La Femme de l’Alliance

Quand Dieu fait un rêve

« DIEU EST AMOUR »

Avec ces trois mots, Saint Jean a écrit la phrase la plus inouïe jamais prononcée. Un Paul Valéry y a vu l’illumination au soir de sa vie.

Pour les théologiens, Dieu est « simple » c’est à dire qu’on ne peut ni le fragmenter, ni l’analyser. N’importe quelle pièce de la « machine-Dieu » est Dieu tout entier… On ne peut le démonter pour en aligner sur la table les concepts qui le composent. Certes, nous pouvons regarder Dieu sous divers angles, et lui donner des noms variés: « miséricorde », « créateur », « justice », voire « châtiment »…. Tous ces qualificatifs ne peuvent que redire d’une autre façon le mot « amour » et lui être rigoureusement coextensif.

Quand nous oublions cette définition fondamentale, nous mettons une idole en face de nous; nous ne rencontrons plus notre Dieu, tel qu’il a voulu se révéler à l’homme.

DIEU EST DONC COMMUNICATION

Dépoussiérons le vocable « amour » de toute « sous-marque » trompeuse. Pour aimer, il faut être plusieurs, et il y a amour dans la mesure où l’un se donner gratuitement à un autre. L’échange amoureux est une co-création réciproque.

Nos mots sont impuissants et trompeurs pour le dire. Les « amoureux » de la terre recourent aux images, aux cadeaux, aux fleurs, à la poésie, à la chanson, à la musique, au dessin… Leur langage parle au-delà des mots. Souvent d’ailleurs tous ces « vocabulaires » inventés n’ont de signification que pour eux , et c’est l’essentiel. Peu importe que ceux du dehors les trouvent ridicules ou attendrissants, selon leur a priori  : ils n’y comprennent rien.

Alors, quand il s’agit de dire l’amour qui est Dieu avec les mots de la terre, les hommes sont bien impuissants… Les mystiques inventeront un langage symbolique; les hommes ordinaires se contenteront d’extrapoler à partir de leur expérience d’hommes et de femmes; les théologiens, eux, ont créé tout un attirail de mots et de concepts, que nous rassemblons sous le titre de « mystère de la Très Sainte Trinité ». Mots et concepts nécessaires et en même temps trop courts. Notre foi, du « coeur » comme de la tête, a pour noyau la foi au « Dieu-Trinité » qui est la manière théologique de répéter que notre Dieu est « amour ».

Le signe de la croix, comme le Credo nous redisent concrètement ce Dieu-Trinité, ce Dieu-Amour. C’est à cette foi qu’on reconnaît le chrétien.

COROLLAIRE : EN DISANT « CREATION », NOUS DISONS « AMOUR »

Tout ce que nous pouvons « dire » de Dieu, ne sera jamais qu’une manière multiple de décliner cet « amour » qu’il est.

La Création est une des manifestations de cet Amour. La Création sort du coeur de Dieu, gratuitement, comme une efflorescence de l’amour que vivent le Père, le Fils et l’Esprit. Et Dieu signe sa création en plaçant à son sommet l’homme. L’homme créé à  » l’ image et à la ressemblance » de Dieu, est créé « homme et femme », appelé à l’amour. Ainsi, est inscrit dans notre chair le mot par lequel Dieu se dit éternellement.

ET DIEU SE MET A REVER

Si Dieu est amour, sa relation avec l’homme ne pourra être qu’amour. Et puisque cette créature a reçu, avec l’empreinte de l’image de Dieu, la liberté et la capacité d’aimer, Dieu n’aura qu’un rêve : que l’homme Le choisisse, Lui, Dieu, librement, gratuitement, en réponse à son amour donné depuis toujours. Dieu, de toute éternité, est tombé amoureux de l’humanité.

L’humanité est la fiancée que Dieu aime. Infiniment plus riche qu’elle, Il n’a qu’un désir : la combler de Sa richesse, lui faire partager Sa vie, l’introduire dans Sa maison, faire luire sur son visage la joie qui rayonne dans la Trinité.

L’ « histoire sainte », notre histoire, est l’histoire de cette quête obstinée, où les esquives et refus de l’homme n’ont d’égalb0 que la « fidélité » de Dieu. Dieu vient sur les routes de notre terre pour séduire la femme avec laquelle il veut sceller une alliance sans repentir.

Sous le titre de « la femme de l’Alliance », découvrons cette recherche amoureuse, où se situent Marie, l’Eglise, et au terme, le Christ, mariage indissoluble de Dieu avec l’Humanité.

« Elle courait après ses amants et moi elle m’oubliait » (Osée)

L’éternel prend le risque de l’histoire

Parce qu’il aime, Dieu ne veut pas s’imposer à l’homme. Créateur de sa liberté, il la respecte jalousement. Il désire le combler, mais Il refuse de s’accommoder d’une réponse contrainte, imposée par la force.

Dieu se rend vulnérable; il lie sa liberté suprême à la liberté de sa créature. L’Eternel immuable entre dans les aléas de l’histoire.

Cette histoire où, depuis le Paradis perdu, l’élue se dérobe, revient à Celui qui l’aime, pour retourner bien vite à d’autres amours interdites, cette histoire du combat jamais achevé du péché et de la grâce est l’Histoire Sainte.

« Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas »… Cette parole se vérifie bien avant l’Incarnation. C’est une « bonne nouvelle » que Dieu soit au milieu de son peuple, en amoureux qui frappe à la porte..! Et pourtant, presque toutes les générations verront en lui un intrus. Dieu ne cesse d’être vu par l’homme comme celui qui empêche de vivre….Mais rien ne découragera Dieu…!

Le cadeau de l’Alliance

Dieu veut faire une vraie alliance avec l’homme. Comme dans un mariage, il y aura « communauté de biens ». Dieu n’a d’autre cadeau que lui-même, puisqu’il est « simple », non dédoublable entre ce qu’il est et ce qu’il a. Il veut faire participer l’homme à son être d’amour, le rendre capable d’aimer comme Lui. C’est pourquoi on parlera d’un amour « théologal », qui en grec veut dire « à la manière de Dieu ».

Ce don précieux porte un nom traditionnel : c’est la « grâce » : le mot désigne à la fois la gratuité, la splendeur, la beauté, la bienfaisance, la miséricorde.

Il y a bien des grâces. Lorsqu’il s’agit de ce don, cette grâce est une grâce « sanctifiante », c’est à dire « déifiante », faisant participer à la vie même de Dieu. Par ce don, l’homme qui est déjà la créature de Dieu, voit son être enrichi d’une dimension divine. Un peu comme une Fabiola, par son mariage avec Baudoin a été transformée en « reine », ce qu’elle ne serait jamais devenue par ses efforts propres…

Dieu a toujours rêvé d’un don inouï pour sa fiancée.

Un âne qui n’a pas soif….

L’ âne a la réputation d’avoir un prodigieux pouvoir de dire « non ». Et là il est redoutable. A qui dit « non », impossible de faire avaler quoi que ce soit. Y compris pour son bien. A moins qu’on ne recoure à la perfusion. C’est justement ce que Dieu ne voulait pas faire avec l’homme : l’ayant créé à son image, c’est à dire libre, il n’a pas voulu le traiter en animal.

La longue litanie des « non »

Et voilà le drame : tout don suppose un donateur… Mais le don n’aboutit que s’il y a une main qui s’ouvre pour l’accueillir.

Et il y a des mains qui se refusent : orgueil de la créature qui n’accepte pas de « se recevoir » d’un autre… C’est sans doute le péché d’Adam. Notre époque prométhéenne connaît bien ce refus, aveuglée par l’éclat de ses prouesses techniques, dont elle ne voit que des décennies plus tard les méfaits cachés. Nous sommes toujours menacés par ce « non » brutal.

Mais il est des « non » partiels plus subtils et cachés… Nous les ignorons souvent.

Un confrère, qui avait été longtemps à Bordeaux, avait un jour offert à des amis une excellente bouteille. Il fut remercié chaleureusement. Et pourtant, il fut meurtri. « Ils ont bu cette bouteille comme du vulgaire picrate ». Il avait fait cadeau d’une bouteille prestigieuse, et pour lui, c’était un don merveilleux. Mais les amis n’ont reçu qu’un cadeau ordinaire, mesquin… Car l’essentiel n’en n’a pas été « apprécié » Une bouteille à peine améliorée d’un « vin de divers pays de la communauté européenne » , avec un bel emballage, aurait produit le même effet. Est perdue la marchandise, et tout l’amour du maître de chai qui avait « élevé » ce vin avec amour et une expérience consommée.

Il faut une longue éducation pour dire des « oui » vrais et entiers.

Offrir un magnifique disque laser à un enfant ne veut rien dire si on ne l’a pas éduqué à aimer la musique et à la savourer.

Offrir un livre d’un prix Nobel de littérature, c’est bien… Mais si on me l’offre en « japonais », on ne me donne qu’un tas de papier avec des signes dont je peux sans doute apprécier le caractère esthétique, mais dont le message et l’enchantement me seront à jamais étrangers.

Sur notre terre, combien d’amours sont données… Beaucoup… Mais combien sont reçues, intégralement reçues, selon toute leur dimension et leur profondeur? Bien peu sans doute, et il n’est pas de trop de toute une vie de couple pour que se creuse dans le conjoint le nid dans lequel cet amour pourra un jour se blottir selon sa totalité, à tout le moins, avec une densité plus grande. Et combien de divorces ont-ils pour cause un amour qui n’a cessé d’être raboté, incompris, mutilé parce que reçu uniquement par la superficie, la peau, l’extérieur ?

Dieu, pédagogue de son peuple

Dieu va donc faire l’éducation de son peuple, lui apprendre patiemment à ouvrir la main, l’esprit, le coeur au don qu’il veut lui faire. Dieu va apprendre à son peuple à parler sa langue, celle de l’amour.

Pendant des générations, il l’avertit de ne pas chercher un salut de pacotille dans le confort matériel, la ressemblance aux autres nations, la puissance qui permet de conquérir les autres et de leur imposer ses lois…

Et se révèlent des coeurs merveilleux : Noé, Moïse, David… Et tant d’autres modestes, dont quelques noms nous sont venus : Ruth, Anne…

Mais c’était finalement son Fils qu’Il voulait nous donner… Sans doute bien des filles d’Israël auraient été heureuses de porter le Messie promis… Mais est-ce bien le Messie de Dieu qui serait né… Ou plutôt un Messie tronqué, mutilé, parce que reçu selon une petite dimension, dans la mesquinité d’un désir trop court ?

L’ attente de l’Ancien Testament s’est allongée certes de toutes les impasses des péchés… Elle a été aussi pour l’humanité le temps de la croissance, jusqu’à ce qu’elle devienne nubile pour son Dieu.

Un « OUI » cristallin

Notre coeur est fait pour Toi…

Dieu en a fait des tentatives auprès de notre humanité…. Il en a reçu des « oui », … si vite oubliés. Car l’homme a toujours rêvé de conquérir le ciel à la force de ses poignets. Dieu nous dit que cette conquête nous échappe : elle est hors de notre portée, parce qu’elle est hors de notre nature. Mais Il en a mis la nostalgie au fond de notre coeur, et ce que notre nature est incapable de conquérir , elle peut le recevoir d’un amour qui le lui offre : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre âme est sans repos, tant qu’elle ne repose en toi », dit St Augustin.

Le « Paradis », qui n’est autre que l’amour transformant de Dieu, ne peut-être objet de conquête. Il est donné gratuitement à qui s’ouvre pour le recevoir.

Une aube dans la nuit

Le « Peuple de Dieu » est humilié; ses « rois » ont été prisonniers, le temple détruit, et le nouveau n’a rien de la splendeur que lui avait donnée Salomon. Les chefs n’ont confiance qu’en des alliances humaines, où ils sont bernés et trompés au gré des remous de l’histoire.

Restent les « petits », le bas-peuple, qui subit et souffre. La Bible les appelle les « Anawim », les « chétifs ». La vie leur a durement appris à ne pas faire de rêve d’ambition conquérante. Ils font écho au psaume 130 :

Seigneur, mon coeur est sans prétentions,
mes yeux n’ont pas visé trop haut.
Je n’ai pas poursuivi ces grandeurs
ces merveilles qui me dépassent

Le peuple des pauvres, qui se sait entre les mains de Dieu, est enfin prêt à recevoir de Lui la déclaration bouleversante, l’invitation aux noces.

Une liberté totalement épanouie

Nous sommes libres. C’est notre fierté et notre revendication. Et pourtant, au fond de nous, qu’elle est souvent minable cette liberté! Nous disons bien des « oui », mais si souvent tronqués, réticents, boiteux, mutilés. Nous pensons être libre quand nous sommes face à un choix. En vérité, ce choix n’est pas entre deux objets extérieurs à nous. Il est en nous, car nous sommes divisés, anarchiques. Nous aimons tout et son contraire. Nous choisissons entre deux tendances qui nous portent à des objets contradictoires. Nos actes libres sacrifient toujours une partie de notre moi, que nous continuons à aimer, même si nous nous résignons à ne pas répondre à ses appels.

Nos libertés sont le règne du plus fort dans un royaume divisé. Heureux encore, si le plus fort est le meilleur….

Dieu, qui veut être choisi sans restriction, va se préparer une fiancée au coeur non partagé, dont la liberté sera l’engagement total d’un amour sans réticence ni lutte. Par le « privilège » de l’Immaculée Conception, Dieu invente le stratagèmequi permette à un être de notre racede donner une réponse d’un seul élan, dans un choix joyeux et unique.

Avec ce privilège de l’Immaculée Conception, Marie replante sur notre terre la jeunesse de l’humanité, telle que voulue par Dieu à son origine : la liberté humaine est redevenue chez elle l’expression sans restriction de l’Amour.

La dignité de l’homme

Créé à l’image de Dieu, l’homme ne cesse de couvrir cette image des rides ou des déchirures du péché. Au point que souvent il ne croit plus en sa capacité d’être aimé, ni de lui-même, ni des autres.

Or voici qu’il y a désormais, chez nous et non pas dans un monde autre, une femme de notre race en qui liberté et amour peuvent grandir jusqu’à la plénitude. Auprès d’elle,l’ espérance renaît : notre nature a la capacité d’un « oui » sans retour à Dieu. Nous sommes « tordus », certes, mais « rectifiables ». Notre regard sur l’homme est un regard heureux : tout homme, et nous d’abord, est « éducable » à l’amour et au bien.

Marie, par son existence même, nous rappelle la dignité inaliénable de l’homme, qui est d’être ordonné à Dieu, et en Lui au bien; et l’homme a la capacité d’y atteindre, en dépit du péché.

Dieu ne fait pas ombre à l’homme.

Privilège de Marie, l’Immaculée Conception, révèle lumineusement le jeu mystérieux qui ne cesse entre le Dieu créateur et l’homme. Tout vient de Dieu, et à travers le don même de Dieu naît la liberté de l’homme.

Un confrère âgé venait de subir une importante opération. A la suite de quoi il s’était installé dans le refus total de se nourrir : les infirmières les plus dévouées se risquaient-elles à lui donner « la becquée », il recrachait sur elles la cuillerée qui ne franchissait pas sa glotte. Une amie vient le visiter… et d’elle, il accepte la nourriture… et reprend rapidement goût à la vie. La décision était en lui… et pourtant, sans le face à face d’un visage aimé, son subconscient aurait continué à s’emmurer dans un refus suicidaire. L’amie lui a donné à la fois la nourriture et la capacité de l’accepter.

Le « Oui » vient réellement de Marie, de son coeur épanoui dans une totale et pleine liberté dès sa conception. Mais ce « oui » de Marie est lui-même don de Dieu. C’est l’amour de Dieu qui éveille toutes les puissances de son coeur jeune et « virginal », totalement disponible, et lui donne de s’ouvrir au don dont il veut la combler.

Le « oui » de l’humanité

« Qu’il me soit fait selon ta parole ». Marie en donnant sa réponse. donne la réponse que Dieu guettait sur les lèvres de l’homme depuis la fin du sixième jour de la création. Et lorsque Dieu entend Marie, c’est toute l’humanité qui lui répond. Par Marie, notre race dit un « oui » définitif à Dieu. Nous pouvons nous extraire de ce « oui », en le refusant. Mais a priori, et de toute éternité, Dieu nous le crédite.

Au matin du monde, Dieu se promenait « heureux » au jardin d’Eden… Désormais, le Seigneur peut « mettre son plaisir » en nous; notre terre est redevenue « l’épousée ». (Isaïe 62,4)

Il est vraiment de « chez-nous »

 » Ces petites crevures… »

Marie-Jo, aînée d’une famille très nombreuse, accouchait de son premier garçon. Elle en aura six… Dans la même chambre une « fille-mère » qui avait refusé de voir son enfant à la naissance. Son seul commentaire :  » Et avec ça, ces petites crevures, ça vous fait encore mal en arrivant « …

Cet enfant, garçon ou fille, je ne sais, est devenu adulte. C’est un cas limite. N’oublions pas cependant qu’un des arguments pour l’avortement a été celui-ci : un embryon n’est une per¬sonne que dans la mesure où il est accepté, désiré… Un enfant non voulu, et qui en a conscience, part mutilé dans la vie.

Un enfant accepté

Nous sommes des enfants acceptés… Mais il y a toujours quelque chose en nous qui a déplu à nos parents: il eût été bien que ce fût une fille et non un troisième garçon; il a les yeux de la grand-mère paternelle et le front du grand père, alors que l’inverse aurait si bien fait.. Sans compter qu’en grandissant, l’enfant prend son autonomie, et les parents ne sont pas toujours heureux devant la tournure des choix.

Nul enfant de la terre n’aura été mieux accepté et mieux reçu que Jésus. Car la Mère au coeur totalement modelé sur le projet de Dieu, le reçoit avec un « respect » absolu. Certes, elle a comme toute jeune maman joie à le pouponner. Mais ce n’est pas une super-peluche, un jouet pour elle. Et Jésus, parce que lui aussi sans péché, ne se définit que par sa vocation. Il est homme à l’état pur, sans scorie pour le dénaturer. Aucun enfant ne se rendra davantage « éducable » par sa mère : à l’intérieur de ce mystère humain de maternité/filiation, ils sont tous deux tendus vers la réalisation la plus profonde de leur vrai moi, le rêve que Dieu fait sur eux.

II s’agit réellement d’une terre nouvelle, d’un « couple nouveau », de la souche d’un peuple neuf.

Notre enfant

Puisqu’à la ressemblance de Dieu, l’homme est par définition même « communautaire ». Il a son épanouissement dans la mesure où il est une personne insérée dans un peuple. Dieu apporte son salut non à chacun pris isolément, niais en constituant un Peuple. Et le peuple trouve grâce à ses yeux par l’intermédiaire des « répondants » : Noé, Abraham, Moïse, les Apôtres et Pierre.

Cet enfant est totalement intégré, l’un de nous. Rien en lui n’est refusé. En lui Dieu se rend accessible. « Ce que nos yeux ont vu, ce que nos mains ont touché… » dira Saint Jean

Comment la famille d’un enfant rejeté pourrait-elle un jour se réclamer de lui dans le besoin ? Jésus, au contraire, accueilli en notre nom par Marie, est un interlocuteur que Dieu ne pourra plus jamais disqualifier.

Un pont pour l’échange

Un grand pont suspendu, Tancarville, n’est solide que dans la mesure où son point d’ancrage fait bloc avec la rive. Jésus fait bloc avec Dieu, dont il est le Verbe. Marie l’a « ancré » à notre terre, d’un encrage sans fissure. Jésus fait bloc avec l’humanité, grâce à la plénitude du « oui » de Marie.

Par ce pont va se réaliser l’ « admirable échange » chanté durant la liturgie de Noël.

L’humanité, par l’accueil parfait de Marie avance à la rencontre de Dieu, qui dans son rêve d’amour était là depuis toujours. Les cadeaux sont échangés : Dieu fait de l’homme des Fils; la terre donne en retour ce qu’elle a de meilleur et de plus beau : une humanité d’homme pour le Verbe de Dieu.

Un pont est construit, pour le « Passage », pour la « Pâque » Le Verbe va vivre une naissance, une vie et une mort d’homme; en la vivant, il va la transmuer. Un fils d’homme va marquer notre sol de ses traces… et ce seront les traces de Dieu.

Des noces Indéfectibles

Ce double « oui », cet échange de cadeaux, trouvent leur aboutissement en un mariage que rien ne pourra plus casser : celui du Verbe et de l’homme, dans la personne de Jésus, « vrai Dieu et vrai homme ». Dieu ne reprendra plus jamais son « oui », car les dons de Dieu sont « sans repentance », selon la traduction de Saint Paul par le P. Chaminade (Rmn.11,29). Et le « oui » donné par Marie, en notre nom, ne sera jamais repris non plus, car aucune fissure en son coeur ne pourrait rêver d’un autre amour que de Dieu.

Avant de se séparer par de longs voyages, deux amis brisaient une poterie ; chacun emportait une moitié du « symbole ». Des an¬nées plus tard, l’enfant de l’un des deux, muni du morceau qui s’ajustait, était sûr de trouver chez l’autre, ou sa famille, vivre, couvert, protection, amitié.

Jésus, « Fils de Dieu est devenu Fils de Marie » : les deux morceaux du « symbole » sont recollés, sans aucun interstice. Dieu et l’homme ont redécouvert la connivence d’avant le péché.

Jésus est « marial », c’est à dire accueilli. Ne voir en lui que l’acte créateur de Dieu, en oubliant le « oui » de la terre donné par Marie, serait en faire un rejeté non voulu. Côté humanité, le pont s’écroulerait, et le passage serait fermé vers l’autre rive, celle de notre Avenir.

Les deux matrices

Un enfant est conçu…

L’enfant est dans la matrice maternelle. Le processus de la vie est enclenché… pas sans la mère, mais elle l’ignore encore. Durant neuf mois, il va se poursuivre : la mère offre le nid, le garde sain, chaud. Elle ne peut rien de plus. Le « projet » se développe selon sa loi propre, jusqu’à l’heure de la naissance, quasiment sans la mère.

Pas tout à fait : si la mère ne peut modeler l’enfant à sa guise, elle peut l’empêcher de se développer normalement : en fumant, en prenant de la drogue ou certains médicaments, qui risquent de rendre l’enfant handicapé.

Sans compter l’environnement : voir Tchernobyl, par exemple.

Un enfant est né…

Mais il n’est pas  » achevé », et laissé à lui-même, il mourrait bien vite. Il ne fait, en réalité, que changer de matrice.

Il est désormais dans la matrice de la famille : l’attention, l’amour, la bienveillance du père, de la mère, de l’entourage, sont le nouveau nid qui contribue à son développement.

Et là les parents peuvent beaucoup pour l’enfant.

C’est à travers ce qu’il lit sur le visage de sa mère, de son père, de ceux qu’il aime, que l’enfant appréhende le monde, qu’il se l’approprie.

C’est dans cette matrice qu’il crée la relation avec le prochain; c’est là qu’il devient bienveillant, accueillant aux autres, confiant dans les personnes, audacieux, généreux. C’est là que l’enfant enregistre ses premières craintes, ses peurs, ses répulsions, ses hargnes, ses rancunes…

Cette matrice peut, elle aussi, devenir matrice de mort, de handicap, si elle est polluée, si la violence l’emporte sur l’amour, ou la crainte de la vie, ou une trop grande misère.

La famille, d’abord réduite à l’univers de la mère, du père, s’étend de proche en proche à tout le milieu, ceux qui viennent voir l’enfant… puis ceux qu’il voit lui-même à partir du moment où il est capable de sortir de la maison.

Et de nos jours, la pollution s’insinue jusque dans la matrice familiale. Les familles ont beau être saines, généreuses, l’environnement pollué atteint les enfants.

Paradoxe : alors qu’un Tchernobyl fait réagir tous les peuples civilisés, les « tchernobyls moraux » ne semblent toucher personne. Et pourtant, ils compromettent plus sûrement notre avenir que les tchernobyls locaux physiques.

Jésus, s’approprie le monde

Il se l’approprie à travers deux Saints : Marie, Joseph… Il ressemble à sa mère, sûrement, « comme deux gouttes d’eau ». Mais ni Marie, ni Joseph ne s’attardent longtemps sur cette ressemblance, éblouis qu’ils sont de l’ascendance mystérieuse, infiniment plus réelle de Dieu qui crée « à son image ». Ils voient d’abord le visage de Dieu se refléter sur cet enfant, cette empreinte indélébile.

Oui, c’est dans le visage émerveillé de Marie, de Joseph, penchés sur lui, que Jésus découvre en sa conscience d’homme que Dieu est pour lui Père.

C’est encore à travers le « filtre » de ses parents, que Jésus va appréhender les autres hommes. C’est Marie qui lui donne ce regard de bienveillance sur les êtres et les choses; c’est Marie qui lui donne le langage pour en parler, pour leur parler, pour les écouter; c’est Marie qui lui raconte l' »Histoire Sainte » de ce peuple.

Oui, Jésus est « marial » en tout son être. Et le monde que s’approprie Jésus est lui aussi un monde « marial ».

Jusqu’au péché…

Le monde de Nazareth, en ce temps, n’était pas plus parfait que le nôtre aujourd’hui. Il était lui aussi marqué par le péché. L’homme Jésus, le « sans péché » va croiser le péché tous les jours de sa vie.

Comme Marie, « la toute graciée », il sera « étonné » devant le péché, ce monde qui lui est absolument étranger, avec lequel, contrairement à nous, il n’a aucune connivence, aucune complaisance.

Jésus, si proche des hommes, si aimant des hommes, voit dans le péché une mutilation, une blessure, et sa réaction instinctive est réaction de pitié et de miséricorde. Et par cette miséricorde, le péché devient sien, sans qu’il en soit lui-même appauvri. Jésus devient pleinement solidaire du pécheur, sans devenir pécheur lui-même.

La « deuxième matrice » ancre Jésus dans l’histoire de l’humanité, comme la « première matrice » l’a ancré dans la nature humaine.

Marie, dont le rôle à l’origine fut déterminant, verra Jésus devenir de plus en plus autonome, comme toute mère vis à vis de son enfant. Elle sait, comme le dit un poète anonyme, que « Dieu crée l’homme comme la mer fait les continents : en se retirant », et que la paternité et la maternité humaine se réalisent à l’image du schéma créateur.

Mais elle aura la joie de voir son Fils aborder cette histoire avec le regard dont elle a été la pédagogue. Entre Jésus et Marie, il y aura pleine connivence de réactions devant le monde.

Jésus, dans sa culture, comme dans sa nature, est tout entier marial.

Le fils engendre ses parents

D’une famille à l’autre

« Le Fils unique… est entré dans l’histoire des hommes par la famille », écrit Jean Paul II. Le Fils du Père est devenu « Fils de l’homme ». Mais c’est le même amour du Père trinitaire qui l’a jeté dans l’être humain. L’amour divin, submergeant la terre par cette naissance, la fait entrer dans « la civilisation de l’amour ». Amour et Alliance : dans le sein de Marie, Dieu et l’humanité se sont étreints dans un baiser que rien ne pourra désormais plus séparer.

Jésus doit à cette famille le fait d’exister comme homme. « Dieu remet l’homme à lui-même en le confiant en même temps à la responsabilité de la famille et de la société « ( Jean Paul II), avec une vocation fondamentale: »Etre homme ». « Dans le dessin de Dieu, la famille est la première école de l’être homme dans ses différents aspects. Sois homme ! » (Jean Paul II).

Et cet amour est beau, car il est « don de Dieu ». Don réciproque, car Joseph et Marie, donneurs, chacun à sa manière, de la vie, en seront aussi les receveurs, comme tout père et mère : « Maîtres en humanité de leurs propres enfants, à cause d’eux, ils en font eux mêmes l’apprentissage. » (J.P. II)

Joseph n’est pas le « géniteur ». Néanmoins, par le soin dont il entoure la mère et l’éducation qu’avec elle il va donner à Jésus, il sera lui aussi « donneur de vie » : « L’éducation est un libre don d’humanité, fait par les deux parents : ils communiquent ensemble leur humanité adulte au nouveau-né qui, à son tour, leur donne la nouveauté et la fraîcheur de l’humanité qu’il apporte au monde ». (J.P.II). Si Joseph n’a pas donné la vie, il a contribué à donner à Jésus l’amour de vivre, le goût de vivre, le goût de la vie toute remplie du bon goût de Dieu.

 » C’est aussi grâce à Joseph que le mystère de l’Incarnation et, avec lui, le mystère de la Sainte Famille est profondément inscrit dans l’amour sponsal de l’homme et de la femme, et, indirectement, dans la généalogie de toute la famille humaine. « (Jean Paul II).

La solidarité humaine

La vie et ses composantes, l’image de l’homme et de la femme inscrite dans la sexualité, le tout de l’être humain ne se réduisent pas à une aventure individuelle. Le tout de l’homme se réalise dans la communion. Et Jésus découvre l’homme dans cette communion qu’est la famille.

« N’est-il pas le fils du charpentier ? «  Imaginons la maison de Joseph : le mobilier et les ustensiles de ménage, objets créés amoureusement par l’artisan qui ne s’est pas résigné au fonctionnel pur; les instruments de travail, qui sont plus que des outils pour gagner sa vie, mais les héritages d’une civilisation; le pot de fleur et la cruche à la courbe jolie; la lampe pour la fête du vendredi soir…

Par sa famille, Jésus hérite de l’humanité entière, et s’irrigue à toutes les générations. Le respect de l’instrument, qui comprend plus d’intelligence que de matière, l’humilité du travail bien fait qui nourrit autant d’estime et de fierté que de pain, les soirées villageoises, avec leurs parlottes du soir et les fêtes du Shabbat : Jésus respire à plein coeur toute cette vie de l’homme, la récapitule en lui, en fait du divin. Jour après jour, il épouse, la terre et la condition humaine. Avec la famille, avec le village, il célébrera les grandes heures, et ces heures deviendront histoire sainte, car Dieu y était mystérieusement à l’oeuvre. Jésus, à son premier regard, a tété l’émerveillement de Joseph et de Marie devant la vie; au fil des jours, ses parents boivent l’émerveillement de Jésus devant la grâce de la terre et de l’humble quotidien. L’esprit de cette famille transformera cet émerveillement réciproque en aliment de croissance, de force et de joie pour tous.

C’est la première « Eglise domestique », le lieu du don réciproque d’humanité et de divin. Chacun y reçoit l’honneur dû : Dieu est Dieu et c’est bien grand; l’homme est l’homme, et c’est bien beau !

La complicité… !

France Quéré, théologienne et exégète protestante, traduit la parole de Jésus à Cana, non pas en « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? », mais en « Comment as-tu deviné? », soulignant la merveilleuse « complicité, à nulle autre égale, entre cet enfant et cette mère.

Marie a vu et entendu prier Jésus… Elle a découvert, bouleversée, son « papa » à Dieu… Jésus puise au tréfond de Marie, l’eau de l’Esprit, qui lui était cachée à elle-même. Il explore en Marie, sa mère, une terre qui reçoit et fait germer laparole qu’il dit de par Dieu. Comme tout enfant, mais bien au delà de tout enfant, Jésus a fait sa mère.

A la femme qui criera: »Bienheureux le sein qui t’a allaité », il répondra : « Bien plus heureux encore, pour avoir cru ». L’inconnue félicite Marie pour avoir tant donné; Jésus la félicite pour avoir su tant recevoir. Comment mieux traduire cet évangile qu’en adaptant cette phrase empruntée à Christian Bobin : « Ce n’est pas celui qui donne, mais celle qui reçoit qui fait la plus grande offrande ».

Marie toute « capable » de Dieu, s’est laissée façonner par le Fils. Jésus, avec son Père, saura honorer sa mère d’une reconnaissance que nulle éternité n’étanchera, puisque c’est elle qui a fait « la plus grande offrande ».

Aimantée

Le mystère du Christ

Le Christ est venu vivre la condition d’homme, intégralement, de la conception à la mort.

Un homme de plus parmi les milliards qui se succèdent sur notre terre… de surcroît au destin tragique… ?

Non, car il a vécu sa condition d’homme en « Fils » du Père. Aucun des instants de sa vie ici-bas où il ait cessé d’être le « bien-aimé » qui se reçoit et se donne dans un mouvement sans réticence. Sa nature humaine en a été surélevée, tout au long de la succession de son temps et de son histoire.

Par le dernier acte, la mort, il s’est dépouillé totalement, et dans le même mouvement il a été ressuscité par le Père : « Pour nous, le Christ s’est fait obéissant, jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. Voilà pourquoi Dieu l’a élevé souverainement et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom ». (Phil.2, 8-9)

Désormais, le Christ est pour toujours « tourné vers le Père ». L’humanité, en Lui, a réalisé sa transformation en plénitude.

La grâce n’existe pas…

… en soi. Pas plus que n’existe « la beauté », ou « la vie », n’existe « la grâce »en soi. Je peux admirer un « beau » coucher de soleil, ou un « bel » amandier en fleurs, m’émerveiller devant un poulain bien « vivant » gambadant dans la pâture. Beauté et vie sont des notions abstraites, sans existence réelle autre que dans un être support.

Il en est de même de la grâce. La grâce n’est pas plus une chose ou un être en soi que la vie ou la beauté.

Mais il existe des être « graciés ». C’est à dire des être envahis par l’amour débordant de Dieu pour eux, transformés par cet amour, et entrés dans un merveilleux échange avec Celui qui les aime.

La grâce fait partie des réalités « créées », c’est l’une des données de la création. « Donnée » et « créée », c’est à dire action gratuite et libre de Dieu. Mais, puisqu’il s’agit d’amour, elle n’aura d’existence réelle, cette grâce, que dans la mesure où elle sera « reçue » par un être libre et aimant.

Dans le don de l’être et de la vie, Dieu est « tout puissant », libre entièrement de sa création. Dans le don de lui-même – cette transformation que nous appelons la grâce – il est limité par la réponse de l’être créé libre qu’il a voulu élever à la dignité de partenaire d’amour.

C’est là un grand mystère et l’inouï de la dignité de l’homme…. et de sa responsabilité.

L’aimant et l’aimantée…

C’est ici que nous retrouvons Marie. Le mystère du Christ serait limité à sa propre personne, et par conséquent « avorté », s’il ne débordait pas sur l’ensemble de l’humanité et des hommes.

Par son Fiat, Marie a accueilli Jésus, comme son Fils; elle l’a inséré dans la génération des hommes; elle l’a ancré au milieu de nous.

Mais ce Fiat n’est pas que d’un jour. La maternité de Marie n’est pas simplement une « chiquenaude » initiale, dont tout le processus ultérieur se déroulerait sans elle. De l’instant de la conception, à la dernière heure, va s’établir le jeu aimant du don et de l’accueil, entre la mère et l’enfant; entre le Christ Rédempteur et la représentante de l’humanité.

Le Christ dès l’origine de sa vie devient le « fécondeur » de l’humanité. Marie sera en face de lui la « fécondée », et aucune semence de Dieu ne sera perdue en elle, à cause de la sécheresse ou de la mauvaise herbe envahissante.

Marie entre toute entièredans le mystère d’alliance. L’Epoux, le Christ ne cesse de féconder l’Epouse, figurée et représentée par Marie. Chacun des « états du Christ », selon une expression de l’Ecole Française de spiritualité, chacun des « mystères » de sa vie, selon la dévotion du rosaire, est source de grâce pour notre terre. Ces grâces ne sont pas pure abstraction. Elles sont inscrites dans la réalité de la transformation et l’enrichissement continu d’une créature humaine, jusqu’à sa plénitude de « fille de Dieu »

La grâce est communion et non répartition

Eliminons l’idée d’une sorte de « capital de grâce », acquis par le Christ tout au long de sa vie, dans lequel chacun des chrétiens puiserait jusqu’à la fin des siècles.

Le Christ n’a cessé de « gracier » notre humanité, par chacun des « mystères » de sa vie, et notre humanité a été graciée dans une personne bien concrète, Marie. Les Cardinaux Ratzinger et Urs Von Balthasar auront ce beau titre : »Marie, première Eglise ».

Notre salut ne se fait donc pas en prenant chacun un bout du capital de grâce, mais en nous agrégeant à l’Eglise, en liaison vitale avec Marie, et avec elle en liaison vitale d’accueil de Jésus.

Mariage entre le Christ d’une part et l’Eglise d’autre part. Eglise avec Marie, et tous les chrétiens, et nous. Le Christ et l’Eglise forment un seul corps, dans lequelle Christ ést la tête,la vie; et l’Eglise est le reste du corps, vivifié par la tête.

Ou si l’on veut, le Christ est l’aimant… et l’Eglise, l’aimantée…. Marie, première Eglise, la première aimantée, mais parce qu’elle n’a aucune « scorie » en elle, l’aimantation l’atteint en tout son être. Aimantée, elle devient à son tour capable d’aimanter qui se relie à elle.

Bien sûr, et dès l’origine, d’autres seront aussi « aimantés », à commencer par Joseph, et toutes les âmes de bonne volonté attendant le Messie, puis les apôtres, les disciples, les saintes femmes, les premières communautés chrétiennes. La « première Eglise » s’enrichit, se développe, s’universalise.

L’aimantation de la grâce parcourt l’ensemble, et le dernier qui s’adjoint à l’Eglise par le baptême, est irrigué du même flot de grâce. Mais chacun de nous ne reçoit ce flot que dans la mesure où les « scories » ne gênent pas son aimantation. Si nous sommes pauvrement aimantés, nous ne pourrons passer aux autres une aimantation forte. Nous risquons même de faire obstacle au passage.

C’est la raison pour laquelle chaque chrétien, tout en s’arrimant à celui qui l’aimante, va aussi s’arrimer dans la « communion des saints » aux plus « aimantés »…. et tout particulièrement à Marie. Par une relation directe avec Marie, dans la communion des saints et la prière, chacun de nous entre en contact avec la grâce « sanctifiante » – c’est à dire divinisante – là où elle est dans sa force originelle, à la limite de la capacité d’une nature créée de la recevoir. Ce fut la découverte de beaucoup de saints, et tout particulièrement du P. Chaminade et d’Adèle.

Marie – Eglise

C’est l’Eglise qui est l’épouse; c’est toute l’humanité qui est appelée à devenir l’épouse, « la femme de l’Alliance ».

Dans une créature, ces épousailles sont réalisées à un degré éminent, qui ne pourra jamais être surpassé.

Il fallait que ces épousailles soient indestructibles, qu’elles ne disparaissent jamais de notre terre. C’est pourquoi l’Eglise nous révèle que Marie, au terme de son existence terrestre, a été comblée d’une nouvelle grâce par Dieu qui l' »assume » corps et âme.

Autrement dit, Marie est pour toujours une « terrienne ». Au ciel certes, dans la vision bienheureuse et béatifiante de Dieu, mais sur notre terre toujours, avec son corps mystérieusement transformé par le pouvoir de résurrection du Fils.

Par Marie, notre terre est toujours en état d’accueil du mystère de Jésus dans tout son déroulement. A travers Marie, Jésus est toujours offert à notre terre, non seulement à la génération de Marie, mais à « toutes les générations ».

Qui donc est la femme de l’alliance ?

L’homme est projet

Sorti des mains du Dieu créateur, l’homme n’est pas l’objet fini fabriqué par un artisan, dont l’usage serait inscrit rigidement dans son être même.

L’homme est « prédestiné ». Ecoutons Saint Paul : » Béni soit le Dieu et Père de N.S.J.C…. qui nous a élus en lui dès avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour. » (Eph. 1, 3-4).

Qui « nous » ? Pas quelques uns comme le pensaient les Jansénistes, mais nous tous et chacun.

Notre avenir c’est d’être les yeux dans les yeux avec le Dieu d’amour. Dans notre humanité est gravée cette « marque » de Dieu que rien ne pourra effacer, qu’elle soit désir conscient ou nostalgie non reconnue : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi  » (St Augustin).

Chacun de nous, homme ou femme, est en réalité cette jeune fille dont le coeur rêve d’un époux sur lequel elle pourra s’appuyer en paix.Pour elle, tout le reste de l’univers n’a de signification que par rapport à ce visage désiré.

Un époux jaloux

Dieu se donne tout entier

Il attend le même don en retour. Saint Paul, celui du « malheur à moi, si je ne porte la Bonne Nouvelle », le missionnaire infatigable contre vents et marées, le connaît bien ce Dieu dont il se veut l’instrument : « J’éprouve à votre égard, écrit-il aux Corinthiens, autant de jalousie que Dieu. Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ, comme une vierge pure » (2 Co.11,2).

Le coeur de l’épouse doit être sans partage. L’amour de Dieu ne pourra s’y répandre qu’à la mesure de cette intégrité.

Le langage de Dieu

Dieu que « nul n’a vu », « transcendant », comment nous autres allons-nous le rêver ? Comment allons nous attiser le désir de lui, faire le rêve d’un amour fou avec lui ?

Avant même que les mots ne soient, Dieu a donné à l’homme un langage inscrit dans son corps même. Toute la symbolique de la création d’Adam et d’Eve nous est donnée pour dire cet amour de Dieu et y répondre.

Il faudra des siècles, et la marche hésitante de la révélation, jusqu’à la venue d’un Dieu « incarné », qu’on peut voir et toucher, pour que ce langage nous délivre sa signification ultime.

C’est encore St Paul qui sera le meilleur traducteur : »Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle; il a voulu ainsi la rendre sainte…; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache, ni ride, sans aucun défaut; il a voulu son Eglise sainte et irréprochable ». (Eph. 5,15-28)

 » C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise.  » (Eph. 5,31-32).

L’histoire d’une passion

Dès l’origine ce rapport d’amour de Dieu à l’homme se joue entre Dieu et une « société humaine » : le couple Adam/Eve, le clan d’Abraham, le peuple conduit par Moïse. La Femme de l’Alliance est cet être multiple qu’est l’humanité, enserrant aussi bien l’étendue de l’espace que la succession des temps. Notre humanité est « communion », et quand elle s’unit à Dieu elle est « communion des Saints ».

Mais le drame de l’homme, dans sa finitude et l’anarchie de ses désirs, sera d’oublier l’époux. Dieu plante alors sur notre terre des « peuples-signes » et des « personnages-signes ». Il seront « signes », en ce sens que la relation « conjugale » privilégiée que Dieu aura avec eux est appel à tous les autres peuples et à toutes les autres personnes, pour qu’ils entrent eux aussi dans cette relation d’amour privilégié. Ils sont tout au long de l’histoire la « femme de l’Alliance ».

« A la fin des temps », préparée par des millénaires de grâces et de réponses humaines hésitantes et généreuses à la fois, viendra la Femme de l’Alliance à un titre inégalé. L’Epoux trouvera en elle une complaisance rencontrée nulle part ailleurs.

Marie-Eglise

Autour de Marie, en réponse à l’appel du Christ, se constitue l’Eglise, le peuple nouveau, la fiancée restaurée dans la virginité et la fidélité originelles.

L’Eglise – et Marie dans l’Eglise – est la Femme de l’Alliance. Mais comme le Peuple hébreu : en étant signe pour tous les hommes et tous les peuples.

Et dans cette Eglise, nous qui avons la grâce d’avoir été baptisés, d’avoir reçu la « Bonne Nouvelle », nous sommes chacun la Femme de l’Alliance… Mais nous aussi comme « signe », pour les autres. Epousailles et envoi pour crier la Bonne Nouvelle sont inséparables. Mais nous aussi dans la « communion des saints »: l’amour « sans tache ni ride » de Marie est aussi le nôtre…. Il est notre espérance et la source de notre audace.

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