Introduction
La Règle de St Benoît est restée d’une étonnante actualité, même et surtout au début de notre 21ème siècle. Selon les organisateurs de stages pour les managers et chefs de grandes entreprises, cette « règle distille en fait certains concepts étonnamment modernes, qui font aujourd’hui encore référence en matière de management ». Il est vrai, reconnaît-on, que certains chapitres sont périmés ou sans liens avec l’entreprise. D’autres, par contre… : ex. : ce qui est demandé par saint Benoît à l’Abbé d’un monastère serait exactement ce qui est demandé au manager d’aujourd’hui.
Qu’en était-il au temps de Chaminade ?
Une contrainte : le décret n° 13 du 4ème concile du Latran (30 novembre 1215) stipule : « Quiconque veut fonder une nouvelle maison religieuse doit recevoir la Règle et l’institution des Ordres religieux approuvés ». Or, depuis 817, la Règle qui s’imposait en Occident était la Règle de saint Benoît. Comme nous le verrons dans un instant, le P. Chaminade avait pour cette Règle une vénération particulière. Aussi a-t-il pu écrire au pape Grégoire XVI, le 16 septembre 1838, en lui présentant son projet de Constitutions pour ses deux ordres religieux, FMI et SM, ce qui suit : « Les Constitutions de la Société de Marie, Très Saint Père, et celles de l’Institut des Filles de Marie, développent les fins, les moyens, l’organisation personnelle et le gouvernement des deux Ordres, selon l’esprit de saint Benoît adapté le mieux possible aux immenses besoins du siècle présent. » Et ses biographes diront de lui que, « en conformité avec les canons du 4ème concile du Latran, il modela sa Règle sur celle de St Benoît. »
Voilà qui semble donc bien établi
Après deux ou trois remarques préliminaires, nous ne pourrons bien entendu examiner que quelques points de rapprochement possibles entre la Règle bénédictine et la Règle marianiste, en nous demandant, pour finir, en quoi cela nous concerne aujourd’hui, nous autres Laïcs marianistes.
Remarques préliminaires : influences, sources, enquête
Influences
Il était normal que, comme tout un chacun, G-J Chaminade, subît un certain nombre d’influences dans son jeune âge, influences qui ne manqueront pas de le marquer pour ses fondations à venir.
Relevons d’abord, à Mussidan :
- l’influence du règlement de la Société de St Charles, société de prêtres à laquelle il a adhéré et dans laquelle il a émis les seuls vœux de sa vie, des vœux privés, de pauvreté, chasteté et obéissance, auxquels il demeura fidèle jusqu’à la fin ;
- à Mussidan toujours, il vivait avec son frère, ancien jésuite dont l’ordre fut supprimé par Rome en 1773. Il connaissait donc à travers ce frère la ‘Règle’ de St Ignace et il est reconnu aujourd’hui que cette règle ne fut pas sans l’influencer.
Les sources
On reconnaît donc généralement deux grandes sources à la Règle marianiste :
- la Règle de saint Benoît
- les Institutes de la Compagnie de Jésus
A quoi il convient d’ajouter un certain nombre de textes repris de l’abbé de Rancé (17ème s), le fondateur de la Trappe, réformateur de la ‘Règle’ de saint Bernard de Clairvaux, donc de celle de St Benoît.
L’enquête du P. Chaminade
Durant son séjour espagnol (1797-1800), après l’intuition reçue au pied de ND del Pilar à Saragosse, Chaminade se livra à une véritable enquête :
Il visita des abbayes proches de Saragosse, notamment le monastère trappiste de Santa Suzanna (fondation du monastère suisse de la Valsainte). On dit que sa grande familiarité avec la Règle des Trappistes lui inspirera plus tard des règles spéciales pour la formation des religieux ouvriers, à St Remy, par exemple, qu’on appela d’ailleurs ‘la petite Trappe’.
A présent, Chaminade était prêt pour ses fondations : 1802, la Congrégation ; 1816 : les Religieuses marianistes ; 1817 : les Religieux marianistes. Dès son retour, il travailla avec une ‘impatiente patience’, même s’il ne soumit ses Règles qu’en 1838 à l’approbation du Vatican.
Points de rapprochement possibles
Quelques remarques en ouverture
La première règle a avoir été écrite par le P. Chaminade et soumise à l’évêque d’Agen est celle des Filles de Marie, dès l’époque de la Fondation, en 1816.
Le P. Lalanne, disciple de Chaminade et l’un des premiers religieux de la SM, utilisa le texte des Constitutions des Filles de Marie pour préparer les Constitutions de la Société de Marie, vers 1838.
La règle de saint Benoît, disait-on, sera adaptée à l’époque.
Dans les notes du P. Lalanne, on peut lire ceci : « Faisons donc une association religieuse par les trois vœux de religion, mais sans nom, sans costume, sans existence civile autant qu’il se pourra. Nova bella elegit Dominus. Le Seigneur a choisi de nouveaux combats. Et mettons le tout sous la protection de Marie Immaculée à qui son Fils a réservé la dernière victoire sur l’enfer… Soyons, mon enfant, dans notre humilité, le talon de la femme. » Des mots du P. Chaminade qui éclairent bien le premier projet.
Quelques mots sur la Règle de St Benoît, sa structure (dont le P. Lin n’a pas parlé)
La Règle se compose de 73 courts chapitres et d’un prologue. Le fameux prologue qui commence par ces mots : Ausculte ! fili ! Ecoute, ô mon fils ! Elle mêle conseils spirituels et directives pratiques selon le plan général suivant :
- prologue et chap 1 à 7 = les grands principes de la vie et de la spiritualité monastique
- chap 8 à 20 = la prière et la liturgie
- chap 21 à 57 = la vie journalière dans le monastère
- chap 58 à 61 = l’entrée et l’accueil des novices
- chap 62 à 72 = la discipline nécessaire à la bonne marche de la communauté
- chap 73 = invitation aux moines à approfondir l’Ecriture et les écrits des Pères
La Règle partage la vie du moine entre la prière, la lectio divina (lecture et rumination de l’Ecriture) et le travail (manuel à l’époque). Au centre de la vie monastique se trouve la prière liturgique (l’opus dei ou œuvre de Dieu), « à laquelle rien ne doit être préféré ».
La profession (prononciation des vœux) du moine est une consécration au service de Dieu en même temps qu’un contrat bilatéral passé entre la communauté et un profès qui se lie définitivement à son monastère par le vœu de stabilité.
Tout est centré sur le Christ.
Quelques mots sur la Règle de la SM que nous prendrons en exemple
Si nous examinons à présent la Règle des religieux marianistes dans sa première partie (les Constitutions), nous trouvons ceci :
- chap 1 = nature et fin de la SM ; le fondement : la foi ; rôle de Marie dans notre vie ; communauté en mission permanente ; composition mixte ; consécration par les vœux et stabilité.
- Chap 2 = la vie consacrée: suivre le Christ ; à travers les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance ; vie consacrée et sainteté.
- Chap 3 = la communauté marianiste. Union en JC ; communauté en progrès ; service du gouvernement et de l’autorité.
- Chap 4 = communauté de foi. Foi et prière ; vie liturgique ; l’oraison ; croissance dans la vie de foi.
- Chap 5 = communauté en mission. nature de l’apostolat ; communauté et apostolat ; objectifs et moyens de l’apostolat.
- Chap 6 = appartenance à la SM et formation. Appartenance ; formation des membres ;
- Chap 7 = le gouvernement de la Sm. Structure administrative ; administration des propriétés ; autorité de la Règle.
Si nous y regardons de près et en comparant avec la Règle de St Benoît, nous découvrons beaucoup de ressemblances et seulement deux différences notables :
- la place et le rôle de la Vierge Marie dans la SM. L’Alliance avec Marie en vue de la mission : faire connaître, aimer et servir le Christ.
- la dimension apostolique évidemment, puisque les religieux marianistes ne sont pas des moines (ie des contemplatifs) mais bien des religieux apostoliques.
Un examen plus détaillé ne ferait que confirmer ces observations.
Les principales caractéristiques des fondations chaminadiennes
Les derniers biographes (ex Vasey) du P. Chaminade en distinguent sept :
- un esprit d’adaptation au temps : nova bella elegit dominus !
On trouvera donc une Institution adaptée aux temps nouveaux, aux lieux, aux circonstances et mœurs modernes. - la composition mixte : prêtres et laïcs ensemble et à égalité.
- un système de gouvernement basé sur les trois offices : la prière, l’instruction, les services matériels ou le travail.
- un élan missionnaire : multiplier les Chrétiens.
- une profession religieuse faite au nom de Marie.
- un esprit de famille et un esprit d’égalité.
- la contribution à la mission de Marie.
Si certaines de ces caractéristiques sont spécifiquement marianistes (l’esprit d’adaptation au temps, l’élan missionnaire et la place et le rôle de Marie), nous en retrouverons d’autres dans les points de rapprochement que nous allons esquisser maintenant.
Points de rapprochement possibles
La composition mixte (prêtres/laïcs : ouvriers :enseignants)
« On n’exclut aucune classe sociale – ce qu’on peut considérer comme un retour authentique à l’esprit bénédictin : prêtres et laïcs ensemble dans le même monastère. » (Vasey)
« La vie monastique ne faisait pas de distinction entre un laïc et un prêtre » cf Règle chap 60-62
« Les trois classes distinguées de la SM (ouvriers, enseignants, prêtres) ne forment réellement qu’un seul corps, tels qu’étaient pendant plusieurs siècles les enfants du grand saint Benoît, que les enfants de Marie aiment à regarder spécialement comme envoyés de Dieu pour peupler l’Europe de nombreuses colonies de vrais religieux ». (Lettre de Chaminade 1838)
Un système de gouvernement basé sur les trois offices:
Nous avons trouvé dans la Règle de St Benoît une vie fondée sur la prière, l’étude et le travail. De même le P. Chaminade a-t-il retenu pour ses fondations un système de gouvernement fondé sur les trois offices : le zèle (la prière), l’étude et le travail. A l’AG, il y a toujours trois assistants du Sup Gén qui s’occupent, l’un du zèle (vie de prière), l’autre des études (ou de l’instruction) et le troisième du travail. Tout au plus y a-t-il eu dans ce domaine une extension au système de gouvernement (absente chez Benoît de Nursie).
Un esprit de famille
L’esprit de famille et l’esprit d’égalité étaient déjà très développés dans la règle de St Benoît : humilité devant le frère (dont a parlé le P. Lin), obéissance mutuelle, disponibilité à ses besoins, respect de ce qu’il est, de ses spécificités, de ses faiblesses éventuelles… On trouve cet esprit de famille et cet esprit d’égalité encore plus développés chez Chaminade grâce à la présence de Marie et à cause d’elle.
Importance du silence
Parlant du silence, le P. Lin nous disait que, dans la Règle de St Benoît, le silence permet le retour de l’homme aux profondeurs du cœur, aux sources de la prière ; qu’il dispose à l’écoute, au respect de l’autre, de son secret, de son cheminement, qu’il est un refus de la superficialité et du factice. De même Chaminade évaluait-il volontiers la ferveur d’une communauté à l’aune de sa fidélité au silence.
Dans son ‘Système des vertus’, au chapitre des vertus de préparation, Chaminade parle des cinq silences (parole, comportement, esprit, mémoire, passions) qui favorisent la maîtrise de soi, le recueillement et le support des mortifications, comme moyen « d’humanisation et de divinisation des difficultés inhérentes à la vie humaine ».
L’esprit de pauvreté
Essentiel chez St Benoît et chez Chaminade. Pour lui comme pour St Benoît, la propriété d’une famille religieuse est consacrée à Dieu. Ce qui attire les bénédictions, disait Chaminade, l’amour de Dieu sur les communautés religieuses, c’est l’esprit de pauvreté. Au nonce du pape, en 1845, il écrit ceci : « J’ai toujours voulu leur représenter que le vœu de pauvreté n’était pas seulement individuel, mais qu’il était collectif ; que toute la Société de Marie faisait collectivement vœu de pauvreté. »
Importance de la foi
Vitale, on s’en doute, chez les deux fondateurs. Chaminade par exemple disait que la force motrice de sa vie est la foi. « L’esprit de notre société est un esprit de foi », dit-il dans une de ses lettres. On pourrait ici multiplier les citations. Ne retenons que le « Forts dans la foi » qui figure sur nos médailles de consécration-alliance.
La stabilité
A propos de la stabilité, un développement des plus intéressants de Sr Marie-Joëlle BEC :
Que dit donc saint Benoît à propos du vœu de stabilité ?
« Par le vœu de stabilité, le moine s’engage à rester attaché à sa communauté dès le moment de son entrée. »
Ce mot de stabilité vient de stare. Au sens littéral de la Règle de saint Benoît, il signifie permanence dans le monastère, fixité, incorporation pour toujours dans une famille.
Le sens spirituel se révèle aussi très riche. Le terme latin « stabilitas » vient du sanscrit « sta » qui signifie être debout. La position verticale de l’homme fut toujours comprise comme le symbole de l’exceptionnelle situation de cet être mystérieux de la création. On retrouve cette racine « sta » en grec dans un mot comme « stylos » qui signifie colonne car la colonne est verticale et soutient d’où, au sens figuré, la tâche de soutenir ; Ainsi sait Paul emploie ce mot pour désigner les apôtres, colonnes de l’Eglise. Enfin, dans les Évangiles grecs, on trouve le mot « stauros » qui désigne la croix.
Il est probable que du temps de saint Benoît, le mot STABILITAS avait ces différentes connotations.
Ce mot de « stabilité » est donc riche de multiples significations : fidélité à l’engagement à vie dans le monastère, la personne debout, les apôtres, soutien de l’Eglise, la Croix et auprès d’elle, pouvons-nous ajouter, Marie, debout dans la foi, l’offrande et l’accueil. Marie n’est-elle pas la première à avoir vécu la stabilité ? A travers ombres et lumières, souffrances et joies, questions et silences, tout au long de sa vie, elle est demeurée fidèle, certaine que « rien n’est impossible à Dieu ».
Le vœu de stabilité pour le Père Chaminade
C’est en accueillant toute cette richesse que je vous invite à relire et à méditer la lettre que le Père Chaminade écrivit aux prédicateurs des retraites au cours desquelles seraient présentées aux Sœurs comme aux Frères les Constitutions que Rome venait d’approuver. (lettre du 24 août 1839)
Je citerai quelques lignes de cette circulaire :
« Or, aujourd’hui, la grande hérésie régnante est l’indifférence religieuse, (…) Cette peinture si tristement fidèle de notre époque est loin toutefois de nous décourager. La puissance de Marie n’est pas diminuée. Nous croyons fermement qu’elle vaincra cette hérésie comme toutes les autres, parce qu’elle est, aujourd’hui comme autrefois, la Femme par excellence, cette Femme promise pour écraser la tête du serpent; et Jésus-Christ, en ne l’appelant jamais que de ce grand nom, nous apprend qu’elle est l’espérance, la joie, la vie de l’Eglise et la terreur de l’enfer. A elle donc est réservée de nos jours une grande victoire; à elle appartient la gloire de sauver la foi du naufrage dont elle est menacée parmi nous. (…) et nous nous sommes empressés d’offrir à Marie nos faibles services, pour travailler à ses ordres et combattre à ses côtés. Nous nous sommes enrôlés sous sa bannière, comme ses soldats et ses ministres, et nous nous sommes engagés, par un vœu spécial, celui de stabilité, à la seconder de toutes nos forces, jusqu’à la fin de notre vie, dans sa noble lutte contre l’enfer.
Et voilà bien, mon respectable Fils, le caractère distinctif et l’air de famille de nos deux Ordres: nous sommes spécialement les auxiliaires et les instruments de la Très Sainte Vierge dans la grande œuvre de la réformation des mœurs, du soutien et de l’accroissement de la foi, et par le fait, de la sanctification du prochain. Dépositaires de l’industrie et des inventions de sa charité presque infinie, nous faisons profession de la servir fidèlement jusqu’à la fin de nos jours, d’exécuter ponctuellement tout ce qu’elle nous dira, heureux de pouvoir user à son service une vie et des forces qui lui sont dues. » (…)
« Si tous les hommes sont les Enfants adoptifs de la Mère de Dieu, les membres fidèles de la Société et de l’Institut le sont encore d’une manière plus parfaite, par des titres spéciaux bien chers à son Cœur. Comme religieux en général, par le fait de leurs vœux (…)Mais je soutiens que notre vœu de stabilité nous attache à Marie d’une manière plus spéciale que les autres religieux ; nous y avons un titre de plus, et un titre singulièrement fort, à sa préférence. Elle nous adopte donc avec plus de privilèges ; elle reçoit avec délices notre promesse spéciale de lui être à jamais fidèles et dévoués ; puis elle nous enrôle dans sa milice et nous consacre comme ses apôtres. (…) »
Ainsi donc, le vœu de stabilité faisait des Filles de Marie de « vraies » religieuses engagées de façon définitive, et en même temps donnait à leur vie une forte dimension mariale. Nous ne devons pas oublier que c’est aux pieds de Notre Dame del Pilar, à Saragosse, que le Père Chaminade a reçu l’intuition charismatique de ses fondations. (fin de l’intervention de MJ Bec)
Voilà pour les points de rapprochement possibles entre la Règle de St Benoît et les Règles marianistes. Ils sont nombreux, plus nombreux encore que ce j’ai eu le temps de vous dire.
La Règle de St Benoît est, en vérité, la matrice de la Règle marianiste, et nous lui devons beaucoup.
Quelles conséquences pour nous, laïcs marianistes, aujourd’hui ? Comment être plus fidèles dans nos vies au charisme des Fondateurs ?
Pour nous donner une idée, permettez-moi d’évoquer, pour finir, ce que j’appelle les Sept Appels de Chaminade. Des appels lancés avec une grande audace ; parce que Chaminade osait l’à-venir.
Les sept appels (cf les 7 caractéristiques de Vasey)
Le premier appel nous invite à entrer résolument dans le monde de notre temps, comme Chaminade le fit, lui, pour le sien. Nova bella elegit dominus !
Lui qui écrivait, dans une lettre de 1830, qu’il faut « faire attention au monde où nous sommes », il a su utiliser jusqu’aux apports de la Révolution française – et jusqu’à sa devise : liberté, égalité, fraternité – , en fondant la Congrégation ou ses Ordres religieux (union de tous – sans confusion -, égalité de tous [dans la Société de Marie par exemple], fraternité). Selon le P. Ottano, il y voyait « un vent de régénération en accord avec l’Evangile », sachant bien par ailleurs que « l’Evangile est encore praticable aujourd’hui comme il y a 1800 ans ».
Tout cela, il l’a fait dans la logique qui était la sienne – et celle de St Benoît, à savoir une logique de l’Incarnation. Selon le P. Lin, entendu hier : « On rejoint le spirituel par le charnel ». Selon le P. Roten, tout marianiste devient à l’image de Chaminade un « obsédé de l’incarnation », plongé au cœur de la réalité de son temps.
Pour mieux faire pénétrer l’Evangile dans le monde qui était le sien, il a su avoir recours, selon le P. Benlloch, à une ‘technique apostolique de choc’, imaginant une structure nouvelle et souple (la congrégation), imaginant (comme le fera l’Action Catholique plus tard) une évangélisation du milieu par le milieu et mettant au service de cette évangélisation des idées neuves : selon le P. Benlloch, il s’agit d’une « révolution à l’intérieur de l’Eglise, d’une révolution au divin… », grâce à « une stratégie d’expansion sans peur ni réserve », une stratégie qui a recours, selon Benlloch toujours, à « la contagion du bien à travers des ondes expansives », … à une méthode « d’irradiation, de captation, d’intégration ». Quelle audace, vraiment ! Saurons-nous oser, comme lui l’a fait ?
Le second appel illustre bien cette audace.
Le second appel nous invite à prendre appui, aujourd’hui comme hier, sur les laïcs.
Selon le P. David Fleming, Chaminade eut en effet une intuition géniale. « Il a commencé avec un groupe de laïcs et, (avec eux), il a persévéré pendant de longues années, en s’adonnant entièrement à leur mouvement », malgré les critiques qui ne lui ont pas manqué : il perdait son temps, il risquait de diviser…, ne valait-il pas mieux investir toutes les énergies dans de vieilles méthodes qui avaient fait leur preuve ? (St Benoît a-t-il fait autre chose ? Il a fondé ses monastères avec des laïcs, limitant volontairement la place et le rôle des prêtres ; il suffit de relire les chapitres 60 et 62 de sa Règle).
Aux critiques qu’on lui adressait, Chaminade répondit, en 1824 (après un quart de siècle donc d’action avec le laïcat), qu’il était convaincu que « les leviers qui remuent le monde ont, en quelque manière, besoin d’autres points d’appui », et, ces points d’appui, il les trouvait, lui, dans le dynamisme des laïcs. De ce fait, Chaminade peut apparaître aujourd’hui comme « l’un des grands patrons du rôle des laïcs dans l’Eglise ».
Ces laïcs, à qui il a appris à s’organiser en petites communautés vivantes de foi et d’action (à l’image des communautés de la primitive Eglise), il leur a laissé quelques consignes fortes et un esprit, l’ « esprit de famille » (comme St Benoît !), un esprit fait de respect, d’accueil, d’écoute, de connaissance de l’autre, dans l’amour et la liberté.
Concernant ces petites communautés, comme pour les communautés bénédictines pour lesquelles a été écrite la Règle de St Benoît, la communion doit être leur grande loi, dans le service réciproque et le partage, dans le respect des personnes et des choses, et dans un esprit d’accueil mutuel.
Parmi les consignes de Chaminade (qui concernent aussi bien ses disciples religieux), retenons-en deux : « L’isolement est une faute pour un chrétien » ; « que la foi soit votre force ». Cette dernière nous introduit directement au troisième appel de Chaminade.
Ce troisième appel est un appel à rester debout grâce à la colonne vertébrale de la foi.
Elle est au cœur de la Règle de St Benoît comme elle est au centre des Règles marianistes. J’y insisterai moins, ayant déjà parlé de l’importance de la foi chez St Benoît et dans la spiritualité de Chaminade.
Rappelons simplement que la foi a toujours été au centre de son enseignement, non pas seulement une foi intellectuelle, mais cette ‘foi du cœur’, cette « foi d’amour », comme Chaminade l’appelle, et qui change toute la vie du croyant.
La foi sur laquelle il invite ses disciples à s’appuyer est une foi profondément trinitaire : le temps de Chaminade n’était pas si loin du nôtre, en ce qu’il était marqué par le philosophisme et le vague déisme qui en avait résulté pour beaucoup, alors que notre temps souffre d’une religiosité vague à la divinité indéterminée. Pour Chaminade, « la trinité est le plus auguste de nos mystère », comme l’a rappelé également Jean Paul II à travers la préparation et la célébration déjà lointaine de l’année jubilaire 2000.
Le quatrième appel de Chaminade est un appel à faire alliance avec Marie, avec la Femme qui est aussi la Mère de Dieu.
Selon le P. Fleming, Chaminade voyait en Marie « beaucoup plus qu’un objet de piété conventionnelle » ; il savait qu’« elle est le chemin qui nous conduit vers son Fils, … la source d’un dynamisme qui nous fait participer pleinement, en alliance avec elle,… à sa mission ». La Règle de St Benoît ne cesse de répéter, quant à elle, qu’il faut « ne rien préférer à l’amour du Christ ». Pour Chaminade, Marie « nous inspire le dévouement et l’engagement auprès de nos frères et de nos sœurs contemporains ». Malgré le merveilleux chapitre VIII de Lumen gentium (Vatican II), nos contemporains sont loin d’avoir découvert pleinement le rôle de Marie, il est assez de comportements ou de manifestations pour en témoigner.
Nous avons déjà parlé de l’alliance que le disciple de Chaminade est appelé, aujourd’hui comme hier, à contracter avec Marie. Une alliance au caractère baptismal nettement marqué ; une alliance ecclésiale et, enfin, une alliance apostolique, c’est-à-dire qui ne va pas sans le témoignage. Une alliance dynamique donc qui, tout en contribuant à notre ‘conformité avec le Christ’, reste ouverte sur autrui et sur le monde.
C’est que le cinquième appel de Chaminade est précisément l’appel à être témoins, missionnaires, auprès de ceux qui sont les plus éloignés (pour reprendre les mots de Jean Paul II).
Saint Benoît invite, nous le savons, à l’accueil de tous (frères et hôtes), dans un esprit de service, de dialogue, de pardon. Ainsi le moine devient-il témoin pour le monde de ce temps.
Nous savons déjà ce que Chaminade disait : « Vous êtes tous missionnaires, chaque congrégation est une mission permanente » et, aux curés de paroisses : « Je forme des chrétiens pour que vous ayez des paroissiens ». Car l’action de Chaminade n’a jamais visé à autre chose qu’à engager le nouveau chrétien dans le champ de célébration et d’action apostolique de sa communauté.
La mission était au cœur de ses fondations. « Multiplier les chrétiennes » était le but qu’il fixait à ses disciples femmes, les sœurs de Mère Adèle par exemple. Multiplier les chrétiens reste notre ambition aujourd’hui. Mais saurons-nous le faire, oserons-nous le faire avec l’audace qui fut la sienne ?
Le sixième appel est un appel à se mettre au service des jeunes et des pauvres.
Dans la Règle bénédictine aussi, le jeune doit être parfois le premier écouté et le pauvre toujours le premier servi.
Nous avons vu comment Chaminade, en fidélité à l’Evangile, a engagé les siens au service des jeunes et des pauvres de son temps. Les jeunes sont aujourd’hui plus déboussolés que jamais et les pauvres surabondent.
Saurons-nous les rejoindre là où ils vivent, sans les juger, faire un bout de route avec eux comme fit le Christ avec les disciples d’Emmaüs, être jeunes avec les jeunes et pauvres avec les pauvres ? Aurons-nous l’audace d’inventer de nouveaux chemins (Chaminade > caminare, cheminer) pour aller vers eux et rendre le Christ présent au milieu d’eux ?
Nous le saurons, si nous savons redécouvrir la prière, comme Chaminade nous y invite.
Son septième appel en effet – appel éminemment moderne – est un appel à être des femmes et des hommes de prière, des « femmes et des hommes-prière ».
La prière est au cœur de la Règle de St Benoît, et notamment la prière liturgique qui rythme la vie du moine au point de l’aider à « devenir prière ».
Chaminade savait que, sans la prière, nous sommes perdus. Aussi nous invite-t-il, grâce à elle, à entrer dans le cœur même de la Trinité, en passant par Marie qui nous montre le Christ. St Benoît ne disait-il pas déjà (cf le P. Lin) que la prière transfigure le disciple, qu’elle est la source même de la communauté et qu’elle donne une dimension nouvelle à la vie ?
Chaminade nous invite à nous immerger littéralement dans la présence de Dieu, à prier comme nous respirons, avec le Christ, sous le souffle de l’Esprit, d’une prière qui nous fait entrer dans cette « flamme d’amour » trinitaire dont il se plaisait à parler. Il nous invite à prier avec Marie, modèle de notre prière, et à prier Marie, Celle avec qui nous faisons alliance. Il nous invite à prier en Eglise…
Que notre prière soit celle d’un témoin « contagieux », au service des humbles et des petits (semblable à celle de la femme du magnificat), afin que « l’Amour soit aimé », comme le souhaitait aussi un François d’Assise.
Conclusion
Nous avons entendu hier le P. Lin nous dire que la Règle bénédictine trace un chemin d’Evangile, un itinéraire vers le Christ qui déjà nous accompagne et nous précède. Elle fait des moines des « veilleurs », des « vigilants », et leur permet de découvrir le Christ dans les autres, au cœur même des nécessités quotidiennes.
Si nous savons répondre aux sept Appels de notre Fondateur – des appels qui prouvent, si besoin est, la solidité et la valeur actuelle de son inspiration, de son charisme, tels qu’ils sont inscrits dans les Règles marianistes- , alors nous saurons être, aujourd’hui, de ces « veilleurs », de ces témoins dont le monde a besoin (Paul VI, Evangelii nuntiandi), un monde miné par l’indifférence (un peu comme au temps de Chaminade), un monde en quête (sauvage) de sens, un monde qui a froid – et ce jusque dans nos Eglises parfois frileuses.
Si nous avons, comme Benoît de Nursie, comme G-J Chaminade, comme Adèle, l’audace d’oser l’audace, si nous savons comme eux oser l’Amour, alors, pour nous comme pour l’Eglise et le monde, demain, l’Espérance sera possible.
Et si nous savons « inventer, comme nous l’a demandé JP II le 3 septembre 2000, de nouvelles manières d’être témoin, surtout pour ceux qui sont loin », alors, oui, l’Amour sera davantage aimé au cœur du monde de notre temps, celui-là même qui nous a été confié et dont nous sommes, pour la part qui est la nôtre, responsables.