Circulaire du Supérieur Général n°3 sur l’obeissance

« Qu’il m’advienne selon ta parole ! »
en obéissance avec Marie “qu’il m’advienne selon ta parole !”

obeissance

 

Chers Frères,

Prolongeant la contemplation du mystère de Marie que j’ai commencée avec vous dans mes deux premières circulaires, je vous propose aujourd’hui de fixer notre attention sur la réponse donnée par Marie à l’ange du Seigneur : “Qu’il m’advienne selon ta parole!” (Lc 1, 38).a

Cette réponse, Dieu l‘a attendue de sa part. Dès qu’il l’a recueillie, l’ange-messager quitte Marie, mission accomplie. Dieu, le Dieu Père, Fils et Esprit Saint, venait de trouver ce qu’il souhaitait – et même, ce dont, paradoxalement, “il avait besoin” – de la part de l’humanité : la servante inconditionnelle de son projet de salut, sa coopératrice fidèle, engagée corps et âme dans sa réalisation. Par sa réponse à l’ange, Marie a scellé sa consécration inconditionnelle au plan de Dieu : “Qu’il m’advienne selon ta parole”.

Cette parole de Marie demeure le modèle parfait de tout acte de consécration à Dieu et donc, en particulier, de notre profession religieuse marianiste. Ce que nous avons promis publiquement lors de cette profession c’est, à l’exemple de Marie, de livrer tout notre être et toute notre vie à Dieu pour « qu’il nous soit fait selon sa parole », et qu’advienne ainsi son Règne pour le salut de notre monde.

En vous invitant à approfondir la signification de ces paroles de Marie, je vous propose, dans cette circulaire, de prendre le temps de relire notre vie à la lumière de la consécration qui lui donne son orientation fondamentale. Notre vie est consacrée pour que s’incarne en elle la Parole de Dieu.

Quelles sont les conséquences de cette consécration dans notre histoire quotidienne ? Gardons-nous les yeux fixés sur cet objectif ? Sommes-nous entrés dans la vie religieuse pour donner corps au projet de Dieu, ou, au contraire, pour réaliser nos projets personnels ou ceux de notre société ? Comment nous ouvrir réellement à la volonté de Dieu? Comment écouter la Parole qu’Il nous adresse ici et maintenant? Que signifie « donner corps » à cette parole ? Quels aspects de notre vie devons-nous particulièrement orienter vers cette fin ?…

Ces questions, et d’autres semblables, me préoccupent vraiment lorsque je considère la vie religieuse des Marianistes d’aujourd’hui. Plus encore que les éventuelles réponses que l’on peut y donner, au plan personnel ou communautaire, ce qui m’inquiète, c’est que ces questions-là soient même rarement posées, quand elles ne sont pas totalement absentes de nos débats sur la vie religieuse aujourd’hui. Parce qu’elles touchent à la racine vitale de notre consécration, elles ne devraient pourtant jamais cesser de nous interpeller.

J’espère donc que les réflexions que je vous partage contribueront à revivifier notre vie intérieure, à provoquer en nous une inquiétude salutaire et qu’elles alimenteront ensuite des réflexions, des échanges et des dialogues féconds entre nous. Tout cela contribuera assurément à redonner force et dynamisme à notre vie religieuse, nous évitant de relâcher notre effort pour qu’elle demeure vraiment vivante et donc féconde, pour nous-mêmes et pour le monde. Nous savons bien, également que l’avenir même de la vie religieuse dépend en grande partie de l’authenticité et de la vigueur avec lesquelles nous la pratiquons aujourd’hui.

J’ai donné comme sous-titre à cette circulaire En obéissance avec Marie, pour la situer dans le prolongement des deux circulaires précédentes : En Christ avec Marie et En Mission avec Marie. Nous ne devons pas perdre de vue que notre vie religieuse marianiste, vie d’alliance avec Marie “pour l’assister dans sa mission de donner à son Fils premier-né une multitude de frères qu’elle forme dans la foi”,[1] nous devons la vivre en union avec Marie en tous ses aspects, à commencer, bien sûr, par la remise fondamentale de notre existence à Dieu, à l’exemple Marie, dans son acte d’obéissance radicale au projet de Dieu. Ainsi et ainsi seulement nous pourrons devenir les vrais auxiliaires de Marie pour la mission que le Seigneur lui a confiée. Si c’est par la porte de cette obéissance que Marie est entrée de plain-pied dans sa mission, à nous de passer par là à notre tour.

Les réflexions de cette circulaire s’ordonnent autour de trois grands thèmes:

  1. L’obéissance comme racine de toute vie chrétienne.
  2. Vivre de et pour l’obéissance à la Parole de Dieu.
  3. Chercher ensemble le projet de Dieu.

L’obéissance, racine de toute vie chrétienne

A la racine du mystère de salut dans le Christ

L’obéissance de Marie ouvre les portes de l’humanité à l’initiative salvifique de Dieu, et l’obéissance du Christ la conduit à son terme. Le Nouveau Testament nous présente la dynamique du mystère de notre salut comme le fruit de la rencontre parfaite entre le dessein d’amour et de miséricorde de Dieu et l’obéissance du Fils de l’homme. “Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste”. (Rm 5, 19)

L’incarnation, et surtout la mort et la résurrection du Christ, ces événements-mystères qui inaugurent et parachèvent l’accomplissement du plan de salut de Dieu sur l’humanité, sont présentées dans le Nouveau Testament comme des actes d’obéissance.

  • Le but de l’incarnation n’est-il pas l’émergence de l’homo obediens ? Par l’incarnation, le Fils de Dieu assume la condition corporelle propre à la nature humaine et ainsi, à travers lui, l’humanité devient capable de s’offrir à Dieu dans l’obéissance et, par là, d’être sanctifiée. “En entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés, Alors j’ai dit: Voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté!… Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes”. (He 10, 5-7.10)
  • Après la supplique adressée au Père “s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux !” (Mt 26, 39) -, la réponse obéissante de l’humanité trouve son expression la plus accomplie dans l’événement de la mort du Christ, prélude à son exaltation ultime par le Père. “Il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté, et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom” (Ph 2, 7-9). “C’est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété, tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance: après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel.” (He 5,7-9)

Toute réflexion, tout discours sur l’obéissance et sa place dans la vie chrétienne, doivent partir de là, de la contemplation de l’obéissance du Christ et de la signification qu’elle a dans son existence à lui, et par conséquent, dans la nôtre.

Sa vie durant, Jésus n’a jamais eu qu’un seul et même but : chercher et accomplir la volonté de son Père. De cette volonté, il a fait sa nourriture (cf. Jn 4, 34; Mt 4, 4). En changeant les pierres en pain il apaiserait certes sa faim, mais il se couperait de la racine même de son être. La force de sa vie lui vient uniquement de sa dépendance absolue à l’égard de son Père. S’il s’en éloignait un seul instant, il se trouverait dans une solitude absolue. “Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné, et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît.” (Jn 8, 28-29)

La volonté du Père peut lui apparaître comme le calice le plus repoussant mais dès qu’il le prend dans sa main, ce calice devient pour le Fils source vive. Le repousser ce serait mourir de soif. “Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ?” (Jn 18, 11). “Maintenant, mon âme est troublée, et que dire? Père, sauve-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure. Père, glorifie ton nom !” (Jn 12, 27-28a)

Ce n’est que par l’obéissance que Jésus est ce qu’il est : le Fils aimé du Père. Si, chose inconcevable, il lui arrivait de faire quelque chose qui ne vienne pas du Père, il se renierait lui-même. “Le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père” (Jn 5, 19b). Voilà pourquoi l’acte suprême révélant Jésus comme le Fils est aussi l’acte suprême de son obéissance. Le titre de Fils de Dieu demeure équivoque – et Jésus fait taire tous ceux qui le lui attribuent – jusqu’à l’heure de la croix, qui lui donne son sens authentique. Jésus ne veut pas se faire reconnaître comme véritable Fils de Dieu par des actes de puissance mais par son obéissance radicale au Père, source de toute filiation.

A la racine de la vitalité de la foi chrétienne

Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est pour que, en lui, l’homme puisse devenir fils de Dieu. Et puisque son amour filial s’est exprimé par son obéissance au Père, il faut que notre amour également s’exprime par notre obéissance.

La relation de Jésus au Père était intrinsèque et immédiate ; la nôtre, par contre, passe par la médiation du Christ. C’est en Jésus-Christ que le chrétien rencontre le Père, qu’il “voit le Père” (Jn 14, 9) et qu’il vit sous son regard. Mais cette rencontre se produit également dans “l’obscurité de la foi”. Le chrétien adhère à Jésus-Christ dans la foi, une foi qui est confiance amoureuse avant d’être clarté intellectuelle évidente. Poussé par la foi, le chrétien remet sa vie entre les mains du Christ, s’abandonne à sa volonté en mettant ses pas dans ceux du Maître, en un geste d’obéissance radicale, dont le terme ultime est le Père. Au Père dans le Fils. L’obéissance n’est pas la foi, mais elle la traduit dans la vie concrète. Sans l’obéissance, que serait le croyant ? Sa foi ne serait qu’un vague sentiment en l’air.

Le chrétien, comme le Christ, se définit comme être obéissant. L’indiscutable primat de l’amour dans la vie chrétienne ne peut pas faire oublier qu’un tel amour a acquis un visage et un nom dans le Christ Jésus est devenu Obéissance. L’obéissance, par conséquent, n’est pas humiliation mais vérité sur laquelle se construit et se réalise la plénitude de l’homme. C’est pour cette raison que le croyant désire si ardemment accomplir la volonté du Père au point d’en faire son aspiration suprême. Comme Jésus, il veut vivre de cette volonté. (…]

Mais avant encore d’être le modèle de toute obéissance, Christ est celui auquel s’adresse toute vraie obéissance chrétienne. En effet, c’est la mise en pratique de ses paroles qui habilite le disciple véritable (cf. Mt 7, 24) et c’est l’observance de ses commandements qui rend concret l’amour qu’on lui porte et qui attire l’amour du Père (cf. Jn 14, 21). Il est au centre de la communauté religieuse comme celui qui sert (cf. Lc 22, 27), mais aussi comme celui auquel on confesse sa foi « Croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jn 14, 1) et on donne son obéissance parce que seulement dans cette obéissance se réalise une sequela sûre et persévérante : « En réalité, c’est le Seigneur ressuscité lui-même, à nouveau présent parmi ses frères et sœurs réunis en son nom (cf. Perfectae caritatis, 15), qui montre le chemin à parcourir ».[2]

Dans l’histoire du salut, de l’Ancien au Nouveau Testament, l’obéissance, inséparable de la foi, apparaît comme l’attitude caractéristique du croyant. Les vrais croyants sont foncièrement obéissants. Leur foi se concrétise dans l’offrande de leur vie à la Parole et au plan de Dieu (cf. He 11). Parmi ces “témoins” de la foi, nous les chrétiens, nous nous savons accompagnés, éduqués et encouragés d’une matière toute spéciale par Celle qui est – précisément à cause de sa foi – la mère des croyants.

L’obéissance de Marie, qui découle de sa foi et qui s’exprime dans sa réponse : “qu’il m’advienne selon ta parole”, est obéissance au Fils. On peut dire que Marie a été le premier disciple du Fils. Pour elle aussi, Jésus a été “la Parole” ; pour elle également, il a été “celui qui montre le chemin à suivre”. La foi de Marie s’est développée et s’est réalisée dans l’acceptation du « chemin » du Fils, sur lequel elle a marché en toute obéissance, en communion étroite avec l’obéissance de Jésus, comme en témoigne le second chapitre de l’Evangile de Luc.

Entre Nazareth et Bethléem, entre Bethléem et le Temple de Jérusalem, entre le Temple et Nazareth, et de nouveau entre Nazareth et le Temple, Marie va et vient… Mais au fond, ce n’est pas elle qui décide du chemin à parcourir. Elle n’est pas la protagoniste de son parcours ni des événements qui le jalonnent, comme elle l’a été dans auparavant dans le triptyque Annonciation – Visitation – Magnificat. Désormais le Fils lui-même est le protagoniste. Le chemin qu’elle suit est celui du Fils, qui lui-même le parcourt dans l’obéissance au Père, son “guide dans la nuit”. Marie marche sur les traces de son fils, communiant à son obéissance, découvrant à chaque détour du chemin de Jésus la volonté de Dieu, et cela jusqu’à la croix, et même jusqu’à vivre avec le Fils le mystère pascal, au terme du chemin de son existence.

L’obéissance de Marie découle de sa foi et de la certitude que lui donne la foi, non de “ce qu’elle sait”. Marie n’obéit pas parce qu’elle connaîtrait d’avance le plan de Dieu mais parce qu’elle fait confiance au Fils et se donne à lui. Son point d’appui, c’est la foi, une foi qui ne serait pas vraiment authentique sans cette part d’obscurité de la connaissance qui lui est inhérente.[3] Le mystère auquel se livre le croyant ne s’éclaire pour lui qu’à mesure qu’il y pénètre ; or il ne peut y entrer que par la porte de l’obéissance – tout comme Jésus.

Luc montre merveilleusement bien, en Marie, ce processus de foi-obéissance-révélation lorsqu’il nous la montre “surprise” (2, 48), “étonnée” (2, 33) ou « perplexe » (2, 50) devant ce qui lui arrive, jusqu’à se laisser reprocher son ignorance par son Fils (Lc 2, 49), et cependant elle “conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son cœur” (2, 19 et 51).[4]

A l’école de Marie – et de tous ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la foi – nous apprenons qui est le vrai croyant ; saisi par le mystérieux dessein de Dieu, manifesté dans le Christ, Parole incarnée, il se livre à lui par la foi et s’y engage totalement par l’obéissance ; le dessein de Dieu devient son projet de vie ; il l’incarne et “le met au monde”. Nous pouvons alors mieux comprendre en quel sens Jésus nous dit que quiconque accomplit la volonté de Dieu n’est pas seulement son frère ou sa sœur, mais également sa mère (cf. Mc 3, 35). Dans une phrase célèbre, reprise par Saint Augustin et Saint Bernard, entre autres, Origène s’interroge : “A quoi me sert que le Christ soit né un jour de Marie à Bethléem, s’il ne naît pas aussi dans mon âme par la foi?” – “Toute âme croyante – écrit Saint Ambroise – conçoit et engendre le Verbe de Dieu… Si, selon la chair il n’y a qu’une Mère du Christ, selon la foi, toutes les âmes engendrent le Christ quand elles accueillent la Parole de Dieu.”[5] Cependant, le concevoir par la foi sans “le faire naître par l’obéissance, reviendrait à faire avorter dans le cœur du croyant la Parole de Dieu, qui attend d’être incarnée pour sauver le monde.

Vivre de et pour l’obéissance à la parole de Dieu

Vivre de la parole d’un “autre” ?

Obéir, c’est accomplir la volonté d’un autre. Le désir personnel se conforme à celui de quelqu’un d’autre au moment où l’on s’engage dans l’action. Cela n’est-il pas déresponsabilisant ? N’est-ce pas opposé à la liberté de chaque individu ? Est-il possible, dans le monde actuel, de vivre l’obéissance comme une valeur ?

“Le caractère central de l’obéissance dans la vie de tout chrétien est en opposition avec le peu de cas qui en est fait dans la culture actuelle ; elle n’a pas la cote, même pas chez certains chrétiens. Il y a des cercles catholiques qui l’évoquent avec un geste de rejet, peut-être parce qu’ils la considèrent comme allant à l’encontre des valeurs humaines fondamentales de liberté, d’autonomie, même comme ennemie de la conscience personnelle. On constate, dans les témoignages, que la pauvreté est très valorisée (parfois unilatéralement), que la chasteté est admirée (même si elle n’est pas toujours bien comprise), mais que l’obéissance est dépréciée. C’est peut-être normal. Pourtant, il faut le dire avec force, si la pauvreté est absolument nécessaire au témoignage, l’obéissance doit rester la préoccupation première du témoin”.[6]

Ce qui définit en effet le témoin, comme nous l’avons vu dans le cas de Jésus-Christ et aussi de Marie, c’est l’obéissance. Mais il n’est pas facile de vivre cette obéissance constitutive de la vie chrétienne et de la vie religieuse au sein de ce que nous pourrions appeler la culture ambiante de notre monde. On semble admettre comme allant de soi que l’homme se fait lui-même à partir de soi, que par conséquent liberté égale indépendance, et que, étant donné que nous avons besoin des autres, la relation de “dépendance” qui en découle n’est acceptable que pour autant qu’elle nous est utile pour satisfaire nos propres désirs et réaliser nos projets personnels, mais pas du tout ceux des autres. Le contraire serait perçu comme de la servilité, de l’aliénation. D’accord, par conséquent, pour une obéissance que l’on pourrait qualifier de “fonctionnelle” – nécessaire à l’ordre social et à l’efficacité d’une action concertée -, mais pas d’accord pour une obéissance qui serait “existentielle”, c’est-à-dire fondamentale à la construction personnelle. Et pourtant, c’est justement ce dernier type d’obéissance que l’on trouve dans le Christ – “ma nourriture est de faire la volonté du Père” – et en Marie – “qu’il m’advienne selon ta parole” –, et qui fait l’objet du vœu que nous professons.

Dans le contexte où nous vivons, il nous faut être clairvoyants pour vivre une obéissance authentique et éviter de tomber dans les déviances qui la dénatureraient et trahiraient sa signification. Reconnaissons sincèrement que, si nous n’y prenons pas garde, C’est au moment où nous nous y attendons le moins, n’est-ce pas ? que s’introduit en nous, par tous les pores de notre corps, l’individualisme autarcique qui imprègne la culture ambiante. Par exemple : sans savoir comment et sans trop oser nous l’avouer, nous nous découvrons un jour, tout religieux que nous sommes, en train de rêver à des jours… disons de “vacances”, loin du “contrôle” de la vie communautaire, dès que nous ne sommes plus tenus par des engagements professionnels ; ou alors, en quête d’une communauté dans laquelle, mis à part le règlement minimal indispensable au vivre ensemble, nous serions libres de faire ce qui nous chante sans avoir de compte à rendre à personne.

Tout cela, sous prétexte que nous avons besoin de nous retrouver “nous-mêmes”. Nous partageons, dans ce cas, l’aspiration des gens d’aujourd’hui à “être un peu plus libres”, comme si nous pouvions être “nous-mêmes” en nous soustrayant à l’obéissance. Sans nous en rendre compte, nous sommes contaminés par l’idée que toute autorité limite notre épanouissement personnel. Nous nous résignons cependant à un minimum d’autorité et d’obéissance, parce qu’elles sont indispensables pour que “ça fonctionne”, mais non parce qu’elles sont facteurs d’épanouissement véritable.

Le premier danger auquel nous expose la culture ambiante n’est-ce pas la perte du sens de la véritable autorité dans la vie humaine ? Ce danger vient de loin et, dans l’histoire marianiste, il a souvent été analysé dans les circulaires des supérieurs généraux consacrées au vœu d’obéissance. Déjà le P. Caillet, marqué par l’expérience encore toute récente de la Révolution française, se plaignait des vents d’indépendance qui soufflaient dans l’air du temps, sapant les fondements de l’autorité.[7]

A la fin du XIXe siècle, le P. Simler remarquait que cette tendance pourrait finir par miner la reconnaissance de l’autorité même de Dieu dans notre vie ; aussi, dans le sillage de la doctrine sociale du Pape Léon XIII, consacra-t-il une longue circulaire, à expliquer de manière approfondie le concept de l’autorité et son fondement divin.[8] Plus tard, en plein XXe siècle, le P. Kieffer, répondant à une demande du Chapitre général de 1934, a également écrit une circulaire sur le vœu d’obéissance, en partant justement du fondement de l’autorité, déjà développé par son prédécesseur. “ Partout, écrit-il, on répète que le monde actuel souffre d’une crise d’autorité… La contrepartie en est une crise d’obéissance”.[9] Après la seconde guerre mondiale,[10] le P. Juergens revient sur le même sujet ainsi que, plus tard, le P. Hoffer.[11]

La tension critique en matière d’autorité au long des deux derniers siècles a produit sans aucun doute des effets positifs, en ce sens que l’on a mieux reconnu la dignité de la personne et le respect qui est dû en conséquence à sa liberté et à son autonomie, face à toutes les formes d’autoritarisme, y compris dans le domaine religieux, et on en garde un souvenir funeste ; c’est de l’histoire passée mais pas si lointaine. On risque cependant, en ce domaine, de jeter le bébé avec l’eau du bain : en rejetant l’exercice oppresseur et aliénant de l’autorité, de rejeter l’autorité elle-même et, dans la foulée, de revendiquer l’indépendance autarcique de la personne humaine.

« La culture des sociétés occidentales, fortement centrée sur l’individu, a contribué à diffuser la valeur du respect pour la dignité de la personne humaine, en en favorisant de façon positive le libre développement et l’autonomie.

Une telle reconnaissance constitue un des traits les plus significatifs de la modernité et est un fait providentiel qui nécessite de nouvelles modalités dans la manière de concevoir l’autorité et d’avoir des rapports avec elle. Il ne faut pas oublier d’autre part, que lorsque la liberté tend à se transformer en arbitraire et l’autonomie de la personne en indépendance par rapport au Créateur et à la relation avec autrui, nous nous trouvons confrontés à des formes d’idolâtrie qui ne donnent pas davantage de liberté mais rendent esclaves.

Dans ces cas, les personnes croyant dans le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, dans le Dieu de Jésus-Christ, ne peuvent pas ne pas entreprendre un chemin qui libère la personne de toute ombre de culte idolâtre. C’est un parcours qui peut trouver un exemple stimulant dans l’expérience de l’Exode : chemin de libération qui, de sa reconnaissance à un mode répandu de penser, conduit à la liberté d’adhésion au Seigneur, et qui, du nivellement sur des critères d’évaluation unilatéraux, porte à la recherche de chemins qui mettent en communion avec le Dieu vivant et vrai. » [12]

Nous savons que la personne humaine est un être de relation, qui ne devient elle-même que dans la relation et non dans l’indépendance. Nous sommes, aujourd’hui comme hier et demain, le fruit des relations que nous tissons. Il n’est pas question ici, bien sûr, des relations superficielles et purement occasionnelles, mais de celles que nous pourrions appeler “fondatrices”, celles qui nous forment peu à peu en tant que personnes. Il y a eu dans notre passé et il y a actuellement des relations libératrices, qui révèlent le meilleur de nos possibilités humaines, bien au-delà de ce qui est purement instinctif ; nous avons peut-être aussi fait l’expérience de relations oppressives ou aliénantes.

Il est certain, en tout cas, que, bonnes ou mauvaises ce sont elles qui nous ont forgés et que sans elles, nous ne serions pas ce que nous sommes. Nos relations sont là et le resteront, incontournables. Quiconque prétend ne pas en “dépendre” n’a certainement pas encore vu dans sa profondeur la réalité de sa vie ou n’a pas acquis la lucidité nécessaire pour les reconnaître.

Le pouvoir avec lequel ces relations “fondatrices”, indispensables, incontournables pour la formation et le développement de notre personne s’introduisent dans notre vie, voilà ce que nous appelons autorité. Durant l’enfance – et c’est vrai de ceux qui mènent une vie infantile – l’autorité s’impose du dehors et les relations “fondatrices” sont vécues de manière passive. Mais ce n’est pas une raison pour l’adulte de rejeter en bloc toutes les relations qui conditionnent sa vie.

Le propre de l’adulte est d’en prendre conscience, de discerner leur “autorité”, d’écarter ce qui n’a pas de valeur et de se tourner vers ce qui en vaut véritablement la peine. Le défi auquel il est confronté lorsque, s’émancipant de la dépendance enfantine, il prend sa vie en main, consiste non pas à la « préserver » de toute relation qui impliquerait un engagement mais à la livrer consciemment et librement à une relation “fondatrice” qui la mène à son épanouissement. “Qui garde sa vie la perdra”, dit le Seigneur. Le développement plénier de la personne n’est donc pas dans le rejet de toute “autorité” (du début à la fin de notre vie, que nous en soyons conscients ou non, nous y sommes soumis), mais dans le discernement de celle qui conduit vraiment à l’épanouissement.

“Qui perd sa vie pour moi la sauvera” poursuit le Seigneur. Le croyant sait bien que remettre sa vie entre les mains du Seigneur pour faire sa volonté, pour faire de la relation avec lui ce qui fonde sa propre vie, c’est vraiment la conduire à sa plénitude. Et cela, parce qu’il a trouvé dans le Seigneur la seule autorité qui recherche exclusivement le bien de l’autre, qui s’impose sans rabaisser, qui sollicite sans dominer, qui donne sans rien attendre de retour, qui respecte toujours la liberté de l’autre : en un mot, l’autorité d’un amour pur.

“Pour être disciple de Jésus, écrit le P. Hoffer (le religieux) doit consentir, comme son Maître le demande, à perdre sa vie même. Le seul épanouissement qu’il attend, c’est celui que donne l’amour de Dieu. Cependant, tout se tient. Cet amour, par l’unification de toutes les facultés qu’il opère, fait également grandir l’homme tout entier, l’épanouit sur tous les plans, à tel point que les saints, qui firent sans arrière-pensée le sacrifice de leur personnalité, sur le plan humain, pour ne chercher que Dieu, tels saint François d’Assise ou saint Jean de la Croix, devinrent aussi, par surcroît, les personnalités les plus séduisantes et les plus accueillantes à toutes les joies de la création. Mais l’épanouissement humain n’était nullement le but direct de leur vie et ils ne s’arrêtaient pas aux créatures même elles n’étaient qu’un tremplin pour monter jusqu’à Dieu, source de leur beauté. Qui perd sa vie, la gagne! » [13]

Vivre de et pour la parole d’un autre, quand il s’agit de l’Autre, avec une majuscule, non seulement cela n’attente pas à la liberté humaine, mais cela en est bien plutôt la condition. Quel homme a jamais été libre comme Jésus ? Aucun autre n’a jamais été plus obéissant au Père que lui. A la suite de Jésus, le religieux devient témoin, par son obéissance, de la vraie liberté, celle qui conduit l’homme à la plénitude de sa vie.

« Il n’est pas rare que la mission s’adresse aujourd’hui à des personnes préoccupées de leur autonomie, jalouses de leur liberté, craignant de perdre leur indépendance.

La personne consacrée, par son existence elle-même, a la possibilité d’une voie différente pour la réalisation de sa vie, une voie où Dieu est le but, où sa Parole est la lumière et où sa volonté est le guide, où l’on avance sereins parce qu’assurés d’être soutenus par les mains d’un Père accueillant et attentionné, où l’on est accompagné de frères et de sœurs, poussés par le même Esprit, qui veut et qui sait comment satisfaire les désirs semés par le Père dans le cœur de chacun.

Telle est la première mission de la personne consacrée : elle doit témoigner de la liberté des enfants de Dieu, une liberté modelée sur celle du Christ, homme libre de servir Dieu et ses frères ; elle doit, en outre, dire par son être propre que ce Dieu qui a formé la créature humaine avec de la boue (cf. Gn 2, 7.22) et l’a tissée dans le sein de sa mère (cf. Ps 138, 13) peut façonner sa vie en la modelant sur celle du Christ, homme nouveau et parfaitement libre. » [14]

Ce témoignage n’est possible que si l’obéissance s’enracine, comme nous l’avons dit, dans l’expérience fondatrice de l’amour de Dieu, et à condition que notre vie vérifie ce que disait dans son psaume au Seigneur le scribe amoureux de la loi : “Je cours sur la voie de tes commandements, car tu as mis mon cœur au large !” (Ps. 119, 32)

Attentifs à toute parole qui sort de la bouche du Père

L’obéissance adulte s’inscrit dans cette relation fondatrice sur laquelle se construit la vie et d’où elle tire sens et substance. Elle ne peut donc pas se cantonner dans une attitude purement passive, ne s’activant que lorsqu’elle recevrait un ordre. Comme le disait le P. Chaminade, notre Fondateur, on n’a pas correctement compris la nature de l’obéissance si on la réduit à la “non-désobéissance”. [15]

Puisqu’en l’obéissance se trouve la vie, le serviteur obéissant ne se contente pas d’être sollicité. Il vit les yeux fixés sur le regard, sur les lèvres, sur les mains de son Maître ; il scrute constamment son visage jusqu’à devenir véritablement expert dans la connaissance de ses volontés. Vivre de et pour l’obéissance à la Parole de Dieu implique donc d’être constamment actif pour rechercher, écouter avec attention et discerner sa volonté. La recherche, l’écoute et le discernement constituent les éléments essentiels d’une obéissance assumée.

Recherche

Aux premiers disciples qui, peut-être encore indécis et hésitants, se mettent à la suite d’un nouveau Rabbi, le Seigneur demande : « Qui cherchez-vous ? » (Jn 1, 38). Dans cette question, nous pouvons lire d’autres questions radicales : que cherche ton cœur ? Pour quoi te tourmentes-tu ? Te cherches-tu toi-même ou bien cherches-tu le Seigneur ton Dieu ? Poursuis-tu tes désirs ou bien le désir de celui qui a fait ton cœur et veut le réaliser comme il le sait et le connaît ? Cours-tu uniquement après les choses qui passent ou bien cherches-tu celui qui ne passe pas ? « Seigneur Dieu, dans cette terre de dissemblance de quoi devons-nous nous occuper ? Du lever au coucher du soleil je vois le genre humain en prise aux tourbillons de ce monde ; les uns recherchent les richesses, d’autres les honneurs, d’autres encore se laissent séduire par la renommée », observait saint Bernard.

« C’est ta face, Seigneur, que je cherche » (Ps 26, 8), telle est la réponse de qui a compris l’unicité et l’infinie grandeur du mystère de Dieu et la souveraineté de sa sainte volonté ; mais c’est aussi la réponse, même implicite et confuse, de toute créature humaine en quête de vérité et de bonheur. Quaerere Deum a été de tout temps le programme de toute existence assoiffée d’absolu et d’éternité. Beaucoup ont tendance aujourd’hui à juger humiliante une quelconque forme de dépendance ; mais cela fait partie du statut même de créature d’être dépendant d’un Autre et, en tant qu’être en relation, d’être aussi dépendant des autres.

Le croyant cherche le Dieu vivant et vrai, le Commencement et la Fin de toute chose, le Dieu non pas fait à sa propre image et à sa propre ressemblance, mais le Dieu qui nous a faits à son image et à sa ressemblance, le Dieu qui manifeste sa volonté, qui indique les voies pour le rejoindre : « Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délices » (Ps 15, 11). [16]

A la racine de l’obéissance, il y a le constat que nous ne détenons pas les clés de la vie, qu’il nous faut donc les chercher auprès d’un Autre et les recevoir de lui. Dans ce sens, l’obéissance est sœur de la pauvreté, qui oblige à chercher et à mendier la nourriture que l’on ne possède pas de soi-même.

C’est la raison pour laquelle cette attitude est impossible à prendre par ceux qui sont installés dans leurs sécurités et leurs certitudes. Celui qui sait tout ou qui croit tout savoir, qui est sûr de ses connaissances, monsieur dogme, celui qui n’a besoin de personne pour lui dire ce qu’il doit faire, celui-là ne peut pas marcher dans la voie de l’obéissance, et moins encore dans celle de la vie religieuse, dont l’obéissance est une des exigences les plus fortes. Nous en faisons tous l’expérience, par nous-mêmes ou en écoutant les autres.

C’est là un point à prendre très sérieusement en compte dans le discernement initial d’une vocation. Mes longues années de ministère dans la formation initiale m’ont appris que, dans les candidats qui frappent à notre porte, il faut beaucoup plus redouter les sécurités et les certitudes “saintes” que les doutes et les tâtonnements « humains ». Peut-être que la question la plus pertinente à leur poser en leur ouvrant la porte n’est pas “Que cherches-tu?”, mais “Est-ce que tu cherches quelqu’un ?”…

Écoute

S’il est possible de vivre en obéissance au Seigneur, c’est parce qu’il s’est communiqué à chacun de nous et qu’il continue de le faire à travers des réalités humaines à notre portée : la sainte Ecriture, la vie de l’Eglise, les événements de l’histoire, la vie charismatique de la Société de Marie, les circonstances concrètes de notre vie… Et aussi, au fond de nous-mêmes, par l’Esprit répandu dans nos cœurs. Il n’est pas un Dieu distant, qui se cache pour qu’on le cherche mais un Dieu proche, à la recherche de l’homme. Cependant, pour que la communication puisse s’établir, il faut qu’elle nous trouve à l’écoute. Selon l’étymologie du terme, l’obéissant est un “écoutant”.

« Écoute, mon fils » (Pr 1, 8). L’obéissance est avant tout attitude filiale. C’est ce genre particulier d’écoute que seul le fils peut prêter à son père, parce qu’illuminé par la certitude que son père n’a que des choses bonnes à dire et à donner à son fils ; une écoute imprégnée de la confiance qui rend le fils accueillant à la volonté du père, assuré qu’elle sera pour son bien…

Fils, pour le Seigneur Dieu, c’est Israël, le peuple qu’il s’est choisi, qu’il a engendré, qu’il a fait grandir en le tenant par la main, qu’il a porté jusqu’à son visage, à qui il a enseigné à marcher (cf. Os 11, 1-4), à qui – comme très grande expression d’affection – il a adressé en permanence sa Parole, même si ce peuple ne l’a pas toujours écoutée, ou l’a vécue comme un poids, comme une « loi ». Tout l’Ancien Testament est une invitation à l’écoute… »[17]

Le lieu par excellence de l’écoute du Seigneur, c’est l’oraison, et plus spécialement le type d’oraison que notre Fondateur appelait “de foi et de présence de Dieu”, et qu’il définissait comme “une attention paisible à la présence de Dieu, qui fait qu’une âme le regarde à la lumière de la foi avec toute l’attention de son cœur… et elle ne se lasse point de le regarder”. [18] Oraison d’intimité avec lui, pendant laquelle, à force de l’écouter, de le contempler, de scruter son cœur dans la foi, se développe en nous une connaissance affective intérieure, qui nous fait entrer dans une sorte de syntonie de sentiments et de volonté avec lui.

“Quand la foi a pris des accroissements considérables, poursuit le P. Chaminade, on aime à se tenir en la présence de Dieu et de même en la présence de la sainte Humanité de Jésus-Christ. La foi nous lie en quelque manière avec Dieu, elle nous met en communication avec Dieu même; notre esprit avec son esprit, notre cœur avec son cœur, les lumières de son Esprit passent dans le nôtre; nous ne voyons plus les objets que comme Dieu les voit, nous jugeons comme Dieu juge lui-même; peu à peu tous nos préjugés se dissipent, nous devenons savants de la science même de Dieu, aussi est-ce là la science des saints”.[19]

La récente instruction de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée sur l’autorité et l’obéissance va dans le même sens en exhortant à la méditation quotidienne de la Parole de Dieu :

« L’amoureuse fréquentation quotidienne de la Parole enseigne à découvrir les chemins de la vie et les modalités à travers lesquels Dieu veut libérer ses fils ; elle nourrit l’instinct spirituel pour les choses qui plaisent à Dieu ; elle transmet le sens et le goût de sa volonté ; elle donne la paix et la joie de lui rester fidèles, rendant sensibles et prêts à toutes les expressions de l’obéissance : à l’Évangile (Rm 10, 6 ; 2 Th 1, 8), à la foi (Rm 1, 5 ; 16, 26), à la vérité (Ga 5, 7 ; 1 P 1, 22) ».[20]

Bien entendu, l’attitude d’écoute du Seigneur ne peut se limiter à l’oraison ni à la méditation de sa Parole. Celui qui vit dans l’obéissance au Seigneur, l’attitude d’écoute imprègne toute sa vie et constitue en quelque sorte un style, une manière particulière de se situer devant la réalité environnante. Parce que c’est là, comme nous l’avons dit, que le Seigneur vient à notre rencontre. L’accueil et l’écoute du Seigneur dans l’oraison doivent donc se prolonger et se réaliser dans l’accueil et l’écoute de l’Eglise, de la communauté, du frère ou de la sœur, du pauvre, du malade, du prisonnier… en n’importe quelle circonstance, en tout événement de la vie. Dans le cas contraire, c’est en vain que l’on parle d’oraison et la prétendue expérience de Dieu qu’elle implique n’est que tromperie.

Pour finir, n’oublions pas que l’écoute exige un travail sérieux d’ascèse pour faire taire les voix et les “bruits” qui la perturbent. C’est là que prennent toute leur force les « vertus de préparation » de la tradition marianiste, en particulier les cinq silences. Comment entendre la Parole du Seigneur si ne se taisent nos propres paroles ? Comme lui prêter notre attention si elle est captée par d’autres paroles ?

Discernement

L’obéissance à la volonté de Dieu exige l’obéissance à l’Esprit. C’est lui le moteur intérieur de notre vie, personnelle et communautaire ; il mène l’histoire jusqu’à la réalisation plénière du Royaume. La vie, la mort et la résurrection du Seigneur n’ont pas constitué la fin de l’Histoire du salut, mais le point de départ d’une nouvelle ère, celle de l’Esprit. Tout n’avait pas était dit ni établi d’avance. “J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent. Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira, et il vous dévoilera les choses à venir. Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous le dévoilera.” (Jn 16, 12-14)

Les Actes des Apôtres nous montrent les premiers chrétiens conduits par l’Esprit. Saint Paul décrit avec force comment le chrétien n’est plus désormais conduit par une loi extérieure, à la manière d’un esclave, mais de l’intérieur, comme un fils. “Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père ! Aussi n’es-tu plus esclave, mais fils”. (Ga 4, 4-7) L’accomplissement du dessein du Père, confié à Jésus, se produit lorsque Jésus envoie l’Esprit qui est en lui, l’Esprit qui nous délivre de la servitude et qui nous fait vivre de la vie et de la dignité de fils. Cette vie filiale ne sera plus une vie de pure soumission à une loi externe, mais l’exercice d’une responsabilité libre et amoureuse qui nous fait tous “discerner le meilleur” (Ph 1,10), ce qui convient vraiment à qui veut se conduire en fils, ce qui peut être à tout instant le plus agréable au Père, ce qui peut le mieux contribuer à rendre effective la filiation de tous dans la vie fraternelle du Royaume.

Ainsi donc l’histoire, aussi bien générale que personnelle, reste ouverte. L’Esprit œuvre pour la conduire à sa plénitude, en nous mettant en mouvement, du dedans, par son action qui est inspiration, souffle, impulsion. Pour vivre dans l’obéissance à ses appels, il nous faut donc déployer une sorte de sixième sens qui nous permette de les entendre, de les distinguer des autres mouvements ou impulsions intérieures qui ne viennent pas de l’Esprit. Il nous faut devenir experts en discernement.

“Discerner” veut dire examiner, peser, choisir, distinguer, scruter. Si l’oraison est le lieu par excellence de l’écoute, c’est l’examen qui est le lieu du discernement. Il n’est pas question ici de l’examen de conscience, mais de l’examen du cœur, des dispositions intérieures ; on y examine ses réactions et les répercussions de ces réactions dans sa vie ; l’examen nous éclaire sur ce qui nous meut vraiment, sur les objectifs qui nous attirent et vers lesquels nous aspirons, sur ce à quoi nous sommes sensibles.

Le discernement n’est pas d’abord affaire de connaissance intellectuelle mais de sensibilité du cœur.

Or notre sensibilité n’est pas aussi inoffensive que nous le croyons. Elle influence également notre raison. Nous sommes notre sensibilité. Nous ne sommes ni ce que nous pensons, ni ce que nous désirons à un moment précis, car cela est un mouvement permanent. Nous sommes notre sensibilité. Nous n’avions nul besoin que les philosophies du soupçon en viennent à dénoncer l’influence de l’affectif sur notre image de Dieu, au point que celle-ci puisse devenir une simple projection de nos manques et de nos désirs. Déjà saint Ignace, et d’autres grands spirituels l’avaient pressenti: il nous faut échapper au danger de “faire venir Dieu à [nos] désirs”,[21] de confondre sa voix avec mes voix, sa parole avec la mienne.

Malheureusement, la pratique de l’examen quotidien s’est perdue dans notre vie ; elle a disparu de l’ensemble des pratiques auxquelles on initie les candidats en formation. Et pourtant, cet examen est indispensable dans la vie spirituelle, et surtout pour la pratique d’une obéissance véritablement responsable. Le discernement est un défi permanent; il ne saurait se programmer, mais on doit l’appliquer quand “les esprits” entrent en action ; c’est une attitude d’alerte continuelle. On peut prévoir la délibération sur un sujet, mais non le discernement. Nous devons être sur le qui-vive, attentifs, éveillés. “Veillez et priez pour ne pas tomber en tentation”, fut l’ultime consigne de Jésus à ses disciples. Nous prions peu, mais nous veillons encore moins. [22]

L’examen nous fait prendre conscience de ce qui anime réellement notre vie de l’intérieur. L’examen seul ne suffit pas : il nous faut en plus un travail d’ascèse qui purifie le cœur de ses motivations, de ses « amours », avouables ou non, qui le lient et le gouvernent, qui l’empêchent parfois de se laisser porter allègrement vers ce qui le rend vraiment libre et qui le comble pour de bon. N’oublions pas que seuls “les cœurs purs verront Dieu.” (Mt 5,8) [23]

Chercher ensemble le dessein de Dieu

“Par sa soumission au Père,
le Christ a racheté le monde et a été glorifié.
Pour participer à son obéissance,
nous offrons sans réserve notre volonté à Dieu
et nous nous donnons tout entiers
à une communauté et à une Société
dont les membres cherchent ensemble
à réaliser la volonté du Père. » (art. 29)

C’est par cet article du chapitre sur la vie consacrée que la Règle marianiste aborde la question du vœu d’obéissance. Elle y présente le fondement ultime de l’obéissance, indiquant ses deux dimensions constitutives : l’une verticale – l’offrande sans réserve de notre volonté à Dieu – l’autre horizontale – l’intégration dans “une communauté et une Société dont les membres cherchent ensemble à réaliser la volonté du Père” -. Tout ce qui précède est, au fond, un commentaire plus ou moins développé de la première partie. Mais nous ne pouvons pas oublier la seconde, pour ne pas priver notre obéissance de ce qui, nous le verrons, la caractérise comme proprement religieuse et marianiste, à l’intérieur de l’Eglise.

Une obéissance qui “con-voque”

En entrant dans la vie religieuse et même dans la vie chrétienne en général, chaque personne doit renoncer à sa propre volonté pour rechercher et suivre la volonté de Dieu, se situant ainsi dans le prolongement de la « nuée des témoins de la foi-obéissance » (cf. He 12, 1) qui ont écrit l’histoire sainte, ceux et celles surtout qui, à la suite de Jésus, nous ont précédés sur le chemin de l’incarnation du dessein salvifique du Père.

La Règle de saint Benoît commence par ces mots : “Ecoute, ô mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur. Cette instruction de ton père qui t’aime, reçois-là cordialement et mets-la en pratique effectivement. Ainsi tu reviendras, par ton obéissance laborieuse, à celui dont tu t’étais éloigné par la désobéissance paresseuse. A toi donc, qui que tu sois, s’adresse à présent mon discours, à toi qui, abandonnant tes propres volontés pour servir le Seigneur Christ, le roi véritable, prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance.” Et le P. Chaminade de renchérir : “La vie religieuse est une immolation continuelle de l’homme à Dieu, et surtout de sa volonté par l’obéissance. A l’exemple du divin Maître, il ne veut jamais faire sa volonté, mais toujours et seulement celle de Dieu”. [24]

En ce sens, bien au delà de l’aspect formel du vœu,[25] l’obéissance religieuse est une modalité de l’obéissance chrétienne ; elle s’inscrit dans la participation à l’obéissance de Jésus que nous avons contemplée, et qui est commune à tout chrétien. Elle est toujours recherche de la volonté de Dieu et disponibilité à son égard. Dès lors, qu’est-ce qui distingue l’obéissance religieuse de celle de tout chrétien ?

On peut répondre que c’est très précisément le fait que le religieux obéissant répond à un appel partagé avec d’autres ; cette forme d’obéissance “con-voque”, “in-corpore”, comme le dit la Règle. Elle ne concerne pas seulement la personne prise individuellement, mais elle s’exerce de façon partagée, s’intégrant dans une obéissance collective, communautaire, qui implique des personnes qui ont reçu la même vocation particulière dans l’Eglise.

Dans la vie religieuse, il y a naturellement l’appel personnel et non transmissible, l’appel “nominal” (chacun étant appelé par son nom), mais cet appel s’inscrit dans une vocation commune partagée.

Dans le contexte de l’obéissance chrétienne, l’obéissance religieuse acquiert un caractère propre, moins par le fait du vœu en soi que par le mode particulier selon lequel le religieux recherche et accomplit la volonté de Dieu. Le laïc le fait dans le cadre de la vie conjugale ou de son insertion dans les institutions laïques de la société dans laquelle il vit ; le religieux vit l’obéissance à Dieu dans la communion avec d’autres personnes, appelées comme lui à incarner un mode particulier de vie donnée à Dieu, un mode inspiré par l’Esprit, pour le bien du Royaume. Puisque l’appel est partagé, nous pouvons dire que l’obéissance l’est également.

Ce mode de vie voulu par Dieu, que nous appelons globalement “vie religieuse” dans l’Eglise, se définit fondamentalement comme une vie vécue en communauté fraternelle, au service d’une mission. La communauté et la mission sont les deux réalités auxquelles est “con-voqué” le religieux dans l’obéissance, et c’est dans ces deux réalités qu’il la vit. Les deux sont à la fois le fruit et le domaine dans lesquels elle s’exerce.

Le premier fruit et le premier domaine de l’obéissance est la vie commune elle-même, lieu de communion, où le religieux cherche, écoute et discerne la volonté de Dieu.

“Ce témoignage des personnes consacrées revêt aussi une signification particulière, à cause de la dimension communautaire qui caractérise la vie religieuse. La vie fraternelle est le lieu privilégié pour discerner et pour accueillir la volonté de Dieu, et pour avancer ensemble en union d’esprit et de cœur. L’obéissance, vivifiée par la charité, unit les membres d’un Institut dans le même témoignage et dans la même mission, bien que dans la diversité des dons et dans le respect de chaque individualité. Par la vie fraternelle animée par l’Esprit, chacun entretient avec les autres un dialogue précieux pour découvrir la volonté du Père, et tous reconnaissent en celui qui est responsable l’expression de la paternité de Dieu ainsi que l’exercice de l’autorité reçue de Dieu, mise au service du discernement et de la communion.

La vie de communauté est aussi tout particulièrement, pour l’Eglise et la société, le signe du lien qui naît d’un même appel et de la volonté commune de lui obéir au-delà de toutes les diversités de race ou d’origine, de langue ou de culture. À l’encontre de l’esprit de discorde et de division, autorité et obéissance donnent un signe lumineux de la paternité unique qui vient de Dieu, de la fraternité née de l’Esprit, de la liberté intérieure des personnes qui s’en remettent à Dieu malgré les limites humaines de ceux qui le représentent.

Par cette obéissance, que certains endossent comme règle de vie, on fait l’expérience de la béatitude promise par Jésus à « ceux qui écoutent la Parole de Dieu et l’observent » (Lc 11, 28) et on l’annonce pour le bien de tous. En outre, celui qui obéit est assuré d’être vraiment en mission, à la suite du Seigneur et non porté par ses propres désirs ou ses propres aspirations. Il est ainsi possible de se savoir conduit par l’Esprit du Seigneur et soutenu par sa main ferme, même au milieu de grandes difficultés (cf. Ac 20, 22-24).[26]

Si la vie communautaire est le premier fruit et le premier domaine de l’obéissance religieuse, sa fin est la mission. Non pas “la dernière” dans l’ordre de l’importance car, au contraire, c’est justement cette fin que vise l’appel.

“L’obéissance religieuse est en même temps imitation du Christ et participation à sa mission. Elle se préoccupe de faire ce que Jésus a fait et, en même temps, de ce qu’il ferait dans la situation concrète dans laquelle le religieux se trouve aujourd’hui. Que, dans un Institut, le religieux exerce l’autorité ou non, il ne peut ni commander, ni obéir sans se référer à la mission. Lorsque le religieux obéit, il met son obéissance en continuité avec l’obéissance de Jésus pour sauver le monde. C’est pourquoi, tout ce qui dans l’exercice de l’autorité ou celui de l’obéissance relève d’un compromis, d’une solution diplomatique ou d’une pression, ou de tout autre type de combinaison humaine, trahit l’inspiration fondamentale de l’obéissance religieuse qui est de s’accorder avec la mission de Jésus et de l’actualiser dans le temps, même si cet engagement est onéreux.”[27]

La médiation charismatique

Cela dit, les contours de la communauté et de la mission auxquelles est appelé le religieux sont définis par le charisme propre à l’Institut. Le religieux ne reçoit pas un appel à la vie religieuse « au sens large ». L’appel n’existe pas dans l’abstrait, mais toujours dans telle ou telle réalisation charismatique concrète. Le Seigneur n’appelle pas tel ou tel chrétien à devenir religieux, sans plus, mais il les appelle à devenir franciscains, carmes, jésuites…, ou, dans notre cas, marianistes.

L’obéissance que doit entraîner le “oui” à l’appel du Seigneur est donc de soi obéissance au charisme particulier. Ce charisme surgit dans l’Eglise comme une inspiration du Seigneur, comme un élan et un appel venant de lui et exprimant sa volonté. Les Fondateurs ont reçu le charisme directement du Seigneur, par l’inspiration de l’Esprit. Les modalités concrètes, nous les recevons par la Règle, reconnue par l’Eglise et vécue concrètement par l’Institut.

“Les Instituts religieux sont nombreux dans l’Eglise et différents les uns des autres selon le caractère de chacun (cf. PC, 7, 8, 9, 10) ; mais chacun d’eux, avec la collaboration « d’hommes et de femmes remarquables », apporte sa vocation particulière comme un don suscité par l’Esprit (cf. LG, 45; PC, 1, 2), et reconnu authentiquement par la hiérarchie.

Le «charisme des Fondateurs» (Evang. Nunt. 11) se révèle comme une « expérience de l’Esprit », transmise à leurs disciples, pour être vécue par ceux-ci, gardée, approfondie, développée constamment en harmonie avec le Corps du Christ en croissance perpétuelle. « C’est pourquoi l’Eglise défend et soutient le caractère propre des divers Instituts Religieux » (LG, 44; cf. CD, 33; 35, 1; 35, 2, etc.).

Ce « caractère propre » comporte également un style particulier de sanctification et d’apostolat qui crée une tradition déterminée, de telle sorte qu’il est possible d’en analyser convenablement les éléments objectifs.

En cette période d’évolution culturelle et de rénovation ecclésiale, il est donc nécessaire que chaque Institut conserve son identité avec une assurance telle qu’on puisse éviter le péril d’une situation insuffisamment définie qui porterait les Religieux à s’insérer dans la vie de l’Eglise d’une manière vague et ambiguë, sans se référer suffisamment à leur caractère propre.”[28]

L’appel à la vie religieuse arrive par le biais du charisme. Pour le religieux, c’est le charisme qui décrit la volonté de Dieu et fixe les manières de l’incarner. Pour lui, concrètement, aussi bien pour la vie communautaire que pour la mission. De cette façon, il exige que l’obéissance religieuse soit incarnée, la préservant ainsi de tout flou et de toute ambiguïté.

Ce principe est très important pour le discernement de la vocation personnelle. Grâce à lui, celui qui se sent appelé détient des éléments objectifs pour vérifier si cet appel est réel ou non. L’appel doit rencontrer une sorte de “syntonie” dans le récepteur, dans celui qui le reçoit. L’ignorance ou l’indifférence vis à vis du charisme propre de l’institut auquel on se sent appelé par le Seigneur, le désir ou la recherche de ce qui ne s’y trouve pas, l’absence des qualités personnelles que son mode propre de communauté et de mission requiert, sont des signes évidents que l’appel prétendu est imaginaire.

Mais surtout, ce principe est important pour bien centrer la manière même de vivre la vocation, une fois qu’elle est discernée. La profession religieuse est tout entière un “oui” à l’appel du Seigneur, et par le fait, un engagement d’obéissance au charisme. Sans cette obéissance à la racine même de notre vie et de notre mission, la volonté de Dieu ne se réaliserait pas dans nos vies. N’oublions pas que nous avons professé notre “oui” au Seigneur, publiquement, dans l’Eglise, ”selon la Règle de la Société de Marie”. C’est dans cet engagement d’obéissance global à la vie et à la mission propre de l’Institut que s’inscrivent les vœux, donc le voeu d’obéissance.

Pour les Marianistes, avec cette conception de la profession religieuse, le vœu de stabilité prend un relief particulier. Par lui nous proclamons publiquement que notre consécration est un véritable acte d’obéissance au charisme. Par le vœu de stabilité nous nous engageons avec la Société de Marie, avec son charisme, et c’est de cette manière que nous obéissons au Seigneur. C’est exactement là, dans sa dimension d’obéissance, que trouve son point d’appui le sens marianiste du vœu de stabilité, comme acte d’alliance avec Marie, conformément à notre Fondateur.

Une obéissance partagée, “co-responsable”

Parvenus à ce point, nous pouvons mieux comprendre le sens et la pointe de la dernière phrase de l’article de la Règle que nous avons cité : “ nous nous donnons tout entiers à une communauté et à une Société dont les membres cherchent ensemble à réaliser la volonté du Père ”. Nous réalisons immédiatement que l’obéissance ainsi comprise ne peut être passive mais qu’elle dont être bien active. L’obéissance religieuse ne me demande pas simplement de faire ce qu’on me commande mais de participer activement à la recherche commune de la volonté de Dieu.

Dans le passé, la présentation de l’obéissance, enfermée dans le cadre de la relation avec l’autorité, n’a guère favorisé la perception de ce principe fondamental. Comme nous l’avons vu, il n’y a pas encore si longtemps, au regard de l’histoire de notre congrégation religieuse, on abordait les thèmes de l’obéissance avec, d’un côté l’apologie de l’autorité, et, de l’autre, l’exhortation à la soumission, comme si seuls quelques-uns avaient en exclusivité la mission de trouver la volonté de Dieu, ne laissant aux autres qu’à y acquiescer.[29]

Ce n’est pas que cette perspective ait été fausse – nous en avons traité plus haut – mais elle était trop étroite, alors qu’il s’agissait de situer correctement l’obéissance religieuse et d’y saisir tout ce qui est en jeu. La vocation est commune, et nous sommes tous engagés dans la recherche de ce que Dieu attend de nous lorsqu’il nous appelle à cette vie, avec ce qu’elle comporte concrètement, ici et maintenant. Cette recherche s’effectue à travers des ministères et des médiations diverses, (réunions, assemblées, conseils, chapitres, supérieurs, assistants, conseillers…) mais chacun y a une part de responsabilité et personne ne peut ni ne doit se sentir non concerné par elle.

L’intégration de ce principe dans notre Règle a requis un long processus de réflexion. Il est utile de le rappeler, non seulement pour des raisons herméneutiques mais aussi et surtout pour des raisons pratiques. Le chemin parcouru dans la réflexion s’est-il traduit dans la vie ? Quelles en sont les répercussions pratiques?

La coresponsabilité dans l’obéissance apparaît dans l’histoire très récente comme l’un des fruits de l’ecclésiologie du Concile Vatican II. Pour les Marianistes, ce fut le Chapitre général de 1971, qui mit en chantier la Règle actuelle, qui s’en fit l’écho : “Ces dernières années, la compréhension de l’autorité et de l’obéissance a évolué. Cette évolution a sa répercussion dans la vie religieuse et entraîne parfois des difficultés… Des difficultés ont également surgi quand on a voulu harmoniser l’exercice traditionnel de l’autorité avec les principes de collégialité et de subsidiarité pleinement acceptés depuis Vatican II.”[30]

Collégialité, subsidiarité : des mots nouveaux, des concepts nouveaux à intégrer dans l’expérience vécue de l’obéissance. Ils requièrent de nouvelles modalités, mais aussi des “mentalités” nouvelles. “Quoique la nature de l’autorité, telle qu’elle est indiquée actuellement dans les Constitutions, n’ait pas changé, la décentralisation actuelle du pouvoir et la pratique de la subsidiarité posent le problème du rôle spécifique de l’Administration provinciale.

Le Chapitre général est convaincu que la situation actuelle incite précisément les Administrations provinciales à jouer un rôle vital d’animation plus nécessaire aujourd’hui que par le passé. Le concept d’animation n’est en aucune manière opposé à celui d’autorité : il est plutôt une façon d’exercer l’autorité. L’Administration provinciale s’efforcera d’assurer ce rôle d’animation par l’exemple et les encouragements. Elle cherchera aussi à stimuler et à coordonner les efforts”.[31]

Animation, encore un concept nouveau introduit dans le vocabulaire du chapitre sur l’obéissance. Selon les termes du Chapitre général de 1976, qui consacra l’un de ses documents au gouvernement par animation,[32] “animer signifie essentiellement donner vie.

Pour donner vie à un groupe, il ne suffit pas de commander, surtout si l’on entend par là donner des préceptes qui encadrent la conduite des autres, ou amener les autres à exécuter des ordres venant du dehors. Exercer l’autorité par animation signifie faire appel à des motivations intérieures et cela au moyen de la persuasion, de l’encouragement, de la stimulation, de l’évaluation, et par-dessus tout, de l’exemple”.[33]

Impossible de nier que cette nouvelle approche, focalisée une fois de plus sur l’exercice de l’autorité, a provoqué une crise de cette même autorité, non dans son fondement, mais dans sa pratique. Il est facile de concevoir l’autorité de cette manière mais la pratiquer ainsi est difficile et requiert des qualités et des dispositions peu communes.

Devant cette difficulté, on a tendance à renoncer à son exercice. Si en plus on cède à la tendance, encore persistante, d’une pratique passive de l’obéissance, ne l’exerçant que face à un acte d’autorité explicite, on voit le résultat : un vide caractérisé du vécu de l’obéissance, dimension pourtant si essentielle à notre vie religieuse. Un tel vide fait perdre à l’obéissance le dynamisme prophétique et missionnaire qui doit la caractériser, et qui est intrinsèquement lié au dynamisme de notre recherche de la volonté e Dieu, de notre obéissance à cette volonté, et de notre assimilation de cette volonté dans notre vie concrète et actuelle.

Répétons-le : pour sortir de ce vide, il nous faut dégager la pratique de l’obéissance du carcan de l’autorité au sens étroit, pour la replacer dans la perspective de la vocation commune, car c’est là qu’elle trouve son véritable fondement. Tout ne dépend pas de l’exercice de l’autorité par les supérieurs et de la soumission des frères. Le dynamisme de notre obéissance requiert un esprit de renoncement et de sacrifice, mais elle se nourrit ailleurs, de la passion partagée pour répondre de manière authentique et cohérente à l’appel que le Seigneur adresse à tous.

La Règle a clairement résumé cette orientation et elle l’a développée dans l’introduction au chapitre VII du second livre. Inutile de la recopier ici ou d’en donner un nouveau commentaire. Que chacun relise attentivement les articles 7.1 à 7.8 de la Règle. Ils nous adressent un appel pressant à la coresponsabilité et à la participation au gouvernement, c’est-à-dire à l’orientation de la Société de Marie. « Le respect de ces principes par ceux qui sont chargés de l’autorité permet à bien des facteurs de jouer pleinement leur rôle : les fins communes, les structures, l’interdépendance d’hommes qu’unit la même vocation, le Supérieur et ses assistants, et finalement, d’une manière unique, chacun des religieux”. [34]

Note sur la prise de décision collégiale

Sous la conduite des Supérieurs,
la communauté détermine
les grandes orientations de sa vie,
après un sérieux effort collectif de prière et d’échange,
en vue de discerner la volonté de Dieu (art. 42)

La participation consiste dans la collaboration active de tous les membres d’un groupe, dans la mesure du possible, à la préparation, à l’exécution des décisions et à l’évaluation de leur mise en œuvre. Le discernement communautaire est le moyen normal qui permet la participation. (art. 7.4)

Ces deux articles de la Règle constituent un appel clair à la participation de tous à la prise des décisions qui touchent la vie communautaire. C’est là un devoir qu’impose l’obéissance et un exercice important permettant qu’y soit vécue la communion dont nous avons parlé. Mais c’est aussi un exercice délicat et il nous faut faire très attention à sa dynamique. Pour qu’il atteigne réellement le but qu’il se fixe, il y a des conditions à respecter. Je parle naturellement ici de décisions d’une certaine importance, qui touchent à la vie et à la mission, et non de questions mineures ou ponctuelles.

  1. Tout d’abord, il faut éviter de confondre la participation avec un processus de type “parlementaire”. Dans un parlement, s’affrontent et se confrontent des groupes et des factions animés par des intérêts et des idéologies divergentes. Ce qui compte là, c’est le pouvoir de la dialectique, la capacité d’argumenter, sinon de manipuler, pour en sortir vainqueur et obtenir le trophée final du vote favorable. Ce type de dynamique est incompatible avec la vie communautaire, basée sur un principe de communion et non de confrontation. En outre, elle ruine à la racine la communion évangélique en marginalisant systématiquement ce qui est son centre et son axe, le faible.
    Nous avons suffisamment expérimenté l’incompatibilité de cette dynamique avec la vie communautaire. N’avons-nous jamais été témoins du silence passif de frères qui se croient inférieurs ou moins bien formés ou encore, dépourvus de capacités dialectiques pour ce type de discussion ? N’est-il pas vrai que ces manières de faire sont particulièrement pénibles dans des communautés qui comptent plusieurs “grosses têtes” ou “poids lourds”? Le principe de communion doit être avant tout l’affaire de tous. Pour le sauvegarder, il peut parfois être nécessaire de soustraire la décision finale au pouvoir du vote, parfois despotique, pour la remettre au pouvoir d’un supérieur, qui, à travers sa relation personnelle avec chacun des frères, est capable de le garantir. Chaque frère doit se sentir accepté et écouté.
  1. On doit favoriser un climat de dialogue véritable, c’est-à-dire, d’interaction mutuelle dans la recherche. Cela suppose que chacun entre dans le processus de la “recherche”, convaincu qu’il ne possède pas toute la vérité et qu’il a besoin des autres pour y voir clair. Pour que l’interaction mutuelle puisse jouer, il faut aussi assurer un climat de liberté et de confiance, qui suscite en chacun le désir d’apporter sa propre contribution à l’échange et une contribution qui soit positive. La confiance et la liberté se brisent s’il y a des frères motivés par des visées inavouées, ou que certains se sentent jugés et suspectés dans leurs intentions. Créer ce climat de liberté et de confiance est une tâche pour tous et chacun. Qu’un seul le brise et tous en sont perturbés. Nous savons par expérience combien une seule personne est capable, par son attitude, de bloquer le dialogue de tout un groupe.
  1. L’idéal serait que toute démarche de prise de décision collégiale soit une authentique démarche de “discernement communautaire”. Mais ce n’est pas toujours possible. Le discernement, comme nous l’avons expliqué plus haut, se fait à partir du champ affectif des “motivations” et pas seulement du champ intellectuel des “raisons”. Les “raisons” sont d’ordre objectif et notionnel ; les “motivations”, outre les raisons incluent également les dimensions affectives. Dans une démarche de prise de décisions, pour que les décisions prises soient les bonnes, il faut clarifier les raisons qui les justifient ; mais il faut aussi et avant tout purifier les motivations qui les produisent. Du fait que le terrain propre du discernement est celui des « raisons du cœur », de ces raisons que souvent « la raison ignore », comme disait Pascal, – quand elle ne les masque pas -, ce processus est rendu vraiment exigeant et difficile. Il faut un degré de maturité humaine et spirituelle assez élevé pour mettre en lumière les vraies raisons et être disposé, en outre, à les soumettre à la critique purificatrice, dans l’interaction mutuelle.[35]
    Pour difficile qu’il soit, nous ne devons cependant pas renoncer au discernement ; gardons toujours vif, en fond de toile, le désir que toutes nos prises de décision tendent vers l’idéal d’un véritable discernement. Selon l’Instruction sur la vie fraternelle en communauté, “Le discernement communautaire est une démarche très utile, même s’il n’est ni facile ni automatique, car il suppose compétence humaine, sagesse spirituelle et détachement personnel. Là où il est pratiqué avec foi et sérieux, il peut offrir à l’autorité les meilleures conditions pour prendre les décisions que réclame le bien de la vie fraternelle et de la mission.”[36]

Chers frères, en ces temps de changement et de recherche, il est plus urgent que jamais de vivre dans l’obéissance au Seigneur, dans la docilité à l’Esprit. La recherche de la volonté de Dieu et la remise inconditionnelle à cette volonté sont incontournables. Seul le Seigneur crée du neuf, mais pour le faire, il attend toujours de retrouver, du côté des hommes, l’attitude qu’impliquait la réponse de Marie à Gabriel : “qu’il m’advienne selon ta Parole !” Puissent toutes ces réflexions contribuer à raviver notre disposition à vivre avec Elle dans l’obéissance !

Votre frère en « Jésus-Christ, Fils de Dieu, devenu Fils de Marie pour le salut des hommes »,

 

NOTES

NB : les citations bibliques sont empruntées à la Bible de Jérusalem.

[1] RV 6.
[2] Faciem tuam, Domine, requiram. Le service de l’autorité et l’obéissance (Instruction de la congregation pour les instituts de vie consacree et les societes de vie apostolique du 11 mai 2008, n° 8).
[3] En parlant du chemin de Marie la croyante, Jean Paul II écrit : « Il n’est cependant pas difficile d’observer en ce commencement une certaine peine du cœur, rejoignant une sorte de «nuit de la foi» – pour reprendre l’expression de saint Jean de la Croix- comme un «voile» à travers lequel il faut approcher l’Invisible et vivre dans l’intimité du mystère… Jésus avait donc conscience de ce que «seul le Père connaît le Fils» (cf. Mt 11, 27), à tel point que même celle à qui avait été révélé plus profondément le mystère de sa filiation divine, sa Mère, ne vivait dans l’intimité de ce mystère que par la foi! Se trouvant aux côtés de son Fils, sous le même toit, et «gardant fidèlement l’union avec son Fils», elle «avançait dans son pèlerinage de foi», comme le souligne le Concile » . (Redemptoris Mater, n° 17) (cf. LG n° 58)

[4] « Croire veut dire «se livrer» à la vérité même de la parole du Dieu vivant, en sachant et en reconnaissant humblement «combien sont insondables ses décrets et incompréhensibles ses voies» (Rm 11, 33). Marie qui par la volonté éternelle du Très-Haut, s’est trouvée, peut-on dire, au centre même de ces «voies incompréhensibles» et de ces «décrets insondables» de Dieu, s’y conforme dans l’obscurité de la foi, acceptant pleinement, le cœur ouvert, tout ce qui est prévu dans le plan divin. Quand Marie, à l’Annonciation, entend parler du Fils dont elle doit devenir mère et qu’elle « appellera du nom de ‘Jésus’ ( = Sauveur) », il lui est aussi donné de savoir que «le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père», qu’il «régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et [que] son règne n’aura pas de fin» (Lc 1, 32-33). C’est dans cette direction que s’orientait toute l’espérance d’Israël… Marie a grandi au milieu de cette attente de son peuple… Même si, à cet instant, elle s’est sentie dans la foi mère du « Messie-roi », elle a cependant répondu: « Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). Dès ce premier moment, Marie a professé avant tout son « obéissance de la foi », elle s’en remet au sens que donnait aux paroles de l’Annonciation celui dont elles provenaient : Dieu lui-même. (ibid, n° 14-15)

[5] Exposition sur l’Evangile selon Saint Luc, II, 26

[6] Intervention du P. Pascual Chávez, SDB, Supérieur général des Salésiens et président de l’Union des Supérieurs généraux, en conclusion de la 71ème assemblée semestrielle du 30 mai 2008.

[7] « Un vent d’indépendance semble avoir particulièrement soufflé sur les générations modernes, depuis que la philosophie du 18e siècle s’est mise à saper toute autorité par le sophisme et la raillerie, jetant en pâture au peuple le grand mot de liberté qui, pour lui, n’était que la licence effrénée de tout dire et de tout faire » (Circulaire nº 52: Le voeu d’obéissance, 28 mars 1859, Circulaires P. Caillet, p. 355)

[8] J. SIMLER, Instruction sur l’autorité, Circulaire nº 68, 25 mars 1896. « Qui de nous ignore que, dans les assemblées politiques, dans les discussions et même dans les simples conversations, la plupart des hommes parlent et raisonnent comme si les hommes étaient maîtres absolus d’eux-mêmes, sans avoir aucun compte à rendre à personne après cette vie : , comme si le pouvoir dérivait du nombre, de la force, de l’habileté, du succès et non d’une autorité supérieure à l’homme ; comme si Dieu n’existait pas, ou se désintéressait complétement des affaires des hommes ? » (n°3) « L’Eglise repousse la souveraineté du monarque au même titre et pour les mêmes raisons que la souveraineté du peuple, de la multitude, du nombre, pour réaffirmer la souveraineté unique de Dieu. » (n° 86)

[9] F.-J. KIEFFER, Instruction sur le vœu et la vertu de l’obéissance, Circulaire nº 3, 22 janvier 1935. La description que fait le P. Kieffer dans l’introduction de sa circulaire est intéressante et toujours d’actualité : « Partout, on répète que le monde actuel souffre d’une crise d’autorité. L’autorité a de la peine à produire ses titres, du moins des titres qui aient cours dans le monde contemporain ; la contrepartie en est une crise d’obéissance. La valeur des ordres et leur bien- fondé est discuté et finalement, en face d’une autorité qui ne s’affirme pas, on reste inerte quand on ne se révolte pas pour faire passer à l’autorité toute envie de s’imposer.
Crise de l’autorité familiale : nous en sommes les témoins trop fréquemment lorsque des parents à force d’avoir capitulé devant les exigences de leurs enfants, viennent nous avouer leur défaite et nous prient de reprendre en main ces enfants trop tôt émancipés. … Crise de l’autorité civile… Tout est mis en discussion, …tout représentant de l’autorité peut être cité à la barre de l’opinion publique. Heureux encore lorsque la caricature, sous toutes les formes, ne s’en mêle pas pour tuer, par le ridicule, ce qu’il pourrait ou devrait revendiquer d’autorité.
On pourrait ajouter que dans cette crise de l’autorité, la jeunesse court davantage le risque d’être atteinte. On a dit : ‘A vingt ans, l’homme est républicain – dans le sens de révolutionnaire -, à quarante ans, il est conservateur’. Et c’est qu’en effet, en entrant dans la vie, le jeune homme se sent en face de possibilités à l’infini ; ce lui est un jeu de faire de multiples expériences, et il croit enrichir sa vie de toutes les expériences tentées. D’où facilement un engouement pour l’indépendance et une irritation contre tout ce qui vient restreindre les libertés et, soi-disant, empêcher l’épanouissement de la personnalité. Plus tard, le frottement aux réalités de la vie, des expériences parfois cruelles, des mécomptes aussi, dissiperont certaines illusions, produiront une allure plus réglée et disposeront à l’acceptation de la disciple reconnue comme indispensable. » (Circulaire P. Kieffer, p. 159, sq)

[10] S.-J. JUERGENS, Les difficultés de l’obéissance, Circulaire nº 29, 28 mars 1955
[11] P.-J. HOFFER, L’obéissance religieuse, Circulaire nº 9, 12 mai 1959.
[12] Faciem tuam…, n. 2.
[13] P.-J. HOFFER, L’obéissance religieuse, Circulaire 9, mai 1955, n° 56
[14] Faciem tuam…, n° 15
[15] Cf. G.-J. CHAMINADE, Instruction sur l’obéissance, 12 mai 1840, n° 14.
[16] Faciem tuam…, n. n°4.
[17] Faciem tuam…, n° 5-6
[18] EO 373
[19] EO 377a
[20] Faciem tuam…, n° 7.

[21] Par cette expression entre guillemets, je fais allusion au Préambule pour faire élection, un texte clé pour le discernement dans les Exercices de Saint Ignace: “En toute bonne élection, dans la mesure où elle dépend de nous, l’œil de notre intention doit être simple, regardant uniquement ce pour quoi je suis créé: pour la louange de Dieu note notre Seigneur et le salut de mon âme. Aussi, quelque choix que je fasse, il doit tendre à m’aider pour la fin en vue de laquelle je suis créé, et ne pas ordonner et soumettre la fin au moyen, mais le moyen à la fin. En fait, il arrive que beaucoup choisissent en premier lieu le mariage, ce qui est le moyen, et en second lieu le service de Dieu notre Seigneur dans le mariage; or, c’est le service de Dieu qui est la fin. Il y en a d’autres aussi qui veulent d’abord posséder un bénéfice et ensuite y servir Dieu. De la sorte, ces gens-là ne vont pas droit à Dieu, mais ils veulent que Dieu vienne droit à leurs attachements désordonnés. Ils font de la fin un moyen et du moyen une fin. Ainsi, ce qu’ils devraient mettre en premier, ils le mettent en dernier, car, en premier lieu, nous devons avoir pour objectif la volonté de servir Dieu, ce qui est la fin, et en second lieu d’accepter un bénéfice ou de nous marier, si c’est pour nous préférable, ce qui est le moyen en vue de la fin. Rien ne doit donc me pousser à prendre ou à laisser tel ou tel moyen, si ce n’est uniquement le service et la louange de Dieu notre Seigneur et le salut éternel de notre âme.” (Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Desclée de Brouwer,1960, p 95-96)

[22] “L’examen est considéré par les Constitutions, comme l’exercice pratique de ce précepte du divin Maître: omnibus dico, vigilate. Je le dis à tous, sans excepter personne, veillez sur vous-mêmes. C’en est assez pour le recommander à tous les religieux et le leur faire aimer”. (Const. 1839, art. 43). Le P. Chaminade insistait sur l’importance de l’examen général, de l’examen appelé “particulier” et de l’examen de l’oraison il suivait l’enseignement de Saint Ignace, pour lequel l’examen était aussi important sinon plus important que l’oraison dans la série des exercices et dans la vie spirituelle. Il suffit de voir, entre autres exemples, le plan de vie qu’il établit pour Marie-Thérèse de Lamourous (EO 11) ou l’introduction des points d’examen dans les retraites (cf. EO 340;343;346;348;351;353), ou ses considérations sur la pratique de l’oraison mentale (EO 505)

[23] Il est utile de rappeler ici ce que le P. Chaminade disait à ce sujet : “Le Sauveur du monde nous apprend lui-même que la condition indispensable pour voir Dieu, c’est d’avoir le cœur pur. En vain donc l’âme serait-elle éclairée des plus brillantes splendeurs de la foi si le cœur n’était pas pur. Cette foi, retenue captive, ne servirait qu’à la rendre plus coupable et plus malheureuse. Ainsi, tous nos efforts, tous nos travaux, tous nos combats doivent tendre à purifier notre cœur. Et c’est là effectivement tout l’objet du christianisme. Car, avoir le cœur pur, c’est n’aimer que Dieu, ne chercher que lui et ne tendre qu’à lui de toutes ses forces…” (EO 515-516)

[24] Règlement général du noviciat de St Laurent, Bordeaux, ED II, 246.
[25] Dans le paragraphe qui suit, le P. Chaminade ajoute: “Mais le vœu d’obéissance, … considéré matériellement dans son objet, ne pourvoirait pas suffisamment au sacrifice perpétuel de la volonté, puisqu’il n’oblige directement et pour lui-même que dans les circonstances rares où les Supérieurs légitimes font un commandement exprès” (ibid., 247)
[26] JEAN PAUL II, Vita consecrata (25 mars 1996) ; n° 92
[27] CONGRÉGATIÓN POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACREE, Potissimum institutioni. Orientations sur la formation dans les instituts religieux (2 février 1990), n° 15.
[28] SACRÉE CONGRÉGATION POUR LES RELIGIEUX ET LES INSTITUTS SÉCULIERS – SACRÉE CONGRÉGATION POUR LES ÉVEQUES, Mutuae relationes. Directives de base sur les rapports entre les Evêques et les religieux dans l’Eglise (14 mai 1978), n°.11.
Cet autre texte, plus récent, reprend le même principe: « Les personnes consacrées sont aussi appelées à suivre le Christ obéissant dans le cadre d’un “projet évangélique”, ou charismatique, suscité par l’Esprit et authentifié par l’Église. Cette dernière, approuvant un projet charismatique en tant qu’Institut religieux, garantit que les inspirations qui l’animent et les normes qui le régissent peuvent donner lieu à un itinéraire de recherche de Dieu et de sainteté. De même, la Règle et les autres normes de vie deviennent ainsi médiation de la volonté du Seigneur : médiation humaine, mais qui fait toujours autorité, imparfaite mais en même temps contraignante, point de départ pour prendre la route chaque jour, mais à dépasser dans un élan généreux et créatif vers la sainteté que Dieu “veut” pour chaque consacré.” (Faciem tuam…, n°. 9)
[29] Malgré des appels à un exercice de l’autorité qui favorise la participation de tous, le concile Vatican II n’a pas échappé à cette problématique dans le n° 14 de Perfectae Caritatis. Des documents postérieurs du magistère, comme nous l’avons vu , développent davantage ce principe de co-responsabilité et de recherche en commun. (cf. Faciem tuam… ,n°.12)
[30] Doc 4, n° 23. (cf. L’Ecoute et la Parole, p.43)
[31] Doc 5, n° 3. (cf. L’Ecoute et la Parole, p. 49)
[32] Doc E, n° 101-124 (cf . l’Ecoute et la Parole, p. 176 sq)
[33] ibid., n°. 105.
[34] RV 7.7.
[35] « Ce discernement, parfois laborieux, aboutit d’autant plus sûrement que chacun fait preuve de maturité et sait se mettre à l’écoute du Seigneur quand il lui parle par ses Frères”. (RV 42)
[36] CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACREE, Congregavit nos in unum Christi amor. La vie fraternelle en communauté (2 février 1994), n°. 50.

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