Les fondateurs de la société de Marie

QUI étaient les premiers fondateurs de la Société de Marie ? Inutile d’évoquer ici le Père G.-Joseph CHAMINADE que les lecteurs de MARIANISTES connaissent déjà.

Une rapide incursion dans nos Archives permet de vous présenter au­jourd’hui les cinq hommes qui ont décidé ensemble, après une retraite spéciale faite à Saint-Laurent, le domaine du P. Chaminade à Bordeaux, la fondation officielle de la Société de Marie; ce fut le 2 octobre 1817.

L’on sait que le 1″ mai précédent, M. Jean Philippe Auguste LALANNE s’était mis totalement à la disposition du P. Chaminade. Les deux hommes échangèrent leurs confidences sur la vie religieuse à créer en un temps où robes et soutanes de Religieux n’osaient guère se montrer si elles n’étaient pas attaquées ou décriées.

Après cette entrevue, « jour grandement mémorable » ([1]), la confidence faisait son chemin. M. LALANNE en parla à son collègue et ami Jean-Baptiste COLLINEAU et CHAMINADE en fit part à MM. Bruno DAGUZAN, Auguste PERRIERE et Dominique CLOUZET. Tels sont les cinq hommes qui vont retenir notre attention.

L’enfant terrible : Jean Philippe Auguste Lalanne (1795-1879)

La Société lui doit en partie son origine. N’a-t-il pas fait le 1er mai la démarche qui a tout déclenché ? Ce Bordelais intelligent et toujours en recherche n’avait cependant pas pris la décision à la légère.

En 1807, il avait 12 ans, l’âge minimum requis pour se faire inscrire à la section es jeunes de la Congrégation mariale que le P. Chaminade avait formée sur Bordeaux après son retour d’exil, en 1800. Des études brillantes au Lycée lui permettent de s’orienter vers la médecine. Il précise lui-même : « Chirurgien interne à l’Hôtel-Dieu de Bordeaux » ([2]). A 18 ans, il part pour Paris et le voilà au Collège Stanislas dont il sera plus tard le prestigieux Directeur. Les études littéraires et scientifiques qu’il y poursuit, lui donnent une large culture et il pourra annoter plus tard le bulletin per­sonnel qui demandait ses compétences dans les diverses matières : « Un peu de tout ! » A Stanislas il prit aussi la décision de s’orienter vers l’état ecclésiastique et il pensait entrer dans la Compagnie de Jésus.

A vingt ans, de retour à Bordeaux, il se présente comme un « laïque très pieux, l’un des plus anciens Congréganistes et qui fut ensuite du petit nombre de disciples se­crets » ([3]). Il s’engage comme Préfet des études à l’Institution de M. ESTEBENET, futur Jésuite, et commence sa carrière d’éducateur : première orientation définitive, car toute sa vie il va la dédier à former les jeunes, malgré un très grand attrait pour la pré­dication.

C’est aussi le moment d’une plus généreuse ouverture à Dieu et le P. Chaminade en 1818, pourra lui rendre ce témoignage : « Ce jeune homme a fait de très grand: progrès dans la vertu surtout depuis deux ans ans » ([4]).

La seconde décision définitive de sa vie, il l’exprima donc ce ler mai 1817. Les cheminements secrets en furent longs et complexes. Le milieu de l’Institution Estebenet n’y est pas étranger. Les jeunes éducateurs qui l’animaient étaient pour la plupart en recherche de vocation et s’entendaient fort bien : deux autres : MM. COLLINEAU et PERRIÈRE allaient faire partie du noyau primitif de la Société de Marie et deux futurs évêques appartenaient à ce groupe. Tous cherchaient conseil auprès du P. CHA INADE, mais tous ne devinrent pas pour autant Marianistes : le Fondateur respectait trop les appels individuels.

La première communauté se constitue (1817-1818)

Cette ouverture du 1er mai déclenche tout un mouvement de générosité parmi le meilleurs Congréganistes et fin septembre les cinq premiers se réunissent pour une retraite. Elle s’acheva le 2 octobre. « Ils déclarèrent tous ce jour-là que leur résolution était prise, et qu’ils se croyaient appelés de Dieu, non seulement à renoncer au monde, mais encore à travailler de tout leur pouvoir à procurer l’établissement de l’Institut projeté ».([5]).

A partir de cette date, de huit jours en huit jours, les fondateurs se rencontrèrent et de ces entrevues se dégagèrent progressivement les points constitutifs qui sont toujours des principes premiers pour nous, Marianistes :

  • Il s’agit de créer un véritable Ordre religieux dans toute la ferveur de l’Église primitive.
  • Ce corps religieux sera mixte, c’est-à-dire composé à la fois de prêtres et de laïcs tous également religieux.
  • Les œuvres principales seront l’éducation de la classe moyenne, les missions, les retraites, les Congrégations mariales à créer.
  • L’on ne fera aucune propagande autour de cette fondation.
  • Surtout, cet Ordre religieux est sous la protection et comme la propriété de la Sainte Vierge ([6]).

Dans le groupe, seul M. LALANNE portait l’habit ecclésiastique. Il fut établi par M. CHAMINADE comme « directeur spirituel et chargé de rédiger les règlements, les formules de prière, etc. » ([7]). Il s’en acquittait avec beaucoup de conscience et composa même, cette année-là, des « Exercices Spirituels » ([8]), dont on s’inspire encore actuellement pour la formation des novices et des jeunes Religieux Marianistes.

L’entrée en communauté au « cul de sac de la rue Ségur, n° 14 » ([9]) ne se fit que progressivement. Le 24 novembre, M. CHAMINADE bénit la maison et le lendemain M. Auguste PERRIÈRE s’y installa d’abord tout seul. Les autres suivirent, dès qu’ils purent se libérer. M. LALANNE y arriva le 10 mai 1818.

Monsieur Lalanne comme marianiste (1818-1879)

Dès l’ouverture de la Pension Sainte-Marie (le premier Collège Marianiste), en mai 1819, M. LALANNE y fut professeur. Après un an passé au Grand Séminaire de Bordeaux, il fut ordonné prêtre en décembre 1821, puis revint à Sainte-Marie. Le P. CHAMINADE lui demanda, en 1825, d’assurer à la Madeleine la formation des futurs prêtres de la Société de Marie.

Un an après, son champ d’action va se déplacer. Le Fondateur partant visiter les œuvres du Nord-Est de la France, emmène M. LALANNE. Un journal local écrit plaisamment le lendemain de ce départ que le Général Chaminade était allé en tournée, accompagné de son aide de camp ([10]). Remarque qui témoigne de l’importance des deux hommes à Bordeaux et de leur degré d’union et de collaboration.

Il n’en sera plus ainsi désormais et M. LALANNE, loin de Bordeaux et du Fonda­teur, prit des libertés et fit des dépenses qui le mirent un moment (1845 – 1855) hors de la Société de Marie. Il partit pour Paris et fut nommé directeur de la section ecclésiastique de l’Institut Catholique (actuellement le Séminaire des Carmes). Au nom de la Société de Marie, qu’il introduisit à Paris en 1852, il assuma, en 1855 la direction de son ancien Collège Stanislas qui n’avait plus que 120 élèves.

Grâce à ses dons variés et à son génie d’éducateur, il remonta le Collège Stanislas avant de consacrer ses dernières forces à créer un autre « Stan » à Cannes. Enfin il fut nommé Inspecteur, pour la Société de Marie, de l’enseignement secondaire.

LALANNE, malgré de multiples malentendus qui causèrent bien des peines au Fondateur, fut malgré tout profondément son disciple. Le Père CHAMINADE forma en lui une foi profonde et une virile dévotion à Marie : toute sa vie, M. LALANNE portera sur sa poitrine son acte de consécration à Marie fait comme Congréganiste à Bordeaux. Et ses sentiments par rapport à la Société il les exprima un jour ainsi : « J’ai pris naissance avec elle; mon existence dans la vie spirituelle et religieuse est attachée à la sienne; m’en séparer, c’est mourir ! » ([11]).

Le disciple malchanceux, mais fidèle : Jean-Baptiste Collineau (1796- 1852)

Il était d’un an plus jeune que son ami LALANNE. Bordelais comme lui, d’une famille aisée, il était lui aussi, ardent congréganiste dès son jeune âge. En 1818, il en fut même le préfet, c’est-à-dire le premier dignitaire et animateur principal.

Professeur à l’Institution Estebenet en 1817, il voulait s’orienter également vers le sacerdoce. Les temps n’étant pas favorables, il patientait… et enseignait malgré son peu de goût pour ce genre d’apostolat.

Après l’entrevue mémorable du 1er mai, Lalanne s’en ouvrit à Collineau qui « ac­cueillit la proposition sans objection et y souscrit de prime abord. Cette facilité ne lui était pas ordinaire » ([12]).

Son entrée dans la communauté primitive, impasse Ségur, ne se fit que le 25 août 1818, car ses parents s’étaient un temps « opposés avec énergie à une vocation qui les étonnait et les alarmait » ([13]). Il arriva avec le désir nettement exprimé de devenir prédicateur de missions intérieures à la suite desquelles on établirait la Congrégation mariale pour les laïques à l’exemple de celle de Bordeaux.

En attendant il fallait se préparer à la vie religieuse et, en 1821, au sacerdoce. « On sollicita vainement l’Archevêché pour obtenir une dispense. Le Conseil était trop opposé à M. CHAMINADE pour accorder cette faveur, qui eut été une sorte d’appro­bation d’une entreprise qu’il blâmait en secret. Le fondateur n’avait d’autre appui que le saint archevêque, Mgr d’Aviaud, qui faisait taire toutes les objections de ses chanoines, en leur disant : « Eh ! laissez-le faire; il ne leur fera pas commettre de péché mortel ! » ([14]) L’abbé COLLINEAU fit donc un séjour d’un an hors de la com­munauté, au Grand Séminaire.

Après son ordination, en 1822, M. CHAMINADE put répondre à une demande arrivée de Villeneuve-sur-Lot : pour y sauver le Collège, et vu le succès des premiers Frères à Agen, on fit appel à la Société de Marie naissante. M. COLLINEAU y fut donc envoyé; « il n’accepta qu’avec une certaine répugnance, car il était de ceux qui, en entrant dans la Société, n’avaient en vue que la prédication et les Congrégations » ([15]).

En bon Religieux, il s’y rendit et réussit, en un premier temps, à relever le Collège. Malheureusement et de plus en plus, le « Principal » se fit prédicateur et les élèves chahuteurs : désordre et indiscipline s’introduisirent au collège. Pour M. COLLINEAU qui avait trop suivi sa pente naturelle, ce fut un échec. Il fut rappelé à Bordeaux, en 1827, et travailla un temps à la Pension Sainte-Marie puis fut choisi par le Fondateur comme premier Assistant devant s’occuper du spirituel. Le P. CHAMINADE pensait ainsi lui donner l’occasion de se réaliser davantage dans le sens d’un apostolat spi­rituel. Il n’en fut rien et l’abbé COLLINEAU sortit de la Société de Marie en 1832, relevé de ses vœux par Mgr de Cheverus, Archevêque de Bordeaux qui le nomma Cha­noine honoraire de sa cathédrale puis, en 1835, curé de Saint-Louis de Bordeaux.

COLLINEAU resta très attaché à la personne du P. CHAMINADE à qui il administra les derniers sacrements, en 1850.

Selon le témoignage de M. CANETTE, sm., qui vécut à cette époque, M. COLLI­NEAU eut des remords de sa sortie de la Société. « Il fit en esprit de pénitence le pèlerinage à Jérusalem. A peine arrivé en Terre Sainte, M. Collineau mourut » ([16]).

Un religieux sans complications : Bruno Daguzan (1789- 1831)

Lui aussi était fils d’une honorable famille bourgeoise de Bordeaux. Se décider à 28 ans à s’engager dans la vie religieuse n’est plus chose aisée. Depuis 1815, il avait pris contact avec la Congrégation et appartenait à ce groupe de fervents qui avaient déjà fait des vœux privés tout en restant simples membres de la Congrégation mariale des laïcs. Il était commerçant, comme M. CLOUZET.

CHAMINADE savait sa générosité. Aussi M. DAGUZAN fut-il un des premiers à qui le Fondateur s’ouvrit de ses vues sur la fondation à réaliser et sans hésiter M. DAGUZAN se déclara prêt à y concourir. Il s’adjoignit au groupe primitif, décida avec eux, le 2 octobre 1817, de la fondation de la Société de Marie, émit le 11 décembre, avec ses compagnons, les vœux privés dans la sacristie de la chapelle de la Madeleine, l’oratoire où M. CHAMINADE exerçait l’essentiel de son ministère de confession, d’encouragement et de formation spirituelle. Le moment difficile semble avoir été pour M. DAGUZAN le départ définitif de sa famille, durant le carême de 1818, pour rejoindre MM. Auguste et Clouzet à l’impasse Ségur.

« Les plus fâcheuses nouvelles sur la religion », circulaient alors. Le P. CHAMINADE le note dans une lettre, neuf ans après l’événement ([17]).

Après le transfert de la communauté à la rue des Menuts, M. DAGUZAN se vit confier la responsabilité du matériel : pourvoyeur, linger, infirmier, sacristain, bref homme à tout faire au service de ses Frères. C’est ainsi qu’il se dévouera jusqu’à sa mort, à Saint-Laurent, en 1831. Religieux discret, distingué et très dévoué, il put réaliser dans la Société de Marie son idéal de sainteté à l’exemple de saint Joseph.

Le premier chef de communauté : Auguste Brougon-Perrière (1792 – 1874)

On trouve ce Bordelais, en 1808, comme enseignant au Collège de Figeac où tra­vaillait aussi Hyacinthe LAFON, ancien préfet de la Congrégation Mariale de Bordeaux. Ce LAFON, qui eut une vie orageuse entre son diaconat reçu avant la Révolution et la prêtrise qui lui fut conférée en 1826, était malgré tout pour le P. CHAMINADE un homme providentiel. Grâce à lui, Mademoiselle de TRENQUELLEON, future Fon­datrice des Filles de Marie Immaculée, fut mise en rapport avec le P. CHAMINADE; et en cette même année 1808 il fit agréger à la Congrégation de Bordeaux la plupart de ses collègues de Figeac, dont M. PERRIÈRE.

Revenu à Bordeaux, ce dernier devint actif Congréganiste en même temps qu’il enseigna à l’Institution de M. ESTEBENET et se trouva donc être collègue de MM. LALANNE et COLLINEAU. Par M. CHAMINADE lui-même il est mis au courant des projets de fondation et « déclara vouloir se dévouer avec ses deux amis » ([18]). Ils formèrent en quelque sorte le noyau primitif et « tous les trois étaient regardés comme des hommes capables et d’un certain avenir » ([19]).

Auguste, comme on l’appelait familièrement, étant le plus âgé des trois, fut nommé « Chef de la Petite Société » ([20]). Libre du côté familial, il possédait « une maison située à Bordeaux, Cours du Jardin Royal, un bien de campagne, situé à Mélac, avec la récolte (de vin) d’une année, et un peu d’argent, je ne saurais dire combien » ([21]).

Responsable du petit groupe, il se chargea de louer la maison, 14, impasse Ségur, et il vint s’y installer le premier, le 25 novembre 1817. Cette habitation, bénie la veille, comportait, avec un jardin, cinq pièces qui furent aménagées comme suit : chapelle, salle commune, dortoir, salle à manger, cuisine. Cette dernière était particulièrement dépourvue et le cuisinier « faisait rôtir sa viande en la suspendant à la cheminée au moyen d’une ficelle » ([22]).

De fait M. Auguste avait adopté les projets du Fondateur sans réticences : « En entrant dans la Société, je me donnai à elle, pour y vivre et y mourir, sans faire aucune condition, sans en recevoir non plus, sans penser même qu’il y en eut à faire; et conséquemment sans examiner et sans me faire expliquer les articles du code, seulement, et c’était un effet de la confiance que j’avais en M. CHAMINADE; je me liai par des engagements sacrés pour une œuvre qui avait été définie » ([23]).

Il fallait rappeler ces faits et ces dispositions pour comprendre la suite de son com­portement. Chef à l’Impasse Ségur, il le fut aussi au 46, rue des Menuts où la Com­munauté se transporta en novembre 1818. Pour l’année suivante, l’Académie lui octroya le titre de Chef de Pension et la Société de Marie ouvrit la « Pension Sainte-Marie » à la même adresse.

La gestion financière de M. Auguste, et même sa vie religieuse, laissaient à désirer au jugement du Fondateur. Des tensions surgirent qui devinrent de grandes difficultés et, pour finir, un dialogue de sourds. M. Auguste eut recours à Mgr de Cheverus. L’Archevêque finit par relever le Religieux de ses vœux et M. PERRIÈRE quitta la Société de Marie en 1832, en même temps que M. COLLINEAU. Ces difficultés financières s’embrouillèrent : qui allait payer les dettes qui n’avaient pas toujours été contractées en accord avec l’autorité ? Il fallait trouver une solution et s’en remettre à un arbitre. Les négociations furent longues et difficiles. Ce sont elles qui suscitèrent pour une grande part les incroyables souffrances du P. CHAMINADE entre 1841 et 1849.

L’homme de confiance : Dominique Clouzet (1789 – 1861)

Originaire de la Haute-Garonne, il était né le 12 septembre 1789 à Sarremezan. Bordeaux avait attiré ensuite sa famille. Le teint clair de ce grand jeune homme blond et doux révélait un tempérament lymphatique mêlé de sanguin, une sensibilité qui pouvait s’exacerber à l’occasion et M. CHAMINADE l’apprit à ses dépens à plusieurs reprises.

Son métier l’avait déjà profondément marqué lors de son entrée en communauté, le 25 décembre 1817. Il s’était occupé de divers commerces et tout semblait lui réussir : la vie et l’avenir lui souriaient.

A Bordeaux, il avait fait connaissance avec le P. CHAMINADE et s’était fait admettre à la Congrégation mariale en 1814. Ainsi s’étaient développés en lui l’esprit de foi et le sens du dévouement aux autres. Il s’exprimait avec lenteur et dignité, ce qui n’était pas sans rappeler le P. CHAMINADE lui-même.

Les faits allaient illustrer la confiance du Fondateur en cet homme d’élite. En 1821, le noviciat de la « petite Société » devait se transporter de la rue des Menuts à Saint-Laurent, le domaine personnel du P. CHAMINADE, et c’est M. CLOUZET qui fut chargé de diriger les travaux d’aménagement, en quoi il fit preuve d’une grande aptitude pour l’administration temporelle. Puis il fut chargé de la direction même du noviciat.

En 1823, un autre fait montre la confiance du Fondateur en M. CLOUZET. Le secrétaire du P. Chaminade, avocat récemment converti, ancien ami et émule de Girondins, ministre secret de Louis XVIII sous le Directoire, M. David MONIER avait été envoyé en Haute-Saône pour négocier un « don » de l’Abbé BARDENET à la jeune Société de Marie. Ce don était une « ruine », un ancien château entouré d’une vaste propriété en friche qu’offrait le Missionnaire diocésain. M. David en fit son affaire et son château ([24]).

La Haute-Saône était loin de Bordeaux. Le P. CHAMINADE constitua une commu­nauté de cinq Religieux et les confia à M. CLOUZET. Départ, le 18 juillet, pour un voyage de quinze jours à travers la France. Ils arrivèrent fatigués, exténués de privations de toute nature ([25]). Il leur restait seulement six francs pour s’installer dans un vaste local absolument dépourvu de tout, même de beaucoup de portes et de fenêtres. Pour ces méridionaux, l’hiver sur ce plateau balayé par le vent fut un supplice. Sous la direction judicieuse de M. CLOUZET, ce désert refleurit et Saint-Remy devint une des plus importantes œuvres marianistes : école primaire, pensionnat secondaire, re­traites aux instituteurs, école normale (parmi les premières en France), école « d’arts et métiers » (prélude à notre enseignement technique, grâce aux Frères-ouvriers), école d’agriculture, ferme modèle et communauté ouvrière.

Nommé en 1839 Econome général, M. CLOUZET remplit cet office jusqu’à sa mort en 1861, assurant à la Société de Marie son existence temporelle au prix d’un dévoue­ment continuel et d’exigences contre lesquelles ses confrères avaient quelquefois le droit de protester : les premières difficultés de Saint-Rémy l’avaient trop marqué.

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Tels sont les cinq fondateurs de la Société de Marie. Cette équipe de jeunes gens, en 1818, quand les uns et les autres avaient pu rejoindre l’Impasse Ségur, était bien éloignée de l’image que le peuple d’alors pouvait se faire d’une communauté reli­gieuse. En attendant, chacun avait gardé son travail ordinaire. Ils étaient heureux de se retrouver à midi et le soir. « Modestes, simples, naturels, ils n’avaient aucun de ces airs tristes et renfrognés, rien de ces enveloppes qui caractérisaient autrefois les personnes de l’ordre monastique; une douce gaieté, de l’affabilité et de l’aisance dans les manières rendaient leurs rapports et leur personne avenante et agréable à tous ceux qui les abordaient, et particulièrement aux enfants » ([26]).

Cette nouveauté de futurs Religieux non enfermés, allant chaque jour à leurs occu­pations, était une des audaces du P. CHAMINADE. Du lundi 31 août au samedi 5 septembre 1818, la communauté, qui avait accueilli entre temps deux nouveaux membres, fit une fervente retraite qui s’acheva par les vœux officiels des sept pre­miers Religieux Marianistes. En novembre 1818, en déménagea de l’Impasse Ségur pour occuper à la rue des Menuts le N° 46, maison à trois étages qui allait devenir la Pension Sainte-Marie, premier établissement scolaire Marianiste.

Dans la pensée du P. CHAMINADE ces débuts étaient l’œuvre de Dieu en train de prendre forme : « J’ai confiance, écrivit-il à son Archevêque avant la retraite de 1818, que Dieu, dans sa miséricorde, accomplira le dessein qu’il a daigné m’inspirer, malgré toute mon imperfection » ([27]). Et un peu plus tard, il confie ses vues d’avenir à un autre ami qui l’avait beaucoup encouragé et lui avait envoyé des prêtres et des laïcs : « Ce n’est pas l’Institution de Bordeaux, c’est l’Institution religieuse de tous les pays chrétiens, dont le berceau s’est formé sous vos auspices » ([28]). Ne fallait-il pas être véritable homme de Dieu, confiant dans sa mission, pour tenir pareil langage devant une œuvre qui ne reposait encore que sur une poignée de jeunes gens?

NOTES

[1] Lettres de M. Chaminade, impr. Havaux, Nivelles, t. III, No 686, p. 289, lettre à M. Lalanne du 6 mai 1833.
[2] Notice historique sur la Société de Marie, Saint-Cloud, 1858, p. 5. La Notice est anonyme; elle est l’œuvre de M. Lalanne lui-même. Voir aussi une notice biographique sur lui : Lettres de M. Chaminade, t. I, p. 260.
[3] Notice, D. 5.
[4] Lettres, t. I, No 98, p. 174, lettre du 10 juin 1818 à Mère de Trenquelléon.
[5] Cahier Boby, p. 7, Archives de la S. M., boîte 17.
[6] Ibidem, p. 7.
[7] Société ou Institut de Marie, fondé à Bordeaux…, article de M. Lalanne dans le Dictionnaire des Ordres Religieux, Migne.
[8] Ecrits de Direction, t. I, pp. 159- 238.
[9] Adresse d’une lettre de M. Louis Chicon à M. Lalanne du 19 octobre 1818
[10] Notice, p. 32.
[11] Texte de 1837, cité dans Lettres de M. Chaminade, t. I, p. 261.
[12] Notice, p. 7. Voir aussi quelques notes biographiques dans : Lettres, t. p. 222, note
[13] Société ou Institut de Marie, ibid., p.3
[14] Notice, pp. 15 – 16. (11)
[15] Notice p. 16
[16] Archives de la Société de Notice, p. 16.
[17] Lettres, t II, n° 385, p. 164. Voir aussi notice biographique, ibid., p. 164
[18] Notice, p. 7. Voir aussi dans Lettres, t. I, p. 42, note et p. 211, note. (1″)
[19] Notice, p. 8
[20] Lettres, t. I, No 121, p. 211, à Mère de Trenquelléon, le 25 mai 1819.
[21] 1er Mémoire pour M. Auguste Perrière, du 14 août 1841, p. 1.
[22] 2e Mémoire pour M. Auguste Perrière, du 24 décembre 1841, p. 3.
[23] 1er mémoire; p.1
[24] Notice, pp. 21 – 24. Voir sur M. Clouzet : notes biographiques dans Lettres, I, p. 453.
[25] Voir récit délainé dans : Apôtre de Marie, XV, pp. 443 et suiv.
[26] Notice, p. 17.
[27] Lettres, t. I, No 102, p. 178, à Mgr d’Aviau, le 27 août 1818
[28] Lettres, t.1, n° 104, p. 182, à Mgr Jacoupy, évêque d’Agen, le 21 septembre 1818

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