’Agen Mère Marie de la Conception. Les 430 lettres de cette dernière époque présentent de multiples allusions mariales. Les lettres écrites entre juin 1816 et septembre 1820 sont de loin les plus vivantes, car elles s’adressent à des amies restées dans le monde et chargées de continuer son œuvre, la Congrégation mariale. Désormais Marie et sa Congrégation ne font plus qu’un. C’est comme si nous disions : Marie et les fraternités. Leur extension et leur dynamisme missionnaire font la grande joie de Mère Marie de la Conception.

A – Joie de l’extension de la congrégation mariale

Commençons par la correspondante la plus illustre de cette époque : Sainte Emilie de Rodat, la fondatrice de la Sainte Famille de Villefranche de Rouergue. Leur correspondance débute avec la lettre n°334, du 21 juin 1819. D’emblée, Mère Marie lui dit : Notre principale œuvre est la formation et le soutien de la Congrégation. Vous ne sauriez croire le bien que produisent ces Congrégations ! Suivent bien des détails, puis la conclusion : Oh ! Madame, faisons aimer et honorer Marie et par là, nous sûres de faire aimer et servir notre Céleste Epoux ! Pardon, Madame ; mais le zèle rend hardi… Voilà. Quand elle parle de la Congrégation, elle est intarissable. C’est l’œuvre de son cœur.

Très vite se fait jour le désir d’établir la Congrégation mariale à Villefranche : Ne sommes-nous pas bien heureuses d’établir la dévotion à Marie d’une manière si spéciale ? (Lettre 296.7) Quelle explosion de joie au mois de septembre 1820 : Voilà donc la Congrégation établie à Villefranche ; que je suis contente ! (Lettre 406.6) Moins d’un an après, on apprend que cette Congrégation compte 200 personnes. Un exploit !

Autre exemple. Mélanie Figarol, fille d’un magistrat, suit son père au gré de ses mutations. Grâce à ces déplacements, la Congrégation sera fondée à Tarbes et à Pau.

A peine installée à Tarbes, Mélanie reçoit une lettre d’Agen, datée du 29 mai 1817. Mère Marie lui demande si elle a quelque espoir d’arborer les étendards de Marie dans la ville. Suivent les encouragements de la zélée supérieure : ramassez, tâchez d’assembler des jeunes cœurs sous les étendards sacrés de la Reine des vierges, de mettre leur innocence et la vôtre à l’abri de son Nom ! (…) Unissons nos efforts pour arracher au démon ses victimes, pour donner des cœurs à Jésus et à Marie. (Lettre 320.2-3)

Fin février 1818, la Congrégation est née à Tarbes : combien votre lettre nous a fait de satisfaction en voyant que l’empire aimable de Marie va s’établir à Tarbes, et qu’une intéressante jeunesse va s’enrôler sous ses saints étendards ! (Lettre 324.2) Une lettre de l’époque de la Pentecôte ajoute ce souhait : qu’un grand nombre de jeunes personnes viennent se ranger sous les bannières sacrées de Marie et renouvellent par leur ferveur les beaux jours de l’Eglise naissante. (Lettre 325.3)

En 1821, Mélanie, avec ses parents, est à Pau. Suite à une mission locale et avec l’appui des missionnaires, la Congrégation vient de s’établir : 80 jeunes personnes et 60 dames de la retraite sont inscrites. (Lettre 433.9)

Il fallait du temps pour organiser la Congrégation partie en flèche durant la mission. Dans sa lettre du 6 mai 1822, Mère Marie exprime sa joie et participe à la fête par ses précisions et autres conseils.

Marie a donc triomphé de l’enfer, ma très chère sœur, son étendard est arboré dans Pau, du moins je l’espère, d’après ce que vous me mandez. Mais faut-il s’en étonner. Elle doit écraser la tête du serpent infernal !

Il faut, comme vous le pensez, être vêtue de blanc et avoir un cierge le jour où l’on est reçue, ou, pour mieux dire, où l’on se consacre. Car, c’est une consécration de nous-mêmes à la Très Sainte Vierge : elle devient réellement notre Mère et nous devenons ses enfants ! (…) Que de grâces découlent de ce glorieux titre ! On n’y voit guère de jeunes personnes qui n’aient reçu à cette époque des grâces particulière. (Lettre 469.2-3)

Rarement Mère Marie de la Conception a si bien explicité la consécration à Marie dans la Congrégation. Ses enseignements sont comme l’écho de la première lettre que le Père Chaminade lui écrivit, fin 1808. Quelle forte impression a-t-elle dû produire, cette première lettre, puisque, 14 ans après, elle revient presque textuellement sous la plume de la fondatrice.

B – Prolonger l’action maternelle de Marie

Il est aisé de relever nombre d’expressions à résonance militaire, lorsque Mère Marie décrit l’action des Congréganistes, même des jeunes filles et femmes. Le même vocabulaire se retrouve sous la plume du Père Chaminade. Il est d’époque. Permettez que je n’y insiste pas, bien qu’il ait toute sa valeur et que la vie reste un combat, comme il est dit dans le livre de Job.

Je me permets de souligner ici comment la découverte de la maternité spirituelle de Marie, grâce à la Congrégation de Bordeaux et au Père Chaminade, a porté ses fruits en cette troisième époque, celle de la vie religieuse. Il s’agit souvent d’allusions, rarement de longs développements. Durant l’Avent de 1821, Mère Marie évoque cette maternité : Quel bonheur de préserver des jeunes cœurs des griffes du démon en les mettant dans le giron de Marie. (Lettre 467.7).La fondatrice contemple Jésus dans le sein de Marie et elle tire de cette contemplation une manière maternelle d’agir envers les autres.

Le temps de l’Avent semble bien avoir été pour Mère Marie un temps marial privilégié. Le sein de Marie, expression chère à nos Fondateurs, devient ce cœur de Marie où elle accueille et porte avec une maternelle sollicitude tous ses enfants pour les former à la ressemblance de son divin Fils. De là à voir sa propre de vie de dévouement comme une maternité spirituelle, à l’exemple de Marie et en participation avec elle, il n’y a qu’un pas que Mère Marie de la Conception a souvent franchi. Il lui arrive d’évoquer sa Petite Société qui est restée si chère à son cœur. Elle se demande alors pourquoi et répond : Parce qu’elle fut les prémices de ma maternité et le principe de mon bonheur (Lettre 338.4). Ceci, en 1819, dans une lettre au Père Chaminade.

A Mère Thérèse Yannash, supérieure de la récente communauté de Tonneins, elle confie, après avoir évoqué Sainte Thérèse d’Avila, sa patronne : Oh ! Ma chère sœur, que c’est une grande charge d’être Mère (…) mais le bon Dieu ne donne pas des enfants spirituels, sans donner abondance de lait pour les nourri. Mais, pour cet effet, prenons nous-mêmes une bonne nourriture par l’oraison, la récollection, l’union à Dieu ! (Lettre 458.3)

Il faut avouer que cette manière de voir la participation à la mission de Marie convient mieux à des femmes que le langage militaire qui eut cours à l’époque de Napoléon. Faut-il rappeler que le Concile Vatican II, en Lumen Gentium, oriente toute l’Eglise vers une vision maternelle de toute action apostolique ? (n°65, fin)

Il faut terminer cette trop rapide évocation de la vie mariale de Mère Marie de la Conception. Je le ferai en la rejoignant vers la fin de sa vie. Depuis 1824, le noviciat est installé à Bordeaux, rue Mazarin. La formation des novices lui tenait à cœur. A Mère Louis de Gonzague Poitevin, la maîtresse des novices, elle écrit, le 13 novembre 1826 : Je suis souvent occupée du cher noviciat de la rue Mazarin et de la chère Mère. Mais j’ai confiance qu’il sera protégé de Marie. Il me semble que nous n’avons pas eu encore assez de dévotion envers la Très Saint Vierge : il faudrait l’inculquer davantage dans le cœur de nos enfants. Faire tout au nom de Marie. Demandons de vraies vocations par l’intercession de Marie ! (Lettre 688.3)

Nul découragement n’est exprimé ici, mais la fondatrice perçoit de façon plus aigüe, à la fin de sa vie, toute l’importance de Marie pour la croissance de l’Institut. Elle évoque la protection de Marie ; la confiance qu’elle a toujours eue en la Mère de Dieu, devenue notre Mère ; l’amour-dévouement qu’elle a vécu avec un zèle admirable et qu’elle veut laisser comme testament à ses novices qui sont les futures religieuse. Puis jaillit de sa plume cette expression, qui, à la fin d’un parcours de 21 ans, résume sa vie mariale à une formule de plénitude : Faites tout au Nom de Marie !

Avec Adèle de Trenquelléon, nous sommes partis d’une Petite Société dans laquelle l’amour de Dieu était le seul lien et Marie sa protectrice ; nous aboutissons, à la fin de cette trop brève existence, à un Institut religieux qui veut tout faire au Nom de Marie, pour la gloire du Seigneur !

 

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