Mère Adèle et le carmel

Attrait du carmel

Une poupée habillée en carmélite

Très tôt, Adèle est habitée par le désir du Carmel comme le rapporte sa cousine Elisa de Castéras dans ses Mémoires :

« L’éloignement du monde et le désir de se consacrer toute à Dieu fut comme l’un des premiers instincts de la jeune Adèle ; aussi, dès le plus jeune âge, car sa famille était extrêmement liée avec ces saintes filles, elle les avait souvent entendu nommer. Elle se plaisait à habiller ses poupées en carmélite, et, ne sachant pas encore écrire, elle s’amusait à griffonner sur du papier, disant qu’elle écrivait à un ecclésiastique, alors visiteur des carmélites, et elle avait une collection de cette prétendue correspondance. » (Positio p 517)

On peut se demander ce que signifient ces relations de la famille avec les carmélites ?

Adèle a-t-elle entendu parler des carmélites d’Agen ?

Le 1° octobre 1772, la communauté avait été obligée de se disperser : à l’époque, la communauté comptait 21 choristes, 5 converses. La prieure et 5 religieuses se réfugient à Saragosse, au Carmel, où elles restent jusqu’à leur mort. Les vingt autres carmélites restent à Agen – Monsieur Despans offre l’hospitalité à une religieuse très âgée et infirme et six autres autorisées à rester pour la soigner, les autres se rapprochent. Elles gardent leur habit religieux sous un autre qui le recouvre entièrement. Elles se réunissent pour la récitation de l’office, les exercices religieux, les repas. Bientôt, elles ne se séparent plus. Des amis dévoués les cachent quand une visite domiciliaire est signalée.

En 1807, elles achètent une pauvre maison où elles retrouveront vie solitaire et clôture. En 1841 sera inauguré un Carmel reconstruit. Il est possible aussi qu’Adèle ait entendu conter l’histoire des carmélites de Compiègne qui, le 17 juin 1794, mourraient sur l’échafaud à Paris.

« Arrêtées pour être demeurées groupées après la suppression de leur monastère, traduites devant le tribunal révolutionnaire, l’une d’elles, à ce que l’on rapporte, eu la présence d’esprit de demander à Fouquier Tinville ce qu’il entendait par le terme de « fanatique » dont il les gratifiait, et sur sa réponse : « votre fanatisme, c’est votre sot attachement à vos stupides pratiques religieuses », elle s’écria : « Oh ! Mes sœurs, vous avez entendu : nous sommes condamnées pour notre religion… Quel bonheur de mourir pour notre Dieu !… » Au pied de l’échafaud, elles renouvelèrent leurs vœux et entonnèrent le Veni Creator qui ne s’éteignit qu’avec la dernière. »

Désir de rester en Espagne pour entrer au Carmel (séjour à Saint Sébastien du 23/09/1800 au 4/11/1801)

Le jour de l’Epiphanie 1801, Adèle fait sa première communion en l’église Santa Maria de Saint Sébastien. Cette église jouxte le Carmel. Ne peut-on penser qu’Adèle et sa mère seront allées prier avec les religieuses ? Toujours est-il qu’en août, quelques semaines avant de quitter l’Espagne, Adèle exprime à sa mère son désir de rester à Saint Sébastien de façon à pouvoir entrer au Carmel (Il n’est toujours pas rétabli en France).

Sa mère parvient à la convaincre de regagner la France avec sa famille, après lui avoir donné l’assurance de lui permettre de revenir en Espagne afin d’entrer au Carmel à sa majorité si celui-ci n’est pas restauré en France. (cf. Positio p 522)

Notons qu’au retour, Adèle sera particulièrement marquée par le spectacle de désolation qu’offrent les villages, les campagnes qu’elle traverse.

Règlement de vie spirituelle

En 1802, arrive au château Monsieur Ducourneau, religieux qui se préparait au sacerdoce au moment où éclate la Révolution. Il vient à Trenquelléon pour s’occuper de l’éducation de Charles, le jeune frère d’Adèle.

En 1802, il a 37 ans, « ses qualités intellectuelles et morales, sa vie régulière, sa piété eurent bien vite gagné la confiance du château » (Lettres d’Adèle, Tome I, p 412).

Adèle, alors, ne songe qu’au Carmel. Sur les conseils de sa mère qui si joignit à elle, elle demande à Monsieur Ducourneau un règlement adapté à sa situation et à son projet d’avenir.

Dans ce règlement, Monsieur Ducourneau met l’accent sur : l’amour de Dieu, la fuite des mauvaises compagnies, l’obéissance aux parents, la charité, le travail sur sa vivacité, l’amour de la retraite, la modestie, le travail des mains, l’humilité, la pauvreté…

Il lui permet la communion tous les huit jours, à certaines fêtes de l’année, après une confession « simple, naïve et sincère » la veille. (Lettres d’Adèle, Tome I, p 417)

Il lui recommande : ½ h d’oraison matin et soir, les Heures de l’Office de la Très Sainte Vierge, la messe le matin, ¼ h de lecture spirituelle, l’examen en fin de matinée, un peu de récréation, le travail, une courte lecture avant l’oraison du soir, le chapelet parfois, la prière du soir avec toute la famille et l’examen de conscience.

Il lui conseille de lire : l’Evangile, l’Imitation de Jésus Christ, la vie des Saints, d’autres livres de spiritualité en vogue ou tout autre livre choisi par sa mère. (cf. Lettre Tome I – p 418 à 420)

A la suite de ce règlement, Adèle écrit :

« Je prends la résolution de dire tous les jours un Sub Tuum pour la personne qui m’a fait ce règlement ; […] je prends la résolution de m’appliquer principalement à la pratique de l’humilité, de la douceur, de l’obéissance ; de renoncer à ma propre volonté et de faire toujours celle des autres de préférence à la mienne, de m’appliquer enfin à la pratique de toutes les vertus, en particulier de celles qui sont le plus nécessaires pour mon état actuel et le Carmel.

Jésus, Sainte Marie, St Joseph, Ste Thérèse, St Bernard, priez pour moi !

[…] Me ressouvenir sans cesse de ce que je veux être ; me rendre sans peine à ce que papa et maman demandent de moi. » (Tome I – p 420)

Adèle a à peine 13 ans lorsqu’elle se met à pratiquer ce règlement destiné à la préparer à son entrée au Carmel.

Préparation à la confirmation

Le 17 octobre 1802, le siège épiscopal d’Agen, vacant depuis plusieurs années, reçoit Monseigneur Jacoupy comme évêque. Une des premières préoccupations du nouveau pasteur est de donner la confirmation aux chrétiens qui le désirent.

Adèle a 13 ans 1/2, elle acquiesce avec joie à la proposition de sa mère qui vient d’être informée de l’intention de l’évêque. (cf. Positio p 522)

Pour se préparer à accueillir le don de l’Esprit, de cet Esprit qui dispose à la mission, au témoignage, elle sollicite de sa mère la permission de vivre quelques temps avec les carmélites qui se sont regroupées à Agen dans la clandestinité. La maman accepte, cela lui sera reproché, ne veut-elle pas peser sur l’avenir de sa fille ?

Adèle passe six semaines avec les carmélites d’Agen. La clôture n’étant pas rétablie, elle suit la prière, les activités des religieuses. Elle en éprouve une grande joie. Toute sa vie, elle gardera le souvenir de la célébration de ce sacrement le 6 février 1803.

Pendant ce séjour, elle découvre le carmel de l’intérieur ; son désir de consécration au Christ s’approfondit en même temps que le don de l’Esprit qu’elle reçoit l’ouvre encore plus aux besoins des campagnes, ces besoins dont elle a pris conscience en traversant le Sud-Ouest au retour de l’exil.

Le jour même de la confirmation, l’évêque invite à sa table les confirmands et leurs parents. Adèle se trouve à côté de Jeanne Diché. Les deux jeunes filles sympathisent au point que leurs pères s’en aperçoivent. Monsieur de Trenquelléon propose à Monsieur Diché d’envoyer sa fille passer quelques jours au château pendant les vacances. Une amitié durable est née entre Adèle et Jeanne, amitié qu’elles entretiennent par une correspondance assidue par laquelle elles s’encouragent mutuellement à vivre leur vie chrétienne, à être témoins de Jésus Christ là où elles vivent tant et si bien qu’en août 1804, alors que les deux amies se trouvent au château pour des vacances, Monsieur Ducourneau leur propose la création d’une association spirituelle qui aurait pour but de se préparer à une bonne mort et travaillerait à la rechristianisation des campagnes.

« Chaque associée tâchera, s’il lui est possible, de jeter les yeux sur une personne de son sexe afin de la gagner à Dieu et de lui inspirer le désir de le servir et de se sauver » (Article 2 du règlement de la « Petite Société »)

Les deux amies acquiescent à cette proposition, elles font vite des recrues ; Jeanne et Adèle sont les animatrices de la « Petite Société », animation qui se fait par lettre. Le 23 avril 1805, Adèle reste animatrice principale, Jeanne venant d’épouser Monsieur Belloc. Certes, Jeanne continuera d’être active dans l’association, mais en second.

Confiance en Sainte Thérèse

Nous n’avons pas les lettres échangées entre Jeanne et Adèle avant et au début de la fondation. Ce que nous pouvons constater, c’est que toutes les lettres d’Adèle portent en-tête JMJT (Jésus Marie Joseph Thérèse). Cela atteste la place qu’elle accorde à Thérèse de Jésus. Ne l’a-t-elle pas invoquée aussi au moment de signer le règlement de vie spirituelle préparé par Monsieur Ducourneau.

Elle a constaté les besoins spirituels de la France. Elle a fondé une association pour la rechristianisation des campagnes. Jeanne vient de lui abandonner la responsabilité de cette association et voilà que quelques mois plus tard, en octobre 1805, elle écrit à Agathe, la sœur de Jeanne : « Nous approchons de la fête de Sainte Thérèse. On m’a promis de m’admettre au céleste banquet ce jour-là ; priez Dieu que je m’y préparer dignement. Je la ferai à l’intention de connaître ma vocation. » (Lettre 22.4)

Les choses ne sont-elles pas aussi claires qu’il y a quatre ans ? Au contact de la réalité, des nécessités des campagnes, la consécration à Jésus Christ n’est-elle pas en train d’évoluer vers une vie plus apostolique tout en gardant une dimension apostolique certaine ?

Trois ans plus tard, Adèle entrera en contact épistolaire avec le fondateur de la Congrégation mariale de Bordeaux, l’association deviendra une branche de la Congrégation, la dimension missionnaire s’approfondira, sans perdre toutefois l’enracinement profond dans l’amour du Christ et cela donnera lieu à la fondation des Filles de Marie le 25 mai 1816.

Avant de conclure cette partie, demandons-nous d’où peut venir cette place privilégiée qu’Adèle fait à Thérèse et au carmel dans sa spiritualité.

Cela vient probablement de sa mère qui possède dans sa bibliothèque la vie, les œuvres de Sainte Thérèse (cf. Positio p 65). Cela peut venir aussi de l’estime que la famille porte aux carmélites, de ce que l’on dit du Carmel à la maison.

En tout cas, en 1805, quand Adèle prie Thérèse de lui obtenir des lumières sur sa vocation, elle connaît la vie de cette sainte, elle veut l’imiter comme en témoignent ces lignes :

« Je vous propose ce jour-là, outre les « Actes » de la semaine, six actes d’humilité en l’honneur du temps que passa Sainte Thérèse en sécheresse. Nous nous humilierons devant Dieu, en reconnaissant que nous méritons bien toutes les privations puisqu’une Saint Thérèse a été ainsi éprouvée. » (Lettre 22.4)

Relations avec le carmel après la fondation

Lorsqu’Adèle et ses amies s’installent au Refuge, le Carmel ne se trouve plus chez Monsieur Despans où Adèle fit sa retraite de confirmation.

Toutefois, les relations continuent avec le Carmel.

  • En octobre 1816, les carmélites ont renseigné Mère Adèle sur le prix d’un ornement (cf. Lettre 309.9)
  • Dès la fondation, le Père Mouran, ami du Père Chaminade, a été nommé supérieur et confesseur de la communauté d’Agen. Hors il s’occupe également du Carmel. (Lettre 724.6)
  • En 1825, Mère Adèle s’édifie à la lecture de la circulaire nécrologique d’une carmélite d’Agen. Elle souhaite que l’on écrive aussi quelque chose à la mort d’une sœur (Lettre 582.15)
  • Enfin, c’est la supérieure de Tonneins, Mère Marie du Sacré-Cœur, qui demande à Mère Adèle de transmettre une commission aux carmélites d’Agen (Lettre 676.1)

D’autre part, des sujets sortis de l’Institut se sont orientés vers le Carmel, en particulier sœur Hélène : « Sœur Hélène y est très contente et professe depuis longtemps ». (Lettre 693.4)

Et c’est forte de cette réussite qu’Adèle conseille dans la même lettre, le Carmel pour Sœur Angélique. Le Carmel ou les Filles de Marie, c’est là l’hésitation sur laquelle butte Sœur Célestine en 1820. Le père Chaminade précisera, dans une lettre qu’il adresse à cette sœur, les deux « voies », comparant l’ordre du Carmel et le nouvel ordre.

« L’Institut de Marie et la réforme de Sainte Thérèse ont l’un et l’autre pour objet de conduire leurs sujets à la plus haute perfection, mais par des voies différentes. L’Institut de Marie nous montre ou plutôt nous trace la route que nous devons suivre pour aller à Dieu et nous unir à lui. La Réforme de Sainte Thérèse fait connaître plus particulièrement la voie par laquelle Dieu vient à sa créature et se communique à elle. Dans l’un et l’autre état, vous voyez la même fin, la même perfection, la même sainteté: mais la manière d’y tendre est bien différente.

Dans l’Institut de Marie, l’illusion ne peut s’introduire que bien difficilement et doit être bientôt aperçue ; dans la Réforme de Sainte-Thérèse, le Démon peut plus aisément prendre la forme d’ange de lumières.

Dans l’Institut de Marie, des Chefs fervents peuvent aisément, la Règle à la main, conduire ses sujets à la perfection ; dans l’autre, c’est un malheur presque irréparable s’il ne se trouve pas, parmi les Chefs, des âmes parvenues déjà une haute perfection et qui aient l’expérience des communications divines.

Dans l’Institut de Marie, la lumière de direction dans les voies divines est plus communiquée à ses élèves par les Chefs et Supérieures qu’elle ne l’est directement de Dieu dans l’oraison ; c’est le contraire dans le Carmel : c’est pour cela que j’ai dit que l’illusion pouvait plus facilement s’y glisser.

Dans l’Institut de Marie, il n’y a pas de longues prières, ni vocales, ni mentales, mais beaucoup de travail, sanctifié par le recueillement et un silence religieux; dans la Réforme de longs offices et de longues oraisons, solitude, etc… : tout est conséquent dans l’un et dans l’autre, d’après le plan de sanctification présenté dans les deux par l’Esprit-Saint. » (Lettre du Père Chaminade du 11 juillet 1820 n°142)

C’est à la lumière de ces précisions, je crois, qu’il faut comprendre une réflexion de Mère Adèle quelques années plus tard : « […] L’Institut ne doit pas recevoir des sujets inutiles, il y a d’autres ordres, tels que le Carmel, où cette sainte fille pourrait se sanctifier. » (Lettre 692.1 et cf. 693.4) Cette jeune fille était probablement impropre à l’apostolat, mais tout à fait capable de participer à la vie carmélitaine. Mère Adèle estimait trop le Carmel pour y envoyer un sujet dont elle aurait pensé que ce n’était pas la vocation.

Ainsi, tout au long de sa vie, Mère Adèle demeurait-elle proche du Carmel. Nous allons essayer de voir maintenant de quelle façon cela s’est traduit dans la vie quotidienne.

Usages importés du carmel

Adèle, jeune adolescente, a été très marquée par sa première communion, sa confirmation. Elle va donc emprunter au Carmel des usages qui conduisent ou favorisent la vie d’intimité avec l’Epoux, la disponibilité à l’Esprit Saint.

* Le rendez-vous de trois heures (la Congrégation de Bordeaux, à ses origines, ne semble pas connaître cette tradition. Elle n’est mentionnée dans aucun texte de l’époque primitive – 1801-1809 cf. revue internationale n°3 p 20 et Sv.)

L’une des coutumes des carmélites d’Age précisait qu’à trois heures, la cloche rappelle la mort du Seigneur : chacune, prosternée dans sa cellule, s’y unit durant un instant, puis reprend son labeur recueilli.

Adèle parle plusieurs fois dans ses lettres du rendez-vous de trois heures (lettre 52.9 ; 61.7 ; 74.9 ; 158.7)

Le règlement de la « Petite Société » stipulait (n°8) :

« A trois heures du soir, les associées se réunissent tous les jours en esprit sur le calvaire, pour adorer la mort de Jésus Christ, lui unir la nôtre et faire un acte d’amour aux sacrées plaies du Sauveur. Cette pratique est toute intérieure et peut se faire sans se déranger des occupations, même des compagnies où l’on pourrait se trouver. »

* La lecture spirituelle

Adèle a dû voir cela chez les carmélites mais Monsieur Ducourneau lui donnait déjà une place importante dans le règlement de vie spirituelle qu’il lui avait donné.

* Les billets avec les dons du Saint Esprit

Autre pratique en usage au Carmel, semble-t-il, pratique propre à entretenir une vie dans l’Esprit. Voici ce qu’Adèle écrivait à Agathe Diché en mai 1806 : « J’espère passer avec vous le saint jour de la Pentecôte. Nous ferons les billets des dons et des fruits du Saint Esprit et nous les tirerons pour voir celui qui tombera à chacune. » (Lettre 40.7)

* Le saint sacrement

Quand Mère Adèle fait une fondation, elle rappelle la joie de Sainte Thérèse, dans ses fondations, d’installer le saint sacrement : « Oh ! Combien nous devrions aimer Jésus Christ au Très Saint Sacrement et apprécier le bonheur de le posséder dans nos propres maisons ! Sainte Thérèse appréciait dans ses fondations, surtout de mettre Jésus Christ dans un autel de plus. » (Lettre 711.3)

Les saints du Carmel trouvent aussi leur place dans la vie d’Adèle (nous y reviendrons), mais aussi Elie auquel le Carmel se rattache, et Elisée. « Le prophète Elie ne reconnut point la présence du Seigneur dans un vent très fort mais dans un paisible zéphir. » (Lettre 8.3)

« Supplions le Seigneur de nous jeter le manteau de ses vertus, comme le prophète Elie fit vis-à-vis d’Elisée. » (Lettre 185.3)

« Le bon Père est brûlant du zèle de la gloire de Dieu ! Soyons ses vraies enfants, comme d’autres Elisée, demandons son double esprit. » (Lettre 713.2)

Saint Jean de la croix : « prenez cette devise de Saint Jean de la Croix (…) souffrir et être méprisé » (Lettre 468.3)

Madame Acarie :

« Je trouve comme vous beaucoup de vertus dans Madame Acarie. Tâchons de profiter de nos lectures. » (Lettre 22.3)

Sainte Madeleine de Pazzi, enfin Mademoiselle Louise de France, sont en bonne place.

« Qu’on agisse toujours avec cette économie scrupuleuse qui craint de blesser un vœu qui doit nous être précieux. Mademoiselle Louise de France l’aimait tant ! Toutes les saintes religieuses en ont fait leur vertu favorite. Soyons pauvres en tout ! » (Lettre 428.5)

Autre pratique, mise en service après la fondation : des sentences des saints, des spirituels, de l’Ecriture transcrites sur des cartons apposés au mur et dont le but est de favoriser l’intériorité. (cf. 412.5)

A côté de ces coutumes, on en trouve d’autres qui sont plus extérieures :

  • les noms de religions (Sainte Thérèse est la première, semble-t-il, à avoir pratiqué cette façon de faire. (cf. 233.9)
  • Les catégories de sœurs (sœurs de chœur ou sœurs compagnes ou converses) (cf. 353.5)
  • Le confesseur ordinaire et le confesseur extraordinaire : « Monsieur Laumont est le confesseur extraordinaire de la communauté, c’est-à-dire que nous nous confessons à lui tous les trois mois. » (Lettre 347.7)
  • Le manteau de chœur (lettre 353.14)
  • Le guichet pour la communion (lettre 441.2)
  • Le parloir avec une écoutante (lettre 476.5)
  • La clôture (lettre 326.4)
  • Le cimetière dans le couvent : « nous avons la permission d’enterrer ici. C’est dans la vieille église, derrière la sacristie, qu’est notre cimetière. » (lettre 462.7)
  • Une paillasse, des souliers de corde (lettre 589.6)

Toutefois, à la différence du Carmel, les sœurs n’ont pas de cellule personnelle, elles dorment dans un grand dortoir. Elles ne travaillent pas individuellement, mais toujours ensemble.

« Nous n’avons point de cellule, nous couchons plusieurs dans une chambre jusqu’à ce que nous puissions avoir un seul dortoir. Nous devons toujours travailler ensemble, en silence et recueillement, lorsque les exercices et les œuvres nous laissent du repos ». (Lettre 472.3)

Ces derniers points sont certainement inspirés par la règle de Saint Benoît. Mère Adèle n’écrit-elle pas à Mère Emilie de Rodat : « Nos constitutions sont nouvelles, mais basées sur la Règle de Saint Benoît et Saint Ignace surtout. » (Lettre 346.11)

Enfin, Mère Adèle attache une grande importance au travail manuel : « Le travail manuel nous est commandé rigoureusement et plus impérativement que la prière. » (Lettre 346.11)

Influences du carmel sur quelques axes essentiels

L’oraison

On a vu qu’Adèle y consacre ½ h matin et soir depuis l’âge de 13 ans. Elle admire Sainte Thérèse en qui elle voit une femme d’oraison :

« Oh ! Si nous connaissions le prix de l’oraison, de cette conversation intime avec le céleste Epoux, des grâces qu’y recevait une sainte Thérèse ! C’est là où elle puisait le miel de cette sublime doctrine qu’elle distribuait à ses filles. Allons puiser à la même source. » (Lettre 456.6)

« Tâchons de devenir des filles d’oraison. C’est dans l’oraison que sainte Thérèse, saint François d’Assise, etc., puisaient les lumières pour conduire leur cher troupeau. Prions mieux, chère fille, tenons-nous plus recueillies, plus unies à Dieu dans nos actions. Faisons comme le bon Père : une élévation avant de parler et de répondre. » (Lettre 565.2)

L’oraison, une conversation intime avec le Seigneur, un lieu de grâce, un lieu où l’on trouve la lumière, la force pour la mission.

« Prenons nous-mêmes une bonne nourriture par l’oraison, la récollection, l’union à Dieu. » (Lettre 458.3)

« Trouvons notre force en Dieu dans l’oraison ». (Lettre539.2 ; 543.13 ; 621.7)

Cette oraison se prolonge tout au long du jour.

« Que je désire que la fille de mon cœur soit la fille de la vie intérieure, cachée dans le Cœur adorable de l’Epoux, Le rendant seul dépositaire de ses secrets, conversant avec le Bien Aimé habituellement dans le cours de la journée. » (Lettre 591.2)

Elle écrit à une novice : « Que ma chère Gabrielle soit fille d’oraison et d’une véritable oraison, sans illusion, cherchant purement Dieu seul et non les consolations de Dieu, sa volonté toute simple, toute une ! » (Lettre 552.3)

Fille d’oraison, d’une oraison qu’elle a apprise auprès de Sainte Thérèse avant d’y être encouragée par le Père Chaminade. N’a-t-elle pas les accents de Sainte Thérèse lorsqu’elle commente cet acte proposé par Jeanne Diché, alors qu’elle n’a que 17 ans ? « Hélas, mon Dieu, comment pouvais-je être tranquille, vous si loin de moi et moi si loin de vous ! […] Comment pouvions-nous être tranquilles un instant, étant dans la disgrâce et l’éloignement souverain de l’unique bien de nos âmes ! » (Lettre 57.1.2)

Et pour vivre de l’oraison, elle recommande le recueillement, le silence.

Au début le silence, la solitude, le désert sont vus davantage par Adèle comme moyen de mourir au monde trompeur, à ses vanités. Le cloître lui apparaît comme le paradis, le refuge avec Dieu et les saints. De plus en plus, le silence est perçu comme le moyen d’écouter Dieu.

« Jésus naît dans l’obscurité de la nuit : apprenons de là, à aimer la vie cachée en Dieu, à fuir le monde et à aimer la solitude et le silence. C’est dans la solitude où Dieu parle au cœur. » (Lettre 60.5)

Ne peut-on lire aussi là une influence de Saint Jean de la Croix qui nous dit que c’est dans le silence de la nuit que le Fils de Dieu, le Verbe éternel, est entré dans ce monde pour y commencer l’œuvre de notre Rédemption. Adèle recommande le silence à ses associées : « Les vierges chrétiennes, les épouses de Jésus Christ, doivent se plaire dans la solitude ; c’est là où elles entendent la voix du Bien-Aimé. » (Lettre 184.4)

Avec la fondation, elle hérite du Père Chaminade pour conduire sur les chemins de la vie spirituelle. Elle cherchera à initier ses sœurs à la pratique des cinq silences (parole, signes, imagination, esprit, passions). Le silence est la première vertu qu’elle recommande aux novices. Elle rédigera un catéchisme des silences.

Mortification – souffrances – maladies

Chez Adèle, on trouve deux aspects relatifs à la mortification :

  • Souffrir pour dompter la nature, expier les péchés. Ce n’est pas thérésien, c’est plutôt l’influence de l’époque. A cela elle ajoute la patience, la douceur, le silence qui lui viennent de Saint François de Sales.
  • L’autre aspect est Thérésien : la mortification, l’acceptation des souffrances pour imiter le Sauveur.

« Puissions-nous imiter les vertus qu’il nous prêche de sa crèche et surtout la pauvreté et la mortification. » (Lettre 467.6)

« Voudrions-nous mener une vie bien tranquille, bien heureuse sur la terre, tandis que notre aimable Sauveur et tous les saints ont mené une vie de croix et de douleur ? Quelle honte d’être un membre délicat sous un chef couronné d’épines ! » (Lettre 19.4)

« Personne ici-bas ne peut s’exempter de souffrir : souffrons donc en la compagnie de Jésus Christ. » (Lettre 260.4)

« Souffrons pour Dieu. » (Lettre 277.4)

A sœur Dosithée, elle écrit :

« Je vois avec peine que votre santé est toujours souffrante, mais le bon Dieu a sans doute ses desseins. Il vous veut une épouse de croix, Il veut que vous marchiez sur les traces de tant de saintes qui ont passé leur vie dans les plus cruelles maladies et qui, cependant, ont pu travailler à la gloire de Dieu, témoin : la grande sainte Thérèse. » (Lettre 617.5)

Enfin, à deux reprises, elle cite cette devise de Sainte Thérèse : souffrir, ou mourir. (Lettre 401.4 et 434.2) La maladie, c’est une visite du Seigneur (cf. lettres 553.2 et 654.4)

Quant aux malades, à la suite de sainte Thérèse, elle les considère comme une source de bénédiction pour les communautés. Or, dès le début, Agen a été visité par la maladie. « Nous avons aussi toujours des malades mais sainte Thérèse les appelle la bénédiction d’une maison. » (Lettre 654.4 et 472.8) « Je lisais l’autre jour que les malades étaient une source de bénédiction pour les communautés et faisaient plus pour leur bien que plusieurs agissantes. Voyons les choses avec les yeux de la foi et tenons-nous, comme Marie, debout au pied de la croix. » (Lettre 568.3)

A propos de la maladie, je voudrais noter que, contrairement à son époque, Mère Adèle garde un sain équilibre. Elle veille à soigner les santés, elle se fait proche des malades, recommandant à l’économe de leur donner du laitage sucré pendant le carême. Certes, il faut accueillir la maladie si elle se présente, mais tout faire pour garder ou retrouver la santé pour le service de la mission.

Pauvreté

Adèle aime à rappeler les fondations de sainte Thérèse quand elle et ses sœurs éprouvent la pauvreté. Dans ce cas, Thérèse se retrouve avec Jeanne de Chantal.

« Aimez la sainte pauvreté. J’ai dans la pensée que le bon Dieu veut nous éprouver là-dessus grandement, mais nous avons été précédées dans cette noble carrière par les Thérèse – elle s’endettait beaucoup – par les Chantal : elles en souffraient et leurs communautés aussi. Grande confiance en Dieu, abandon en sa Providence. » (Lettre 541.5 et cf. 487.4 et 697.5)

Thérèse est un peu comme un phare dans sa vie, une sainte sur qui elle aime porter son regard. Une sainte qui avec d’autres, mais en particulier Claire, Chantal, a balisé le chemin. Une sainte qu’elle admire, qu’elle veut suivre : « Nous sommes dans la carrière des Thérèse, des Claire, des Chantal : animons-nous par ces saints modèles, devenons des saintes. » (Lettre 480.3 ; 489.6 ; 627.4)

Et puisque Thérèse est comme une grande sœur qui l’a devancée, elle se tourne vers elle pour la prier et lui demander de l’aider à discerner sa vocation. (Lettre 22.4)

Elle engage les sœurs de Tonneins à prier Thérèse ainsi que Marie et Saint Joseph pour sœur Louise-Marie qui va bientôt mourir. » (Lettre 459.3)

Elle invite encore à l’invoquer lorsqu’elle sent qu’à Condom il est besoin d’une profonde conversion : « Invoquons notre grande Sainte Thérèse, c’est une bonne patronne pour les réformes. » (Lettre 611.6)

Le Carmel, à travers sainte Thérèse en particulier, est bien vivant chez Mère Adèle. Il a exercé une influence profonde, lui apportant lumière, confiance, expérience sur le chemin nouveau où le Seigneur l’appelait avec ses sœurs.

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