Présentation de la spiritualité d’Adèle

Pourquoi parler d’Adèle aujourd’hui ?

Sa réputation de sainteté, dès sa mort, a été en s’élargissant, et le Pape Jean-Paul II, en 1986, a proclamé l’héroïcité de ses vertus. Mais si elle n’est qu’une vénérable figure du passé un peu poussiéreuse qui sent la naphtaline, autant la laisser dans le placard ! En fait, dès qu’on ouvre sa Correspondance, publiée en 2 tomes (avec un troisième tome d’index), on tombe sous le charme : fraîche et vive, exigeante et absolue, elle se révèle à la fois d’une grande humilité (elle fait preuve de beaucoup d’humour à propos de sa faible vertu) et d’un sens très sûr dans le discernement spirituel (son équilibre et sa maturité ont été remarquées par les théologiens).

Elle a beaucoup à nous apprendre pour notre vocation chrétienne laïque et religieuse.

Adèle et Chaminade

Lors des grands rassemblements marianistes, les deux portraits des « fondateurs » sont toujours côte-à-côte… Mais c’est sûr qu’ils n’ont pas joué le même rôle dans l’édification de notre famille spirituelle et que les différentes branches de la Famille Marianiste ne sont pas aussi familiers avec Mère Adèle qu’avec le Père Chaminade.

C’est un fait, mais j’espère que ce soir, Adèle va conquérir vos cœurs… et si ce n’est pas le cas, ce sera de ma faute ! Donc pour éviter des malentendus, comme comparer ce qui n’est pas comparable ou ne pas attribuer à chacun ce qui lui revient, prenons le temps de situer le Père Chaminade par rapport à Adèle.

  1. D’abord chronologiquement : Chaminade est né en 1761, Adèle en 1789. Quand ils entrent en contact épistolaire en 1808, elle a 19 ans, lui 57. Elle est issue d’une famille de vieille noblesse, installée dans la campagne agenaise ; elle a connu les vicissitudes de la Révolution, les humiliations, l’appauvrissement et l’exil, mais tout cela pour ainsi dire de façon passive, elle n’était qu’une enfant.
    Lui, d’une famille de bonne bourgeoisie de Périgueux, s’est installé au cœur de la ville de Bordeaux et a lutté de toutes ses forces d’homme mûr contre la déchristianisation entraînée par la Révolution, jusqu’en terre d’exil. Elle est morte à 38 ans, lui à 89 ans. Elle l’appelle « mon bon Père », « notre bon Patriarche » (305.2) et a beaucoup d’admiration pour lui, pour la prudence dont il fait preuve dans la multitude d’affaires qu’il gère en même temps, pour sa force puisée dans la foi et l’oraison, etc., elle lui fait confiance et lui ouvre son cœur. Il la nomme « ma chère enfant », et estime son jugement, son tempérament, son discernement, il en fait, par correspondance, une de ses plus ardentes collaboratrices dans l’œuvre des Congrégations et de l’Institut religieux. Bref, il a l’âge et l’ascendant d’un père pour elle, et elle a l’âge et la docilité d’une fille pour lui.
  1. Si on schématise ensuite l’apport de ces deux figures à la Famille Marianiste, on peut dire que c’est bien du Père Chaminade que vient l’intuition originale de l’alliance missionnaire avec Marie, intuition qu’Adèle a reçue et mise en pratique dans l’enthousiasme (cf. branche de l’étoile). Apôtre zélée, malgré son jeune âge, elle a exercé une exemplaire maternité spirituelle à l’égard des jeunes filles de la « Petite Société », de ses sœurs en religion et de tous ceux avec qui elle est entrée en relations. Et en ce sens s’il est le « théologien », le « théoricien », elle en est par excellence le disciple. Elle l’appelle « un nouveau François » [de Sales], et se considère donc un peu, mutatis mutandis, comme une nouvelle Jeanne de Chantal.
    Il a beaucoup écrit et prêché (6 tomes d’Écrits et Paroles) et constitué une méthode originale d’ascèse : la méthode des vertus. Elle n’a rédigé que de petits catéchismes à l’usage de ses sœurs sur cette méthode des vertus et notre seule source pour connaître sa spiritualité est sa correspondance, c’est-à-dire des écrits de circonstances peu développés qu’elle écrit dans la hâte (« Mon cœur voudrait avoir quatre mains pour pouvoir écrire à toutes mes chères filles ! » 528.2). On ne peut donc pas parler de la spiritualité d’Adèle au même titre qu’on parle de la spiritualité du Père Chaminade.
  1. Enfin, il est beau de voir ce que l’un et l’autre se sont apportés : comment le disciple se laissa former par son prudent maître, mais aussi comment le maître s’est laissé influencer par l’ardeur de son disciple. Parce qu’à 14 ans, avec son amie Jeanne Diché, Adèle avait fondé une association qui rejoignait les ambitions des Congrégations du Père Chaminade, elle demanda l’affiliation de la Petite Société aux Congrégations de Bordeaux, enthousiasmée par les fruits de cette nouvelle dévotion à Marie. Et jusqu’à sa mort elle développa cette œuvre missionnaire, encourageant d’autres à le faire, notamment sainte Emilie de Rodat qui, à Villefranche, sur la pressante invitation d’Adèle, fit essaimer les Congrégations de jeunes filles. C’est cette Petite Société pour laquelle Adèle a renoncé au mariage qui fut « le principe dont le bon Dieu a voulu se servir pour former les premières pierres de l’édifice » de l’Institut religieux (589.3).
    Parce qu’Adèle portait, depuis l’âge de 11 ans, un projet de vie religieuse, c’est elle qui a poussé le Père Chaminade à écrire des Constitutions pour un ordre régulier, les Filles de Marie, Constitutions qu’il adapta à peine pour fonder la Société de Marie. Adèle parle d’ailleurs de la fondation des religieux en ces termes : « une petite communauté de religieux de notre Ordre » (327.4) ; « nos Frères religieux du même Institut » (417.5). Pour Adèle, il est clair que l’Institut des Frères est de la même famille, c’est une nouvelle branche. Si la réalisation de l’Institut des Filles de Marie ne correspondait pas tout à fait à ses vues (elle ne voulait pas la clôture ni les classes et le pensionnat), elle fit confiance au Père Chaminade. Et ce n’est qu’après la mort d’Adèle, en 1836 à Auch, que le Père Chaminade concrétisa son vœu très cher en fondant le Tiers-Ordre régulier pour l’évangélisation des campagnes : « Et l’ « Œuvre des campagnes » ? J’y tiens bien, mon bon Père, ayant été de nos premiers projets ; je serais au comble de mes désirs de la voir réussir ! Oh ! si vous connaissiez le besoin de la plupart ! » (354.6).

Il est important de garder ces trois points à l’esprit (différence d’âge et de longévité, rapport de maître à disciple et influence réciproque) pour que ni l’une ni l’autre de nos deux grandes figures ne perdent de leur force en comparaison.

« Tendons tous à devenir de grands saints ! »

  1. Adèle avait pris comme devise : « La volonté de Dieu en tout et sa plus grande gloire ! Ce doit être notre devise » (425.4). Or, la volonté de Dieu sur chacun de nous, Adèle n’en doute jamais, c’est un dessein de sainteté : nous sommes tous appelés à la sainteté ! (cf. Vatican II) Comme plus tard Thérèse Martin, Adèle exprime en toute simplicité ce désir que Dieu lui a mis au cœur : devenir une grande sainte. « Tendons toutes à devenir de grandes saintes : c’est là la volonté de Dieu ! » (510.8)
    Une ambition parfaitement évangélique, qui n’a rien à voir avec de l’orgueil mal placé, car pour ce faire, il faut devenir tout petits : « Allons mon enfant, il faut devenir une grande sainte pour la plus grande gloire de Dieu, et, pour cela, devenez bien petite en humilité » (625.6). Adèle répète très souvent cette parole du Père Chaminade : « Avec des saintes nous ferons beaucoup de choses, mais avec des religieuses médiocres, nous ne ferons rien ou presque rien » (404.11 ; 409.5 ; 467.4 ; 480.3 ; 495.5). Les Filles de Marie ont donc pour ambition d’éviter d’être des « religieuses médiocres » !!
  1. La sainteté C’était son but pendant sa vie laïque à travers la Petite Société qui regroupait des jeunes filles se stimulant dans la vie chrétienne ; ce fut aussi son but pendant sa vie religieuse cf. les trois fins de l’Institut : « 1° tendre incessamment à sa propre sanctification; 2° travailler au salut des autres; 3° se tenir dans une vigilante réserve pour ne pas se laisser atteindre par la contagion du siècle, dans les rapports qu’on doit avoir avec lui. » On pourrait résumer le projet des Instituts religieux marianistes en trois mots : sainteté, mission, conversion. Deux points importants ici : le désir de sainteté est communautaire et missionnaire (cf. branches de l’étoile). Il ne se réalise qu’en communauté avec d’autres (la Petite Société, l’Institut ; pas de chrétiens seuls : Eglise, communauté paroissiale, fraternités, etc., importance de la vie communautaire dans la Règle de nos instituts religieux, à la différence de l’État).
    Et il est par nature missionnaire (cf. Paul : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ») « Nous ne nous faisons pas, mes chères sœurs, religieuses dans l’Institut uniquement pour vaquer à notre propre sanctification. C’est bien là notre premier but. Mais nous ne l’opérerions pas, si nous manquions au second, qui est de nous consacrer à procurer le salut du prochain [par la prière, l’instruction et le travail] » (641).
  2. D’ailleurs Adèle est entourée d’exemples : sa maman a très certainement été une sainte femme, le précepteur de son frère qui lui rédige un Petit Règlement est également quelqu’un de bien !, ses amies l’édifient, ses sœurs ensuite, selon ses propres dires, et puis elle a des correspondants de qualité comme sainte Emilie de Rodat, et bien sûr le Père Chaminade. Elle vit dans la communion des saints cf. en-tête des lettres : une croix et les monogrammes JMJT Jésus, Marie, Joseph, Thérèse, ses saints préférés : saint Joseph « ce grand protecteur » (neuvaines, litanies, Ave, patron de la première maison), sainte Thérèse, réformatrice du Carmel (« Du courage, ma chère Gonzague, il en faut pour travailler à la réforme de soi-même et des autres !
    Invoquons notre grande sainte Thérèse, c’est une bonne patronne pour les réformes ! » (611.6), saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Ignace dont elle reprend la devise, saint François d’Assise et sainte Claire pour la pauvreté à laquelle elle exhorte ses sœurs, Mme Louise de France, princesse devenue carmélite, saint Jean de la Croix, sainte Madeleine de Pazzi, etc. (Quelle est notre familiarité avec les saints ? les saints portés sur l’autel ou les innombrables inconnus)

Esquisse des grandes étapes de sa vie spirituelle

Car enfin, elle n’est pas sortie sainte du ventre de sa mère ! Malgré la brièveté de son existence, elle est passée par des étapes exemplaires et nous laisse le témoignage d’une humanité bien incarnée, centrée sur ce combat de toute sa vie, le renoncement à sa volonté propre pour devenir conforme à la volonté de Dieu.

À quatre ans, elle était une enfant à la volonté très affirmée, aux colères et emportements fréquents.

À onze ans, elle fait sa première communion et cesse « ces petites colères d’enfant » mais garde une « excessive vivacité » selon sa cousine.

Elle se sent une vocation religieuse et demande au précepteur de son frère, ancien séminariste, un Règlement de Vie ; ce dernier, qui devait bien la connaître, le rédige en insistant sur l’obéissance et la voie de l’amour. L’amour sera son secret, à 15 ans elle écrit : « Aimons-le enfin, et avec cet amour tout nous sera facile » (34.5). Le moyen le plus sûr d’être conformé à Dieu : l’abnégation de sa volonté propre, c’est-à-dire l’obéissance (et ce n’est pas seulement pour les religieux qui ont des Supérieurs ! Obéissance aux mille contrariétés de nos journées, aux personnes qui ont une influence sur nous, à notre conjoint, à nos enfants, à nos collègues, etc.).

C’est lors de sa confirmation qu’elle rencontre Jeanne Diché et qu’elles vont fonder toutes les deux la Petite Société dont Adèle est l’âme. Chaque année, lors de quelques jours de retraite, elle réitère des résolutions qui traduisent son combat spirituel.

Mais son projet de vie religieuse est mis en balance lors d’une demande en mariage qui avait tout pour plaire : crise spirituelle. Adèle prie, demande conseil, souffre et se débat, pour finalement choisir de refuser et rester disponible.

Quand la paix revient en elle et que tout semble aboutir, son père tombe gravement malade : elle l’assiste avec délicatesse et abnégation, et le « cher projet » de vie religieuse est encore retardé.

Enfin, le Père Chaminade semble prêt pour la fondation, mais voilà, ce qu’il en dit n’est pas ce qu’Adèle avait rêvé, et puis quand elle quitte au petit matin le château familial pour fonder l’Institut des Filles de Marie, elle n’a encore jamais rencontré de visu le Père Chaminade ni lu un mot des Constitutions dont il vient à peine de terminer la rédaction… Quelle foi ! Sa cousine la compare à un « nouvel Abraham » !

Elle accepte une vie religieuse qui diffère de ses projets, et fait face aux multiples difficultés d’une fondation (le dénuement, les maladies et les morts des Sœurs, la surcharge d’activités, les règlements provisoires, les aléas dans le discernement des vocations, etc.)… Elle devient Supérieure sans jamais en avoir eu une pour sa formation !

Elle traverse les soubresauts d’une maladie sur plusieurs années, prenant ses repos forcés comme occasion de croître dans le renoncement, ce qui, pour son tempérament vif et actif, est une vraie croix, d’autant plus que la communauté est fragile, la santé des sœurs branlantes, et qu’il n’y a jamais assez de bras pour assumer la multitude de tâches. Puis elle succombe à la maladie et meurt encore jeune.

Sa cousine rapporte le témoignage de son agonie, deux jours avant sa mort, le 8 janvier 1828 : « Son état de faiblesse devenant de plus en plus alarmant, on fit appeler M. Le Supérieur pour lui faire la recommandation de l’âme. Elle comprit. L’ennemi du salut profita de la conscience timorée de cette âme si pure pour lui inspirer des terreurs. J’ai peur, dit-elle. Ne craignez rien, bonne mère, lui dit la mère Saint-Vincent ; vous ne voulez que la volonté de Dieu. – Oui, dit la mère, mourante, tout ce que Dieu voudra » (Positio, p. 556, [88], je souligne).

 

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